Anaon
- Et pourtant ils sont tout. Un mot nous fait sourire. Un mot nous fait pleurer. Ils nous libèrent, nous emprisonnent, sont notre malheur ou notre bonheur. C'est par un mot qu'on dit je t'aime, c'est par un mot qu'on se déteste. Il est des choses qui ne se racontent pas par le corps. Il est des choses que l'on prononcent ou que l'on couchent sur un vélin.
Et ce soir, c'est de mot qu'il va falloir user.
La porte se referme dans un son feutré. Yolanda dort à poing fermé. Le regard de la mercenaire se perd dans la pénombre du couloir qui frémit au rythme de quelques torchères. Seul leurs doux chuintements emplissent le silence qui règne dans le domaine. Château-Gontier s'est paré de ses habits de deuil. Cela fait près de deux lunes que rien ne va plus. Ce ne sont plus les racontars qui filent dans les couloirs, ce ne sont plus que des amas de mauvaises nouvelles qui s'accumulent. C'est l'automne, Château-Gontier ne sourit plus. C'est bientôt l'hiver, tout ce meurt. Et la dernière en date n'est qu'autre que la mère de la petite Kermorial.
La main pousse en silence la porte de la chambre des deux Alix. L'il s'accommode de l'obscurité. Une forme dans un lit. Une seconde absente. Les sourcils se froncent. La porte se referme et l'Anaon s'éloigne.
Marie de Kermorial. Croisée une pauvre fois, connue uniquement par les lettres ou la bouche des autres. Des bouches qui ne se sont jamais montré bien élogieuses. Une femme qu'elle avait pourtant choisi de mépriser pour de multiples raisons. Elle avait possédé le même homme qu'elle, certes, mais cela n'était pas un argument suffisant pour l'Anaon. Elle accordait surtout bien plus à ses amants qu'à ces propres enfants. Oui, c'est depuis ces jours en Anjou, où l'Anaon avait passé son temps à rester avec la petite Buse qu'elle avait décidé de mépriser cette mère absente.
Les pas dévalent les escaliers. La salle de réception. La balafrée se fige. Une porte échappe plus loin un halo chatoyant. La mercenaire se rapproche. Dans la pièce qui se découvre, la grande cheminée crache une chaleur qui l'enveloppe avec volupté dès son entrée. Un frisson la cueille délicieusement. Devant les flammes et leur lueur rougeoyante, une petit silhouette est assise sur une fourrure brune.
La femme soupir. Les langues de feu accrochent dans leurs lumières les contours du visage qui se voit à peine sous l'amas de chevelure qui encadre la mine angélique. Un petit nez baissé. Une bouche boudeuse. Ces grand yeux bleus qu'elle imagine. Tristes.
Le chaperon s'avance calmement, se glissant derrière la petite silhouette. Elle s'accroupit avec précaution et une main se pose tendrement sur la tête blonde. La voix se fait Velours.
_Penaos 'mañ ar bed ganeoc'h, Alix?
Comment allez-vous, Alix?
_________________
Images originales: Victoria Francès, concept art Diablo III -Anaon dit Anaonne[Clik]