Rostang.
[Un type chanceux]
Un cauchemar, une angoisse, une certitude et voila notre blond Rostang qui se lève à l'Aube et s'en va, une hache sous le bras, couper des arbres.
Pas trop gros les arbres, le diamètre qu'il faut pour avoir des pieux solides et créer une palissade : donc des résineux.
Il répéta cette activité plusieurs jours durant, malgré le froid, malgré ses tenues légères.
Il mangeait peu, dormait peu, et n'avait plus qu'une obsession en tête : se barricader chez lui, faire de sa masure une forteresse.
Dans les jours à venir, il ne sortirait plus que pour aller à sa pastorale, à son baptême, et travailler.
S'il n'avait pu protéger l'essentiel, la réclusion le ferait. C'était du moins ce dont il était persuadé.
Ce jour là, entre deux quintes de toux, il termina son uvre. Grelottant de froid, fiévreux, il alla au village chercher du travail.
Peu lui importait ce qu'il trouverait, il lui fallait s'occuper l'esprit.
Finalement, le destin étant parfois cruel, la mairie l'embaucha pour couper du bois!
Il savança dans la forêt qu'il finissait par connaitre par cur, et trouva l'emplacement idéal pour sa besogne.
Quelques coups résonnaient ça et là, au loin. Il était de coutume à Mente de couper du bois, puisque c'était une ville forestière.
Les oiseaux se faisaient entendre mais le plus bruyant ce jour là était le vent, qui s'était levé de bonne humeur et soufflait avec énergie depuis le début de la matinée. Un vent froid, glacial, qui lui transperçait le corps de mille dagues.
Rostang avisa un arbre et le choisit comme future victime. Arrivé à sa hauteur, il posa sa hache sur le sol, faisant reposer le manche sur le tronc.
Il retira son bliaud et sa chemise, laissant son torse au bon soin du vent dont il savait que le souffle finirait sans doute par l'achever.
Depuis plusieurs jours, quelque chose de nouveau grandissait en lui et cherchait souvent à s'échapper, de quelques manières que ce soit.
Un chêne allait en faire les frais...
Ramassant la cognée de sa senestre, il posa la dextre sur le tronc et en mesura l'épaisseur, puis regarda autour de lui et se recula de deux pas.
Il pris l'outil des deux mains, la gauche en bas du manche et la droite un pouce plus haut.
Il la fit tourner légèrement pour échauffer ses poignets et remplit ses poumons déjà meurtris, sa poitrine gonflée d'air lui arrachait des cris de douleur tandis qu'elle s'ouvrait et invitait les épaules à se bander.
Il se tenait ainsi devant l'arbre, avec un air de défit, un petit sourire narquois sur les lèvres. Son regard pénétra l'écorce avant le métal.
Puis il leva la hache et labattit avec force, donnant naissance à un bruit sourd et profond. Il renouvela l'opération, encore et encore.
Chaque coup provoquait une infime pluie de copeaux, qui voltigeaient aux alentours avant de retomber sur le sol.
Chaque coup rendait plus dures ses épaules et faisait saillir les muscles de son dos.
Chaque coup faisait perler désormais quelques gouttes de sueur, descendant le long de sa peau avant d'être éjectées dans l'air par le coup suivant.
Chaque coup ressemblait à une danse entre lui et l'arbre, les mouvements répétés se faisant précis et harmonieux, l'ensemble élégant mais brutal, l'homme plus fort et plus déterminé que jamais.
Chaque coup devint plus lourd que le précédent. Pris d'une nouvelle quinte de toux, qui le fit cracher du sang, un visage revenait hanter Rostang.
Le simple travail se muait en exutoire.
Il cognait les dents serrées, une soif dérangeante et le gout du sang dans la bouche.
Sa gorge commençait à lâcher un râle et une autre quinte de toux alors que la lame aiguisée venait mourir dans le bois.
Ses jambes le faisait pivoter en rythme, les épaules et le buste droits.
Il lâchait ses coups avec un mélange de plaisir et de colère.
Le regard fiévreux, il cognait sur un souvenir, de toutes ses forces.
Le râle se transforma en cri de rage autant que de douleur alors que le tronc ne tenait plus qu'à un fil...
Il posa ses deux mains à plat sur le tronc et puisa dans ses dernières forces, tendit les bras au maximum, recula sa jambe droite et poussa.
Accompagné d'un dernier craquement, le chêne s'écrasa lourdement, dans un fracas de branches et de bruissements affolés de feuilles.
A son instar Rostang tomba à genoux, les deux mains au sol, essayant de retrouver sa respiration, la poitrine déchirée, en feu.
Le visage pourtant n'avait pas disparu.
Quelle hargne lui permit de poursuivre son travail et de débiter le tronc en stères?
Quelle volonté le poussa pas après pas à se trainer par la suite chez lui?
Personne ne le sut pas même lui qui s'en étonnait presque.
Pourtant à peine avait il refermé la porte derrière lui, qu'il tomba inanimé sur le sol, transi de froid, grelottant de fièvre.