Décidément, encore GRMY...
Finalement cela tombait assez bien, Constant était d'assez bonne humeur.
En piste !
Dites, messire GRMY, je vous demande d'avance de me pardonner pour le côté cavalier des propos que je m'apprête à tenir, mais je voudrais vous demander s'il est vraiment utile que je m'agite la théière à vous répondre...
De fait, vous posez beaucoup de questions, mais vous ne semblez pas écouter les réponses...
Je m'appuie sur deux faits pour justifier ce triste constat. Tout d'abord, vous ne rebondissez jamais sur les éléments de réponse que je vous propose.
J'ai fini par en conclure que vous n'aviez rien à ajouter, suivant en cela le vieil adage selon lequel "qui ne dit mot consent".
Pourtant, vous persistez à sembler ne pas m'écouter, car vous posez des questions auxquelles j'ai déjà, ce me semble, apporté de très clairs éléments de réponse.
Je suis donc perplexe, et il me semble que vous ne venez pas auréolé d'intentions innocentes.
C'est fort fâcheux... Mais vous comprendrez que, ayant visiblement en face de moi quelqu'un qui pose des questions tout en ayant pas la volonté de recueillir des réponses, j'en conclue fort naturellement que votre objectif est d'ennuyer le monde.
Le raisonnement est un peu rapide, je le concède, mais il me vient à présent très naturellement à l'esprit dès lors que je me hasarde à réfléchir à votre cas.
Il est donc nécessaire que je m'assure que je ne suis pas en train de souffler sur le moulin grinçant d'un esprit tordu épris de contradiction...
Hummm...
Excusez moi, en réalité je pense avoir compris la manière dont vous fonctionnez. Vous partez du principe que l'énonciation d'une interrogation rhétorique suffit à présumer de la valeur de vérité de son contenu.
Ainsi, vous pensez souligner l'absence du maire en lui demandant, attifé gauchement d'un châle de vertu rapiécé trop grand pour vous, s'il s'occupe encore des habitants de la mairie.
Mais allons ! C'est parfaitement idiot ! Vous êtes tout de même assez grand pour le comprendre !
Supposez que je vienne vous voir, et que je vous demande quelque chose... Hummm, mettons....
Heu... Oui bon là je manque un peu de répartie, je ne suis pas rompu à l'exercice...
Ah oui ! Je sais !
Je vous mime la scène !
Là dessus, Constant, dont la voix était plutôt monocorde pour le moment, changea radicalement de timbre, et s'exclama d'une voix candide en tachant de feindre la surprise :
Oh tiens, messire GRMY ! Quelle surprise ! Comment allez vous, vos épaules sont elles toujours affublées de cette ridicule excroissance osseuse hélas pourvue d'une cavité laissant échapper des sons qui ne seraient agréables que s'ils étaient des râles d'agonie ?
Reprenant son sérieux sans transition :
Serait-ce pour autant donner ici là moindre accréditation à la thèse de l'existence effective d'un ridicule intrinsèque de votre organe capital ?
A l'évidence non. Et il serait au combien ridicule de le penser !
Pardonnez moi de marcher dans les traces du fondateur de l'Académie, mais il me semble que, pour capillotracté qui soit en lui même, ce petit exemple, auquel j'espère d'ailleurs que le côté vivant de la représentation théâtrale ne sera pas inutile, pourrait bien, en vertu justement de son caractère idiomatique auprès des esprits peu habitués à manipuler les symboles un peu abstrait il est vrai, des pensées dialectiques, se révéler instructif, et servir de manière tout à fait profitable, de paradigme de la mauvaise façon d'user de la question dont vous semblez pâtir.
Le tout, vous l'aurez bien évidemment compris, dans l'idée que vous puissiez vous corriger sur cette base !
Je vous souhaite bon courage pour le travail que vous avez à faire dans cette voie !
Pour le reste, vous comprendrez tout naturellement qu'il ne m'est pas loisible de prendre le risque de vous répondre alors même que je ne dispose toujours pas d'une certitude ferme et inébranlable à votre sujet, comme un point d'Archimède sur lequel je pourrais faire reposer le levier de mon raisonnement pour parvenir à mouvoir, et ainsi à expulser hors de mon champ de vision cognitif, tous les éléments de doute que je vous ai présentés, lesquels m'incitent actuellement à quelques réticences dans l'évaluation de votre bonne volonté.
Croyez moi, je me désagrège de honte à l'idée de devoir faire entorse à la plus élémentaire des politesses en vous donnant une réponse laconique, je suis balayé, pauvre feuille morte hagarde sur le sentier des culpabilités d'automne, par les vents implacables de l'exigence de prudence !
Je suis tout autant victime que vous de ce que je vais faire, j'insiste vraiment sur ce point.
Je tâcherai d'être bref, mais néanmoins distingué, afin que, tout en veillant à ce qu'elle soit brève, je puisse vous garantir que la souffrance de se placer en situation inconvenante pour les gens civilisés que nous sommes saura s'adoucir d'une dérisoire mais cruciale consolation, à savoir la grandeur des âmes ciselées dans la dentelle exquise des tissus d'esprit les plus fins, je parle, mon cher, de ce petit plaisir esthétique que l'on prend à observer la mort pourvu seulement qu'elle soit belle, de cet ultime reliquat d'estime de soi que n'attaque pas la rouille de l'opprobre, de cette drogue des esprits raffinés ivres du reflet de leur âme qu'ils contemplent à l'orée chatoyante de la silhouette de leurs actes dardant leurs avatars de lumière pariétale par le miroir des mots, de cette fierté en rut, irréductible, irrévocable en doute, que nourrissent à jamais en leur sein les apôtres bénis de la chorégraphie existentielle; j'ai nommé le panache !
La voix de Constant s'était faite emphatique, enthousiasmé qu'était le locuteur par son délire improvisé.
Il tâcha toutefois de maîtriser au plus vite son entrain, et, n'ayant qu'à peine pris le temps de reprendre sa respiration, il poursuivit son monologue d'une voix mécanique et froide :
Messire GRMY, je fais valoir par la présente requête le devoir qui est le mien de veiller à ne pas alimenter un processus mortifère pour la ville dont je représente partiellement l'administration. Je vous demande de ne plus présenter vos questions ici avant d'avoir pu témoigner de manière convaincante du bien fondé de vos intentions.
J'assortirai mes exigences d'une suggestion, si vous me le permettez. En effet, étant pleinement convaincu que, quand bien même vous seriez de bonne foi, vous n'êtes pas en mesure de faire valoir une démonstration rationnelle suffisamment convaincante pour rattraper le retard que vous aura fait prendre votre inconséquence passée aux yeux des personnes sérieuses que le peuple à mis à la tête de la municipalité d'Orthez, je me vois dans l'obligation de vous proposer amicalement une méthode pour que vous en finissiez de cette manie sans vous couvrir de honte. Je pars également du principe que le vice est honteux, et en arrive par ce double chemin à l'évidence confirmée de deux sources que vous n'échapperez pas à un funeste destin si vous vous obstinez à vivre. Vous n'êtes pas assez sage pour simplement vous retirer dans l'érémitisme que votre indigence devrait prescrire. Vous n'avez rien à gagner à laisser se poursuivre la parodie d'existence qu'est votre vie, ayez au moins l'opiniâtreté de vous rabattre sur le menu honneur d'être celui qui claque la porte. Il arrive, hélas, que certains organismes ne trouvent pas leur place dans la structure ordonnée et hiérarchisée qu'impose la vie des animaux politiques. C'est triste. Il faut pourtant trouver la force de couper les branches mortes, et d'achever les poissons qui s'étouffent sur la berge. Je suis prêt à vous accompagner, en ami, sur le chemin qui vous mènera à l'acceptation de cette dure réalité. C'est par respect pour l'être humain que vous fûtes en puissance que je trouverais le courage, si vous m'en faites la demande, d'écraser du talon les derniers espoirs d'un étant avorté, pour crever enfin les bulles d'illusions dont les êtres non viables se bercent.
Je préfèrerais toutefois, à l'évidence, que vous donniez à votre acte la valeur esthétique d'une action exemplaire, en glorifiant la lucidité au prix de votre vie.
Choisissez bien votre mode opératoire, cher ami, selon ce que vous souhaitez comme empreinte de vous à la postérité. Voudrez vous l'abandon lubrique de l'étreinte des eaux ? Allez vous ainsi vouloir vous étendre dans un doux clapotis, tirer le rideau de la scène sur laquelle s'est jouée votre vie sur le bercement apaisant de l'écoulement d'une cascade, ponctuées ça et là des effusions spongieuses de vos poumons imbibés ?
Préfèrerez vous la morsure véhémente du feu, pour vous éteindre en guerrier, en martyr, en sonnant à la corne la charge de votre révolte face à ces insipides conditions d'existence que vous réduisez en cendre à travers votre corps ? Voudrez vous célébrer l'hystérie orgasmique de la victoire éclatante de votre volonté sur la réalité oniricide des petites douleurs mesquines ?
Ou peut-être jouerez vous à l'Icare, donnant enfin corps au fantasme de tout homme de voler dans le ciel. Nul homme n'écrivit l'Illiade et l'Odyssée avant Homère, pourquoi ne serait il pas vrai que nul homme ne volât avant GRMY d'Orthez ? Voilà un bien exaltant moyen de finir vos jours, placez vous votre vie au dessus des rêves de l'humanité ?
Faites votre choix, cher ami, et affrontez votre destin.
Bon, tout cela était amplement suffisant, Constant détendit les traits de son visage, qu'il avait voulu austère jusque là, et marqua le point final de son discours d'une voix naïve :
Vous avez des questions ?