Actarius

Le Comte du Languedoc avait pris place dans les tribunes qui faisaient face à l’éperon rocheux et bordaient la lice sur laquelle s’élevait désormais une chapelle éphémère. Le campement avait déjà quitté sa torpeur depuis quelque temps et des pages le parcouraient désormais, sonnant le rassemblement vers le champ-clos où Monseigneur Rodriguez célébrerait bientôt une messe de bénédiction. L’office marquerait le véritable début des festivités. Ainsi, en un mélange d’impatience et d’anxiété, le Mendois balayait le lieu de son regard de Sienne étincelant d’excitation. Ce moment, il l’avait espéré et attendu. Désormais qu’il était devenu imminent, ce cœur emporté n’en finissait plus de s’affoler au rythme des pensées les plus diverses. En cet instant, elles étaient focalisées sur la cérémonie. Il se souvenait comment il s’était laissé séduire par l’idée de bénir ces festivités, de quels mots il avait usés lorsqu’il avait écrit au nouvel Archevêque de Bourges et avec quelle joie il l’avait reçu. Aussi honoré que fier de pouvoir compter sur un officiant de cette qualité, il avait tout mis en œuvre pour que la bénédiction, qui ouvrirait les festivités au matin du XXIe jour d’août, se passât bien. Celle-ci n’avait rien d’anodine, au contraire même elle revêtait une importance capitale et ce d’autant plus que l'histoire du Tournel était profondément liée à la religion.
Depuis des siècles, le pouvoir sur la région s'était exercé à la fois par les barons, mais également par les tout puissants Evêques de Mende. Durant des générations, c'était à ces véritables gardiens du pays gévaudanais que les barons avaient prêté serment d'allégeance. Si bien que la foi, y compris depuis son renouveau, avait une grande influence sur le pays. Bien entendu, elle n'avait pas chassé toutes les croyances, toutes les légendes païennes, mais elle prédominait sur celles-ci et demeurait ancrée dans les cœurs tant tournelois que cévenols, tant villefortaises que bagnolais... Cette dominance était d'autant plus présente qu'autrefois, la famille de Tournel avait engendré un illustre prélat. Il s'agissait du "Vénérable", ainsi que l'avait surnommé un Roi de France. Diplomate éclairé, et homme rusé, il devint évêque de Mende et fit du petit bourg une ville, lui offrit une période de prospérité sans précédent. Un peu plus de deux siècles s'étaient écoulés, mais le nom d'Aldebert du Tournel n'était pas tombé dans l'oubli.
Ce fut également grâce à lui que les reliques du martyr Privat furent retrouvées et transférées dans la crypte d'où elles avaient disparu. Privat, le « saint » local, protecteur de Mende. Sa légende était contée dans tous les foyers. Envoyé pour transmettre les enseignements de la Foi avant son renouveau, celui se retira dans une grotte sur le Mont Mimat qui dominait le bourg au temps des attaques barbares. Trouvé par les envahisseurs, il fut torturé et offrit sa vie pour protéger les Mendois. On racontait qu’en guise de châtiment, il avait été enfermé dans un tonneau hérissé de clous et que le chef barbare avait fait rouler le tonneau depuis l’ermitage. Ainsi avait-il trouvé la mort. Lorsque le temps des récoltes venait, Privat était fêté dans presque tous les hameaux. On lui rendait hommage le XXIe jour d’août.
Un peu plus d’un millénaire après, bercé par ces légendes et ces croyances locales, le Comte du Languedoc n’avait pas oublié et avait voulu, à sa manière, célébrer la tradition de son pays natal, la montrer au monde lors de grandes festivités. Sous les conseils avisés de la Prinzessin, une chapelle éphémère avait été imaginée et consacrée. Sur la lice elle-même, au pied de la tribune, une estrade avait été bâtie. Elle reposait désormais à l’ombre d’un dais. Sur la scène, trônait une table massive. Les objets nécessaires au culte avaient été empruntés à la chapelle privée du château et étaient disposés sur cet autel de fortune, orné de deux vases de terre cuite où se mêlaient sauges des prés, pensées sauvages, achillées et véroniques en de jolis bouquets aux tons bleutés et violacés. Non loin de la table, avait été placé un lutrin où l’officiant pourrait déposer son Livre des Vertus. Chacune de ses composantes de la chapelle était étudiée attentivement par les yeux de l’Euphor. Perché sur la tribune qui se garnissait petit à petit, celui-ci s’adonnait à une dernière vérification, guettant le moindre oubli. Mais au sourire rassuré qui venait de s’installer sur ce faciès jusqu’alors concentré, on pouvait deviner sans peine que rien ne manquait et que la messe de bénédiction commencerait sans accroc.
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Depuis des siècles, le pouvoir sur la région s'était exercé à la fois par les barons, mais également par les tout puissants Evêques de Mende. Durant des générations, c'était à ces véritables gardiens du pays gévaudanais que les barons avaient prêté serment d'allégeance. Si bien que la foi, y compris depuis son renouveau, avait une grande influence sur le pays. Bien entendu, elle n'avait pas chassé toutes les croyances, toutes les légendes païennes, mais elle prédominait sur celles-ci et demeurait ancrée dans les cœurs tant tournelois que cévenols, tant villefortaises que bagnolais... Cette dominance était d'autant plus présente qu'autrefois, la famille de Tournel avait engendré un illustre prélat. Il s'agissait du "Vénérable", ainsi que l'avait surnommé un Roi de France. Diplomate éclairé, et homme rusé, il devint évêque de Mende et fit du petit bourg une ville, lui offrit une période de prospérité sans précédent. Un peu plus de deux siècles s'étaient écoulés, mais le nom d'Aldebert du Tournel n'était pas tombé dans l'oubli.
Ce fut également grâce à lui que les reliques du martyr Privat furent retrouvées et transférées dans la crypte d'où elles avaient disparu. Privat, le « saint » local, protecteur de Mende. Sa légende était contée dans tous les foyers. Envoyé pour transmettre les enseignements de la Foi avant son renouveau, celui se retira dans une grotte sur le Mont Mimat qui dominait le bourg au temps des attaques barbares. Trouvé par les envahisseurs, il fut torturé et offrit sa vie pour protéger les Mendois. On racontait qu’en guise de châtiment, il avait été enfermé dans un tonneau hérissé de clous et que le chef barbare avait fait rouler le tonneau depuis l’ermitage. Ainsi avait-il trouvé la mort. Lorsque le temps des récoltes venait, Privat était fêté dans presque tous les hameaux. On lui rendait hommage le XXIe jour d’août.
Un peu plus d’un millénaire après, bercé par ces légendes et ces croyances locales, le Comte du Languedoc n’avait pas oublié et avait voulu, à sa manière, célébrer la tradition de son pays natal, la montrer au monde lors de grandes festivités. Sous les conseils avisés de la Prinzessin, une chapelle éphémère avait été imaginée et consacrée. Sur la lice elle-même, au pied de la tribune, une estrade avait été bâtie. Elle reposait désormais à l’ombre d’un dais. Sur la scène, trônait une table massive. Les objets nécessaires au culte avaient été empruntés à la chapelle privée du château et étaient disposés sur cet autel de fortune, orné de deux vases de terre cuite où se mêlaient sauges des prés, pensées sauvages, achillées et véroniques en de jolis bouquets aux tons bleutés et violacés. Non loin de la table, avait été placé un lutrin où l’officiant pourrait déposer son Livre des Vertus. Chacune de ses composantes de la chapelle était étudiée attentivement par les yeux de l’Euphor. Perché sur la tribune qui se garnissait petit à petit, celui-ci s’adonnait à une dernière vérification, guettant le moindre oubli. Mais au sourire rassuré qui venait de s’installer sur ce faciès jusqu’alors concentré, on pouvait deviner sans peine que rien ne manquait et que la messe de bénédiction commencerait sans accroc.
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