Une missive, une simple lettre, voilà ce qu'il avait dans sa poche, Le Gaucher en s'approchant de Montpellier, capitale qui lui laissait des sentiments étranges, entre le dégoût et le désir, entre la haine et l'envie, entre un goût amer et celui de l'aventure, de la découverte. Bah oui, l'aventure, ce n'est pas toujours sur les chemins qu'il la trouvait. Pour lui, tout était prétexte à l'aventure en même temps. Pourquoi ? Bah simple, prenez un p'tit gars, plongez-le dans une famille qui ne lui ressemble pas, des roux... alors que lui est brun, faites tuer après quelques années, celle qu'il considère comme sa mère sous ses yeux, et plongez le après cela, dès l'âge de six ans, comme esclave de prêtres puis de nobles, vendu par celui qu'il prenait pour son père... Forcément, vous obtenez au bout du compte, un brigand qui dès qu'il est en âge, formé par un voleur de grands chemins, tue celui qui l'a vendu pour se venger, et poursuit sa vie dans l'ombre... Ce garnement d'une quinzaine d'années, faites-le découvrir autre chose, un autre monde, celui des nobles qui ne fouettent pas, des gens qui rient alors qu'ils sont paysans, et le brigand devient simple gueux.
Pour survivre à toute cette noirceur de sa vie, il avait trouvé un échappatoire, le jonglage de feu, cette lumière, celle qui purifie tout, celle avec laquelle il a appris à composer, à vivre depuis toujours. Ce feu, cette flamme qui l'anime, qui fait de lui ce qu'il est : un troubadour, jongleur de feu, en pleine recherche de lui-même, certes, mais qui n'est vraiment lui-même que lorsqu'il conte, jongle, s'amuse.
Plongé dans ses pensées, sur ce qu'est sa vie, il avait été interrompu par l'arrivée d'une missive. Sans plus attendre, n'ayant rien à faire de mieux, il attrape sa besace, y fourre quelques vivres, de quoi tenir quelques jours, il trouvera bien du travail sur place, et le voilà qui ferme sa roulotte et enfourche son fidèle destrier. J'arrête tout de suite les personnes qui pourraient imaginer un superbe étalon pur sang arabe... le fameux destrier du Gaucher n'est pas sellé, ne porte pas de bride, il monte à cru, et se tient à la crinière d'un magnifique... camarguais. Bon d'accord, il est blanc, 'fin plutôt beige, mais pas vraiment grand, plutôt rustique. Un bon cheval pour faire de la route, des travaux en tout genre, mais pas vraiment la monture d'un noble, parfait pour lui donc. Il sourit, flattant l'encolure de son superbe animal. Bah quoi ? on peut aimer son cheval, même s'il est pas un frison ou un arabo-andalou hein. Lui, il l'aime, son cheval, na.
Bon, revenons-en à nos moutons, ou plutôt à cet équipage : un gaucher monté sur un cheval donc, et le tout en direction de la capitale du Languedoc. Après quelques jours de voyages, dont on vous passera les détails des étapes, si si, j'insiste, pas envie de vous dire qu'il a fait des poches pendant le voyage, oups, bah d'ailleurs, je l'ai pas dit... ni qu'il a apprécié les feux de camps, nan nan on dira rien de tout ça, pour le voir entrer dans la cité. Ouaip. reprenons donc là, quelques jours après avoir reçu la missive de Donà Gabrielle. Pourquoi là ? Bah déjà, parce que j'ai envie, et puis que si vous faites Mende-Montpellier en moins de trois jours, à cheval, par les chemins équestres, croyez bien que ça va pas si vite que ceux qui utilisent des moyens de locomotions dignes du Sans Nom.
Le voilà donc à Montpellier, et il se prend une chambre, l'heure est déjà tardive et ça lui permettra de se laver un peu. Ouaip, les gueux se lavent, aussi surprenant que cela puisse paraître. Oh, j'vous vois venir, pas un bain par heure, ni par jour, mais par semaine oui. Un peu plus quand ils font des travaux vraiment salissant. La peste et les maladies rodent, et si se laver représente retirer un peu de sa protection, il n'en reste pas moins que les mains sales, c'est pas terrible pour le goût des aliments et que un jongleur, voyageur, ça pue la transpiration après quelques jours sur les routes.
C'est donc le lendemain de son arrivée qu'il se présente à l'Oustau. Il a pu demander le chemin. Dans sa tête trottent mille questions, Isleen, Audouin... sont-il mariés par la volonté de leur Senher ? Donà Gabrielle, Senher Enzo... comment et pourquoi faut-il que ce soit lui qui soit malade ? La vie est parfois injuste, et tout ce qu'il espère, c'est qu'il s'en sortira. Il aurait bien invité le Baron Bentich qu'est médicastre, mais il a pas osé... Après tout, c'pas lui qui invite, c'est Donà Gabrielle.
Il se présente donc, enfin, après toutes ces longues préparations, devant les grilles de l'Ousteau, vêtu simplement de ses vêtements noirs virant au gris habituels... ceux qu'il a sans doute volé au détour d'un chemin il y a déjà un moment, vu qu'ils sont un peu usés, mais ça, il ne le dira pas. La seule chose neuve, qu'il porte, c'est sa sacoche, plus grande pour pouvoir contenir plus d'instruments, mais cela, il faudrait l'ouvrir pour voir ce qu'elle contient, et bon, bah va falloir attendre. A la première personne qu'il rencontrera, Le Gaucher adressera quelques mots.
Bonjòrn. Louis Track. Donà Gabrielle m'a invité.
Et patienter, il attend donc, parce qu'on entre pas dans un Oustau comme dans un moulin...