Adess
Hummm
Mon traitement
encore ?
Toujours rouge de gêne, le brun tournait le dos à la brune. Il essayait, tant bien que mal, de se souvenir de ce qu'avait dit la vieille... Il énonça à voix basse :
Ce sachet pour la décoction et celui-ci pour l'infusion... Ou l'inverse, peut-être...
Est-ce vraiment nécessaire encore
? j'ai déjà l'estomac tout retourné.
Puis, reportant son attention sur la brune, sans toutefois tourner le regard vers elle, il ajouta :
Oui, c'est nécessaire ! Vous pensez pouvoir guérir grâce à un bain ?
Petit soupir.
Guérir, cela prend du temps... Ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre.
Il prit le sceau d'eau, qui n'était plus rempli qu'à moitié, et en versa une quantité suffisante dans le chaudron. Il porta le tout à ébullition puis plongea ce qui lui semblait être de l'écorce dans la marmite bouillonnante. Il attendit quelques instants, quelques minutes, puis il se servit de la louche pour mettre un peu de la préparation dans une tasse.
Soudain, il prit conscience qu'il devait apporter la tasse à la brune...
Vous...
Il s'arrêta tout net. Il avait failli demander à la brune de se lever pour venir chercher sa décoction ! Quel idiot ! Si elle était aussi dénudée en bas qu'en haut... Et puis elle était
souffrante !
Consterné par sa bêtise et affolé par la nudité de la brune, il rougit encore davantage. Ses oreilles devinrent écarlates, ses joues, brûlantes, le démangèrent furieusement et sa bouche devint sèche.
Néanmoins, il réussit à articuler quelques mots :
Vous... devez... prendre... traitement.
Il se retourna vers elle, les yeux rivés sur le sol et s'avança précautionneusement vers son lit. Puis, une fois devant Catterine, il lui tendit la tasse, tout en évitant de la regarder. Et tout en reprenant un peu d'aplomb, pour ne pas paraitre trop "émotif", il lui demanda :
On pourrait y mettre du miel... Beaucoup de miel... Cela vous irait ?
Il se détourna d'elle et balaya l'intérieur de la masure du regard, cherchant un pot qui pourrait contenir du miel.
Et puis, il faut boire doucement. Petit à petit. Au goût, cela dure plus longtemps mais votre ventre sera moins contrarié.
Adess
Oui j'en ai un gros pot là-bas
Cherchant des yeux l'endroit que la brune venait de lui indiquer, Adess s'éloigna au maximum d'elle et du trouble qu'elle générait en lui. Le pauvre brun, qui n'avait jamais côtoyé la nudité d'aussi près était sur les nerfs. Il tenta d'occuper son esprit comme il le pût. D'abord en pensant à Guénaella, ce qui fut une belle erreur puisqu'elle aussi le mettait dans tous ses états puis en pensant au miel. Aussi, il récita tout bas :
Le miel, ça vient des abeilles. Les abeilles, ça pique. Mais le miel apaise la douleur. Le miel c'est doux et mou... comme le sable ! Le sable c'est doux, mou et chaud aussi. On y trouve des coqu...
Continuant à focaliser son esprit sur des choses quelconques, il se rapprocha du buffet et l'ouvrit. Et effectivement, il y avait un énorme pot duquel s'échappait une odeur alléchante. Il s'accroupit, le saisit doucement et, soudain, il perçut des bruits de pas et le bruissement d'un tissu effleurant le sol. Plus par réflexe que par curiosité, il tourna le regard vers Catterine.
Elle était debout et... nue ! Même si elle avait eu la décence de s'entourer d'un drap, elle était nue !
Adess manqua de lâcher la jarre de miel. Il ne pouvait rougir davantage, toutefois, il sentit son crâne prêt à exploser. Le sang battait à ses tempes, son cur s'affolait et il crut, un instant, qu'il allait défaillir.
Il détourna son regard, fixa le pot de miel et tenta de se calmer. Il respira profondément.
Je reviens
j'ai besoin de
je
j'ai vraiment bu trop de tisanes
Et elle sortit. Adess se releva tant bien que mal. La pièce tournoyait d'une drôle de manière. Il s'appuya momentanément sur le buffet, le temps de retrouver ses esprits.
Une fois le vertige passé, sentant une certaine vigueur dans la région de son bas-ventre, il grimaça. D'une, il n'aimait pas le vil instinct masculin qui consistait à désirer tout ce qui était désirable, et même parfois ce qui ne l'était pas, que ce soit consciemment ou par simple processus mécanique. Et de deux, si elle revenait et qu'elle apercevait... "ça"... Il mourrait de honte !
Il se retourna vers la table, y déposa le pot de miel et s'assit sur une chaise. Puis, il se prit la tête entre les mains et récita à nouveau :
Le miel, ça vient des abeilles. Les abeilles, ça pique. Mais le miel apaise la douleur. Le miel c'est doux et mou... comme le sable ! Le sable c'est doux, mou et chaud aussi. On y trouve des coquillages, des petites pierres rondes. Et le sable, on le trouve près de la mer. La Belle mer du Sud ou la Grande mer de l'Ouest. La première est belle et douce, la deuxième est dangeu...
Et il continua ainsi, attendant le retour de la souffrante.
Adess
La porte se referma mais, concentré à l'extrême, il n'en prit pas conscience. Il récitait toujours, à voix basse, pour lui-même, une liste de Lapalissade.
L'eau de la mer est salée. Et puis, l'eau ça mouille. La mer est donc salée et humide. Comme... Comme de la soupe... Et la soupe, c'est bon !
Adess ? Que vous arrive-t-il ? Vous allez bien ?
Adess sursauta brusquement. Il se leva et se mit immédiatement à préparer l'infusion pour la brune. Il mit de l'eau dans le chaudron et fit mine de remuer.
Je vais bien, je suis simplement un peu fatigué. L'infusion sera bientôt prête... Et je ne veux rien entendre !
Adess
Le jeune brun tâchait encore de penser à autre chose qu'à la nudité de la brune. Il avait peur que "cela" se reproduise. Bien sûr, il avait déjà vécu ce genre situation, après tout, c'était un homme comme les autres... Néanmoins, il avait en aversion les mécanismes du corps, ce qu'il nommait les "instincts", car selon lui, ils avilissaient l'être humain.
Le plus doux et le plus gentil des hommes, devenait, par la faute de ces instincts, ni plus ni moins qu'une bête.
Ce qui le troublait toutefois c'est qu'il n'avait jamais ressenti cela pour Guénaella. Il pensait souvent à sa blonde ; il rêvait sans cesse de longues promenades avec elle, main dans la main, ou bien de tendres baisers partagés, mais, avec elle, il n'avait connu pareil émoi.
Il était perdu... Son corps semblait désirer la brune alors que son esprit, lui, était lié à la blonde par un amour vivace.
Il soupira brièvement avant de mettre une petite quantité d'herbes dans la tasse qu'il avait préalablement rincée. Puis, il y versa l'eau bouillonnante et, alors qu'il s'apprêtait à se retourner pour faire face à la brune, celle-ci lui dit :
Adess ? Je sais que c'est un peu tard mais
merci de vous occuper de moi.
Vous êtes un véritable ami
Le dernier mot résonna dans son esprit. "Ami". Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas entendu ce mot. Cela provoquait en lui un mélange de peine et d'allégresse. La peine provoquée par de douloureux souvenirs et l'allégresse de compter pour quelqu'un. Bien sûr, il comptait pour Guénaella mais il avait aussi une amie désormais... Finalement, la vie lui souriait !
Il commençait à se reconstruire une petite vie. Un village serein, une blonde adorable et maintenant une amie. Certes ces deux-là ne s'entendaient pas et ne s'entendraient peut-être jamais, toutefois, il était content de les avoir toutes deux. Guéna et lui filait un tendre amour tandis que Catterine l'abreuvait de récits sur le Royaume. Son amour et sa curiosité étaient comblés.
Et puis, ce mot, "ami", levait toute ambiguïté quant à leur relation. Dans son extrême candeur, Adess n'envisageait pas que deux amis puissent éprouver ce genre de sensations l'un envers l'autre. Ce fut ainsi, pour lui, un profond soulagement. Il ne voyait plus Catterine comme une femme mais comme une amie. Ce simple mot changeait beaucoup de choses...
Il sourit largement et lui répondit :
Je vous en prie, Catterine.
Il se retourna, évitant tout de même de la regarder, et s'approcha du lit où elle était allongée. Il lui tendit la tasse et lorsque la brune s'en saisit, il s'en retourna à la table.
Vous devriez aussi penser à vous reposer.
Cette fois, il soupira longuement... il était exténué.
Me reposer, hein ? Promettez-moi que vous prendrez votre traitement avec sérieux et j'accepte d'aller me reposer.
Adess
Je vous le promets oui. Je ne vais pas risquer de réduire à néant ce que vous avez fait pour moi.
Il est tard je pense
vous pouvez vous reposer ici, si vous le souhaitez, il y a des peaux ici et une couverture
Le brun candide lui sourit. Il ne voyait, dans la proposition de Catterine, qu'une invitation amicale. Toutefois, un peu gêné, il secoua lentement la tête.
Non, il vaut mieux que je rentre... Vous savez...
Il se gratta l'arrière du crâne, l'air embarrassé.
... J'ai du mal à m'endormir sans l'odeur de la farine.
C'était vrai. Il avait grandi dans le pain et la farine, c'était une odeur familière, rassurante. D'ailleurs, Guénaella sentait souvent la farine ou le bon pain... Il rougit légèrement en pensant à sa boulangère puis se ressaisit, afficha un timide sourire et ajouta :
Je repasserais plus tard, Catterine. Dormez bien et soignez-vous...
Le Craonnais tourna les talons, ouvrit la porte avec douceur et la referma derrière lui.
Adess
Adess était dans tous ses états... Il allait enfin se passer quelque chose à Craon la calme. Peut-être même y aurait-il une invasion de rats, qui sait ?
Il sourit à l'idée. Ce n'est pas qu'il aimait les rongeurs, toutefois, il se morfondait réellement et tout ce qui pouvait lui éviter de penser à la situation présente, le rendait plein d'entrain.
Il trottinait donc derrière la brune, tout en essayant de rester ainsi, enjoué et frivole. Ces petits moments hypocrites, il fallait qu'il les chérisse car tout ce qui venait après était d'une étouffante morosité. Sa vie n'était plus que paperasses et ennui, travail et ternes pensées. Ces moments, passés avec Catterine, lui faisait oublier son malheur. Devant elle, il essayait de ne point trop se dévoiler. Il savait qu'elle aussi pâtissait de la situation, qu'elle n'était demeurée à Craon que pour lui, pour l'assister dans la tâche qui lui fût confiée. Il savait qu'elle n'aspirait qu'à partir, pour l'Irlande, pour le Sud... n'importe où plutôt que de rester dans cette bourgade placide à l'excès, où elle avait vécu de mauvaises choses.
C'est pourquoi, même s'il leur arrivait de sépancher, parfois, de se confier quelques secrètes pensées, le jeune homme tâchait tout de même de dérider la brune. Il était comme cela, il ne pouvait pas s'en empêcher. Il n'aimait pas faire ou voir souffrir des gens et, lorsqu'il le pouvait, il se laissait aller à les aider.
C'est ainsi que, quelques minutes auparavant, il s'était évertué à taquiner son amie, à lui faire peur avec des histoires de rate engrossée et d'armée de rongeur. Elle n'avait pas beaucoup rit, il s'en était rendu compte. Elle n'appréciait pas les rats ni même les souris. Néanmoins, il avait fait de son mieux, maladroitement certes, mais de son mieux quand même.
Alors qu'ils arrivaient en vue de la masure de la brune, Adess soupira furtivement, momentanément attristé par le départ prochain de sa nouvelle amie. Dans quelques jours, il serait seul... vraiment seul. Il ne savait pas comment il arriverait à gérer cela. Si la brune n'avait pas été là, avec ses remèdes et ses mots, il se serait laissé mourir de faim. Comment ferait-il sans elle ?
Soudain, son visage se fendit à nouveau d'un sourire guilleret. Il regarda la brune, tenta de faire craquer les jointures de ses doigts, en vain, mais pas démonté pour un sous, il déclara :
Bien, à nous deux, grosse rate !
Et il s'engouffra dans la modeste demeure.
Adess
Le jeune homme avait pénétré dans la bicoque, sans même attendre que Catterine ne se soit décidée à entrer. Il s'était précipité à l'intérieur, mu par une indicible excitation. Une demeure plongée dans le noir, une Dame en détresse, une probable légion de rats affamés... Il n'en fallait pas plus pour mettre un peu d'animation dans la vie du meunier. A Craon, la vie était si morne, que la moindre feuille se détachant de son arbre, chutant paisiblement, indolemment, dérivant au gré du vent, était source d'exaltation.
Et puis, occasion lui était donnée de se rendre utile et ça, le brun en raffolait !
Hum, il fait fichtrement sombre..., marmonna-t-il
Et c'était le cas. L'obscurité de la nuit naissante, ainsi que lexiguïté de la maison, rendait ardue toute progression et ce, même s'il connaissait les lieux. Enfin qu'importe, il ne craignait guère la sombre opacité qui régnait en la demeure. Il était couard pour bien des choses, il craignait les abeilles et leurs dards acérés ; il redoutait les mots, qu'il ne savait employer ; et il se méfiait des hommes et de leur propension à manipuler les gens, à assouvir, par quelques moyens que ce soit, leurs désirs impérieux. Mais, l'obscurité, cela, il ne le craignait point.
C'est donc prudent mais confiant qu'Adess cheminait, pas à pas, dans la masure de son amie.
Adess
? vous
vous voyez quelque chose ? il fait tout noir
Vous êtes là ?
Un instant durant, il eût envie de faire une mauvaise blague à la brune. Il eût envie d'émettre un son, quelconque, mais suffisamment inquiétant pour troubler la brunette ; il eût envie de hurler "Grand Dieu, cette rate est énorme !"... Mais il n'en fit rien. Il avait déjà suffisamment charrié Catterine et, de surcroit, elle semblait réellement anxieuse.
Il se mut jusqu'au poêle encore habité par quelques braises rougeoyantes, les attisa et, à l'aide d'une fine mèche qu'il sortit de sa besace, alluma une lanterne qu'il avait dénichée au hasard de quelque tâtonnement.
Il regarda la brune, qui se tenait dans l'encadrement de la porte. Celle-ci n'avait osé franchir le seuil, sûrement de crainte de tomber nez-à-nez avec la rate engrossée. Il ne put s'empêcher de sourire, gentiment, puis de lui dire d'un ton rassurant :
Allons, Catterine... Entrez donc !