Gnia
[...]
Or, c'était maladroit. Vous qui cherchez à plaire,
Jugez ce que devint l'ogre devant la mère
Furieuse qu'il eût soupé de son dauphin.
Que l'exemple vous serve ; aimez, mais soyez fin ;
Adorez votre belle, et soyez plein d'astuce ;
N'allez pas lui manger, comme cet ogre russe,
Son enfant, ou marcher sur la patte à son chien.
[Novembre 1460 - Paris - Hostel Rochefort - A la faveur de la nuit, une confession.]
Le regard las parcourut une dernière fois les quelques mots griffonnés par un souvenir qui achevait de s'estomper à mesure que se traçaient d'autres destinées comme autant de lignes au cours que l'on ne peut faire dévier.
Dernier soupir qu'elle lui consent lorsque le pli est à nouveau serré dans le fond escamotable d'un coffret.
L'avenir est devant, le passé derrière.
Puisse-t-elle passer la nuit sans laisser personne derrière ni ne jamais en sortir, les pieds devant en prime.
Sur le pas de la porte, elle l'observa longtemps en silence, le profil taillé à la serpe de son époux penché sur ses courriers, la plume dansante projetant des ombres mouvantes et sans fin à la lumière vacillante des calels.
Le regard fatigué mais inquiet s'était adouci un instant d'une lueur tendre et elle était alors entrée dans la pièce qui servait de bureau au Balbuzard en campagne. Une main fraiche et légère s'était posée sur la nuque studieuse et lorsque enfin, le point final à une énième missive posé, il releva son regard sur elle, elle demanda
Je dois vous entretenir de quelque chose... D'importance... Pour vous... Et surtout pour moi...
Un étau enserra sa poitrine, si fort qu'elle fut sur le point de battre en retraite. Mais elle n'était point femme à renoncer, quelque soit le prix à payer, fut-il le dernier qu'il faille débourser.
Les paupières se fermèrent un instant puis dévoilèrent enfin un regard grave pourtant dénué de toute la dureté qui l'habitait de coutume.
A mon retour de voyage en Flandres, il y a longtemps maintenant, je ne sais si vous vous souvenez...
Fi des détours, droit à la cible, Saint Just, tu sais pourtant d'habitude bien y faire.
Je vous ai caché que j'étais grosse, aidée par un ventre qui s'est obstiné à ne pas s'arrondir jusqu'aux derniers instants, je ne sais pas quelle diablerie.
Je vous l'ai caché, car vous n'en étiez point la cause.
Tout comme je vous en ai caché le fruit, évidemment.
Mon voyage en Anjou avait en fait pour but de le recueillir, enfin.
Et c'est parce que je ne veux plus le cacher, ni jamais plus cacher aucun de mes enfants, que j'ai tenu à vous parler de l'existence de mon dernier fils.
Et la si fière Saint Just de s'agenouiller devant son époux, regard qui le quitte et se rive au sol.
Je vous prie humblement de bien vouloir un jour me pardonner mon péché...
Ou plutôt je vous implore de pardonner le péché de sa mère à un innocent, et de souffrir sa présence sous votre toit.
Les épaules s'affaissent, la sentence ne saurait tarder à être prononcée, sans guère d'espoir que la souffrance s'arrête avec la mort.
Pour lui et le devenir de mon sang, je vous supplie de bien vouloir réfléchir à l'éventualité de le reconnaitre comme vôtre.
J'implore grâce pour lui, Mon Seigneur, et que votre courroux, s'il doit s'abattre, le fasse sur celle qui a fauté et non la conséquence de ses fautes...
Vous me vouliez vôtre, de corps et d'esprit, Blanc Combaz ?
Me voici enfin à votre merci.
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Or, c'était maladroit. Vous qui cherchez à plaire,
Jugez ce que devint l'ogre devant la mère
Furieuse qu'il eût soupé de son dauphin.
Que l'exemple vous serve ; aimez, mais soyez fin ;
Adorez votre belle, et soyez plein d'astuce ;
N'allez pas lui manger, comme cet ogre russe,
Son enfant, ou marcher sur la patte à son chien.
- Victor Hugo. Bon conseil aux amants
[Novembre 1460 - Paris - Hostel Rochefort - A la faveur de la nuit, une confession.]
Le regard las parcourut une dernière fois les quelques mots griffonnés par un souvenir qui achevait de s'estomper à mesure que se traçaient d'autres destinées comme autant de lignes au cours que l'on ne peut faire dévier.
Dernier soupir qu'elle lui consent lorsque le pli est à nouveau serré dans le fond escamotable d'un coffret.
L'avenir est devant, le passé derrière.
Puisse-t-elle passer la nuit sans laisser personne derrière ni ne jamais en sortir, les pieds devant en prime.
Sur le pas de la porte, elle l'observa longtemps en silence, le profil taillé à la serpe de son époux penché sur ses courriers, la plume dansante projetant des ombres mouvantes et sans fin à la lumière vacillante des calels.
Le regard fatigué mais inquiet s'était adouci un instant d'une lueur tendre et elle était alors entrée dans la pièce qui servait de bureau au Balbuzard en campagne. Une main fraiche et légère s'était posée sur la nuque studieuse et lorsque enfin, le point final à une énième missive posé, il releva son regard sur elle, elle demanda
Je dois vous entretenir de quelque chose... D'importance... Pour vous... Et surtout pour moi...
Un étau enserra sa poitrine, si fort qu'elle fut sur le point de battre en retraite. Mais elle n'était point femme à renoncer, quelque soit le prix à payer, fut-il le dernier qu'il faille débourser.
Les paupières se fermèrent un instant puis dévoilèrent enfin un regard grave pourtant dénué de toute la dureté qui l'habitait de coutume.
A mon retour de voyage en Flandres, il y a longtemps maintenant, je ne sais si vous vous souvenez...
Fi des détours, droit à la cible, Saint Just, tu sais pourtant d'habitude bien y faire.
Je vous ai caché que j'étais grosse, aidée par un ventre qui s'est obstiné à ne pas s'arrondir jusqu'aux derniers instants, je ne sais pas quelle diablerie.
Je vous l'ai caché, car vous n'en étiez point la cause.
Tout comme je vous en ai caché le fruit, évidemment.
Mon voyage en Anjou avait en fait pour but de le recueillir, enfin.
Et c'est parce que je ne veux plus le cacher, ni jamais plus cacher aucun de mes enfants, que j'ai tenu à vous parler de l'existence de mon dernier fils.
Et la si fière Saint Just de s'agenouiller devant son époux, regard qui le quitte et se rive au sol.
Je vous prie humblement de bien vouloir un jour me pardonner mon péché...
Ou plutôt je vous implore de pardonner le péché de sa mère à un innocent, et de souffrir sa présence sous votre toit.
Les épaules s'affaissent, la sentence ne saurait tarder à être prononcée, sans guère d'espoir que la souffrance s'arrête avec la mort.
Pour lui et le devenir de mon sang, je vous supplie de bien vouloir réfléchir à l'éventualité de le reconnaitre comme vôtre.
J'implore grâce pour lui, Mon Seigneur, et que votre courroux, s'il doit s'abattre, le fasse sur celle qui a fauté et non la conséquence de ses fautes...
Vous me vouliez vôtre, de corps et d'esprit, Blanc Combaz ?
Me voici enfin à votre merci.
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