Actarius
Le cortège languedocien avait quitté Auxerre la veille par la Porte du Temple et avait pris à l'ouest en direction de ce qui deviendrait son refuge bourguignon pour les prochaines semaines. Un peu d'Oc au pays d'Oïl. Le fief se trouvait tout proche du coeur du Duché, mais le paysage avait varié durant le trajet. Aux vastes champs qui s'étendaient non loin de la cité avaient succédé des petites collines boisées aux coteaux ornés de vignobles. Le petit Castel de Villefargeau, dont le Mendois ne doutait pas un instant de l'importance stratégique, s'était rapidement dessiné dans cet horizon plane, qui tranchait avec le relief très accidenté de sa haute vallée du Lot. Il n'en était pas dépourvu de charme pour autant. Un bourg se déployait à proximité de la forteresse, il avait semblé calme et accueillant au Phénix. Celui-ci avait multiplié les sourires et les salutations au-devant des curieux qui s'étaient présentés sur sa route. Il avait même profité de la compagnie du guide pour apprendre quelques mots en patois local si bien qu'il avait pu distribuer des "bonjôr" en abondance. Bien évidemment, il n'avait compris l'ensemble des répliques variées, que s'était fait un plaisir de traduire l'émissaire de la Prinzessin. En substance, il s'agissait de simples salutations et de quelques bons vux adressés parfois avec méfiance. Le Magnifique et sa suite, parmi laquelle figurait en première ligne sa protégée, avaient finalement été introduits dans la demeure. Puis, après un repas partagé avec la demoiselle, il rejoignit ses appartements découvrant avec plaisir toute la prévenance de son hôte qui n'avait visiblement guère ménagé ses gens afin de fournir à ses invités tout le confort nécessaire et même plus.
Durant la nuit, la lueur demeura dans le "manoir". Elle accompagnait un Pair en proie à de nombreuses réflexions. Les pensées se bousculaient les unes après les autres et menaient grande bataille avec les impressions initiales, les premiers souvenirs de cette arrivée en Bourgogne. Il y avait cette missive scellée qu'il tenait entre ses mains, noircie de mots dont il n'avait guère l'assurance de pouvoir les prononcer au lendemain. Pourquoi l'avait-il écrite alors même qu'il croiserait dans quelques heures sa destinataire ? Allait-il seulement la lui remettre ? Il l'ignorait. Il savait seulement qu'elle l'accompagnerait lors de sa visite. Elle contenait une proposition, une invitation ou plus exactement un premier pas vers une résolution prise des semaines auparavant, née en Touraine à l'occasion du mariage de son suzerain. Cependant, le vélin et la portée des phrases griffées n'occupaient pas l'entièreté de cet esprit balloté. Celui-ci était revenu au départ, au voyage, aux différents échanges avec sa protégée et à l'animosité qu'il lui avait semblé déceler dans ceux-ci. La relation s'était détériorée entre le satrape et la "Coquelicot", un fossé d'incompréhensions s'était creusé et, malgré l'accalmie relative venue avec le débarquement, il subsistait un nud. Et ce nud-là, il se sentait incapable de le dénouer seul. Ses paroles s'étaient heurtées à un mur, tout comme celles de la jeune fille. Il ne parvenait à lui expliquer, à nuancer la vision qu'elle avait. Elle se braquait, il s'énervait et la seule trêve possible résidait pour l'heure dans la fuite perpétuelle de ce sujet de discorde.
Le Mendois était habitué à faire front, à mener des luttes et à s'accrocher à son opinion comme une bernique à son rocher, parfois avec mauvaise foi, parfois par conviction. Fermé et tranché en apparence, le doute n'en restait pas moins un compagnon fidèle, dès lors qu'on quittait la sphère politique ou militaire. Rôdé au jeu de pouvoirs, sans pour autant avoir abandonné une naïveté salvatrice, il chancelait dès lors qu'il pénétrait dans ses affaires de coeur. Il devenait maladroit, se réfugiait dans des certitudes qui s'évanouissaient si tôt la solitude retrouvée. Ainsi fonctionnait-il le plus souvent. Mais il existait des sentiments, des repères en somme, qui lui permettaient de ne pas paraître totalement abruti. Il aimait, c'était là son unique vérité. Et il ne parvenait à souffrir qu'on s'en prît à l'être aimé d'une manière ou d'une autre. Il peinait même à concevoir qu'on pût seulement la regarder autrement qu'avec un il admiratif. L'Euphor en perdait sans doute un peu de sa lucidité dans son jugement. Cependant, il ne se trompait pas. L'animosité qu'il avait ressentie était excessive, il sentait qu'elle reposait sur des a priori, une méfiance, une méconnaissance que son propre discours ne suffirait pas à renverser.
L'aimée et la protégée ne s'étaient côtoyées qu'en de rares occasions. En ces occurrences, à l'image de la première où la Bourguignonne s'était montrée chaleureuse et prévenante, tout s'était bien passé. Il en vint, à la lueur de la chandelle et les mains désormais libérées de la missive, à considérer qu'au final, c'était sa propre attitude qui faussait la vision d'Ella. Le corollaire surgit. Il fallait une rencontre, une occasion de se connaître un peu plus sans lui. Oui, la solution résidait là. Restait à savoir comment présenter la situation à son hôte, comment lui demander ce service et lui faire comprendre l'importance que cela avait pour lui. Il ignorait encore lorsqu'il se présenta le lendemain matin au château d'Auxerre et demanda audience auprès de la Duchesse. Sa protégée était présente à ses côtés, elle n'avait cependant nullement était avertie du projet du Comte, qui s'était bien gardé de lui révéler ses intentions. Tandis que son interlocuteur s'éclipsa, son regard bienveillant se posa sur la rousse demoiselle.
Nous devons nous entretenir d'un problème d'importance concernant le Royaume. Mais nous ne serons pas longs et tu pourras nous rejoindre rapidement.
Oui, la jeunette devrait attendre un peu. Le prétexte était mensonger, le propos trop embarassant toutefois pour qu'il s'en ouvrît face à elle. Il avait tout d'abord besoin de se livrer à la Prinzessin, d'obtenir son assentiment ou à défaut son conseil. Puis, il y avait cette missive, dissimulée sous son pourpoint près de son coeur, près du listel.
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Durant la nuit, la lueur demeura dans le "manoir". Elle accompagnait un Pair en proie à de nombreuses réflexions. Les pensées se bousculaient les unes après les autres et menaient grande bataille avec les impressions initiales, les premiers souvenirs de cette arrivée en Bourgogne. Il y avait cette missive scellée qu'il tenait entre ses mains, noircie de mots dont il n'avait guère l'assurance de pouvoir les prononcer au lendemain. Pourquoi l'avait-il écrite alors même qu'il croiserait dans quelques heures sa destinataire ? Allait-il seulement la lui remettre ? Il l'ignorait. Il savait seulement qu'elle l'accompagnerait lors de sa visite. Elle contenait une proposition, une invitation ou plus exactement un premier pas vers une résolution prise des semaines auparavant, née en Touraine à l'occasion du mariage de son suzerain. Cependant, le vélin et la portée des phrases griffées n'occupaient pas l'entièreté de cet esprit balloté. Celui-ci était revenu au départ, au voyage, aux différents échanges avec sa protégée et à l'animosité qu'il lui avait semblé déceler dans ceux-ci. La relation s'était détériorée entre le satrape et la "Coquelicot", un fossé d'incompréhensions s'était creusé et, malgré l'accalmie relative venue avec le débarquement, il subsistait un nud. Et ce nud-là, il se sentait incapable de le dénouer seul. Ses paroles s'étaient heurtées à un mur, tout comme celles de la jeune fille. Il ne parvenait à lui expliquer, à nuancer la vision qu'elle avait. Elle se braquait, il s'énervait et la seule trêve possible résidait pour l'heure dans la fuite perpétuelle de ce sujet de discorde.
Le Mendois était habitué à faire front, à mener des luttes et à s'accrocher à son opinion comme une bernique à son rocher, parfois avec mauvaise foi, parfois par conviction. Fermé et tranché en apparence, le doute n'en restait pas moins un compagnon fidèle, dès lors qu'on quittait la sphère politique ou militaire. Rôdé au jeu de pouvoirs, sans pour autant avoir abandonné une naïveté salvatrice, il chancelait dès lors qu'il pénétrait dans ses affaires de coeur. Il devenait maladroit, se réfugiait dans des certitudes qui s'évanouissaient si tôt la solitude retrouvée. Ainsi fonctionnait-il le plus souvent. Mais il existait des sentiments, des repères en somme, qui lui permettaient de ne pas paraître totalement abruti. Il aimait, c'était là son unique vérité. Et il ne parvenait à souffrir qu'on s'en prît à l'être aimé d'une manière ou d'une autre. Il peinait même à concevoir qu'on pût seulement la regarder autrement qu'avec un il admiratif. L'Euphor en perdait sans doute un peu de sa lucidité dans son jugement. Cependant, il ne se trompait pas. L'animosité qu'il avait ressentie était excessive, il sentait qu'elle reposait sur des a priori, une méfiance, une méconnaissance que son propre discours ne suffirait pas à renverser.
L'aimée et la protégée ne s'étaient côtoyées qu'en de rares occasions. En ces occurrences, à l'image de la première où la Bourguignonne s'était montrée chaleureuse et prévenante, tout s'était bien passé. Il en vint, à la lueur de la chandelle et les mains désormais libérées de la missive, à considérer qu'au final, c'était sa propre attitude qui faussait la vision d'Ella. Le corollaire surgit. Il fallait une rencontre, une occasion de se connaître un peu plus sans lui. Oui, la solution résidait là. Restait à savoir comment présenter la situation à son hôte, comment lui demander ce service et lui faire comprendre l'importance que cela avait pour lui. Il ignorait encore lorsqu'il se présenta le lendemain matin au château d'Auxerre et demanda audience auprès de la Duchesse. Sa protégée était présente à ses côtés, elle n'avait cependant nullement était avertie du projet du Comte, qui s'était bien gardé de lui révéler ses intentions. Tandis que son interlocuteur s'éclipsa, son regard bienveillant se posa sur la rousse demoiselle.
Nous devons nous entretenir d'un problème d'importance concernant le Royaume. Mais nous ne serons pas longs et tu pourras nous rejoindre rapidement.
Oui, la jeunette devrait attendre un peu. Le prétexte était mensonger, le propos trop embarassant toutefois pour qu'il s'en ouvrît face à elle. Il avait tout d'abord besoin de se livrer à la Prinzessin, d'obtenir son assentiment ou à défaut son conseil. Puis, il y avait cette missive, dissimulée sous son pourpoint près de son coeur, près du listel.
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