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[RP] Donzy - Essaie encore.

Charlemagne_vf
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    A Charlemagne Henri Lévan von Frayner-Castelmaure, duc de Bolchen et du Nivernais, vicomte de Baudricourt et de Chastellux, baron de Chablis, de Laignes et de Thuillières,

      De par Ingeburge von Ahlefeldt-Oldenbourg, pair de France, duchesse impériale de Namur, marquise de Dourdan et de La Roche, duchesse d'Auxerre, vicomtesse de Durbuy, baronne de Donzy, chevalier d'Isenduil,


    Votre Altesse Royale,

    Il y a quelque temps, m'est revenu que vous vous êtes présenté en l'Hôtel Saint-Paul et avez sur place sollicité un entretien avec moi. Las, comme vous avez pu vous en rendre compte, je ne me trouvais point à Paris et si je n'ai pas pris langue plus tôt avec vous à ce sujet, c'est que j'étais encore en voyage en province. Mais me voici de retour en Bourgogne, à Auxerre plus précisément, je puis donc aisément vous accorder cette entrevue que vous souhaitez.

    Et puisque vous devez vous partager entre Dijon et Nevers et puisqu'il n'est pas question que je mette les pieds en la capitale et que je compte me rendre sur les terres de ma baronnie, voyons-nous donc à Donzy; vous mesurerez diligemment que c'est là un compromis acceptable car c'est vous qui souhaitez me rencontrer si la matière que vous désiriez évoquer devait toujours être d'actualité.


    Que le Très-Haut vous garde.


    Donné le seizième jour de novembre de l'an de grâce MCDLX.






Ce fut un courant d'air, ou le sentiment désagréable de devoir modifier ses plans qui fit frissonner Charlemagne.
Il avait entrepris, quelques mois plus tôt, de demander la main de la Prinzessin. Reparti sans réponse, et sans avoir posé sa question, l'Infant s'était résolu à d'autres ambitions, peut-être moins folles, quoi qu'il ne considérait jamais une action qui fut tout à fait insensée, à l'inverse de son Père. Son souhait d'allier Auxerre et Nevers n'était pas sans logique ni pertinence, à son sens. Il n'y avait là qu'une motivation pratique et matérielle. Comme il est admis que l'amour est un sentiment vulgaire, il est admis que le mariage ne saurait en être le théâtre. Et pourtant, la jeunesse avait déjà égaré l'Infant à cette vulgarité sentimentale, et il s'en était navré à plusieurs occasions, avant même de constater qu'aimer est un péril.
Toutefois, pris par le temps, et surtout par son impatience de tout, le Duc du Nivernais avait commencé à ourdir quelques projets annexes. Le recensement des meilleurs partis de France et d'Empire, l'organisation d'une cérémonie à la Cendrillon, où il jouerait le rôle tout trouvé du Prince. Mais tout cela pouvait attendre.
Ce serait d'abord Donzy. Ensuite, le déluge.

Au matin qui suivait la réception de la lettre, sous le ciel gris de Bourgogne et à travers sa brume, un cortège quitta Nevers en direction du nord, vers Donzy. La veille, un court billet avait du informer la Baronne de la venue de son voisin, le lendemain.
La fraîcheur de l'air était déjà hivernale. Charlemagne, au contraire de ses gardes, tout aussi imposants que les lombards de l'Auxerroise, ne se plaignait pas du temps, ni de la saison. Elle était sa préférée. La brise automnale lui était une caresse au coucher, bien loin de l'agression de la chaleur et des orages. Le ciel ombragé offusquait le soleil, qui n'essayait pas d'atteindre sa peau, voulue d'albâtre, et entretenue telle.
Dans son carrosse, les rideaux tirés, le Fils de France feignait de lire un ouvrage in-octavo. En face de lui, Anthoyne de la Louveterie restait muet, habitué à la loquacité de son Maître. In petto, l'Aiglon répétait son discours à la Froide : s'il prétendait à lui-même être indifférent devant elle, s'il la tenait pour une égale, et s'il jugeait son acte profondément banal, il n'en avait pas moins développé un certain trac. Adepte du self-contrôle, il essayait avec application de réprimer tout embarras, et de se montrer aussi parfait qu'il jugeait l'être : altier et droit, retenu et froid, mais non sans la fine hypocrisie mondaine que lui avait enseigné son frère, le Resplendissant.

Ils furent bientôt à Donzy. On disait la ville agréable, mais le Castelmaure n'en observa pas-même un mur, un bras de rivière, un moulin ou quoi que ce fut, et qui fit de cette baronnie l'une des plus importantes de Bourgogne.
Son château n'était pas sans prestige, mais là encore, le jeune blasé leva à peine le regard pour l'admirer. Il en voyait tous les jours : certains avaient de vieilles douves, d'autres étaient urbains, certains avaient dix-sept tours, d'autres arboraient des arcades italiennes. On se lasse vite du singulier, quand il devient commun. Un château est un château. Celui-ci dominait la ville, comme bien des autres, et était ceint de remparts intramuros. Il était haut, et son Donjon s'élançait, fier. Un château sans extravagance, aux pierres aussi froides que leur maîtresse.

Le Duc du Nivernais fut introduit, et mené sans trop attendre auprès de son hôte. De sa garde, derrière lui, il ne restait que le Seigneur de Maillé, qui fut invité à attendre dehors avec les autres. Il ne risquait pas la mort entre ces murs, ou du moins pouvait-on l'espérer. Il entra dans la grande salle, et salua la maîtresse des lieux d'un hochement de la tête, qu'il découvrit de sa coiffe de velours noir, laissant apparaître ses cheveux, aussi sombre qu'il avait la peau claire. Sa tenue, en accord avec celle d'Ingeburge, était d'ébène. Le deuil de Béatrice et de Guise, peut-être encore, mais surtout, le noir de Bourgogne, et cette absence de couleur qu'il trouvait digne de son rang, qui était le leur.


Votre Altesse. Le temps a passé depuis le Languedoc. Et vous voici à nouveau en Bourgogne.

Des constats, rien d'autre que des constats. Charlemagne avait grandi : il avait peut-être plus vécu depuis qu'il avait vu Ingeburge pour la dernière fois que dans toute son enfance. L'éveil de ses sens, l'éveil politique, et la conscience de la vérité du monde lui avaient sauté aux yeux. Il était encore jeune, mais ce n'était plus un garçon. Elle, immuable, Sublimissime, était la même. Cette glace près de laquelle l'Aiglon se sentait dans son monde : beaucoup de passé, pour un futur à écrire.
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Ingeburge
Alors qu'elle gravissait lentement le chemin menant de l'église à chez elle, au sommet du coteau, l'encens lui piquait encore agréablement le nez. La sensation était agréable et elle espérait qu'elle lui durerait encore un peu, malgré le petit air vif qui faisait frissonner chacun et balayait tout sur son passage. Après des semaines sur une caraque, contrainte à suivre ses dévotions seule dans sa cabine, agenouillée devant un autel improvisé, elle avait apprécié de pouvoir assister à une vraie messe dominicale, sous les voûtes d'une église, en présence d'un simple curé et de se lever, de se rasseoir, de s'agenouiller, de psalmodier et de chanter avec toute une assemblée – c'était la première fois depuis qu'ils avaient touché terre. Et puis, ce besoin d'un office formel aux rites séculaires avait l'avantage de répondre à un besoin bien plus prosaïque. Les Donziois jalousaient les Auxerrois pour les attentions que la dame qu'ils avaient en commun réserverait plus volontiers aux seconds. Ingeburge avait eu vent à quelques reprises de ces bavardages mâtinés de reproches et si elle refusait d'y agréer, elle ne pouvait pour autant pas les ignorer. Aussi, réserver sa première sortie publique depuis son retour en Bourgogne à Donzy était de nature à apaiser les accusations, et ce d'autant plus que l'on devait déjà savoir dans le pays qu'elle avait débarqué à Orléans alors que la Loire passait aussi par Cosne, à quelque lieues de Donzy et qu'elle aurait donc pu rallier ses domaines par le sud et non par le nord, chez ces damnés Auxerrois. Elle s'exécuta donc de bonne grâce, choisissant l'incontournable messe du dimanche matin pour paraître aux yeux de tous ceux qui dépendaient d'elle. Chacun avait ainsi pu la voir et se la montrer, commenter sa mine et son allure, se demander combien de temps elle resterait, espérer qu'elle recevrait en audience extraordinaire et si l'occasion n'avait pas prêté aux discussions, au moins l'apparition n'avait-elle pas été fugitive. Le geste serait apprécié, sans nul doute et elle savait qu'elle en serait rapidement informée. Instinctivement, alors que le groupe composé de gardes et de suivantes qui l'entourait touchait au but et s'apprêtait à se présenter au châtelet, elle se retourna. En contrebas, elle put voir que nombreux étaient ceux devant l'église Saint-Carad'heuc qui étaient restés à l'observer. Si elle prierait chez elle lors des prochains offices de la journée, celui des vêpres la conduirait au prieuré clunisien de Donzy-le-Pré histoire que sa faveur dans la contrée revînt au pinacle.

Pour l'heure, il s'agissait de se hâter, il était prévu que son voisin le duc du Nivernais – et doublement voisin puisque Chablis était mitoyen d'Auxerre – vînt lui rendre visite. Ainsi donc se tiendrait cet entretien souhaité, sans qu'elle en sût plus que lorsqu'on lui avait indiqué que l'Aiglon était venu la trouver à Saint-Paul et c'est tout. Désormais dans sa chambre et aux mains de ses caméristes, Ingeburge se demandait pour la première fois quel serait l'objet de cette rencontre. Rien n'avait transpiré de l'épisode parisien et le billet reçu en réponse à son invitation ne l'avait pas davantage éclairée. Le mystère était entier, épais, mais cela ne l'émouvait en rien. Si la question avait été pressante, il y aurait eu relance; si elle ne pouvait attendre, elle lui aurait été communiquée par écrit. Là, rien de tel. Et puis, de quoi pourraient-ils bien s'entretenir? De la situation de Franc Claude et de la tutelle de celui-ci? De l'évolution de la situation de Charlemagne depuis que son héritage lui était plein et entier? De l'apathie légendaire des von Frayner survivants? Des rentes versées par les proto-industries de Bolchen? Il y avait d'ailleurs longtemps qu'elle n'avait pas passé commande de chiantos, il faudrait y remédier au plus tôt car certains qu'elle côtoyait méritaient d'être décoincés. Cette résolution pratique prise, ses pensées se désintéressèrent du rendez-vous pour vagabonder d'une idée à une autre, toutes en relation avec un projet qui avait poussé, comme ça, et dont elle ne pouvait plus se défaire : se rendre en Luxembourg et se risquer jusqu'à Namur.

Un valet vint interrompre l'échafaudage d'un périple sur l'Ourthe entre La Roche et Durbuy et annonça que le duc du Nivernais et sa suite venaient d'être accueillis dans la cour. Adieu bateau, rivière et croisière, la baronne de Donzy délaissa le fil de l'eau et le miroir à main avec lequel elle jouait distraitement puis se leva quand on eut fixé sa huve de mollequin noir avec un simple bandeau d'orfèvrerie. S'il avait fallu écarter les projets de navigation et de visite de ses terres ardennaises, elle y songeait encore un peu en enfilant les corridors jusqu'à la grande salle. Là, sous le patronage des couleurs de la baronnie et des siennes propres accrochées au solive du haut plafond, elle prit directement place dans sa cathèdre dont on avait ôté le dais. Si la visite était suffisamment officielle pour justifier une réception dans la grande salle, il s'agissait après tout du fils de Guise et l'on avait opté tant pour la pièce que pour la maîtresse des lieux pour la simplicité, remisant au placard les symboles visant à placer clairement sur la pyramide celle qui se faisait hôtesse. Simplicité lointaine et d'apparence se dit-elle in petto en touchant du bout de ses doigts patriciens l'étoffe soyeuse et unie dans laquelle avait été coupée sa houppelande. C'était là l'apanage du noir, de ce noir qui s'étalait maintenant impudent devant ses yeux pâles.

Le duc du Nivernais avait fait son apparition et les commissures des lèvres de la Danoise avaient imperceptiblement frémi. Il lui faudrait un jour édicter une loi interdisant à quiconque se trouvant sur ses terres de se vêtir de noir, elle avait déjà assez à souffrir des défroques délavées et sans élégance qu'on imposait à sa vue les temps de deuil royal puisqu'il semblait que tous les monarques eussent succombé à la mode de mauvais goût de trépasser promptement, il ne fallait pas en plus qu'on allât la provoquer jusque chez elle. Rien de passé chez le Castelmaure-Frayner, mais la mauvaise foi de celle qui jouerait à domicile en ce jour – comme toujours finalement quand elle rencontrait le prince de France – trouverait de quoi justifier une telle législation. Il parla, elle le salua vaguement et désigna le siège garni d'un carreau moelleux qui lui faisait face. Nouveau frissonnement quand il aborda le Languedoc et elle dit, chassant celui-ci pour la Bourgogne :

— Pour un temps, Votre Altesse Royale.
Ne projetait-elle déjà pas de se rendre dans en Ardenne puis à Namur? Et quand bien même, il y aurait toujours quelque chose pour la tirer d'Auxerre et la contraindre à sortir de son trou, il y avait aussi le comte du Tournel qui finirait par vouloir s'amuser à nouveau avec sa caraque de guerre et ce n'était pas sur la Cure que cela lui serait possible; il était donc vraisemblable que le séjour bourguignon ne serait qu'une étape même si au fond, rester là indéfiniment lui convenait davantage.

L'on amena du vin et des dragées, elle refusa l'un comme l'autre après que l'on eut proposé la même chose à son visiteur. A celui-ci au fait de se mettre en frais, il avait voulu la voir et elle n'avait aucune inclination pour les bavardages. Demander des nouvelles n'étaient pas non plus son fort en ce qu'elle n'aimait pas forcer l'intimité des autres et à dire vrai, si Charlemagne avait voulu la renseigner sur quoi que ce soit, il aurait su la trouver, comme il l'avait déjà fait auparavant. Rester à sa place, toujours, et elle ne parla que parce qu'elle recevait et qu'il lui revenait de ne pas laisser mourir une conversation déjà lancée de part et d'autre avec une telle économie. Desserrant les lèvres, elle dit :

— Vous souhaitiez vous entretenir avec moi.

Pas de question, c'était un fait, demander quoi que ce soit eût été ridicule; pas davantage car elle ignorait pourquoi ils se trouvaient ensemble. Et pas plus qu'elle ne donnait dans la mode, la curiosité, la familiarité, le noir bradé et le mauvais goût, Ingeburge ne donnait dans la verbosité.
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Charlemagne_vf
Et je le souhaite encore.

C'était vrai. Sinon, pourquoi venir et se déranger jusqu'à Donzy ? Par chance, par une coïncidence heureuse, et quoi que certains le déplorent, l'Infant est aussi bavard que la Prinzessin : il ne s'épanche pas, il n'est pas curieux. C'est une éminence grise à qui l'on parle sans qu'il réclame. A défaut d'aimer parler, il aime écouter, toutefois. Mais s'il est là pour un échange, il n'attend pas de son hôte impériale qu'elle assure une conversation riche. Lui-même est piètre à l'exercice, et en dehors du Marquis de Nemours l'ayant fait boire, tous ont du trouver que rester souper à la table de l'Aiglon fut une sotte idée.
Il refuse les dragées comme le vin, avec une politesse incertaine, qui n'est en fait qu'une indifférence légère et sans trop de fioritures.
Assis depuis un court instant sur l'invitation de la Duchesse d'Auxerre, le Prince se relève pourtant déjà.
Charlemagne de Castelmaure-Frayner est économe de ses mots comme de ses gestes. Alors, sans pour autant vouloir abréger trop vite, sans souhaiter méfaire, l'Aiglon va au but, ailes déployées.

[Réalité alternative n°1 : salade, tomates, oignons ?]

Charlemagne est un jeune demoiseau qui s'cherche une meuf mortelle, une meuf qui saurait lui donner des ailes, une meuf fidèle et qui n'a pas peur qu'on l'aime, yo ! Alors comme elle a les critères, il va lui d'mander son e-mail.
Il est monté sur sa bécane optimisée à donf et il a ronflé jusqu'à Donzy où qu'il a trouvé l'Auxerroise pour lui tenir à peu près c'langage :

Ingie, vazy m'dame t'es trop trop mignonne, tu m'as zébri mon coeur de sucre, ça t'dirait pas qu'on s'fasse un ciné trankil puis qu'on s'fasse et un kebab ? Après sur ma vie j'te passe la bague en or qui brille trop tavu sur le doigt et on s'fait des ptits bébés à la cool pas'que t'es vachement charmante m'dame et qu'ma daronne la vie d'ma mère j'suis sûr quand elle va t'voir elle va t'kiffer ta race.

Et entre ses doigts, deux tickets tarif réduit pour aller voir Twilight.

[Réalité alternative n°2 : Le Prince à qui parler.]

Cheveux gominés, costard apprêté, cravate top classe, avec des canards en plastoque dessus, et un stylo dans la poche du veston. Jeune rentier richissime, rôdé aux affaires, un peu notaire sur les bords et fin comptable.
Nouveau riche, mais tout de même membre du club, il arrive dans sa rolls de collection, une fine moustache parant son visage, et dit à son hôte, avec un accent mafieux :


Voilà le deal : le parrain s'est fait buter par un Aigle et on peut pas fermer la boutique. Juré, vous aurez plus à ramper pour fumer vos Chiantos. Je vous offre un Empire, et des catapultes. Y'a qu'à dire oui.
A combien s'élèvent vos revenus fonciers au fait ?


Et la main aux fesses qui va avec.

[Réalité alternative n°3 : J'y vais mais j'ai peur !]

Un peu maigrichon, pas sûr de lui, complètement flippé et qu'on a du forcer à venir. L'albâtre est plutôt verdâtre et il a le regard hagard. C'est déplorable, et il est mal habillé. Pire, il louche quand il la regarde, mais quand même, il ose :

V.v.V.V.vv.V.v'driez me me me mé mé m'ép'zer. J.Jv.Jv'z'aime b'coup.

A genou, avec un écrin, évidemment.

[Réalité.]

A nouveau, l'Infant se tenait droit devant la Sublimissime, qui trône dans sa cathèdre. C'est à peine si son regard marine tressaillait. Il dut cligner deux fois pour soutenir l'oeil de la Duchesse, car il n'entendait pas abaisser la tête. Sa nuque, parfait prolongement de son dos, portait ce chef orgueilleux. Il aurait aimé sentir le poids d'une couronne.
Dans la salle, c'était un silence de mort, et entre les couleurs de l'Impériale passait l'écho des pas de l'Aiglon qui s'était approché.
La veine bleuie de sa tempe droite se mit à battre le rythme d'une cavalcade, et le Fils de France se navra de ne pas contrôler pleinement ce fluide sanguin qui s'amusait de son adulescence.
Stoïque, il en vint à se demander pourquoi debout plutôt qu'assis, car ça devait être un rien, et la solennité du moment déplaisait un peu à l'Infant trop tôt rattrapé par des lectures frivoles et superficielles. Toutefois, les paroles qu'il prononça d'une voix qui avait mué depuis peu furent énoncées sans effusions sentimentales, et in petto, le Castelmaure se félicita d'un discours qui lui ressemblait. C'était une formalité énoncée comme un verdict plus que comme une sollicitation en règle. Et il pensait connaître assez sa voisine pour la deviner insensible à la flatterie excessive et aux épanchements vulgairement masculins que d'aucuns servent à des donzelles fraîchement dotées. Il n'aurait pas tant à louer sa beauté que la droiture de son caractère. D'ailleurs, cette beauté glaciale, s'il l'admirait comme l'on adule une statue antique, ne lui faisait que cet effet que ressent l'esthète dilettante devant la victoire de Samothrace.
Un homme qui n'aime pas les femme ne souhaite pas les aliéner par un amour encombrant, car il ne le considère pas. Il trouve d'autres avantages et d'autres motifs. Il se résout, en somme, et espère qu'il s'agit pour son vis-à-vis de la même ambition.


L'Amour, c'est le seul prétexte acceptable que le commun trouve pour justifier la fornication. L'amour, c'est ce qu'on nous présente comme la quintessence du beau, de la pureté, le fard irradiant de bonheur naïf qui refaçonne les sales gueules et sublime les existences mesquines. Mettons de côté l'amour : unissons nos maisons. Offrons-nous la plus belle lignée de France. Je suis venu céans vous prier d'accepter d'être ma femme.

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Ingeburge
Ainsi donc, c'était de cela dont il voulait l'entretenir depuis cet été. Et ainsi donc, on y était. Ce fut ce second constat qui absorba la duchesse impériale de Namur car que ce fut le duc du Nivernais qui la demandât en mariage ne la troublait nullement, c'était qu'on la demandât en mariage qui balayait toute autre considération, l'identité du prétendant importait peu, c'était l'ouverture de la chasse à la proie qu'elle était qui l'intéressait. Car cela devait arriver, tôt ou tard, et elle s'était quelque peu étonnée que cela ne survînt pas plus tôt, après tout, elle était libre de convoler depuis son interdit levé vers la fin avril et un Impérial ne l'avait-il déjà pas sollicitée alors que ses vœux n'étaient pas rompus et que nul ne pouvait savoir qu'elle demanderait à être déliée de ses obligations de prêtrise? Pourtant, rien du tout alors qu'elle avait pourtant quelques arguments à faire valoir. Etaient-ce justement ces arguments qui échaudaient tous ces messieurs? Elle ne le savait guère et ne s'était pas interrogée plus avant, elle avait juste cette sensation qu'il n'était peut-être pas su qu'elle était libre de toute attache. Cette demande-là, si elle venait à être connue du monde, servirait sa cause et c'était tout bénéfice pour elle, cela lui épargnerait même de reprendre des recherches entreprises quelques mois plus tôt afin de gagner en convenance. Car, dans le doux pays et tolérant pays de l'Inghestan, une femme devait avoir la chevelure décemment voilée, tempérer son regard, voire le baisser, ne sortir de sa chambre que correctement vêtue, ne pas se montrer décolletée, porter des jupes ne révélant pas les chevilles et les pieds, ne pas fréquenter les femmes perdues et à la vertu corrompue, observer tous les offices du jour... et de la nuit, tenir son ménage et donc, se devait d'être dûment mariée. Un époux protégeait des autres même si certains se risquaient à courtiser les femmes prises, un époux apportait la respectabilité même s'il était le plus fieffé débauché, un époux permettait d'être libre malgré toutes les contraintes. Et Dieu savait qu'elle avait besoin d'être protégée, Dieu savait combien sa réputation lui était précieuse et Dieu savait combien elle voulait pouvoir continuer à être libre et insolente. Ce célibat n'avait que trop duré.

Cette conclusion formulée, ses prunelles pâles qui s'étaient posées sur les mains baguées en son giron se reportèrent sur son épouseur du jour. Elle n'aurait pas cru que ce serait ce noble-là qui lancerait la poursuite et espérerait sonner l'hallali. Ce n'était pas une question d'âge – prosaïque détail, elle était féconde et loin d'être desséchée –, ce n'était pas non plus une question d'amour, ni lui ni elle ne se marieraient par amour, elle ne l'avait déjà pas fait la première fois, pourquoi varier? C'était peut-être cela, le fait que sa virginité avait été cueillie par un époux désormais trépassé; elle eût cru que Charlemagne eût seulement choisi parmi la jeunesse nubile à déflorer. Le fait ne semblait pas l'arrêter, il parlait d'établir la plus belle lignée de France et en présentant cet argument, il touchait la sensibilité de celle qui n'avait convolé que par intérêt, respectant les vœux formés par ses parents qui ne l'avaient éduquée qu'en ce but : élever sa famille par un bon mariage. C'est ainsi qu'elle avait épousé Vittorio Emanuele Martius qui lui avait offert une position inestimable tout en trouvant le moyen, le coquin, de faire naître en son cœur de tendres sentiments; et c'est ainsi que son union brisée, elle avait lutté pour affermir son statut et en accroître ensuite le prestige. Unir Auxerre et Nevers était ambitieux, il ne resterait qu'à prendre Tonnerre, d'une manière ou d'une autre, pour reconstituer les possessions mythiques de Mathilde, héritière des Donzy, Courtenay, Bourbon et Châtillon. A cela s'ajouterait les autres possessions bourguignonnes qui permettraient d'asseoir une domination éclatante sur la quasi totalité de l'ouest du duché. Oui, elle ne pouvait qu'être sensible à l'argumentaire et ce d'autant plus que l'Aiglon était aussi fieffé, tout comme elle, en Empire et que la lignée pourrait y être aussi l'une des plus belles. Si sa vie était française désormais et surtout bourguignonne, elle demeurait viscéralement attachée à une terre qui l'avait accueillie lors de son exil. Oui, cette déclaration lui parlait... du moins en partie.

Le laïus sur ce que serait l'amour l'avait grandement heurtée, si elle appréciait que Charlemagne s'abstînt de tenir des propos hypocrites, tant le fond que la forme blessaient sa délicatesse. Desserrant enfin les lèvres, elle commença par le paraphraser :

— L'amour, ce fut la réponse attendue par le Très-Haut quand Il sollicita de Sa création de trouver quel sens Il avait donné à la vie. L'amour est la manifestation la plus particulière de l'amitié aristotélicienne, don inestimable de Celui est source de toute vie.
La voix toujours dépourvue de passion, elle poursuivit :
— Je n'ai pas à tolérer vos blasphèmes sous mon toit, Votre Altesse. S'il est certain que chez nous, l'amour ne préside pas au mariage et que nous le mettons bine volontiers de côté, je n'ai pas à supporter vos postures impies. Cela diminue singulièrement votre crédit et ce n'est pas parce que pour préserver notre sang, notre rang et nos terres, nous sommes prêts à pécher, nous devons en plus sombrer en considérations philosophiques stupides et sacrilèges. Je souffre que vous vous comportiez ainsi au prétexte que nos principes sur la protection de nos privilèges et de nos lignages concordent.
Puis, elle ajouta :
— En outre, vous vous permettez de telles privautés car c'est à moi que vous demandez ma main. Eussé-je eu un père pour veiller à mes intérêts et pour accueillir mes prétendants que votre discours eût été autre.

Si son visage alabastrin demeurait indifférent et si ses yeux restaient dépourvues de vie, elle frissonnait d'irritation contenue, sa délicatesse et son honorabilité outragées. Pourtant, elle consentit à continuer, la question du géniteur évoqué ayant fait naître un soupçon en son esprit. Elle demanda froidement :
— Est-ce là une idée de votre père? Non d'être païen, mais de prétendre à ma main.

Non pas qu'elle crût que Charlemagne fût incapable de former ses propres résolutions mais parce que ce genre de projet, c'était tout à fait possible de la part de Guise von Frayner; l'implacable patriarche, quand il avait une idée, n'étant pas du genre à se préoccuper des détails. Que la muse eût été encore cardinal quand il était mort n'eût pas été un obstacle propre à le faire reculer, bien au contraire même.
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Charlemagne_vf
L'impiété. Il avait fallu un malentendu pour qu'elle vise juste. Charlemagne, éduqué entre réforme puriste et aristotélicisme acharné n'avait jamais réussi à trouver dans les ouvrages théologiques ou fondateurs la moindre lumière. Il n'y avait vu que des histoires s'apparentant à celles des romans de chevaliers et de dragons qu'il lisait depuis son enfance, des chimères, et à quelques égards, rien de plus convaincant que les cosmogonies antiques et polythéistes, qui avaient ce bénéfice d'être parfois drôles et propices au rêve et à l'imagination qui sied somme toute bien à un garçon coincé en pleine adulescence.
Pourtant, et quoique les discours d'un nombre certain de fanatiques l'auraient davantage inquiété que rassuré, le jeune prince souscrivait sans aucune peine à l'idée d'un Être Divin qui soit tout-puissant, de même qu'il acceptait d'admettre, forcé par les faits, la possibilité d'une résurrection, d'une petite mort qui admettait le retour. Ainsi en voudrait-il à jamais à cette mère qui avait préféré le départ éternel vers le soleil plutôt que la vie terrestre où deux fils l'attendaient. Elle n'avait pas l'excuse de la vieillesse pour refuser à Dieu de rentrer sur Terre ; Guise parti avant elle, elle n'avait pas non plus celle de croire ses enfants en sécurité et entourés d'affection.
Alors Dieu, ses miracles étaient des faits, autant que les querelles d'intérêt entre cardinaux, toute puissance d'une Rome qu'il ne connaissait que par Jules César, préceptes moraux et pseudo-sacralisations lui étaient floues et abstraites. Il avait essayé. Il avait lu, relu. Il n'arrivait pas à croire à tout, il n'arrivait pas à penser que la couleur de la bure avait une importance, et que l'odeur de l'encens lui serait une aide pour joindre le Très Haut. Il ne voyait en les cathédrales qu'un symbole érigé pour afficher une puissance et une suprématie sur les faibles, et n'était-ce pas là tout le noeud de l'affaire ? Il jouait le jeu, désabusé, et préférant aux paroles de l'Evêque le frémissement de ses chandelles. Le rite lui était une apparence, il se contentait de trouver une harmonie douce et hypocrite aux gestes sacrés. Il avait cette capacité à faire fi de sa conscience pour se montrer l'homme le meilleur du monde : il n'y avait que la morgue qu'il se refusait à réprimer. La foi, il pouvait lui adjoindre son apparat cérémoniel. C'était un moindre mal.
Aussi, quand la Froide l'accusa de blasphème, le traitant d'impie, il reconnut en elle la Cardinale, et se trouva indélicat, et stupide. Or, en homme de mauvaise foi, et en Prince orgueilleux, l'Aiglon ne pouvait admettre une erreur ; moins encore quand il agissait en prétendant. Il était à Donzy pour se vendre. Ses faiblesses, si elle daignait l'épouser, elle en prendrait la mesure assez vite. En sage Fils de France, éduqué, à la tête assurément bien pleine plutôt que bien faite, il répondit sans grandiloquence, et d'une voix aussi plate que celle de la Sublimissime.


L'Amour n'est pas l'amour. J'entends l'Amour qui invite l'Homme à tendre naturellement vers Dieu, c'est l'Amour avec un grand A, et que l'amour lubrique et honteux du populaire, est l'amour avec un grand tas.

Un léger rictus aurait pu étirer le rose de ses lèvres sur sa face blafarde. C'était là une répartie qui lui avait été enseignée par le Resplendissant. Malgré la dureté de son préceptorat, Sancte von Frayner avait su faire de son puîné légitime un être rhétoricien. Son humour n'appelait jamais à pouffer, il appelait un sourire souvent égoïste : un humour pour soi plus que pour les autres. Pourtant, cette fois, Charlemagne resta stoïque.

Cette chose laide qui porte aussi le nom d'amour n'est pas l'apanage du sang qui coule dans nos veines, et nous ne devons pas rougir de le savoir, ni de l'affirmer. Nous aimerons une descendance pour l'ambition que nous en ferons, et pour la fierté qu'elle nous sera. Le reste est fioriture. Mais si mes mots doivent vous être une offense, je m'en montrerais marri, car ils ne sont pas pour offusquer votre chaste beauté, qui n'a d'égale que votre Sainteté.

C'était ainsi parler comme son Père. Des mots tirés de ses Mémoires, léguées à son fils et qui achevaient avec mélancolie les saturnales guiséennes : ces instants fugitifs passés avec son fils, et parfois le Duc de l'Aigle ; ces instants où l'ambition du patriarche pour son héritier étaient à l'ordre du jour. Le reste du temps, l'Implacable était avec ses fils ce qu'il n'était avec personne : un caramel mou, et l'incarnation d'un amour sans borne. Il manquait à Charlemagne, comme ce monde légendaire qu'aurait été sa vie s'ils avaient vécu plus longtemps réunis.
De fait, prétendre à la main de la Cardinalice Ingeburge aurait pu être une idée du Duc des Ducs. Mais non.


Si cette idée n'est pas de mon père, j'imagine toutefois sans peine qu'elle ait pu caresser son esprit. J'imagine aussi aisément qu'il se réjouirait de la voir aboutir, car il est aussi question de son héritage, et de le voir pérenne. Et je sais ce qui vous liait.

La question de l'âge ne se posait toujours pas : l'Infant ne s'occupait pas de ces considérations, et s'il trouvait à la Prinzessin une beauté digne et percale, il n'avait sur elle aucune ambition charnelle. Savoir qu'il devrait y consentir le glaçait, mais ce détail tenait du devoir pour lequel il avait été élevé, alors il lui faudrait s'y résoudre avec la meilleure efficacité du monde, à défaut d'y trouver le moindre plaisir. Il n'y aurait qu'à se satisfaire du résultat.
Enfin, et parce qu'il craignait qu'elle ne cherche une échappatoire, il chercha son regard du sien, qu'il tenait de Guise.


Me voici devant vous, les intentions mises à nu et plus humble que de ma vie je ne l'ai jamais été, sans souffrir ni honte ni crainte. Madame, j'attends votre réponse.
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Ingeburge, incarné par Charlemagne_vf



Finalement, il vint à l'esprit d'Ingeburge qu'elle aurait dû convier le duc du Nivernais à l'occasion d'un repas – à un dîner certainement, elle rechignait à recevoir au souper, ce n'était d'ailleurs guère convenable selon elle d'accueillir le soir, répugnance qui avait l'avantage non négligeable d'éviter les situations malséantes au cours desquelles, exemple fortuit, votre invité s'érigeait en prétendant. Non pas qu'elle voulût tout à coup faire connaître au Castelmaure-Frayner et partager avec ce dernier le grand talent de ses cuisiniers, la qualité des mets que l'on servait à sa table, la finesse de vins tirés de ses terres, la richesse de sa vaisselle et le bon dressage de sa domesticité; elle n'était pas à vendre, n'escomptait pas se promouvoir, ce n'était pas elle qui avait jeté son dévolu sur son voisin. Il revenait à celui-ci de mettre en avant ses atouts et en l'écoutant attentivement malgré le faciès distant qu'elle lui opposait, elle en venait à penser que la réclame n'était guère fameuse. D'où l'idée du repas, car au moins, elle aurait pu, tout en voyant sa main réclamée, occuper son temps de manière utile en se sustentant, action qui n'empêchait nullement de prendre connaissance de ce qu'on voulait bien vous faire savoir. Ici, que pouvait-elle faire si ce n'est ouvrir ses esgourdes? Faire comme si c'était le cas et laisser vagabonder son esprit vers d'autres sujets? Perte de temps dans les deux cas, et il ne lui était possible de se mettre à une activité annexe sans paraître grossière.

Il lui fallait donc prendre son mal en patience et elle s'appliquait à écouter ce surprenant promis avait à lui vanter, attendant de voir s'il y aurait plus qu'une vague promesse d'une union prestigieuse, voulant jauger la consistance de l'offre. L'adolescent revint sur la question de l'amour et pas un muscle du visage albe de la Danoise ne bougea, aucun frémissement ne vint altérer la rigidité de ses traits marmoréens. Et la même impassibilité fut opposée avec une froide constance quand fut vantée sa vertueuse apparence. La comparaison audacieuse provoqua un léger froncement de sourcils mais nul mot ne vint encore interrompre le propos princier. Du reste, le compliment fut tout aussitôt écarté au profit de l'évocation de l'Implacable qui n'était donc pas derrière ce coup fourré. Pour autant, elle tâcha de ne pas se laisser envahir par l'amollissement que provoquait invariablement le souvenir de Guise, l'un de ses seuls êtres au monde avec lequel elle avait pu se montrer authentique. Non, nul attendrissement, Charlemagne possédait peut-être les prunelles du duc des ducs, il en portait peut-être le nom et en appelait opportunément – par sa propre faute à elle – au disparu pour donner crédit à sa demande mais il n'était pas Guise. Le regard connu fut donc soutenu sans ciller car porté par un autre visage que celui de l'ami si longuement pleuré.

— Soyez donc marri car vos propos demeurent outrageants. Que m'importe, par Dieu, l'amour tel qu'il est vu par la plèbe et que voilà une bien curieuse et peu attirante façon de vous déclarer.

Et comme l'Aiglon s'entêtait dans sa demande en exigeant qu'elle y donnât une réponse, elle décida de réclamer sa gouvernante; après quelques mots, un valet partit s'enquérir d'Irenaus. Ingeburge avait du crédit à regagner localement et il ne serait pas dit que la baronne de Donzy prêterait de quelque manière que ce fût aux clabauderies ni ne recevrait un épouseur sans chaperon. En faisant montre de constance dans sa déclaration, en se montrant même impérieux, Charlemagne venait aux yeux de la maîtresse des lieux de définitivement quitter le statut d'enfant, de glisser dans la catégorie bien trop peuplée et bien trop dangereuse à son goût de ceux-ne-vivant-que-pour-compromettre-les femmes-honnêtes-en-leur-promettant-monts-et-merveilles-en-échange-d'un-relâchement-de-leurs-dignes-mœurs-et-se-rabattant-s'ils-n'étaient-pas-satisfaits-sur-des-péronelles-bien-peu-regardantes-et-bien-plus-légères aussi communément désignés comme les membres de la gent masculine; il fallait donc agir en conséquence et se montrer désormais accompagnée. Le Prince de France n'avait certes rien proposé de déplacé, il avait tout au contraire présenté l'accord le plus honnête qui soit. Et non seulement il s'était adressé à elle par le seul biais qui fut logique dès lors qu'il avait cessé de la considérer comme une figure tutélaire à consulter selon son intérêt, mais en plus, il avait avancé un argument auquel elle attachait grand prix : l'honorabilité de l'établissement matrimonial.

Pour autant, ce n'était pas suffisant car si Charlemagne ne s'arrêtait pas sur la question de l'âge, ne semblait pas se formaliser de ce qu'elle avait un enfant d'un premier lit, elle avait pour elle leurs quelques années de différence, l'expérience d'un premier mariage... et beaucoup de chimères perdues. Si le duc du Nivernais ignorait tout à fait que la duchesse d'Auxerre souhaitait se remarier, il saurait bien vite qu'il ne suffisait pas de demander pour se voir gratifier d'un retour, quel qu'il fût. Bien vite, oui, puisque peu de temps s'était écoulé quand parut la vénérable Kölnerin* qui après avoir salué les deux nobles occupants, alla s'asseoir dans un coin pour ensuite s'appliquer aux travaux de couture qu'elle avait apportés avec elle. Sa vertu ainsi protégée et renforcée, Ingeburge se chargea d'édifier son visiteur sur ses dispositions :

— Si vous attendez ma réponse, souffrez en premier lieu de répondre à mes questions, Votre Altesse. Puisqu'il s'agit de conclure un contrat, je serais bien légère de ne pas tout en savoir. Vous demandez ma main, avancez que l'idée est toute vôtre, soit mais cela ne suffit point.

Et puisqu'il fallait se faire à l'idée que Charlemagne n'était plus celui qu'elle avait connu, elle glissa néanmoins, comme s'il était toujours le même :
— A ce propos, je me réjouis de ce que vous preniez vos affaires en main, il est en effet plus que temps de vous y atteler.

Ce qui lui ménagea finalement une sortie qui l'éloigna définitivement de cet enfantelet aux boucles brunes venu un jour au Louvre lui demander de garder le Trône de France jusqu'à ce qu'il soit en âge de gouverner. Cette ère était atteinte puisqu'il était prêt à convoler et s'était mis à l'ouvrage en ce sens. Ainsi donc, elle en revint à l'homme tout neuf qu'il était :
— Vous comprendrez donc mon souci de veiller sur mes intérêts et de sonder ainsi le sérieux de votre proposition.

Et la première interrogation fut ainsi formulée :
— Il me plairait de savoir quel autre parti a été sollicité et qui se trouve sur vos tablettes hormis moi. J'aurai grand peine à croire, soyez-en certain, que vous ayez placé vos espoirs en une seule et unique personne.

Rien sur ses intentions d'éventuelle acquéreuse, non, mais il fallait tout de même jauger la concurrence.

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* habitante de Cologne

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Charlemagne_vf
Sans toutefois hâter les réjouissances, Charlemagne trouva dans la sécheresse et le pragmatisme de la Duchesse d'Auxerre une satisfaction quasi lascive. Il n'avait pas le naturel euphorique, aussi, même un accord franc et direct de la Froide ne l'aurait pas porté aux nues, et d'ailleurs, la perspective d'un mariage lui était davantage une épreuve nécessaire que l'assurance d'un confort quelconque. Qu'elle n'esquisse aucun refus, par l'abord, flatta l'ego du Prince qui se trouvait conforté dans sa position de parti masculin négociable et envisageable même pour la Sublimissime marquise de Dourdan.
Alors il souffrirait de répondre à ses questions.
Qu'elle ouvre elle-même la table des négociations était une aubaine : le Castelmaure s'était, au dire vrai, inquiété de devoir le faire, craignant de paraître présomptueux. Il l'était pourtant, et cette indélicatesse potentielle n'aurait jamais été qu'une parmi d'autre. Mais si Ingeburge devait être un calice, il fallait veiller à ce qu'il ne déborde pas, et invoquer la diplomatie enfouie en ce coeur de marbre que celui de Charlemagne. Tristement, il n'avait pas hérité la fougue de son père, ni la passion que son âme pouvait nourrir pour le beau sexe. L'Infant, lui, avait un désert entre les côtes, au moins quand il était question de femmes et de procréation.
De fait, il n'avait pas d'amour à offrir à l'Impériale, et intimement, l'Aiglon s'était persuadé qu'elle n'y aspirait pas. C'était en partie pourquoi elle avait été choisie entre toutes. Certes, le pedigree de la maîtresse des lieux entrait dans la balance, certes, elle avait le visage bien fait, certes, elle était d'un acabit à sublimer un nom et un époux sans trop de souffrance. Mais au-delà de tout, Charlemagne avait la faiblesse de la croire une épouse suffisamment autonome pour ne pas exiger de lui une assiduité conjugale à toute épreuve. Il ne s'agissait que de produire une alliance, un héritier, et s'il le fallait, une relation réduite à la grandeur de leurs intérêts devenus communs.
Il eut été aisé de présenter la chose sous cet angle. Aisé, et sincère. Mais il y avait des hypocrisies convenues, et il était de bon ton de promettre à la femme quelques menus avantages, lorsque l'on prétendait lui passer la bague au doigt. Sans trop en faire, et passant ses mains excitées derrière son dos, le Prince s'anima, pour que commencent les choses sérieuses. Se sachant incapable d'une cour empressée, et ne prétendant pas séduire, il lui faudrait convaincre, voire persuader. D'aucuns trouveraient que faire battre le coeur de la Prinzessin fût une entreprise plus aisée.


Votre Altesse, votre souci est tout légitime et seul un cuistre ne souffrirait pas de l'entendre. Il s'agit bien de conclure un contrat, et moi, je me réjouis que vous entendiez en négocier les termes. Je me refuse à être le seul à en avancer les conditions, toutefois, et entends que si vous acceptez de discuter les miennes, vous serez toute encline à proposer les vôtres.

A la fois, c'était une manière de faire avancer la baronne de Donzy dans le champ du contrat : si elle en posait des termes, c'est qu'elle en acceptait l'idée ; c'était la considérer favorable à l'union. Ainsi était-ce aussi une façon la poser, elle aussi, en demandeuse. L'Infant ne se sentirait pas mendiant, d'égal à égal.

En revanche, Madame, je crains qu'il me faille vous causer quelque peine : vous êtes en effet la seule et unique personne sollicitée par mon initiative, pour l'affaire qui nous concerne.
Je n'entends pas vous mentir : des noms ont été évoqués par mon entourage. Il fut question dans mon enfance de l'héritière de Bobyzz et Erine de Sparte, et vous savez sans doute l'intérêt qu'aurait eu ce projet de mes cousins impériaux. Il fut aussi, un temps, dit que j'épouserais la petite fille d'un ancien Grand Duc breton, et j'ai été sollicité, moi, par Catalina Constance de Volpilhat pour sa fille. Les partis potentiels ne manquent pas, et nombreux sont ceux qui prétendent parler pour moi. Vous l'avez justement dit : je prends mes affaires en main, et ma main, tant que vous ne l'aurez repoussée avec dédain, ne sera tendue que vers Votre Altesse.


Un peu sottement, avec la candeur de sa jeunesse en fait, le duc du Nivernais détacha sa main droite de la gauche, la faisant passer à l'avant de son corps, et tendue symboliquement, paume vers le plafond, à Ingeburge, comme s'il était prêt à recevoir la sienne. Mais puisqu'il n'était pas encore l'heure de conclure, en dépit d'une volonté certaine de l'Aiglon d'en finir, Charlemagne replia son bras contre son corps, alors qu'il continuait.

Lorsque je vous offre ce que j'entends être la plus belle lignée de France, cela entend que je recherche l'unique parti qui m'en semble digne. Et c'est sans chercher à vous flatter que je le considère en vous.
S'il me fallait reconsidérer mes options, elles ne seraient qu'en faveur d'une maison moins...illustre.


Et de fait, il ne la flattait pas. La Sublimissime, depuis l'enfance, était aux yeux du jeune prince un parangon de grâce. Sans être un modèle, elle fascinait par sa mise et sa tenue. Et, in petto, le Castelmaure était persuadé qu'elle partageait sa vision du monde en ce qu'il avait de nobiliaire et de traditionnel, voire d'archaïque selon d'aucuns qui peinaient à activer leur intellect.
Elle, elle possédait érudition et distinction. Montagne d'apparence sans être superficielle, l'Héritier la voyait en égale et seule digne de lui. Alors il s'accommodait de l'héritière qu'elle avait déjà, comme de sa virginité éprouvée ; et puisqu'il ne trouvait en les femmes qu'une satisfaction esthétique à défaut d'être sensuelle, il se contenterait sans peine de la voir vieillir, quand il en serait à grandir.

Il voulut lui renvoyer la question posée : avait-elle des prétendants ? Il s'en murmurait certains, et d'autres ne prétendaient pas la courtiser avec discrétion. Il se tut, parce qu'il s'imaginait hors-compétition, parenthèse sacrée et éventualité objectivement au-delà de la comparaison.
Il crut en revanche bon d'ajouter :


Je n'entends rien vous enlever, Madame. Je sais que votre condition vous dispense légitimement du remariage, et de même que je veille à mes affaires dorénavant, je sais votre expérience et votre talent à régler les vôtres. Je ne souhaite pas tant m'aliéner un nouveau patrimoine qu'assurer une coopération pérenne et bénie par le Très Haut entre nos intérêts, nos biens et très évidemment, nos personnes.
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