Charlemagne_vf
Citation:
A Charlemagne Henri Lévan von Frayner-Castelmaure, duc de Bolchen et du Nivernais, vicomte de Baudricourt et de Chastellux, baron de Chablis, de Laignes et de Thuillières,
- De par Ingeburge von Ahlefeldt-Oldenbourg, pair de France, duchesse impériale de Namur, marquise de Dourdan et de La Roche, duchesse d'Auxerre, vicomtesse de Durbuy, baronne de Donzy, chevalier d'Isenduil,
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Votre Altesse Royale,
Il y a quelque temps, m'est revenu que vous vous êtes présenté en l'Hôtel Saint-Paul et avez sur place sollicité un entretien avec moi. Las, comme vous avez pu vous en rendre compte, je ne me trouvais point à Paris et si je n'ai pas pris langue plus tôt avec vous à ce sujet, c'est que j'étais encore en voyage en province. Mais me voici de retour en Bourgogne, à Auxerre plus précisément, je puis donc aisément vous accorder cette entrevue que vous souhaitez.
Et puisque vous devez vous partager entre Dijon et Nevers et puisqu'il n'est pas question que je mette les pieds en la capitale et que je compte me rendre sur les terres de ma baronnie, voyons-nous donc à Donzy; vous mesurerez diligemment que c'est là un compromis acceptable car c'est vous qui souhaitez me rencontrer si la matière que vous désiriez évoquer devait toujours être d'actualité.
Que le Très-Haut vous garde.
Donné le seizième jour de novembre de l'an de grâce MCDLX.
Ce fut un courant d'air, ou le sentiment désagréable de devoir modifier ses plans qui fit frissonner Charlemagne.
Il avait entrepris, quelques mois plus tôt, de demander la main de la Prinzessin. Reparti sans réponse, et sans avoir posé sa question, l'Infant s'était résolu à d'autres ambitions, peut-être moins folles, quoi qu'il ne considérait jamais une action qui fut tout à fait insensée, à l'inverse de son Père. Son souhait d'allier Auxerre et Nevers n'était pas sans logique ni pertinence, à son sens. Il n'y avait là qu'une motivation pratique et matérielle. Comme il est admis que l'amour est un sentiment vulgaire, il est admis que le mariage ne saurait en être le théâtre. Et pourtant, la jeunesse avait déjà égaré l'Infant à cette vulgarité sentimentale, et il s'en était navré à plusieurs occasions, avant même de constater qu'aimer est un péril.
Toutefois, pris par le temps, et surtout par son impatience de tout, le Duc du Nivernais avait commencé à ourdir quelques projets annexes. Le recensement des meilleurs partis de France et d'Empire, l'organisation d'une cérémonie à la Cendrillon, où il jouerait le rôle tout trouvé du Prince. Mais tout cela pouvait attendre.
Ce serait d'abord Donzy. Ensuite, le déluge.
Au matin qui suivait la réception de la lettre, sous le ciel gris de Bourgogne et à travers sa brume, un cortège quitta Nevers en direction du nord, vers Donzy. La veille, un court billet avait du informer la Baronne de la venue de son voisin, le lendemain.
La fraîcheur de l'air était déjà hivernale. Charlemagne, au contraire de ses gardes, tout aussi imposants que les lombards de l'Auxerroise, ne se plaignait pas du temps, ni de la saison. Elle était sa préférée. La brise automnale lui était une caresse au coucher, bien loin de l'agression de la chaleur et des orages. Le ciel ombragé offusquait le soleil, qui n'essayait pas d'atteindre sa peau, voulue d'albâtre, et entretenue telle.
Dans son carrosse, les rideaux tirés, le Fils de France feignait de lire un ouvrage in-octavo. En face de lui, Anthoyne de la Louveterie restait muet, habitué à la loquacité de son Maître. In petto, l'Aiglon répétait son discours à la Froide : s'il prétendait à lui-même être indifférent devant elle, s'il la tenait pour une égale, et s'il jugeait son acte profondément banal, il n'en avait pas moins développé un certain trac. Adepte du self-contrôle, il essayait avec application de réprimer tout embarras, et de se montrer aussi parfait qu'il jugeait l'être : altier et droit, retenu et froid, mais non sans la fine hypocrisie mondaine que lui avait enseigné son frère, le Resplendissant.
Ils furent bientôt à Donzy. On disait la ville agréable, mais le Castelmaure n'en observa pas-même un mur, un bras de rivière, un moulin ou quoi que ce fut, et qui fit de cette baronnie l'une des plus importantes de Bourgogne.
Son château n'était pas sans prestige, mais là encore, le jeune blasé leva à peine le regard pour l'admirer. Il en voyait tous les jours : certains avaient de vieilles douves, d'autres étaient urbains, certains avaient dix-sept tours, d'autres arboraient des arcades italiennes. On se lasse vite du singulier, quand il devient commun. Un château est un château. Celui-ci dominait la ville, comme bien des autres, et était ceint de remparts intramuros. Il était haut, et son Donjon s'élançait, fier. Un château sans extravagance, aux pierres aussi froides que leur maîtresse.
Le Duc du Nivernais fut introduit, et mené sans trop attendre auprès de son hôte. De sa garde, derrière lui, il ne restait que le Seigneur de Maillé, qui fut invité à attendre dehors avec les autres. Il ne risquait pas la mort entre ces murs, ou du moins pouvait-on l'espérer. Il entra dans la grande salle, et salua la maîtresse des lieux d'un hochement de la tête, qu'il découvrit de sa coiffe de velours noir, laissant apparaître ses cheveux, aussi sombre qu'il avait la peau claire. Sa tenue, en accord avec celle d'Ingeburge, était d'ébène. Le deuil de Béatrice et de Guise, peut-être encore, mais surtout, le noir de Bourgogne, et cette absence de couleur qu'il trouvait digne de son rang, qui était le leur.
Votre Altesse. Le temps a passé depuis le Languedoc. Et vous voici à nouveau en Bourgogne.
Des constats, rien d'autre que des constats. Charlemagne avait grandi : il avait peut-être plus vécu depuis qu'il avait vu Ingeburge pour la dernière fois que dans toute son enfance. L'éveil de ses sens, l'éveil politique, et la conscience de la vérité du monde lui avaient sauté aux yeux. Il était encore jeune, mais ce n'était plus un garçon. Elle, immuable, Sublimissime, était la même. Cette glace près de laquelle l'Aiglon se sentait dans son monde : beaucoup de passé, pour un futur à écrire.
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