Euzen

- « Voyez ! A nous enchainer ensemble, ils nous offrent notre liberté. »
- d'Euzen à Nahysse
[Limoge, dans une auberge de la ville – 03 novembre 1460]
Coup de tonnerre.
Songeur, le Corniaud jeta un regard vers l’extérieur. Le temps était exécrable. Dans la nuit les nuages blancs qui envahissaient habituellement le ciel Limougeaud, étaient devenu lourd, gris, noir par endroit. Avant d’éclater dans un formidable orage au petit matin. Bon ou mauvais présage ? Qu’importe, c’était leur jour, ils y étaient … Enfin, dirons certain mais rare seront ceux à dire déjà. Sauf lui peut-être. Tout avait été long pourtant, de la décision jusqu’à l’anoblissement en passant par l’annonce, les fiançailles et le contrat. Tout avait pris du temps et pourtant, là, debout au milieu de la chambre d’auberge qu’il occupait depuis la veille, le Corniaud trouvait que s’était beaucoup trop tôt finalement.
Il ne s’était pas baigné encore, pas vêtu non plus. Mais la matinée débuté à peine, il avait encore le temps. Quand la porte s’ouvrir, il s’approcha de la fenêtre pour laisser de l’espace au va et vient qui débutait dans la pièce. Le bain se préparer. Observant un instant les gens de l’auberge, baquet ou sceaux en mains, le borgne en détourna bien vite l’oeil. La tempête qui sévissait à l’extérieur lui plaisait. Elle reflétait à merveille le tumulte intérieur qui était le siens actuellement et étrangement, se détail l’apaisait un peu. Aujourd’hui, il allait donner son nom … Ce n’était pas rien. Le brouhaha des domestiques cessa finalement quand tous se retirèrent et qu’Augustin referma la porte sur eux. Le banquet de bois, plein et fumant, l’attendait à présent devant l’âtre.
Éclaire.
Finalement son regard quitta l’extérieur pour rencontrer celui de son Ami. Etrange comme il ne songeait jamais à lui comme un amant, il l’était pourtant. Mais il était bien plus aussi. Un léger sourire se dessina sur le visage resté fermé du jeune homme quand il vit l’espagnol, les vêtements trempés et la chevelure dégoulinante. L’envie le prit … Se serait si facile d’oublier ainsi. D’obnubiler encore un peu ce qu’il adviendrait inévitablement dans quelques heures. Ils avaient encore le temps … Mais le Navailles savait que l’inverti refuserait. Déjà, la veille … Soupire. Il n’avait pourtant rien contre ce mariage, le borgne. Pis, il l’avait souhaité, pour sa Muse ... pour l’enfant ... pour les enfants ! Mais la simple idée d’être enchainé à vie, le faisait frissonner.
Nouveau coup de tonnerre. Nouvel éclaire.
Le faisceau lumineux éclaira un instant la pièce restait dans l’ombre, faute de chandelles allumées. La cheminée aidait mais ne faisait pas tout, et il n’avait pas pour habitude d’allumer des bougies en pleine journée. Aujourd’hui, se serait peut-être nécessaire.
- Comment va-t-elle ?
- Bien. Enfin, autant qu’il est possible.
A leur réveil, il avait envoyé l’hispanique au 24, rue des bouchers. Il n’avait peut-être pas le droit de voir sa fiancée avant le début de la cérémonie mais il avait au moins celui de savoir comment elle se portait. Son terme approchant dangereusement, tout était à prévoir. Finalement, il s’approcha du baquet et retira l’unique vêtement qu’il portait, des braies, avant de glisser dans l’eau chaude. Soupire d’aise. Laissant la tête partir en arrière et se poser sur le rebord en bois tapissé de tissus, il ferma les yeux. Son entrée dans le bain avait été le signal que le fidèle valet attendait pour commencer la préparation de la tenu du futur marié.
Bientôt, ils y seraient.
* d'Emile Augier
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