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[RP] Auprès de ma borgne, qu'il fait bon s'armer.

Cyrielle..
    Assise sur la paillasse d’une alcôve aux tentures béantes, Cyrielle s’applique à jongler d’une mie de pain préalablement malaxée. Quelques coups d’œil discrets sur les scènes qui se jouent dans le salon, & voilà les boulettes qui s’effondrent & se font écraser par une botte crottée. La blonde s’ennuie. Et surtout, la blonde s’endette. Si son rendez-vous ne daigne pas pointer le bout de son nez…

    Les doigts claquent pour saisir au vol l’attention d’une grosse Gertrude, toute occupée à soigner ses clients. La maquerelle délaisse son bougre pourtant, lui évitant peut-être une croupe vérolée, pour s’approcher de l’alcôve présentement louée à la borgne. C’est qu’elle y a mis le prix, la trentenaire. Le renfoncement lui est réservé pour la semaine, jours & nuits sans conditions. Et ce, juste pour l’alcôve. La blonde aurait eu une grimace de dégoût à la marchandise humaine que lui présentait la Gertrude.

    Bref, de fait, elle a payé d’avance, grassement, ajoutant à sa note moult pichets de vin, fromages & même un demi-poulet. Pas de compagnie, pas d’autres excentricités. Le client est étrange, mais le client est roi, après tout ! Et tant que son visage à moitié déformé ne se trimballe pas au milieu des clients, Gertrude s’en tape comme d’une guigne que cette cliente soit étrange. Et qu’elle lui demande toutes les vingt minutes si son pli a bien été livré.

    « Oui m’dame… J’arrête d’pas d’vous l’dire. Faut avoir confiance en mes p’bread messagers, hein ! S’il vient pas, vot’ gus, c’est qu’l’est insensible à vot’ beauté… Humpf. »

    Cyrielle hausse le sourcil, & la Gertrude s’enfuit avant de s’attirer ses foudres. C’est que Cyrielle n’a pour beauté que la moitié de son visage, & encore. Beauté flétrie aux trente-cinq ans, plâtrée de quelques sillons au creux d’un œil d’un bleu passé de vieilles fripes. Et si son visage ne tenait qu’à cela, peut-être, oui, que Cyrielle serait belle, ou du moins, aurait été belle, un temps. Mais à ce profil gauche s’ajoute une face de crevasses sertie, partant du front au haut de poitrine, malmenant l’oreille & une moitié de bouche, déchirant la joue en malsaines cicatrices. Et Cyrielle, ainsi, est laide de brûlure. Et borgne, pour ne rien arranger.

    De fait, sans être née comme ça, elle a tout de même, très tôt, du apprendre à ne servir que sa propre cause. De petits boulots en petits boulots, des boucheries à remplir aux braillards nobles à raisonner, brigande, mercenaire, assassin, ou encore boulangère, paysanne & arnaqueuse professionnelle (ce en quoi elle excelle, soit dit en passant), Cyrielle traine donc derrière elle un Curriculum Vitae qui en aurait fait pâlir plus d’un. Mais cela, malheureusement, aurait fait bien meilleure impression si, en ce moment, elle avait eu de quoi grailler sans s’endetter auprès d’un ami, arnaqueur également.

    C’est ainsi que la borgne se retrouvait ici, à savourer les allers & venues plus ou moins discrètes qu’elle appréciait tant, attendant avec montre de patience son invité du soir. Certes, le pli était brouillon, écrit de bien mauvaise façon, tout ça sans signature. Mais elle a écrit, & sachant toutes les difficultés du monde que la trentenaire a à aligner plus de trois lettres sur un parchemin - les mêmes que pour les déchiffrer -, son invité de marque ne pourra, une fois qu’il l’aura reconnu bien sûr, qu’apprécier son effort.

    Enfin, tout ça, s’il vient, bien sûr.

Angelo_rhaenys
      « L’argent est serviteur ou maître. » - Horace, Épîtres


    | Manoir Montazon-Navailles, Autun |


Morne jour, un de plus. La Bourgogne l'ennuyait. Mais alors l'ennuyait à un point inimaginable. Aucune rencontre intéressante ou presque. Des clans de nobles et de bourgeois qui ne vivaient que de manière clanique, pour la plupart tous plus pédants et insupportables les uns que les autres. Sans parler de tous ces gueux qui se noyaient dans la bienséance alors qu'ils ne valaient pas mieux que la boue dans laquelle ils étaient nés. Enfin, exception faite de quelques uns. De deux en fait, mais nous dévions du sujet.
Toujours est-il que les jours passaient, dans une longue attente, celle de repartir pour un autre voyage, vers la Normandie cette fois. Et un voyage définitif. Mais ce n'était pas pour de suite.

Par la fenêtre, le Sombre regardait l'un de ses domestiques revenir avec le fruit de la vente de ses cochons élevés sur une terre en dehors des murailles de la ville. Petit sourire carnassier. L'argent ne faisait pas tout, mais tout de même, il aidait à beaucoup de chose. Notamment à entretenir des domestiques qu'il n'aurait pas pu entretenir sans cela puisqu'il ne possédait aucunes terres. Enfin, cet élevage ridicule n'était que la surface visible de la petite richesse personnelle qu'il entretenait. Il n'avait pas passé un an à voyager en Europe pour le simple plaisir de voir des paysages bucoliques. Ce genre de choses l'ennuyait profondément. Mais cela lui avait plutôt servi à se faire moult contacts, dont très peu que l'on pourrait qualifier de fréquentables. Bref, tout un petit réseau d'un marché noir qu'il entretenait de manière constante pour en tirer des profits non négligeables.

Il se détourna de la fenêtre, puis réfléchit au message qu'il avait reçu plutôt dans la journée, lui donnant comme lieu de rencontre un bordel de Dijon. Le but n'était pas précisé, ni même le nom de la personne qui l'avait écris. Cela le laissait intrigué. Mais la curiosité était chez lui un très vilain défaut.
Angelo se tourna vers le jeune domestique à peine plus jeune que lui, le regard exigeant.


Mon bain est-il prêt ? Il est hors de question que je me rende à un rendez-vous sans être parfait.

Parfait, c'était le mot. Car si Angelo était un salaud reconnu par ceux qui avaient dus traités avec lui, il était un salaud qui prenait soin de lui, faisant de son physique un atout. Ce n'était pas de l'orgueil, mais du pragmatisme. Et il ne fallait jamais gâcher un seul de ses atouts.

Aide-moi à me dévêtir, je suis pressé. Dijon m'attends.


[...]


La nuit était tombée depuis un moment lorsqu'il fut arrivé dans la capitale de la Bourgogne. Délaissant le quartier du château et les quartier bourgeois, il se dirigea plutôt vers les bas-fonds de la ville, direction le bordel de "La Blonde Charnue", en référence à la celle qui le dirigeait d'une poigne de fer et en y faisant pas uniquement de la vente de plaisirs féminins.
Ce n'était donc pas la première fois que le jeune homme s'y rendait, mais jamais il n'y avait mis la pied pour profiter du bordel en lui-même, cela ne l'intéressait pas.

Se dirigeant de manière aléatoire dans le bordel, vêtu de noir et un capuchon cachant les traits de son visage, il croisa enfin celle qu'il cherchait. Bertha, une prostituée qui jouait souvent de relais pour lui et ses contacts. L'attrapant fermement par le bras alors qu'elle épiait un client à satisfaire et à prendre la bourse - dans tous les sens du terme - la jeune femme se tourna vers lui avec un air effrayé, jusqu'à ce quelle reconnaisse les traits réguliers qui se cachaient sous le capuchon sombre.


M'sire Rhaenys ! C'toujours un plaisir d'vous voir ! Vous souhaitez p't'être un mom...

Tais-toi. Tu sais bien que je ne mange de ce fruit là. Conduis-moi à la personne qui m'a fait mander ici.

Le regard du Montbazon-Navailles était glacial, voir un peu effrayant. Mais la jeune femme avait l'habitude, et ses multiples tentatives pour séduire le bel éphèbe n'aboutissaient jamais. Un petit sourire de confidence et un acquiescement de tête plus tard, Bertha le conduisit vers la seule personne qui était susceptible d'intéresser Rhaenys - l'appelant comme ça car ne sachant pas son vrai nom - . Elle savait que ce dernier délierait quelques peu sa bourse pour l'avoir satisfaite dans ses affaires. Les gueux et les nobles insatisfaits de leur femme ou de leur solitude pouvaient bien attendre.
Quelques minutes plus tard, elle s'arrêta à quelques pas de l'alcôve que la borgne occupait.


Voilà, mon beau m'sire.

Elle s'inclina légèrement, puis se releva. Comme à l'accoutumée, sans même lui jeter un regard intéressé, il glissa quelques écus d'argent dans le décolleté. D'une moue envieuse, elle le regarda une dernière fois.

Qu'attends-tu ? Va te faire culbuter loin de moi, ta présence est inutile désormais.

Elle soupira. Il était toujours aussi laid de l'intérieur. Et en partant, elle se dit que cela compensait l'extérieur, en quelque sorte.
Laissant à ses pensées la catin, le Sombre passa une main sur sa ceinture où un poignard aiguisé était caché sous la cape. On était jamais trop prudent.
Les prunelles déterminées, il entra dans l'alcôve.


Toi ? Ici ?

En découvrant la blonde borgne, il fut plus qu'étonné. Elle n'était pas en Bourgogne, aux dernières nouvelles. Et le dernier et seul contrat qu'ils avaient exécuté ensemble datait de plusieurs mois au moins. Il ôta sa main du poignard pour rabaisser son capuchon, laissant apparaître son visage glacial. Les prunelles d'onyx la fixaient avec intérêt bien que le regard restait d'acier.
Rien ne différenciait ses deux là mieux que leur physique. Elle, blonde, le visage laid tout au moins en parti, l'autre face amputée de sa jeunesse.
Lui, qui bien que faisant plutôt vingts années, en avait en réalité quinze, au visage que certaines auraient dit parfait avec ses traits réguliers et recouvert d'une courte barbe entretenue, ses lèvres fines mais charnues qui appelaient au baiser, son nez fin et droit, son menton volontaire, ses yeux plus noirs que noir, ses cheveux corbeaux ni longs ni courts, à mi-chemin entre l'ondulation et les boucles. Et tout ceci pourvu d'un air méprisant et hautain qui le quittait rarement.
Et tout aussi rares qu'étaient ses sourires, à cet instant, il en était pourvu d'un à moitié ironique et sincère. Il n'aimait guère les femmes, mais elle... Elle, était particulière. Leur collaboration avait été fructueuse, parce que Cyrielle était talentueuse. Talent-tueuse d'autres auraient pu dire, mais ils n'étaient plus là pour le faire aujourd'hui.


Que me veux-tu Cy' ? Car je te connais assez pour savoir que tu n'aurais pas exécuté tous ces efforts juste pour échanger des palabres de salon. D'ailleurs, je ne savais même pas que tu savais écrire. Enfin, savoir écrire, ce sont de biens grands mots, mais tout de même. Cela t'as pris combien de jours ?

Le ton était hautain et ironique, mais elle avait l'habitude. C'était une manière très (mais très) implicite pour dire "Je suis ravi de te revoir, comment vas-tu ?".
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Cyrielle..
    Ô, théâtre comique où la femme trône sur un fessier gras bordé de furoncles & d’écus, & où l’homme banque avec joie. Celle-ci, l’innocente toute de blanc souillée, qui pense encore pouvoir faire croire aux hommes qu’elle est plus pucelle qu’un nouveau-né. Celle-là, l’insolente, qui remue devant des yeux hagards une poitrine débordante qui a déjà fait craquer son corset, & qui ne tardera pas à engloutir les plus curieux. Celui-ci, l’affamé aux braies tellement pleines qu’on ose se demander comment il arrive à ne pas satisfaire sa propre femme. Celui-là, qui pourrait s’offrir la moitié des filles propres de Paris, & qui pourtant vient en Bourgogne tâter les filles aux haleines putrides qui ont déjà pondu plus d’une dizaine de bâtards.
    Et puis ce beau brun jeunot, aux allures de grand noble, qui semble connaître le lieu & qui pourtant rejette si froidement les charmes de la Bertha. Mais ce ne serait pas par hasard…

    « Trois jours. M’enfin, j’ai demandé à un scribe pour la fin, j’avais le poignet tout tiraillé. »

    Un sourire lui écorche un peu plus le visage alors qu’elle se redresse sur sa paillasse, l’invitant à s’asseoir près d’elle entre cafards &… un rat égorgé. Fallait bien qu’elle s’occupe. La main est tendue pour saisir ce qu’il reste de la bouteille de vin & un godet mis de côté spécialement pour lui. Elle le sert, boit à la bouteille, le ressert un peu & se racle la gorge.

    « J’pouvais pas juste avoir envie de revoir votre si jolie frimousse, mon seigneur ? »

    A taquin, taquin & demi. Et si la borgne n’hésite pas à fouler au pied toutes les manières qu’elle devrait lui accéder, elle sait se retenir tout de même de le tutoyer. C’est un noble, elle est roturière, & elle a beau avoir l’âge d’être sa mère, il reste maître… & bourré d’écus.

    L’azur grisé se perd sur le va & vient du salon, visiblement intéressé. Ce n’est pas qu’elle évite de répondre à sa question, c’est juste qu’elle la relègue au second plan, pour le moment, savourant sans honte aucune les travers des Hommes. Elle admire, la brûlée, tout ce joyeux capharnaüm, ces cris insolents étouffés à l’étage, ces soupirs écœurants partant des recoins d’ombres, ces visages vulgaires, la bouche en cœur, le cœur en berne, & la poitrine aussi ronde & flasque que leurs fesses toutes renversées.

    « N’est-ce pas magnifique ? »

    Un coup d’œil au Sombre lui suffit pour revenir sur terre. Non, il n’apprécie pas, il n’a jamais apprécié, & il lui semble presque qu’il n’appréciera jamais. Pourtant, c’est faire preuve de sagesse que de s’intéresser à tout ce qu’on déteste. Mais bien trop jeune pour être sage, il se contente d’insolence & de beauté violente, affichant, impudent, toute la noirceur de son âme, s’appliquant à se repaître des faiblesses des autres. Si adorable.

    « Non, bon. Vous pourriez au moins faire croire que ça vous intéresse.
    Et un nouveau contrat, ça, ça vous intéresse ? J’ai besoin de me dégourdir les pattes. Et de me refaire une santé financière. »


    Et t’es, sans aucun doute, le mieux placé pour tout ça.


Angelo_rhaenys
      « La charité qui ne coûte rien, le ciel l'ignore. » - Honoré de Balzac, La cousine Bette


« Trois jours. M’enfin, j’ai demandé à un scribe pour la fin, j’avais le poignet tout tiraillé. »

Sourire dubitatif mais amusé du Sombre. Il s'assoit dans le lieu insalubre, pas le moins du monde choqué ayant vu pire que cela. Une fois servi et resservi, il prit une longue gorgée. À vrai dire, c'était imbuvable, mais il le but. Le dégueulasse était le lot des pauvres, et vu comme ça l'était, Cyrielle ne devait pas vraiment rouler sur l'or.

« J’pouvais pas juste avoir envie de revoir votre si jolie frimousse, mon seigneur ? »

C'est d'un éclat de rire sincère qu'il part. Un don pour la rhétorique, elle l'avait toujours eu, et savait l'usé avec talent. Dans la taquinerie, mais point trop. À la limite de la bienséance, mais jamais vulgaire ni au-delà de son état. Elle savait d'où elle venait, et d'où lui venait, et ne l'oubliait pas. Une trop rare notion que les gueux d'aujourd'hui oubliaient en souhaitant se mettre à l'égal des vrais sang bleus comme lui.

Tu pourrais, mais ce n'est pas le cas. Je te connais, Cy'.

Suivant son regard, il se tut. Lui aussi regarde le capharnaüm qui se déroule sous ses yeux. Mais si elle, ça l'amuse, lui, ça le dégoûte. Elle ne se doute pas pourquoi, et lui non plus d'ailleurs. Il attends, écoute sa remarque sans y répondre, il n'en avait pas besoin, elle savait ce qu'Angelo pensait de tout cela.
Au mieux, il comprenait la propriétaire de l'établissement. Elle devait gagner beaucoup d'argent grâce à son bordel. Peut-être d'ailleurs devrait-il un jour investir dans un bordel parisien. Mais trêve de pensées malsaines, la luxure était intéressante à exploiter, mais il n'était pas là pour ça.


« Non, bon. Vous pourriez au moins faire croire que ça vous intéresse.
Et un nouveau contrat, ça, ça vous intéresse ? J’ai besoin de me dégourdir les pattes. Et de me refaire une santé financière. »


Le sourire redevint glacial et mauvais à la première remarque. Les yeux se firent méprisants.

Tu sais bien ce que j'en pense. Tant de faiblesses. Dégoûtantes, de surcroît. Les hommes arrêteront-ils un jour de penser avec leur queue et les femmes avec l'argent ?

Le Montbazon-Navailles observa encore une fois le bordel dans sa vaste confusion, puis reporta son regard d'onyx sur la brûlée. Le sourire insolent dévoile sa dentition blanche, qui si le sourire n'avait pas été ironique, aurait pu le rendre encore plus séduisant.

Mais ils n'arrêteront jamais, n'est-ce pas ? Et toi non plus ? Ainsi est l'espèce humaine. Se voulant civilisée et bien pensante en société, mais sale et dégoûtante dès lors qu'elle peut se le permettre. Espèce maîtresse de tous les vices. Une pièce de théâtre géante, une tragi-comédie permanente, dont beaucoup sont les acteurs.

Il la regarda, fixement, sans ciller. Rien ne montrait qu'il accepterait la demande. Il attendit quelques instants. Comme s'il réfléchissait alors qu'il avait déjà pris sa décision. Mais cela, elle ne le savait pas.

Mais tu sais que je ne suis pas du genre à jouer l'acteur, mais plutôt le marionnettiste qui tient les ficelles et laisse croire aux pantins qu'ils sont maîtres de leurs actes.

Mais finalement, Angelo se leva d'un mouvement brusque.

Cependant, même si tu sais tout cela, je ne suis pas intéressé. Que me proposes-tu à part dépenser de l'argent, alors que tu sais que je suis un pauvre sans-terres, sans revenus.

Le regard se fit faussement attristé et contrit. Elle savait que c'était une comédie de sa part, qu'il jouait un jeu avec elle. Et c'était là tout l'intérêt d'ailleurs. Il s'apprêtait à partir, puis mima un arrêt, à la manière d'un acteur, et se retourna, l'air faussement innocent et intrigué, exagérant chaque mimique.

À moins que tu aies quelque chose d'intéressant à me proposer, chère amie ?

Le dernier mot était cassant, sonnait faux comme le discours politicien d'un homme qui viendrait de voler la population. Il n'était pas du genre à faire la charité. L'estime qu'il pouvait avoir pour elle ne changerait rien au fait qu'il voulait y trouver son intérêt en échange d'une future collaboration.

Alors ?

L'air enjôleur en option.
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Cyrielle..
    Tu me connais. Ça résonne aux oreilles trentenaires. Ça titille le mesquin de l’esprit. Ça amuse l’ennui, réveille la curiosité. Et tout ça, elle le cache sous un manteau de chair à demi-clos, protégeant l’œil lasse qui ne se détache pas un instant du théâtre de leurs vies. Leurs vies, à eux, clients honnêtes, à elles, catins malsaines. Il la connaît, certes.

    Contrat fugace que fut leur rencontre. Quelques écus de mains en mains, quelques lames de gorges en gorges, quelques gouttelettes de sang frais oubliées sur des chemises blanches. Quelques aveux, rapides, pas le temps d’en avoir honte, juste se faire une idée de la personne en face. Les contrats, bien effectués, lient toujours intimement le débauché au débaucheur. Là où il y a secret, il y a sourires de connivence, & accords tacites. Et encore pour cela faut-il savoir jauger, juger n’est pas prôné, en soupesant fugacement les bourses & les déliées des affairés qu’on sert.

    Et sans se targuer de connaître son homme, Cyrielle a l’avantage d’avoir l’oreille creuse. Sous son air de ne pas y toucher, elle sonde l’âme amie, puisqu’il est bien question de cela lorsqu’on brise d’un revers de main les principes des hommes. Quoi que l’ami chez elle n’a pas le son qu’on confère aux amis des bonnes gens, & se plaît plutôt à satisfaire les travers de la borgne autant que faire se peut.

    L’ami d’ailleurs, s’agite & tente de se faire la malle. Ou plutôt, tente de jouer le jeu de celui qui se fait la malle, faussement inintéressé par ses besoins, à elle. Ou plutôt non, il balaye d’un revers de main ses besoins, puisqu’il n’en a, vraiment, que faire. Il veut quelque chose d’intéressant.

    Le corps souple de la borgne reprend place sur la paillasse, s’adossant au mur en vidant le reste de vinasse. Oui, c’est dégueulasse, autant que les nectars précieux, convoités & vendus à prix bradés des demoiselles qui se trémoussent pour aguicher le client à l’arme en berne. Mais il faudrait, pour elle, un peu plus que ces goûts vinaigrés pour la faire cracher sur ces vins là.

    « Vous faut-il vraiment que je fasse mes preuves, jeune Montbazon-Navailles… »

    Ce n’est pas une question, car déjà le corps entier soupire, & la main à nouveau vient tâter d’une place à ses côtés, malgré qu’elle soit à demi-allongée. Cyrielle n’a pas la pudeur de ses dames qui se sentent belles, & s’il lui reste une honnêteté mauvaise, elle n’a pas à rougir d’inviter l’homme à s’asseoir sur sa couche. De fait, l’homme est bien trop jeunot, ce qu’elle ne manque pas de lui rappeler avec une pointe d’ironie.

    Rares sont ces jeunes avec autant d’audace & de mépris. Il n’y a, sans doute, que nobles gâtés pour avoir ce privilège, & encore, sont-ils souvent bien trop insolents & instables pour être intéressants. Le Sombre, lui, a cette qualité d’être plus détaché que les autres. Parfois.

    « Venez, mon ami, venez donc près de moi. Je vous offre généreusement mes services, avec seule condition pour disposer de moi que d’éponger mes dettes. »

    Un sourire arrache à son visage une grimace difforme.

    « Et une brigandine. M’enfin c’est un détail. Je vois sur votre visage que vous vous ennuyez. Vous tremblez d’aventure, Angelo. Et vous n’avez guère plus de muscles pour vous étoffer qu’à notre première rencontre. Vous avez besoin de moi. »

    Parce que j’ai besoin de vous. Orgueilleuse, elle l’est, & si se sait pourtant en un terrain glissant, ne s’y lance pas avec plus de prudence que cela. Elle a confiance, outrageusement confiance maintenant qu’il est là. Il ne partira pas tant qu’elle n’aura obtenu ce qu’elle veut.

    « Nos intérêts concordent, & vous savez combien je n’aime abuser de ceux qui m’importe. »

    Et sans aller plus en avant dans un sentimentalisme qui ne leur sied, ni à l’un, ni à l’autre, c’est avalant une des boulettes de mie de pain plus tôt tombée à terre qu’elle clôt ainsi sa supplique.

Angelo_rhaenys
« Vous faut-il vraiment que je fasse mes preuves, jeune Montbazon-Navailles… »

L'oreille tiqua. Une mimique du visage est surprise sur ces traits pourtant habituellement si froids. «Oh non, tu n'as pas besoin de faire tes preuves», serait-il tenté de lui répondre.
Mais non, ce serait trop simple, pas dans le ton des rôles qu'ils jouaient tous deux. Elle, la vieille fauve sanguinaire capable des pires méfaits contre somme qui vaille la peine. Lui, dans la peau du loup insolent et sanguin, se croyant dominant bien qu'il n'en ait pas encore les moyens.
La lionne et le loup se tournent autour, se reniflent, essaient de repérer les craintes et les désirs, de s'apprivoiser une nouvelle fois pour sceller une alliance qui pourrait paraître contre nature. Mais cela est-il contre nature pour deux prédateurs que de s'allier afin d'accomplir leurs oeuvres de domination, quel qu'en soit le chemin ?
Angelo ne le pensait pas, et il la laissa poursuivre sans mot dire, montrant seulement un léger intérêt à la chanson qu'elle tentait de lui servir depuis le début de leurs retrouvailles.


« Venez, mon ami, venez donc près de moi. Je vous offre généreusement mes services, avec seule condition pour disposer de moi que d’éponger mes dettes. »

Le Sombre sourit malgré lui, petite ironie que lui seul peut comprendre. Lentement, il s'avança vers la paillasse, s'installa, et garda un coin de ses lèvres retroussé dans ce sourire ironique. Cette proposition aurait pu paraître des plus adaptées au bordel de la capitale bourguignonne dans lequel ils se trouvaient tous deux. Seulement, depuis longtemps elle avait dû saisir le non-intérêt que cela provoque chez le Montbazon-Navailles. Si bien des hommes étaient manipulables de par la faiblesse que provoque chez eux les pulsions sexuelles, ce n'était pas son cas.
Mais malgré tout, la situation était cocasse, et cela emplit légèrement l'esprit du jeune homme d'une brune de bonne humeur.


« Et une brigandine. M’enfin c’est un détail. Je vois sur votre visage que vous vous ennuyez. Vous tremblez d’aventure, Angelo. Et vous n’avez guère plus de muscles pour vous étoffer qu’à notre première rencontre. Vous avez besoin de moi. »

Une envie est retenue dans la gorge...

« Nos intérêts concordent, & vous savez combien je n’aime abuser de ceux qui m’importe. »

... mais finalement, la résistance faiblit et il éclata d'un grand rire sincère. Il se reprit au bout de quelques secondes, et peu lui importait que ça ait décontenancé ou pas la blonde, il enchaîna avec son naturel des plus improbables.

Une brigandine ? Soit, cela je peux te l'accorder. Et ne t'enorgueillis pas de ce que tu ne connais pas, ma chère. Mes muscles s'étoffent très bien, c'est le noir qui amincit ma silhouette plus que nécessaire.

Le ton est à l'humour, ou du moins en parti. Loin d'avoir la carrure d'un soldat, Angelo se savait tout de même non dépourvu d'un corps élégant. Il est vrai que Cyrielle ne parlait pas là d'élégance, mais le Sombre est parfois ce qu'il y a de plus superficiel, à contrario du pragmatisme à toute épreuve de la blonde de 20 ans son aînée. Peut-être cela faisait-il leur complémentarité.
Toujours est-il que le Montbazon-Navailles saisit l'occasion pour choisir la cible qu'il voulait atteindre depuis le début de leur conversation.


Qui te dit que nos intérêts concordent ? Tu sembles prétentieuse, sur ce coup là. Mais... Peut-être, en effet, concordent-ils.

Son regard d'onyx évalue la situation, puis ce fixe sur le visage de son interlocutrice au visage si abîmé mais pourvu de l'assurance de l'expérience, tandis que le sien aux traits élégants était pourvu de l'assurance de l'impétuosité.

J'ai pour idée de m'entourer d'une mesnie. Et j'ai besoin d'une lame aiguisée, d'une personne dont je sais que je pourrais lui confier ma vie si besoin.

Le regard se fit plus glacial qu'il ne le fut jamais.

Serais-tu cette personne, Cyrielle ?

Il se leva promptement, se dirigea vers la sortie, et rabattit sa capuche sur son chef pour en effacer les traits dans l'ombre de cette dernière.

Je t'attendrais demain, à mon manoir, à Autun. Si tu ne viens pas, je considérerais que tu as refusé mon offre, et que nos intérêts ne concordent pas, très chère amie.

Sans se retourner, ni même attendre une quelconque réponse à cette dernière phrase, le Sombre repartit dans le tumulte du bordel afin de regarder sa demeure, loin de Dijon.
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Cyrielle.
    Vieille rengaine qui sonne aux oreilles décharnées.
    Oh Cyrielle, douce Cyrielle, sauras-tu être cette personne ? Oui, celle-ci, qui sauvera vie & amis, qui fera de moi l'infortuné survivant, l'homme aux mains fidèles. Dis-moi, Cyrielle, dis-moi, sauras-tu faire de moi l'invincible, envers & contre tous, me protéger de moi & de mes ennemis, pourrais-je, douce amie, te faire confiance ainsi ?

    Mais Cyrielle se tait. Le sourire s'est effacé depuis longtemps sur le visage abrupte, les traits se sont teintés d'impassibilité, d'amertume, même, peut-être. Qu'il doute de sa fidélité si les récompenses ne valent pas l'effort. Mais qu'il se rassure, enfin, si tout est en bons comptes. Peut-être même, pour lui, oserait-elle croire qu'elle n'est fidèle que par amitié.
    Foutaises.

    L'azur grisé se plante dans le dos du Sombre tandis qu'il fuit alors, requête déposée, mains proprement lavées. Pas un sourire encore, alors qu'elle interpelle la tenancière, l'arrachant à nouveau à un client babillant, grognant qu'on lui apporte de quoi se mettre en route. Une bonne bouteille de rouge.

    Et de payer, rubis sur l'ongle, des derniers deniers qu'il lui reste. Il était temps.

    [Au lendemain, matin brouillard, Manoir du Montbazon-Navailles, Autun]

    La porte accuse fidèlement les coups de botte d'une acharnée. Une bouteille de rouge dans une main, une pomme entamée dans l'autre, Cyrielle est au matin ce que la rosée est au soir... Inappropriée. En vérité, elle n'a du s'oublier à dormir que quelques minutes profondes alors qu'un poing foutrement bien lancé lui brouillait l'oeil valide. Ainsi, fraîche comme peut l'être une gueule de bois, la pâteuse & le moral au fond des bottes, l'insensée toque. Et compte bien à ce qu'on lui ouvre.

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Angelo_rhaenys
    | Manoir Montazon-Navailles, Autun, le lendemain, trop tôt. |


Grrmm...

La voix du domestique se fit plus pressante, et il entendit vaguement le fait qu'une femme "marquée" voulait le voir et n'hésiterait pas à démolir le manoir pierre par pierre s'il n'allait pas à sa rencontre dès maintenant.
Les paupières qui étaient lourdes s'ouvrirent totalement et les yeux noirs fixèrent le plafond de sa chambre.
Cyrielle était donc venue. Bah, il s'en doutait. Angelo commençait à la connaître, cette fauve là, et il savait que sa proposition offrirait peut-être davantage à la borgne que ce qu'elle aurait désiré et espéré.
Il soupira une dernière fois de son sommeil amputé et de la chaleur de ses couvertures qu'il devait quitté, puis jetant ses draps par terre, se leva, nu comme au premier jour, et jeta au domestique un regard farouche, qui pourtant n'avait rien fait d'autre que faire son travail.


Fais patienter la bougresse en lui offrant un verre de... de Jurançon. Ce n'est pas le meilleur de ma cave, mais cela est tout de même déjà bien trop pour quelqu'un de son statut.

Un frisson parcourut son corps, et le Sombre rajouta séant :

Et pourquoi diable fait-il si froid dans ce manoir ? L'on aurait l'impression d'être un tombeau ! Surtout avec votre sale teint livide.

Le jeune domestique, à peine plus âgé que son maître, bredouilla quelque chose qu'Angelo ne comprit pas. Agacé et cherchant ses culottes d'un regard rapide, il jeta un nouveau regard noir au jeune homme présent.

Qu'as-tu dis ? Tu sais bien que je ne supporte pas les messes basses dans ma demeure !

Le ton était colérique. Non, le jeune loup n'était pas du matin, et cela se sentait à son humeur. Le domestique répondant au nom d'Ehnann lança un regard gêné à Angelo qui lui présentait désormais son dos et son derrière en toute vraisemblance tandis qu'il farfouillait dans un meuble en quête de vêtements, et répondit d'une voix hésitante.

C'que... M'Seigneur, c'te cageot vous avez coûté t'un bon bout d'vot' bourse à c't'époq'là. Et v'z'auriez qu'j'pense moins froid 'vec vos beaux v't'ments.

Finissant d'enfiler sa chemise qu'il ne prit pas la peine de fermer, le Montbazon-Navailles se tourna vivement vers l'autre, le regard d'un froid d'acier.

Depuis quand gérez-vous mes finances et la manière dont je me vête ? Sortez d'ici.

Sans un mot le jeune homme partit, laissant le Sombre ruminer sur sa grasse matinée manquée et sur le fait qu'il avait bien le droit de se promener à poil chez lui s'il en avait envie. Depuis quand les gueux avaient des paroles sensées, de toute manière ?

[...]

Quelques minutes plus tard, il rejoignit son invitée dans le salon principal au rez-de-chaussée, seulement couvert de sa chemise de coton ouverte et de braies, de manière peu noble donc, les quelques domestiques de la mesnie ayant allumée promptement foyers et torches dans la demeure afin d'en adoucir la rigueur de l'hiver qui arrivait. Bien peu préoccupé de la réaction de la blonde, il s'assit sur un fauteuil, près de la cheminée, savourant les émulsions de la chaleur qui s'en échappaient et réchauffaient son jeune corps vigoureux. La visage tourné vers les flammes, il n'émit aucun mot au début, semblant plongé dans ses réflexions, savourant la quiétude du moment. Puis lentement, le visage, dont les yeux avaient perdu de l'ardeur de la veille, se firent las comme la question qui allait venir, se posant sur la figure sale de Cyrielle.

Alors, mon amie. J'imagine que vous n'avez pas... subi, ce chemin, pour m'offrir une réponse négative à la proposition plus que généreuse que je vous ai faite, n'est-ce pas ?

Cette partie était jouée d'avance. Sans échec et mat, il savait pourtant qu'elle obtenait ce qu'elle dont elle avait besoin, et qu'il en était de même pour lui.
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Cyrielle.
    Et tandis que le nobliau se balade nu comme un ver à l’étage, Cyrielle, elle, prend possession des lieux. Bouteille & pomme sont remises aux bons soins d’un domestique ahuri, avec une force brute, de celle qui sied aux bons ivrognes. Pourtant, la borgne ne l’est pas tant que ça. Tout juste quelques parfums encore ont-ils l’honneur de lui embrumer les pensées, mais la chose est si facile à balayer qu’il devient inutile d’en discuter plus longtemps.

    Non, donc, Cyrielle n’est pas saoule. Frigorifiée, par contre, elle l’est, & c’est sans doute d’ailleurs ce qui la pousse à venir se planter devant l’âtre dès lors que le Montbazon a fait son entrée, se saisissant au passage de la timbale de blanc présentée par une main discrète.

    « Plus que généreuse… Comme vous y allez fort. »

    L’azur grisé s’empare un instant de la silhouette du jeune noble, tout juste vêtu de braies & d’une chemise ouverte, comme une insulte à la décence. Cessons ces simagrées & mettons-nous à nu. La trentenaire, elle, prend son temps pour défaire les lacets qui retiennent sa cape d’un lin grisâtre & élimé, & pour la lancer sur une de ces silhouettes qui se cachent dans tous les recoins de maisons de noble.

    « Vous ne prenez déjà plus la peine de vous vêtir décemment devant moi… »

    La timbale est levée fugacement, accompagnée d’un sourire mesquin.

    « Et vous m’offrez sournoisement un moelleux enflammé, impérieux, traître comme tous les grands séducteurs*… de ceux qu’on boit facilement & qui endorment vite. »

    D’une enjambée, elle se rapproche, s’accroupissant devant lui telle une mère grondant son enfant, pour murmurer, perfide : « je ne sais si je dois être outrée d’une telle mesquinerie… ou flattée que vous me fassiez profiter d’un vin que jamais femme de ma condition ne peut être amenée à goûter… ». Et de se relever, fière de sa petite scène, comme si l’envie de prouver son expérience avait été plus forte que sa retenue.

    Car si Cyrielle est roturière, boueuse & élimée, marquée aux poches trouées, il n’en reste pas moins qu’elle a la chance ou le malheur, au choix, d’avoir servi tripotée d’inconscients aux caves débordantes. L’homme se reconnaît aux vins qu’il désigne à chacun.

    Les talons claquent, l’un contre l’autre, le corps se plie, la main sur le cœur, dans une révérence toute masculine brûlante d’ironie.

    « Je suis vôtre, monseigneur. »

    Et la timbale d'être vidée tout juste le corps redressé.


* Volé à Colette : « Je fis, adolescente, la rencontre d'un prince enflammé, impérieux, traître comme tous les grands séducteurs : le jurançon »
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Angelo_rhaenys
      « Les paroles s'envolent, les écrits s'effacent, seuls les actes sont gravés dans le marbre du temps. »


Le jeune loup écouta la borgne, sans lui montrer plus d'intérêt. Oh, elle n'avait aucun besoin de le voir manifester de l'intérêt, elle savait qu'il était du même acabit qu'elle, à écrire à l'encre dans son esprit chaque parole et chaque mot prononcé, à analyser et à transformer chaque intonation de la voix en un sentiment bien précis, car tel était le jeu qu'ils jouaient, que cela soit là, ou dans leur vie quotidienne.
Alors, le Sombre l'écoutait, plongé dans ses pensées tout en réfléchissant aux paroles délicieuses que les lèvres de la trentenaire prononçaient avec une aisance qui lui coulait comme un nectar délicieux aux oreilles. Elle avait certes des difficultés pour écrire, mais toujours était-il que son verbe était presqu'aussi affûté que sa lame et que sa langue se trouvait presqu'aussi habile que son poignet.

C'est ainsi que les flammes crépitaient sans autres bruits depuis plusieurs minutes avant que le Montbazon-Navailles ne se décide à réagir. La coupe de vin est portée aux lèvres vermeilles et charnues du jeune homme, une main nonchalante rabat un pan de la chemise sur le torse couvert d'une légère toison brune, puis se pose sur l'accoudoir du fauteuil dans un geste calculé.
Le regard noire ne dévie pourtant pas encore des flammes aux couleurs orangées, l'âtre gardant possession d'une partie de son esprit.


Qu'importe ma tenue, chère amie. Ne sommes-nous pas plus intimes que des amants ? Non pas physiquement, mais nous connaissons tous deux très bien les recoins sombres de nos esprits, plus que toute autre personne de nos entourages respectifs. Et je te sais bien indifférente de ma personne, comme je le suis de la tienne.

Les mots sonnaient comme un constat, comme l'évidence, comme dire que la lumière est la rivale des ténèbres ou que l'homme est mortel. Tous deux avaient tâté l'esprit de l'autre, et quid de plus intime qu'un esprit ?

Peut-être t'offrais-je ce vin parce qu'il me ressemble ? Ce ne serait pas me glorifier que de me penser enflammé, impérieux et séducteur. Traître pour certains.

Il se lève, lentement, s'approchant des flammes, son regard humide à force de s'y plonger à l'intérieur. Il se retourne et d'un grand geste balaye l'air comme quelqu'un qui embrasserait une scène.

Mais tout ça n'est que fioritures, et nous avons dépassé ce stade. Cela sera à toi d'estimer pourquoi je t'ai offert ce vin et point un autre. Quel piètre joueur je ferais si je te donnais la réponse si facilement ?

Angelo se rassoit, mais cette fois-ci il est tourné vers Cyrielle. Ses yeux ne sont pas aussi froids que d'habitude, mais ne trahissent aucun sentiment.

Mienne ? Tsss... Tu n'es pas une femme prompt à te soumettre. Quand bien même tu serais mienne parce que je t'achèterais, tu as le coeur trop sauvage et le goût de l'argent trop prononcé pour pouvoir m'assurer d'une totale fidélité de ta part. Tu n'es fidèle qu'à toi-même.

Une main se glisse sur sa courte barbe qu'il caresse, choisissant avec soin chaque mot qu'il allait prononcer.

Mais c'est cela qui me plaît en toi, qui te rend l'égal d'un homme, autant que faire se peut. J'aime ton âme, peut-être parce qu'elle semblable à la mienne... ?

Le mot est gardé en suspens, comme si lui-même n'était pas sûr de cette conclusion là. L'oeil soudainement, se fait plus acéré, et la conversation prend un nouveau tournant.

Quel est ton nom, ma chère Cy' ? Tu ne me l'as jamais dis. Un prénom ne me suffira pas, cette fois-ci. Et tu en auras besoin pour le contrat qui te liera à moi. Penses-tu bien que tel accord ne scellera pas aux hasards des paroles, car je n'ai confiance qu'en l'encre et seuls les actes le cristalliseront.

Le visage est impérieux, méfiant. L'engagement ne laissera aucune échappatoire.
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Cyrielle.
Roc de marbre abîmé par les ans, insondable, immuable, & passablement mesquin. Cyrielle n’a pas bougé, de fait, pas d’un pouce, & c’est ainsi, pliée dans la soumission, qu’elle reçoit les paroles du bougre. L’oreille, dissimulée sous la crinière blonde, avale tel un animal affamé les moindres intonations, les moindres soupirs, les moindres pensées supposées du Sombre. A son tour, elle est muette, attentive inintéressée, railleuse dans son sourire déformé qui dévale cratères plus ou moins profonds.

Dans un craquement léger, la longue se redresse, & Rhaenys se lève. Elle ne prend pas la peine de se retourner, elle se contente de graver, de relever, d’apprécier. Et c’est les mains qu’elle croise dans son dos qui emprisonne les paroles qu’elle ne crachera jamais. Parce qu’elles sont inutiles.

Lui dire qu’il se trompe ? Ce serait fausser la réalité. Qu’il a raison ? Tromper le mensonge. Qu’il a plus ou moins tort, & plus ou moins raison ? Inutile. Infondé. Agaçant. Jamais on a dit que constat attendait démenti. Ni même que question attendait une réponse.

De fait, chaque question précédemment posée, chaque interrogation, chaque pensée vague attendant réflexion, est foulée au pied avec la délicatesse qui sied aux gens du bas. D’un pas, elle rejoint le fauteuil, d’une main, elle saisit la coupe pleine & la remplace par la sienne, vide comme une outre desséchée. Et c’est à elle enfin, de lui tourner le dos, se rapprochant de l’âtre, jetant son bleu passé aux flammes voluptueuses.

« L’encre n’a jamais sauvé personne… Elle est bien plus traîtresse qu’un son. On écrit, on rature, on bave & on essuie comme si de rien n’était. Trouvez-vous vraiment cela plus sûr ? »

Un silence se passe avant qu’elle ne reprenne, tournant enfin la tête vers lui, ne dévoilant à son œil avisé que sa face de cratères & de sillons marquée.

« A trop vouloir écrire, monseigneur, on en perdra la mémoire. »

Le haussement d’épaule qui accompagne le constat est si léger que son insolence ne se remarque déjà plus. La brûlure retourne aux flammes, & le menton se relève.

« Marquez donc, s’il vous sied, que Cyrielle Beaumont – Beaumont, vous retenez ? – s’engage à user de ses charmes, de ses remparts, de ses monstruosités & de ses visages pour vous protéger & vous servir envers & contre tous… Jusqu’à ce que vous mouriez de peste, ou que vous soyez ruiné. »

Tout en disant cela, la main occupée par la coupe pleine s’amuse à balancer aux rythmes de ses mots. Nonchalante, elle se tourne enfin, vidant la coupe à ses lèvres avant de la poser sur le second accoudoir. Inutile d’être illuminé pour affirmer que la borgne n’est pas du genre à laisser de traces, & moins encore de traces écrites.

« J’espère, très cher, que vous ne vous vexerez pas pour quelques malheureux parchemins brûlés ? »

Et un clin d’œil de partir en direction du brun.
Cyrielle est aussi conciliante qu’on pouvait l’espérer.
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