Charlyelle
Il faisait grand froid et le flambeau mystérieux de la nuit éclairait un ciel pur et répandait un demi-jour très voluptueux. Par intervalles, elle admirait la beauté du paysage, le calme de la nuit, le silence touchant de la nature. Frissonnante malgré qu'elle soit bien couverte, sous une brise matinale et balsamique. Bourgogne. Sémur. Là voila arrivée.
Et c'est auberge qui parait sur lequel elle jette son dévolu. Une élévation, tenant lieu de perron, régnait sur toute la longueur de la bâtisse, et un balcon suspendu en ombrageait le rez-de-chaussée. Quoiqu'enneigée, la cour était propre. Les murs, bien lavés au savon, brillaient comme des glaces. Les portes et les fenêtres étaient garnies en bronze et en argent et semblaient dénoter d'un ordre merveilleux. Les chemins étaient sablés de sable fin et brillant ; tous les monticules étaient soignés comme des gâteaux damandes ; les arbres étaient taillés en charmille ; les buissons, en vase de fleurs, en colonne ou en éventail. La création semblait avoir passé sous l'outil du menuisier.
Rien navait gardé sa forme naturelle. Il y avait un pont sur lequel nauraient pu se croiser deux poules, des fleurs en acier, des Chinois en bois, se cachant du soleil dété sous des parasols au mois doctobre ; un chasseur ajustant un canard qui, depuis vingt ans, navait pas eu lidée de senvoler du lac.
L'aubergiste, une femme dont on croirait le physique taillé dans celui d'une petite poupée blonde, s'empressa de montrer sa chambre à cette cliente étrangère. Elle lui montre fièrement les tapis qu'elle a brodé, les dentelles séculaires, les couvertures de brocart, et elle jouit franchement de la stupéfaction de la brune à la vue du lit. Et il n'avait rien à envier à celui que possédait la Pallikare en sa roulotte. Celle-ci était d'ailleurs sous la garde d'Ilug auquel elle n'avait donné aucun signe de vie.
Des piles de coussins, qui allaient toujours en diminuant, semblaient monter à limmortalité en une double pyramide ; un baldaquin, en dentelles pareilles aux nuages descendait du ciel jusquà terre, et une couverture de satin blanc sétendait sur limmense surface du lit, pareille, pour la couleur, à la surface dune mer dazur pendant les beaux jours de lété. Charlyelle courrait certainement le risque d'être noyée dans les plumes et les duvets.
Demain avait cessé d'exister pour l'Ecossaise qui vivait au jour le jour. Il voulait qu'elle soit discrète, rien de tel que de descendre dans une auberge huppée pour ce faire. Bien plus discret que la roulotte de toute manière. Et il lui était aisé à la Dentellière de se fondre au sein du lieu.
Et pour ce faire, elle portait comme vesture une tunique simple de cachemire à longues manches évasées, échancrée à la grecque dans sa partie supérieure, serrée et plissée à la taille, libre de toute autre étreinte, par une ceinture de maroquin rouge, brodée dor, incrustée de rubis, dopales, de turquoises, et sagrafant par un splendide camée représentant le portrait de sa mère. Unique bijou avec sa fibule que Charlyelle possède, ayant appartenu à sa figure maternelle. Jamais passé ne fut à la fois plus sombre et plus éblouissant que celui de l'Ecossaise. Et du plus loin qu'elle s'en souvient, elle se revoit, enfant de trois ou quatre ans, vêtue d'une robe de toile, marchant pieds nus par une route de montagne, au milieu des brouillards et de la pluie de son Shetland natal, s'attachant de sa petite main glacée à celle d'Ilug. Parfois, elle voudrait être toujours restée cette enfant qui ignorait encore, qui était son père.
Elle senveloppait comme dun manteau dun large châle indien, aux couleurs changeantes et à fleurs dor, qui plus dune fois, dans quelques soirées intimes et riantes avec Ilug au coin du feu, lui avait servi à danser ce pas du châle quelle avait inventé et qu'elle ne dansait que très rarement.
Elle hoche la tête en écoutant l'aubergiste. Ces derniers temps, elle n'a pas connu le moelleux d'une couche, préférant dormir à la belle étoile, même sous un froid glacial. Par prudence, elle a refusé qu'Ilug déplace la roulotte et a même renvoyé le vieil homme sur Montpellier.
Aussi, dans l'immédiat, elle n'a envie que d'une chose. Et il faut croire que sans avoir besoin de demander, ses voeux sont exaucés. Un baquet de bois et des seaux d'eau fumante qui lui passent sous le nez, portés par quelques meschines. Une autre est déjà en train d'aligner plusieurs flacons sur une table. Un carré de toile est déplié et des morceaux de cire verte les rejoignent. A l'odeur, l'experte qu'elle est sait déjà qu'il s'agit de savon le plus fin qui puisse se trouver hors de Castille, à base d'huile d'olive et de lait d'amande. Une autre sortait également un peigne, une brosse et quelques autres fioles d'un coffre de bois.
Tout en conservant son calme en surface, elle inspira vivement entre ses dents. C'est qu'elle avait l'impression d'être mise devant le fait accompli alors qu'elle n'avait pas encore décidé si elle descendrait icelle ou pas. Elle n'avait pas conscience de la boue et de la poussière qui recouvrait sa peau par endroit. Vestiges d'une galopade effrennée dans quelques larges flaques. Mince comme un roseau, elle montrait dans son maintien une sorte de grâce inconsciente qui rappellait la légèreté et la joliesse d'un jeune saule. Et elle carra les épaules, comme pour se préparer à une défense. Puis elle se détendit légèrement, se fendit d'un sourire et d'un hochement de tête, accepta l'invitation de l'aubergiste.
Un instant plus tard, tout ce petit monde s'en était évaporé des lieux, et elle se retrouvait seule devant un baquet fumant...
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Et c'est auberge qui parait sur lequel elle jette son dévolu. Une élévation, tenant lieu de perron, régnait sur toute la longueur de la bâtisse, et un balcon suspendu en ombrageait le rez-de-chaussée. Quoiqu'enneigée, la cour était propre. Les murs, bien lavés au savon, brillaient comme des glaces. Les portes et les fenêtres étaient garnies en bronze et en argent et semblaient dénoter d'un ordre merveilleux. Les chemins étaient sablés de sable fin et brillant ; tous les monticules étaient soignés comme des gâteaux damandes ; les arbres étaient taillés en charmille ; les buissons, en vase de fleurs, en colonne ou en éventail. La création semblait avoir passé sous l'outil du menuisier.
Rien navait gardé sa forme naturelle. Il y avait un pont sur lequel nauraient pu se croiser deux poules, des fleurs en acier, des Chinois en bois, se cachant du soleil dété sous des parasols au mois doctobre ; un chasseur ajustant un canard qui, depuis vingt ans, navait pas eu lidée de senvoler du lac.
L'aubergiste, une femme dont on croirait le physique taillé dans celui d'une petite poupée blonde, s'empressa de montrer sa chambre à cette cliente étrangère. Elle lui montre fièrement les tapis qu'elle a brodé, les dentelles séculaires, les couvertures de brocart, et elle jouit franchement de la stupéfaction de la brune à la vue du lit. Et il n'avait rien à envier à celui que possédait la Pallikare en sa roulotte. Celle-ci était d'ailleurs sous la garde d'Ilug auquel elle n'avait donné aucun signe de vie.
Des piles de coussins, qui allaient toujours en diminuant, semblaient monter à limmortalité en une double pyramide ; un baldaquin, en dentelles pareilles aux nuages descendait du ciel jusquà terre, et une couverture de satin blanc sétendait sur limmense surface du lit, pareille, pour la couleur, à la surface dune mer dazur pendant les beaux jours de lété. Charlyelle courrait certainement le risque d'être noyée dans les plumes et les duvets.
Demain avait cessé d'exister pour l'Ecossaise qui vivait au jour le jour. Il voulait qu'elle soit discrète, rien de tel que de descendre dans une auberge huppée pour ce faire. Bien plus discret que la roulotte de toute manière. Et il lui était aisé à la Dentellière de se fondre au sein du lieu.
Et pour ce faire, elle portait comme vesture une tunique simple de cachemire à longues manches évasées, échancrée à la grecque dans sa partie supérieure, serrée et plissée à la taille, libre de toute autre étreinte, par une ceinture de maroquin rouge, brodée dor, incrustée de rubis, dopales, de turquoises, et sagrafant par un splendide camée représentant le portrait de sa mère. Unique bijou avec sa fibule que Charlyelle possède, ayant appartenu à sa figure maternelle. Jamais passé ne fut à la fois plus sombre et plus éblouissant que celui de l'Ecossaise. Et du plus loin qu'elle s'en souvient, elle se revoit, enfant de trois ou quatre ans, vêtue d'une robe de toile, marchant pieds nus par une route de montagne, au milieu des brouillards et de la pluie de son Shetland natal, s'attachant de sa petite main glacée à celle d'Ilug. Parfois, elle voudrait être toujours restée cette enfant qui ignorait encore, qui était son père.
Elle senveloppait comme dun manteau dun large châle indien, aux couleurs changeantes et à fleurs dor, qui plus dune fois, dans quelques soirées intimes et riantes avec Ilug au coin du feu, lui avait servi à danser ce pas du châle quelle avait inventé et qu'elle ne dansait que très rarement.
Elle hoche la tête en écoutant l'aubergiste. Ces derniers temps, elle n'a pas connu le moelleux d'une couche, préférant dormir à la belle étoile, même sous un froid glacial. Par prudence, elle a refusé qu'Ilug déplace la roulotte et a même renvoyé le vieil homme sur Montpellier.
Aussi, dans l'immédiat, elle n'a envie que d'une chose. Et il faut croire que sans avoir besoin de demander, ses voeux sont exaucés. Un baquet de bois et des seaux d'eau fumante qui lui passent sous le nez, portés par quelques meschines. Une autre est déjà en train d'aligner plusieurs flacons sur une table. Un carré de toile est déplié et des morceaux de cire verte les rejoignent. A l'odeur, l'experte qu'elle est sait déjà qu'il s'agit de savon le plus fin qui puisse se trouver hors de Castille, à base d'huile d'olive et de lait d'amande. Une autre sortait également un peigne, une brosse et quelques autres fioles d'un coffre de bois.
Tout en conservant son calme en surface, elle inspira vivement entre ses dents. C'est qu'elle avait l'impression d'être mise devant le fait accompli alors qu'elle n'avait pas encore décidé si elle descendrait icelle ou pas. Elle n'avait pas conscience de la boue et de la poussière qui recouvrait sa peau par endroit. Vestiges d'une galopade effrennée dans quelques larges flaques. Mince comme un roseau, elle montrait dans son maintien une sorte de grâce inconsciente qui rappellait la légèreté et la joliesse d'un jeune saule. Et elle carra les épaules, comme pour se préparer à une défense. Puis elle se détendit légèrement, se fendit d'un sourire et d'un hochement de tête, accepta l'invitation de l'aubergiste.
Un instant plus tard, tout ce petit monde s'en était évaporé des lieux, et elle se retrouvait seule devant un baquet fumant...
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