Un moment, Clémence crut s'être trompée. Un long moment, à vrai dire...
Lorsque la porte s'entrouvrit, elle eut peine à distinguer l'esquisse d'un visage, la semi pénombre de l'intérieur contrastant sérieusement avec l'ensoleillement extérieur. Et lorsqu'enfin elle put mettre des traits sur la voix qui venait de la saluer, seule la retenue dont elle avait appris à faire preuve la retint d'avoir un mouvement de recul. Cela faisait quelques temps, oui, qu'elle n'avait pas eu l'occasion de voir le Maréchal de Meaux. A vrai dire, même lors de son séjour sur les terres du Vicomte San Antonio, elle n'avait fait que le croiser de temps à autre. Et pourtant, lors de leur première discussion, il lui avait semblé intéressant. Courtois, affable, souriant, sans en paraître niais, au contraire. Cela faisait donc longtemps, mais si longtemps, que tant de chose avait pu le changer ? Etait-ce lui, réellement, ce personnage défiguré par cette cicatrice, causée selon toute probabilité, par l'oeuvre du feu ? C'était lui, puisqu'il l'avait lui-même reconnue au premier coup d'oeil.
-Le bonjour...Maréchal...Gabriel... hésita-t-elle, déroutée par l'image qu'il lui rendait. Il la fit entrer, et elle ne put que constater l'état de la pièce, non sans avoir avant remarqué le sien.. Son regard, pourtant, très vite s'était détourné, gênée par ce qu'elle surprenait, et affolée par ce qu'elle devinait.
Je vais bien, très bien. Répondit-elle de façon évasive, tentant de reprendre un semblant de dignité. Il ne fallait surtout pas que ses sentiments transparaissent, il fallait qu'on croit qu'elle n'avait rien vu ou ne s'en souciait pas. Merci, mais je ne veux rien à boire. Je ne vais pas rester longtemps, je ne veux pas vous déranger, je suis juste là pour vous demander un service. Je vous fais confiance, le Vicomte de Meaux est un ami de la famille et il n'aurait pas engagé n'importe qui à son service. Vous semblez homme de valeur et pour cela...
Sa phrase resta en suspens, alors que la porte du fond s'était ouverte, découvrant une jeune femme à moitié nue. Clémence était une jeune noble : elle avait été élevée par la noblesse, avait grandi avec elle, et on lui avait donc inculqué des valeurs auxquelles elle croyait et qu'elle s'efforçait de respecter. Et ce qui se déroulait sous ses yeux... Elle observa la scène, déconcertée, d'abord, désarçonnée, interloquée. Son regard ne pouvait se détacher de cette dame... de cette femme qui ne semblait absolument pas contrariée du spectacle qu'elle offrait. Avait-elle seulement une quelconque notion de ce qui se faisait et de ce qui ne se faisait pas ? De ce qu'on réservait à l'intimité et de ce qu'on pouvait montrer en présence d'inconnus ? Et elle-même, était-elle aussi invisible, dépourvue d'intérêt ou de considération pour que cette... fille s'autorise à se présenter de la sorte ? Clémence la laissa donc continuer son petit manège, dont elle ne perdit pas une miette, autant pour la curiosité que ce jeu lui inspirait que pour la colère qu'il provoquait. Jamais elle n'avait encore vu une chose pareille.
De toute évidence, nous n'avons pas reçu la même éducation. Lâcha-t-elle finalement d'un ton froid, alors que son interlocutrice gagnait les fourneaux. Ses sourcils se froncèrent et son regard bleu brilla un peu plus fort. Je ne voudrais pas vous faire la morale, je n'estime pas en posséder le droit et pourtant, laissez-moi vous dire qu'il y a une attitude à adopter en présence d'inconnus, en présence de personnes d'une condition supérieure. Et la vôtre est tout à fait à blâmer. Je n'ai pas l'habitude de tenir de tels discours, mais dans cette situation, je ne vois pas d'autre alternative. Tout cela m'embarrasse, et j'ai autant honte pour vous que pour moi.
Fébrilement, elle se leva. Son regard glissa sur Gabriel, lui en voulant autant qu'à cette fille, de lui offrir ce genre de scène.
Je suis désolée de vous avoir dérangés. Cela ne se reproduira plus. Et elle s'apprêta à sortir.