Johannes
Ma chère,
Pardonnez-moi d'écrire si tard. Je m'adresse à vous comme un vieil enfant repentant, qui n'aurait pas suivi sa leçon. Vous souvenez-vous de nos entrevues dans ce rade, planté dans les terres qui longent l'abbaye de Tastevin ? Un jour, nous nous promenions sous des arbres qui étaient encore verts. Vous étiez à mon bras, à croire que je donnais encore le bras à cet âge, en regardant les branches pour vous donner un air d'absente. Nous causions de nos avenirs et vous avez professé : Vous, vieux, beau, volant les jours d'une jeunesse ? Moi, épousée d'un hobereau, à broder sur des gants bleus.
N'allez pas penser que j'ai retenu tous nos échanges à la lettre, beaucoup sont effacés, mais cette phrase revient m'hanter le caisson depuis deux jours. Vous devinerez facilement pourquoi. Marrez-vous Choderlos, de vos présages amers. Marrez-vous du vieux, qui traîne une peine annoncée depuis des années. Je donnerai cher, pour vous baver mon histoire d'amour autour de quelques verres, quand les autres ronflent en haut et que vous jugez en riant, bien âpre, bien fière. J'espère que vous avez respecté votre part du contrat et que vous faites de la couture sur des paire de gants, pour y graver des armoiries que les gens ont oubliées depuis des siècles.
Je vous raconterai mon histoire par le menu, un autre jour, avec des mots plus propres - à cette heure je ne saurais causer que de tripes, de blonde et de fuite.
J'irai vers l'Est - je viens de prendre cette décision en grattant ma bafouille. L'Est fourmille de bleds paumés, aussi abandonnés que vos armoiries. J'y trouverai bien un lac pour y tremper mes pattes et ma gamberge. Les quelques moments que je viens de passer en société des mauvais du royaume - pardon, de l'Anjou, m'ont fait comprendre que je devrais me ranger. Je tire donc une double révérence en quittant ce duché, j'ignore encore quelles génuflexions cela implique, mais elles s'annoncent belles. J'ai réglé mes affaires sur Paris, je pense que personne ne viendra se pointer jusqu'en Helvétie pour de vieilles dettes. Au pis, je me cacherai dans le lac.
Maintenant, vous savez où j'en suis dans les grosses lignes. Au demeurant, ma carne se porte encore bien, je n'ai pas perdu de membres et me suis préservé de toutes les balafres, non plus toujours frais comme un ange donc, mais conservé comme un antique pot de cotignac. C'est charmant, sur une étagère. Peut-être vais-je reprendre mes études sur les humeurs, à troquer son amer contre des calculs, on s'en trouve bien ? Peut-être ma blonde sortirait de mon crâne, pour se poser sur l'étagère, à côté du pot de cotignac jusqu'à ce que les rides lui viennent. Voilà l'horreur de quitter une jeunesse, on garde son minois calqué en mémoire, et elle ne prend jamais de rides.
Vous aurez bientôt d'autres nouvelles.
Johannes
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Pardonnez-moi d'écrire si tard. Je m'adresse à vous comme un vieil enfant repentant, qui n'aurait pas suivi sa leçon. Vous souvenez-vous de nos entrevues dans ce rade, planté dans les terres qui longent l'abbaye de Tastevin ? Un jour, nous nous promenions sous des arbres qui étaient encore verts. Vous étiez à mon bras, à croire que je donnais encore le bras à cet âge, en regardant les branches pour vous donner un air d'absente. Nous causions de nos avenirs et vous avez professé : Vous, vieux, beau, volant les jours d'une jeunesse ? Moi, épousée d'un hobereau, à broder sur des gants bleus.
N'allez pas penser que j'ai retenu tous nos échanges à la lettre, beaucoup sont effacés, mais cette phrase revient m'hanter le caisson depuis deux jours. Vous devinerez facilement pourquoi. Marrez-vous Choderlos, de vos présages amers. Marrez-vous du vieux, qui traîne une peine annoncée depuis des années. Je donnerai cher, pour vous baver mon histoire d'amour autour de quelques verres, quand les autres ronflent en haut et que vous jugez en riant, bien âpre, bien fière. J'espère que vous avez respecté votre part du contrat et que vous faites de la couture sur des paire de gants, pour y graver des armoiries que les gens ont oubliées depuis des siècles.
Je vous raconterai mon histoire par le menu, un autre jour, avec des mots plus propres - à cette heure je ne saurais causer que de tripes, de blonde et de fuite.
J'irai vers l'Est - je viens de prendre cette décision en grattant ma bafouille. L'Est fourmille de bleds paumés, aussi abandonnés que vos armoiries. J'y trouverai bien un lac pour y tremper mes pattes et ma gamberge. Les quelques moments que je viens de passer en société des mauvais du royaume - pardon, de l'Anjou, m'ont fait comprendre que je devrais me ranger. Je tire donc une double révérence en quittant ce duché, j'ignore encore quelles génuflexions cela implique, mais elles s'annoncent belles. J'ai réglé mes affaires sur Paris, je pense que personne ne viendra se pointer jusqu'en Helvétie pour de vieilles dettes. Au pis, je me cacherai dans le lac.
Maintenant, vous savez où j'en suis dans les grosses lignes. Au demeurant, ma carne se porte encore bien, je n'ai pas perdu de membres et me suis préservé de toutes les balafres, non plus toujours frais comme un ange donc, mais conservé comme un antique pot de cotignac. C'est charmant, sur une étagère. Peut-être vais-je reprendre mes études sur les humeurs, à troquer son amer contre des calculs, on s'en trouve bien ? Peut-être ma blonde sortirait de mon crâne, pour se poser sur l'étagère, à côté du pot de cotignac jusqu'à ce que les rides lui viennent. Voilà l'horreur de quitter une jeunesse, on garde son minois calqué en mémoire, et elle ne prend jamais de rides.
Vous aurez bientôt d'autres nouvelles.
Johannes
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