Osfrid
-
Les flocons saccrochaient les uns aux autres en virevoltant doucement selon la force du vent et Osfrid observait cette danse à travers le carreau dune auberge. Debout, une main sur le mur de pierre glacé, il était là depuis un moment. A quoi pensait-il donc le danois en cette fin de journée alors que la luminosité venait à manquer, que doucement prenaient place les ombres et leur jeu de danse immortelle ?
Inspiration profonde qui se fit entendre dans le silence des lieux, Osfrid était déjà loin de tout ça. Parti vagabonder sur les terres blanches du Nord qui lui manquaient alors que dans son corps résonnait la lassitude dun long voyage. Depuis des mois, il tirait sur la corde et tout nallait pas en sarrangeant. Il aurait aimé être ailleurs, il aurait aimé chevaucher son jutland, le visage offert au vent, il aurait aimé entendre le rire des enfants et les mots tonitruants des amis en taverne partageant un verre dhydromel mais il était ici à attendre Attendre celle qui, au fil des mots, au fil de la plume, était devenue doucement une amie.
Rares étaient les personnes qui arrivaient à le toucher de si près mais lIrlandaise avait réussi ce miracle. Doucement, au gré des mots balancés sur des vélins à nimporte quelle heure du jour ou de la nuit, il avait ouvert la porte de son monde, celui quil tenait jalousement caché. Et elle y avait pénétré, tout doucement, pour sinstaller dans un petit coin et lui tendre la main silencieusement. Et par tous les dieux quil priait, Osfrid en avait besoin.
Atteint de cette rage incendiaire contre certains membres de sa famille, il se détruisait lui-même. Brûlé de lintérieur, incapable de faire la part des choses, il ne savait plus vraiment où regarder alors il lavait appelé à son secours
Il ny avait pas vraiment cru. Il navait pas vraiment eu lenvie non plus de la mêler à tout ça mais un soir, il avait lâché prise. Toucher le fond, il lavait fait. Les deux pieds en avant, Osfrid avait plongé, foncé jusquà commettre limpardonnable ce jour fatidique de retrouvailles.
Poussé à bout, Rouen, Ribe, Paris, la fuite tout cétait enchaîné sans lui laisser un instant de répit et maintenant il lui fallait refaire surface. Mais seul, il avait sombré inexorablement. Sans faire de bruit Qui aurait pu sinquiéter pour lui ? Il offrait une image de lui qui ne ressemblait que de loin à ce quil était devenu. Mais elle avait été là, oreille compatissante ou plutôt yeux rivés sur ce quil lui confiait et de ce fait, lIrlandaise avait glissé delle-même dans cette spirale quil lui offrait. Et par ces mots, et par ces convictions et par ces coups de pieds à lâme elle lavait remis sur la route doucement mais sûrement.
Combien de fois avait-elle joué ce rôle ? Combien de fois Isleen avait répondu présente pour le secouer ? Il ne les comptait plus et doucement, elle lui était devenue indispensable au point de toujours se confier un peu plus à elle. Ses bleus à lâme, ses coups au corps, il les lui avait montrés. Elle ne le jugeait pas, non, elle ne le jugeait jamais, trouvant toujours un mot à coucher sur ce vélin impersonnel qui avait fait la liaison entre eux durant des jours et des nuits. Mais aujourdhui, le danois avait besoin dune présence pour ne pas complètement sombrer. Il avait trouvé une touche de légèreté en retrouvant la petite qui grandissait si vite quil avait limpression de lavoir perdu durant une éternité mais le mal était là, rongeant son cur dhomme.
Un autre soupir tandis que son pouce venait frotter le pli qui barrait son front. Les réflexions étaient profondes mais il savait quil en avait besoin. La dernière fois, lorsquil avait quitté Montpellier, des choses avaient été dites, dautres imaginées, certaines tues par respect et orgueil ou hésitation mais aujourdhui, quen serait-il au juste ?
Osfrid ne savait pas de quoi serait fait demain mais une chose était certaine, la rouquine faisait partie désormais intégrante de son horizon. Elle lui avait promis une bosse sur son crâne de nordique davoir osé la menacer, il lui avait simplement répondu « je tattends ma rousse ». Et là, devant cette fenêtre, il la cherchait du regard.
- Où es-tu mon Irlandaise ? Quand verrais-je à nouveau ce regard pétillant qui ma tant manqué ?
_________________