Mahelya
[phase 1 : le Choc]
C'était là. Dans sa main. Noir sur vélin.
Juste quelques mots pour une multitude de larmes.
Aujourd'hui, ils auraient du passer la journée ensemble à l'atelier. Aujourd'hui, ils auraient du se retrouver après cette si longue absence. Pourtant aujourd'hui c'était l'enfer. Aujourd'hui c'était la mort. La mort d'un couple, la mort d'un coeur, la mort d'une jeune femme. lÉtincelle ne brillait plus. La Flamme était soufflée.
Froissé entre ses doigts se trouvait l'arme avec laquelle il venait de l'assassiner. Un coup, juste, un mais bien cadré, asséné au centre de son palpitant, interrompant son souffle.
Juste quelques mots. Trois fois rien. Mille fois tout.
Un hoquet brisa le silence du salon, et la silhouette assise sur la chaise laissa tomber sans vie son bras, lâchant le petit parchemin.
Juste quelques mots. Quelques gouttes d'encre.
Il aurait tout autant pu l'écrire avec son sang.
Citation: Je suis désolé, je ne peux pas...
Ne m'en veux pas...
Les sinoples humides se posèrent une dernière fois sur l'écriture si bien connue. Une larmes glissa le long de sa joue et du bout du pied elle envoya valser, le poignard de papier loin de sa pauvre dépouille.
Juste quelques mots. A peine quelques traits de plume.
Brisée.
Blessée.
Morte.
Il venait de la tuer et de laisser sa dépouille pour nourrir les charognards.
* Venez bande de Vautour ! Venez vous repaitre de celle que j'eus été, cart aujourd'hui je ne suis plus... *.
Toute envie avait déserté l'Esprit de la jeune fille, et le silence devenait cet amant trop attentionné, qui venait contre son corps s'enrouler, se frotter, s'accrocher, pour mieux l'étouffer.
Juste quelques mots. Des mots qui brisent une vie.
Une autre perle d'eau salée s'échappa des cils de Flamme. Qu'allait-elle devenir maintenant ? Elle qui n'était déjà rien... Elle venait de perdre la lumière de ses ténèbres.
Juste quelques mots. C'est pas grand chose, mais tellement pourtant.
La main blanche essuya le visage aux tâches de rousseurs, l'anneau de métal qu'elle portait depuis ses fiançailles, glacial, vint lui confirmer la dure réalité. Il était parti.
Il l'avait quitté ... Elle sa Fiancée ... Sans autre explication que "je ne peux pas".
Juste quatre mot pour l'assassiner.
Ce contact métallique contre sa peau, fut aussi douloureux qu'une brûlure. Et les larmes se mirent à jaillir avec force du regard émeraude. La respiration de lÉtincelle sans vie devint irrégulière et profondément douloureuse. Chaque goulée d'air qu'avidement elle essayait d'avaler, n'était autre que lames de rasoir meurtrissant un peu plus ses chairs.
Juste quatre mots. Il n'avait même pas eu besoin d'une épée pour la transpercer.
A bout de tout ! Envie de rien. Des sombres pensées vicieuses et pernicieuses se déversaient sinueusement dans son esprit alors que son frêle corps tremblait violemment comme pour repousser loin d'elle la dure réalité de la vie. Il était parti ... Elle n'était plus rien ... Ce ne pouvait être vrai ! ... Jamais il n'aurait pu lui faire ça ... et pourtant si ...
Avec seulement quatre mots...
La tête claqua contre la pierre du sol. Le corps de la jeune fille avait chut de son siège. Les larmes coulaient. Les sanglots couinaient.
- Ha harchi ... Haaarchi ... c'est fini... tout est fini... Laisses-moi crever je t'en prie...
Bien entendu, dès qu'il avait entendu la chute, le valet s'était précipité dans le salon. Et à présent, comme une perle fragile, assit à même le sol, il tenait délicatement la tête de sa filia en pleurs contre son torse, sa main usée par le temps entremêle dans ses boucles de flammes, lui murmurant des mots dont il espérait qu'ils apaiseraient son cur poignardé.
Mais ce n'était que des mots ... Juste quelques mots.
Pourvu que Miel ne la voit pas dans cet état..._________________
Mahelya
[Phase 2 : le Vide]
La brutalité de l'annonce passée, Mahelya avait retrouvé un semblant de contenance, mais en réalité, elle était sur pilote automatique, vidée de la moindre pensée. LÉtincelle se contentait de faire des gestes mécaniques qui ne demandaient aucune réflexion, aucune interrogation. Et si par malheur elle se retrouvait face à un dilemme, elle laissait tout en plan pour faire autre chose de moins compliqué. Bien entendu, son comportement inquiétait vraiment les domestiques de la maison rue de la Justice. Harchi ne cessait de la suivre, le plus étonnant et qu'il pensait sincèrement que la Flammèche ne le remarquait pas. Et Bertille, la cuisinière, ajoutait dans ses plats des monticules de beurre pour être sur que les petite cuillère que la Rouquine avalait la nourrissaient assez. Ce n'était plus du ragout agrémenté d'un peu de matière grasse, mais s'apparentait plutôt à de la matière grasse un peu agrémentée au ragout. Beurk... La seule amélioration par rapport à la semaine passée, c'est qu'elle n'avait plus les yeux rougis. En même temps, elle n'avait plus de larmes pour pleurer. Elle était vide. Il n'y avait qu'en présence de Miel qu'elle essayait de dominer son état léthargique permanent, se contentant pourtant de répondre le minimum aux interrogations de la jeune brune.
Citation:Non, non, non, non
Je ne veux pas prendre l'air
Non, non, non, non
Je ne veux pas boire un verre (*)
Sinon, Mahelya ne parlait presque jamais. Elle n'avait même pas eu le courage de prévenir sa mère, ni même sa cousine, ni même écrit à Sofja, pour savoir comment la Vicomtesse se portait, si elle était au courant, si elle savait quelques choses ? Non ! Et a vrai dire ces questions ne lui effleuraient même pas l'esprit. Déconnectée de tout, elle se complaisait dans la petite bulle qu'elle s'était elle-même fabriqué. Réflexe de défense : "Si personne ne m'approche, plus jamais personne ne me quittera.". Son cur était encore en miette et l'étape de la réparation n'avait même pas encore débuté. Pour tout dire, elle n'avait même pas encore été envisagée.
Parfois, l'obligation de se rendre dans son atelier de Tisserande, la poussait à sortir des quatre murs protecteurs de sa demeure. Ceux qui la croisaient à ce moment, ne devaient pas la reconnaître, ou alors ne pas en croire leur yeux. LÉtincelle ne passait guère plus de temps à se pomponner, aussi semblait-elle souvent négligée. Ce n'était pas faute, pour son entourage d'essayer de la motiver, de la requinquer. Après tout elle n'avait que quatorze ans. Harchi lui avait même suggéré de reprendre le travail. Et pour toute réponse ...
Citation:Je ne veux pas travailler
Je ne veux pas déjeuner(**)
La Flamme de vie l'avait quittée. Puis rien n'avait le gout sucré du bonheur pour la petite Rousselotte. Le vide pour seul compagnon ... *Elle disait que vivre était cruel. Elle ne croyait plus au soleil. Ni aux silences des églises. Même mes sourires lui faisaient peur. C'était l'hiver dans le fond de son cur. *(***)
____________________
(*) Artist: Camélia Jordana
Titre: Non Non Non
(**)Je ne veux pas travailler
by Pink Martini
(***)Francis Cabrel - C'était L'hiver
Merci pour l'inspiration !_________________
Mahelya
[phase 3 : La Colère]
Qui apaise la colère éteint un feu ; qui attise la colère, sera le premier à périr dans les flammes.
(de Hazrat Ali)
Imaginez donc celui qui met en colère une petite Flammèche déjà bien brûlante. Les ruptures, c'est toujours ainsi, d'abord, on essaie d'y croire, puis on se sent vide comme un manchot qui vient de perdre sa précieuse main. Puis le vide se mue en une rage folle et incontrôlable. Et c'est exactement dans l'état dans lequel se trouvait la petite Étincelle. Sa chambre à l'étage de sa maison rue de la Justice avait déjà subit son courroux. Tout avait été mis sans dessus- dessous. Une oreille de plumes d'oie avait même était éventré. Qu'il avait été salvateur de planter la lame d'argent dans le tissus innocent en s'imaginant qu'il s'agissait du Goujat ! Si seulement cela avait pu être lui ! Si seulement il avait osé l'affronter en face ! Mais non ! L'immondice c'était réfugié derrière un mot ridicule, préférant la fuite à la Confrontation.
- Ah ! Cet espèce de ... espèce de ... Vile raclure de fond de crachoir ! Qu'il ose de nouveau se montrer devant moi et je loccis !...
Citation:
Tu bouges, tu bouges?
Je ne bougerai pas, j´attends
Et rouge, et rouge,
Une flamme s´en va, dansant
Et soudain, c´est la terre
Qui s´ouvre, qui s´ouvre,
Vocifère ta colère, qui claque, éclate.
Tu bouges, tu bouges.
Moi je ne bouge pas, j´attends. (*)
- Ce crétin des Alpes ! Cette larve baveuse et répugnante ! Ce marin d'eau douce. J'en fais le serment Harchi ! Si je le voit je le plonge la tête la première dans les latrines ... Comment a-t-il osé se séparer de moi ! Moi tu entends ? Moi ! Marie-Amélya ! J'étais parfaite pour lui ! Parfaite !
TU le sais bien ! Je lui aurait donné ma vie s'il me l'avait demandé ! Mais au lieu de cela ! Il a fuis ! Une fuite ! Un lâche ! Un invertébré sans cervelle !... Ouhhhh !!! je vais ! Je vais .... Si je pouvais je le démembrerai !
Et le pauvre Harchi observait sa prunelle qui se trouvait dans une colère noire. Furibonde, elle arpentait tous les couloirs de la demeure vociférant ça et là des insultes qu'il ne pensait pas qu'elle connaissait. Même l'atelier de tisserande de la jeune fille avait subit sa colère. Au premières lueurs de l'aube, pas encore apprêtée, La Rousselotte s'était rendu dans son antre de tissus et s'était évertuée à démonter, fibre par fibre dans un premier temps, le tissus dont elle s'était servit pour la chemise d'Ilia quelques mois auparavant.
- Ahh il sera bien marron quand il aura besoin de ce tissus pour s'en faire un Mantel ! C'est moi qui avait l'unique stock de cette couleur ! Ahaha ! Adieux Classe et Élégance, Il n'aura qu'à s'habiller dans les friperies !
A présent, elle s'appliquait à détruire tout ce qui avait été en contact de près ou de loin avec le Fiancé fuyant. La maison, habituellement parfaite, semblait un champs de bataille après l'assaut.
Citation:
Tu tonnes, résonnes.
Le bruit de tes cris, maintenant.
Tu casses, agaces.
Le temps a suspendu son temps.
Tu armes tes armes, tu guettes mes larmes
Et je reste de glace,
Méfiante, prudente.
Tes armes, tes drames
Ne m´alarmeront pas, j´attends (*)
Maintenant qu'elle avait réduit en charpie tout ce qui lui rappelait Lui, elle tournait, retournait en rond, exprimant avec hargne quantité d'insultes, totalement inconvenantes pour une jeune fille de son age. Mais le vieil Homme savait, sa Prunelle était blessée, aussi ne disait-il rien et restait-il impassible devant la colère de sa Filia (**). C'était comme un deuil, le cheminement que son esprit effectuait pour enfin accepter qu'il ne serait plus là, à ses côtés, comme il le lui avait pourtant promis.
Soudain le silence tomba, et les sinoples se posèrent sur le vieux valet, parfaitement immobile et muet. Et sans vraiment que l'on comprenne pourquoi, lÉtincelle plongea dans les bras de son protecteur, pleurant à chaudes larmes.
- Pouuuuuuuuurquoiiiiiiiiiii il m'aaaaaaaaaa faaaaiiit çaaaaaaaa ....
_____________________
(*) Chanson La Colère - Barbara
(**) filia : fille en latin_________________