Nizam
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Alors elle aussi, on l'a éduquée à coup de longs paragraphes aristotéliciens. Effectivement cela lui plaisait vu tous ces livres, Nizam ne s'était pas davantage attardé sur le reste avant de passer au bureau, il aurait dû expliquer que la lecture ne fut pas son passe temps favori ces dernières années, alors la légende écrite par Béroul, il ne la connait que de nom et de ce que veulent bien en dire les troubadours. Il avait perdu le temps et l'intérêt de rêver à travers des lignes d'encres, jamais cette pile de papiers reliés ne tirerait un homme de la misère ou du danger, du moins c'était son avis. Un jour sera t-il érudit... Mais pas encore, l'aventure qu'il recherchait ne se trouvait pas entre deux pages. Quant aux manuels de brodeuses, des tisserands, ils lui étaient autant familiers que l'air aux poissons, il n'allait certainement pas entamer une discussion sur un sujet si lointain, si ce n'était pour demander à Mahelya une échoppe où il pourrait se vêtir. Se trainant avec ses tissus, fut-il vénal Nizam avait dépensé ses écus pour chemise et bottes qu'il arborait aujourd'hui, les paires de braies alternaient de la plus au moins usée, la dernière en date, d'un bordeaux foncé, était pliée et enfouie dans sa besace. Il songeait par ailleurs se doter de vêtements mieux adaptés à son nouveau rôle armé auprès de la Rouquine, et qui lui seront toujours utiles au terme de leur contrat, le marché de la capitale satisfera sans doute ses attentes.
Revenons au bureau, avant que les joues de l'Etincelle entrent en concurrence avec la couleur de ses mèches et que sa robe ne devienne plus lisse qu'elle ne l'est déjà. Le lieu donnait légère impression de désordre, le Balafré se doutait que Mahelya devait souvent s'y trouver, c'est là qu'elle écrivait ? La découverte gêna la jeune fille, heureusement qu'elle n'était pas venue rendre visite au blond à Guéret, la propriété dont il avait hérité lui aurait changé son opinion sur l'échelle du foutoir de surface. Qu'il avait hâte de voir l'endroit qui lui était destiné ici, il fera peut-être plus attention en ayant la rousse pour voisine.
Un brin surpris par l'enthousiasme de la Frêle lorsqu'il évoqua le déguisement, son sourire se fit plus hésitant quand elle l'invita à la suivre. Ne lui laissant pas le temps de réagir, elle le fit entrer, lui donnant même siège pour s'asseoir.
Mahelya... Dis-moi que tu n'as pas habitude de recevoir des inconnus dans ta chambre ? C'était pour ainsi dire la première fois que Nizam se retrouvait dans une telle pièce, chambre de fille, noble, dont il était futur employé... Et vous voulez qu'aucun sous-entendu ne traversent son esprit ?
- Hm, je pensais... vous attendre dans le..
Bureau. Trop tard. Il observa un instant les meubles devant lui, les braises rougeoyantes, le lit à baldaquin - ce genre de lit où il posera rarement son dos - alors qu'elle partait se réfugier derrière un paravent. Le blond y posa son regard, réprimant un air amusé en y voyant les peintures, il se détourna pour enfin prendre place au fauteuil qu'elle lui avait désigné. Il sourit en voyant un autre Livre des Vertus sur une table proche de lui, cette maison en était vraiment envahie. Et si elle lui en proposait un ? Ou l'interrogeait sur ses convictions religieuses ? Erf, il ne préférait pas l'imaginer.
Il était silencieux, devait-il parler ? Elle se changeait et il était à peine à quelques mètres, qu'est-ce que l'on dit dans ses moments-là ? Votre robe n'est point trop serrée, songez à limiter votre gourmandise ? Non, non, et la Frêle portait bien ce nom. Besoin d'aide ? Encore moins. Heureusement la voix de Mahelya vint troubler le calme, elle lui donnait les réponses à ses précédentes interrogations. Nizam écouta les paroles, il avait désormais son âge - qu'il n'aurait pas vu si jeune - et un morceau de son passé visiblement mouvementé. Ce mensonge, cette "vraie" famille, cela avait un rapport avec la brève généalogie qu'il avait aperçue avec les tapisseries du couloir ? Les informations ne faisaient qu'attiser sa curiosité, avec cela l'histoire du fiancé... Elle plaisantait ? Le Balafré connaissait peu le monde noble, mais savait que les mariages arrangés n'étonnaient personne; Mahelya aussi jeune et jolie qu'une fille en fleur, à la dot et l'argent n'étant plus à mettre en doute, devait représenter un bon parti pour tout nobliot. Pourquoi donc le fiancé avait renoncé ? Le mariage était une épreuve, mais il devait y avoir plus désagréable compagnie que celle de la rouquine.
Il voulut faire une remarque, mais s'abstint, le ton avait perdu de son enjouement. Ainsi derrière les sourires de l'Etincelle se cachaient des souvenirs plus sombres, à chacun hélas son lot d'ennuis. Lui posera t-elle des questions à son tour ? Exposer en toute franchise son chemin jusqu'ici ne sera sûrement pas à son avantage.
Il laissa de côté cette idée, et se redressa dès qu'il l'entendit.
- Oui, vous pouvez. J'vais vous dire si j'arrive à vous reconnaître et si vous n'faites pas trop gringalet, c'pas gagné.