Ce que Louis Henri appelait la caravane, cétait en fait une sorte de village ambulant. Un village sans maire, sans conseillers municipaux, où la bonne humeur ne régnait pas toujours, mais constitué de gens sachant que les affaires seraient meilleures sils restaient ensemble. Il y avait le Gros Fred, qui possédait trois des chariots du convoi. Ils nétaient jamais pleins, afin quil y ait toujours la place pour ajouter des marchandises achetées à bon prix, histoire de les revendre quelques villages plus loin pour des sommes exorbitantes. Cest lui qui avait appris à Louis Henri à compter sur un boulier, à utiliser une balance pour peser le blé, les fruits et la viande. Et aussi à la bricoler pour avoir moins à payer ou plus à gagner. Le Gros Fred nétait pas un mauvais bougre, mais il ne fallait pas le fâcher. Sinon, cétait une taloche et pas de repas jusquau lendemain, Louis Henri lavait vérifié assez souvent
Il y avait aussi la vieille Nan, qui savait quelles plantes vous soignaient un rhume, quelles autres appliquer sur une cheville foulée ou un bras cassé. Si la vieille Nan était la plus gentille, cétait Loïse la plus jolie. Loïse était la fille de Gérard et de Mirla, qui nachetaient et vendaient que des étoffes. Le Gros Fred et les autres les raillaient souvent, parce quils auraient pu se faire plus dargent et trempant dans dautres commerces. Mais Mirla et Gérard étaient comme ça, seuls les tissus et les vêtements les intéressaient. Et leur fille, Loïse, était la plus jolie.
Mais voilà, la caravane était repartie. Louis Henri, lui, était toujours à Niort. Par les temps qui couraient, les affaires se faisaient difficiles et une bouche à nourrir coûtait cher. Et comme cette bouche à nourrir nétait le fils de personne et que personne ne savait vraiment doù il venait, personne néleva dobjection quand vint lheure de se remettre en route. Le garçon ne comprenait pas. Il ne comprendrait que bien des années plus tard quil était devenu un poids pour les seules personnes quil connaissait et quelles avaient jugé préférable de labandonner. Pour le moment, il ne cherchait pas à comprendre. Ils étaient partis, cest tout, ce nétait pas grave. Il avait bientôt treize ans, il ne connaissait rien au monde, mais ce nétait pas une grosse affaire.
Avisant des bruits de conversations dans une taverne, il y entra. Il y fit la connaissance de Kiki, Johnston et Melie. Au début, il avait été surpris. Ils sétaient tout de suite intéressés à lui, lui demandant comment il allait, doù il venait. Les inconnus quil avait rencontré jusque là lui demandaient combien coûtait son maïs ou quand ses poisson avaient été pêchés, rien dautre. Le Gros Fred lui demandait parfois sil avait faim, la vieille Nan sil avait mal. Quant à Loïse, elle lignorait. Mais ces gens-là, il ne les connaissait pas, et pourtant ils voulaient laider. Louis Henri était surpris. Ce nest pas quil ne voulait pas de leur aide, mais à treize ans ou presque, il pouvait se débrouiller tout seul.
Il comprit par la suite que leur aide ne serait peut-être pas de trop. Quand il suivait la caravane, il aidait le Gros Fred à compter, charger et décharger ses marchandises et ce dernier lui donnait à manger. La nuit, il se couchait sous la bâche dun chariot, ou bien à côté du feu. Mais le Gros Fred était parti avec les autres et il ne lui donnerait plus à manger. Largent, Louis Henri savait ce que cétait. Il en avait tenu assez entre ses mains pour savoir la valeur que lui accordaient les gens. Mais jamais il nen avait eu à lui. Et voilà quon lui disait où le pain était le moins cher, pour quil puisse lacheter sans se ruiner. Lacheter, lui. Avec son argent. Louis Henri était fébrile à cette idée, mais elle lui faisait aussi peur.
Heureusement, on lui avait également conseillé daller voir Renard. Renard soccupait des orphelins et des voyageurs. Renard pourrait laider. Alors Louis Henri se rendit chez Renard, parce quil aurait probablement besoin daide.