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[RP ouvert] Marie vaut bien une messe

Gwilherm
La pluie tombait sur Brest, depuis… depuis quand au fait ? Gwilherm se le demandait bien depuis plus d’un mois qu’il était là, il flottait, pas forcément des cordes, parfois juste de la bruine, mais il flottait. Il se disait qu’il devrait demander à un Ti Zef, un de ces jours. Ne se couvrant même pas, il longeait la digue après sa journée passé au port à maçonner. De l’autre côté du chemin, devant un étal se tenait là une gamine, un peu boulotte, elle devait habiter dans la bicoque derrière, elle était donc du coin, elle pourrait peut-être satisfaire à la lubie du jour du Bréhatin !

- Salud dit Katellig ! Ur goulenn zo ganin... a-c’houde pegoulz ’ra glav ? [Salut petite ! J’ai une question... depuis quand pleut-il ?]
La petite le regarda les yeux écarquillés, interdite par la question saugrenue.
- Ben dam ! N’hellan ket respont... n’em eus nemet 8 vloaz ! [Ben dam ! Je ne peux pas répondre... je n’ai que 8 ans !]
- Ya, evel just... dit-il d’un air dépassé, comme si l’évidence s’abattait sur lui, il pleut tout le temps à Brest. Puis il regarda en l’air, contemplant ce ciel bas et gris, et continua son chemin. Il approchait d’un croisement de rues et distingua la voix d’un crieur.

- Qu’il soitdit qu’une messe ser…

Et le Harscouët recommença à grommeler tout seul sur le fait que même à Brest, on n’utilisait plus que le français et que le Duché était, sinon responsable, au moins complice de cet oubli volontaire de la langue du menu peuple. Mais ce coup ci, il s’interrompit tout seul.

- …arie de Kermorial, Marqui…

Oh Marie ! Si chère Marie ! Si blonde Marie ! Si belle Marie… Le Bréhatin se figea en entendant évoquer le nom de celle qu’il avait sans nul doute aimé, en secret. D’une première rencontre fortuite au beau milieu de la nuit dans une église de Rennes à des réunions sérieuses sur des questions maritimes, de sanglots lourds de sens coulant de ses yeux de femme enceinte esseulée à des regards coupables de désirs partagés, les relations entre la Kermorial et le Harscouët avaient été pour le moins pleines d’émotions de tous ordres.

C’était sans doute en partie à cause d’elle qu’il en était là aujourd’hui, à faire les bars parallèles de Brest-même et de Recouvrance, passant des Ti-Zefs au Yannicks sans aucune considération pourvu que la boisson soit au rendez vous. La descente aux enfers n’avait pas été lente pour le Bréhatin mais brutale, un gobelet, du poison, et vlan, il était passé tout près d’être chargé dans
karrigell an Ankoù et il en remontait à présent lentement, très lentement, des enfers terrestres, après avoir tout perdu si ce n’est la vie. Marie, elle, avait sombré inversement, peu à peu, tristement, vers le trépas… et Gwilherm n’était pas étranger à cela, il n’avait pas été présent pour elle au moment où elle en aurait sans doute eu le plus besoin. Désormais, Marie n’était plus qu’une ombre, un souvenir, qui le hantait chaque jour un peu, alourdissant sa culpabilité et son dépit. Figé – et dégrisé par la même occasion – comme s’il avait la morte en personne rien qu’à l’évocation de celle qu’il se plaisait à appeler vostre Blondeur, l’ancien Amiral écoutait avec effroi la suite de la déclaration.

- …glise de Reoz – tient un mot breton ! se dit-il inconsciemment – ce dimanche seize décembre.

Vlan ! Deuxième coup de massue ! On était le 15, soit la veille de ladite cérémonie et il était quasiment à l’autre bout de la Bretagne… Or pour rien au monde il n’aurait manqué ce dernier hommage ! Il se devait d’être présent. C’était indiscutable. Il retourna au port à pas rapide, se surprenant même à courir, pour faire savoir qu’il ne serait pas là pour les travaux le lendemain, qu’il avait à faire.

Il passa à son auberge, pris un balluchon et y mit des vêtements propres, de cérémonie pour ainsi dire, qu’il avait emmené avec lui sans savoir pourquoi, au cas où. Puis il alla louer un cheval de bon calibre pour chevaucher la campagne de basse et de haute Bretagne afin d’arriver à l’heure, même exténué à Rieux. La nuit fut épouvantable, ventée et pluvieuse, comme si le climat brestois devait le poursuivre à jamais, mais sur son cheval, il ne s’en souciait plus, il faisait galoper son destrier de prêt aussi vite que possible. Les nuages passaient, laissant apercevoir un croissant de lune de temps à autres…


- Seigneur de la Lune, oui… c’est ainsi qu’elle me nommait. Souvenir nostalgique d’une époque définitivement révolue qu’on s’apprêtait à ensevelir définitivement.

Le Harscouët arriva devant les murs de Rieux, descendit de cheval et le tint fermement. La ville semblait vide en ce dimanche matin… Il attacha son compagnon à un poteau prévu à cet effet où il allait pouvoir se désaltérer et continua à pied en direction de l’église, où il distingua quelques silhouettes assez baraquées, l’une d’elle se trouvait devant l’une des portes de l’église, comme attendant un ordre pour entrer. Intrigué de ce qui se tramait et surtout de savoir si on ne laisserait pas enfin Marie en paix, il interpella cet homme.


- Oc’h ober petra emaoc’h 'ta ? [Que faites vous donc ?]

Par précaution, il avait posé la main au fourreau de son épée. Sait-on jamais…
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Ascelin
Il avait fait un premier pas vers l’église à la suite des paroles de Roxanne. La silhouette qui se dessinait dans l’encadrement de la porte mais qui était, à ce stade, toujours trop floue pour y apposer un nom, renforçait la conviction du baron que la Kermorial était bien là et que tout allait se jouer ici.

Qu’avait-il gagné à se livrer à pareille chasse à l’homme ? Un mal de dos ? J’aimerais vous y voir, vous, après pareille trotte. Coup de froid ? Il ne toussait pas encore mais avec un tel vent et une telle pluie, ça ne saurait tarder. Avait-il obtenu l’apaisement ? Assurément que non. C’était même tout l’inverse. La déstabilisation avait fait place à la colère, qui elle-même avait cédée devant l’incompréhension pour finalement laisser pleine expression à une volonté farouche de retrouver la voleuse.

Le constat était là. Il avait était perturbé par cette affaire alors qu’il aurait, à n’en point douter, gagner tout confort à permettre à la Elsa de partir avec le corps. Elle aurait eu à s’en occuper, à le transporter. Il lui aurait incombé aussi l’organisation de l’enterrement, la production des invitations, et la logistique. Bref, elle aurait hérité de la lourdeur de l’office. Et lui ? Lui, il n’aurait eu pour seul souci que de choisir la tenue la plus adéquate, celle qui conviendrait le mieux tout à la fois à la situation, aux personnes et au temps. En somme, des pacotilles à côté du reste. Il était encore temps de faire demi-tour. Il n’aurait jamais eu la certitude qu’elle était là. Elle ne l’aurait pas vu. Tout le monde ne se recroiserait que pour la messe et la mise en terre, l’air innocent, comme si tout était parfaitement convenu entre la sœur de la défunte et son fidèle ami, vassal, filleul, régent, confident aussi.

Oui mais voilà, le jeune homme était ce que certains qualifient de buté ou borné, d’autres appellent ça un homme de principe. L’idée même que l’on se saisisse par fourberie d’un corps le répugnait, qu’on soit de la famille ou non. Ajoutez à cela qu’il avait accompagné la défunte jusqu’en Anjou, lors de son dernier voyage qui la conduisit aux portes de l’Ankou et qu’il avait, à cette occasion, eu tout le loisir de discuter de ses dernières volontés et vous comprendrez la conviction qui l’animait.

Il continuait de marcher. A cet instant, alors que le déluge s’abattait sur lui et ses compagnons, alors qu’il ignorait ce qui l’attendait sur le dallage de pierre de l’église, il était maintenant presque serein, convaincu du bien-fondé de son action et assuré de repartir, d’une façon ou d’une autre, aux côtés de Marie. Peut-être portrait-il le cercueil vers Cesson, peut être partirait-il les pieds devant dans une boite au cimetière avec elle. Ce n’était finalement pas là le plus important.

Petit à petit, la silhouette à la porte s’affinait. Il savait maintenant que c’était une femme et qu’il ne s’agissait pas un clerc. Si un léger doute pouvait jusque-là perdurer, maintenant c’était certain, la Kermorial était la personne adossée au chambranle. Qui d’autre viendrait à l’église pour rester sur le porche à regarder un inconnu approcher ? Personne. Son visage n’était néanmoins pas encore discernable.

Soudain, une voix se fit entendre derrière lui. La pluie qui s’abattait la rendit presque inaudible. Ascelin aurait à peine pu dire s’il s’agissait de celle d’un homme ou de celle d’une femme. Alors quant à en extraire des mots, et plus encore, un sens, c’était impossible. La curiosité fit néanmoins stopper le baron. Il pivota ses anches puis sa nuque d’un quart de tour. A cette distance, les intempéries lui brouillaient la vue. En revanche, il voyait encore Roxanne. Cette dernière regardait elle aussi Ascelin. De toute évidence, elle avait entendu la même chose que lui. Ils n’eurent pas à crier pour savoir ce qu’il convenait de faire. Il fit un signe de tête qui signifiait tout à la fois, « je vais bien » et « occupe-toi de cet imprévu ». C’est ainsi qu’il démontrait à Roxanne qu’il avait toute confiance en elle pour gérer ce type d’évènement. Il n’avait pas fait tout ce chemin pour être stoppé ou même retardé par un inconnu trop curieux. La sœur Kermorial était là, et il était bien décidé à s’entretenir avec elle. D’un pas plus rapide, il acheva le reste de la distance qui le séparait de la porte. Quand il arriva, elle recula pour le laisser pénétrer dans le bâtiment et tous d’eux se retrouvèrent alors cachés des regards extérieurs. Elle s'adressa alors à lui.

Pas même un bonsoir en guise de politesse de façade. Le tempo était donné. De lui rétorquer sur un ton presque aimable.


Si l’on estime que j’ai empêché votre folie de s’accomplir et que le lieu donne caractère cérémonial à votre échec, alors oui, assurément, je viens non seulement y assister, mais également y prendre part.

Il remonta de quelques pas la nef, tournant le dos à son interlocutrice. Certains y auraient vu un signe de dédain, mais en réalité, le jeune homme scrutait les lieux et les rangées de bancs. Une église regorge de cachettes et pour l’heure rien ne garantissait que la Kermorial n’était accompagnait que de l’homme qui siégeait près du corps. Il posa alors son regard sur le visage de la sœur de Marie, lui sourit presque admiratif et repris.

Je dois avouer que je ne m’attendais pas à ce que vous procédiez ainsi. Vous m’avez sans conteste pris de court.

Levant les sourcils.

J’ai même hésité à vous poursuivre pour être tout à fait franc.
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Else
[Dans la sacristie]

Ambiance « fin de semaine difficile ». Le cocher passait d’une porte au foyer, du foyer au cercueil, du cercueil à la table, de la table à l’autre porte, et retour vers la première, d’un pas énergique mais tremblotant. Comme on le comprend. Passer des canassons aux macchabées, vous parlez d’une évolution de carrière !

La lourde porte qui menait à la nef s’était refermée derrière Kermorial dans un claquement métallique ; depuis, plus un bruit. Le crépitement du feu, les grincements du bois qui gonfle, le ronron de la pluie sur les murs, ça compte pas. Voire : quand la musique d’ambiance se fait trop entendre, c’est qu’il commence à y avoir un problème.

Alors qu’il se détournait de la porte de la nef pour regagner l’âtre, il sursauta. Avait-il bien entendu un bruit de pas à l’extérieur ? Ou l’avait-il rêvé ? Il plissa les yeux, scrutant le vantail comme s’il voulait le transpercer du regard. Il s’attendait presque à le voir claquer soudainement, pour laisser le passage à Dieu sait quelle monstruosité prête à le dévorer tout cru. Peut-être même l’Ankou en personne, par l'odeur alléché – et Dieu sait que ça embaume, un cadavre de deux mois – venu récupérer son bien, et qui ne se gênerait guère pour embarquer de la valetaille au passage.

A pas de loups, il s’approcha de la porte extérieure et y plaqua son oreille. Rien… rien du tout… Si ! Là ! Un cliquetis d’arme ! Ah non. Ce n’était que la boucle de son ceinturon qui cognait contre le loquet. Peut-être rien, alors. Peut-être avait-on oublié cette porte-ci. Le cocher fit mentalement le compte. Celle-ci, plus le portail principal, plus la latérale… Non, c’était tout. Quatre zigotos pour trois portes. Pas moyen qu’ils ne les aient pas toutes couvertes. A moins qu’ils aient décidé de concentrer la surveillance sur la voiture. Qu’il avait arrêtée sur le parvis, comme une buse qu’il était. Z’étaient beaux, s’il prenait à Blondine l’idée de filer à la française !




[Dans le corps principal de l’église]


Premières paroles échangées, premier regard levé vers la voûte. La soirée serait longue.

Élisabeth ne se formalisa pas des manières de l’hôte indésirable ; l’hôpital se fout régulièrement de la charité, mais tout de même pas à ce point. Sans songer le moins du monde à lui reprocher sa conduite, donc, elle le suivit des yeux comme on surveille un danger potentiel. Ou un plat sur le feu. Au choix. Alors forcément, lorsqu’il se retourna le sourire aux lèvres… elle n’y comprit rien.
Haussement de sourcils idoine.


- Pas de chance pour moi, en somme. Qu’est-ce qui vous a décidé ? Vous n’étiez pas sûr que je reviendrais, après être tombée sur un os à Rieux ?

De fait… elle n’avait pas rebroussé chemin.

Mais pourquoi, Kermorial ?

Oui, hein, pourquoi ? Elle frissonna, et tira sur son châle pour mettre son mouvement sur le compte de la température.

- Ou bien vous espériez que je serais plus rapide, peut-être ?
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(Helen Kazei / Pierre de Ronsard, Je n'ai plus que les os)
Ascelin
Oui pas de chance pour elle. Quoi que pour le jeune homme, rien de ce qu’il venait de faire n’avait rapport avec elle. Le corps aurait pu être dérobé par le premier ivrogne du fief que les choses auraient été similaires. Non, s’il l’avait poursuivi, ce n’était pas pour se venger d’elle, ni la punir, c’était pour la mémoire du cadavre non loin. Et s’il avait dû ne pas la poursuivre, ce n’aurait pas été pour la satisfaire ou l’encourager, mais pour s’éviter tourments et fatigue alors que le deuil l’habitait encore. Elisabeth était finalement extérieure à toutes les motivations qui animaient le Mauny.

Avait-il espéré qu’elle soit plus rapide ? Que sa poursuite eut été un échec qui finalement l’aurait servi en lui permettant aux yeux de tous d’avoir été celui qui a tenté de retrouver sa suzeraine mais qui en réalité se complaisait du confort de ne pas avoir l’enterrement sur les bras ? Etrange qu’elle en parle, il s’était posé la question en mettant pied sur le parvis. Malgré tout, s’il était là, alors que la possibilité de laisser fuir la Kermorial l’avait effleuré, c’est qu’il n’était de toute évidence pas de ces hommes-là.

Son regard se posa alors sur ses chausses recouvertes de boue. Machinalement, sans la moindre réflexion, il répondit sur un ton légèrement ironique.


L’envie de me dégourdir les jambes, voilà ce qui m’a décidé.

Allez savoir pourquoi il avait répondu pareille ânerie. C’était tout à fait faux. Voyager sous la pluie était tout sauf son passetemps favori. Ceci étant, la réponse qu’il avait adressée lui convenait plutôt bien. Elle avait l’avantage d’éviter à l’homme l’indélicatesse d’éluder les questions et montrait en même temps qu’il n’était ni décidé à subir un interrogatoire, ni à s’expliquer. Et pour cause, c’était à elle de le faire. Il ajouta d’ailleurs.

La véritable question est de savoir ce qui vous a motivé, vous.

A cet instant il regarda Elisabeth droit dans les yeux. La réponse allait certainement conditionner la suite de l’entrevue.
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Else
L'envie de me dégourdir les jambes, voilà ce qui m'a décidé.

Haussement d'épaules en face. Mauny ne voulait rien dire ? Fort bien. Élisabeth ne lui arracherait pas les mots de la bouche. En toutes circonstances et entre autres encombrants préceptes, elle traînait un respect profond pour le silence – même celui des gens qu’elle ne portait pas dans son cœur. Suivez mon regard.
A l’instar du baron, elle baissa les yeux vers les chausses maculées de boue ; mais avant qu’elle eût pu lancer une remarque acerbe sur l’hydrophobie de certain régent indolent, la cible potentielle relevait la tête et chargeait avec aplomb.


La véritable question est de savoir ce qui vous a motivé, vous.

Les délicates arcades sourcilières se brisèrent en circonflexes sans équivoque : dans la famille des diacritiques, je voudrais l’incrédulité grincheuse. Que son vis-à-vis veuille garder le silence, passe ; mais quel mouche le piquait donc, pour ainsi la traiter en gamine prise en faute ? Double sottise. Insulte double.

- Pas moins véritable que la mienne, je vous remercie, répondit-elle sèchement en soutenant le regard de Mauny. Nettement moins pertinente, en revanche. Je ne vois pas ce qu'il y a là de mystérieux.

Non mais sans blague.
A moins bien sûr de reprendre le saugrenu refrain qu’on lui avait servi à toutes les sauces (ou à deux seulement, mais Lise ne fut jamais un parangon de patience), à savoir : qu’elle avait enlevé Marie. Une lueur de colère s'alluma dans son œil.

Il eut été plus simple de s’expliquer tout de suite. Au fond, qu’il n’ait sincèrement rien compris, ou qu’il fasse semblant pour l’une ou l’autre raison obscure, quelle importance ? Idiot ou faux jeton, Mauny ne perturberait pas davantage son quotidien ; et on va toujours plus vite quand on se dit les choses directement. Ne l’avait-elle pas toujours professé ? Pas de faux semblants, pas de détours, rien que des faits. Des faits et de la jugeote. Oui… mais ce qu’Elsa n’attendait pas des autres, elle s’arrogeait le droit de le refuser sans sommation. Et même en faisant fi de son orgueil incurable, qui l'empêchait à tous coups de fournir la moindre justification, il resterait encore un obstacle de taille : ce qui l'avait poussée à forcer les choses n'était rien d'autre qu'une plaie béante. De celle-là, impossible de parler.

Serrant les poings, elle s’aperçut que ses mains tremblaient.

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(Helen Kazei / Pierre de Ronsard, Je n'ai plus que les os)
Ascelin
Sourire presque agacé. Il venait de céder du terrain. Sa question était superflue, elle avait raison. Il fallait trouver une parade, et vite, sinon elle comprendrait qu’elle avait marqué le point et ne louperait pas l’occasion de s’engouffrer dans la brèche pour avoir l’ascendant.

Certains faits justificatifs tels la peine ou le deuil... Vous savez, ce mal intérieur qui vous ronge. Celui qui tel un souffle chaud par des températures négatives vous brule chaque bronche qu’il parcourt ... atténuent les délits commis.

Le mot était lâché : délit. Allait-il provoquer un électrochoc ? Rien n’était moins sûr car, de ce qu’il percevait jusqu’à ce stade, Elisabeth se cramponnait à ses convictions. L’y soustraire était mission difficile, voire impossible. Et c’est pour éviter que l’un des membres de son équipe ne soit capturé ou tué qu’Ethan Hu… euh Ascelin n’avait pas fait appeler la garde. C’était aussi parce qu’il espérait bien régler le conflit à l’amiable. Quoi qu’on en dise, Marie avait eu de l’amour, du respect et de l’affection pour Elisabeth. Elle en avait certainement encore de là où elle était. Il savait que Marie ne cautionnerait pas leur affrontement et encore moins que les armes ou la prévôté ne s’en mêlent.

Ceci m’amène à une nouvelle question. Comment allons-nous venir à bout de cette situation ?

C’était une question plus rhétorique qu’autre chose. Il ne la posait que pour éviter au silence de s’installer. Il se doutait d’ailleurs que la Kermorial allait lui suggérer, avec vigueur, de prendre ses clics et ses clacs et de retourner à Cesson, en la laissant trnaquil. Ce qui serait hors de question. Il fallait maintenant préparer le coup d’après et tenter d’amener un dialogue plus constructif. Ces petites phrases assassines ne régleraient rien. Pour apaiser l’atmosphère, il lui aurait bien proposé de s’asseoir sur un des nombreux bancs de la pièce, mais la situation de n’y prêtait pas. Ce n’était ni la réplique grossière d’une scène de salon de thé, ni une entrevue amicale et souhaitée par les deux interlocuteurs. Pourtant, il était fatigué et un dossier soulagerait son dos endolori par les secousses du voyage. Certains disent que par les pieds on peut guérir les maux de la tête et du bassin. Néanmoins, ce remède de grand-mère ne lui serait d’aucune utilité en l’espèce. Il n’allait pas demander à la Kermorial de lui maser les pieds. Quoi que… Non ,non, une autre fois. Arrêtons-nous là pour le moment.
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Else
Oui, mieux vaut… à moins bien sûr qu’il ne soit déjà trop tard. Au mot de délit, Kermorial avait cessé d’écouter. Comme si l’idée, prenant corps par la bouche du baron, avait heurté en elle un interrupteur secret. Une fois de trop. La soufflerie s’était mise en marche, le vent sur la braise avait fait son office, changeant la lueur de haine en incendie ravageur, et Lise dévorée n’entendait plus rien.

Un sifflement furieux emplit la nef.


- Deux mois. Deux mois, régent de pacotille, baronnet dérisoire. Deux mois que son corps se putréfie dans une caisse en bois. Osez me dire, maintenant, où est le crime.

Elle brandit un index menaçant, ou accusateur, sur Mauny.

- Quelques jours. Il ne m’aurait fallu que quelques jours pour faire ce que vous n’avez su faire en deux mois, si votre évêque ne l’avait pas interdit… Alors au lieu de vous mêler de ce qui ne vous regarde en rien, demandez-vous plutôt…

Un pas en avant – l’index s’appuya sur le pourpoint humide.

- … ce que vous avez fait.

Qu’en dirait Marie, depuis son nuage ? S’habitua-t-elle jamais aux algarades de sa sœur avec tous les hommes de sa vie ?
Si Mauny ne l’avait pas fait sortir de ses gonds, peut-être Kermorial serait-elle convenue qu’il faisait de son mieux pour exécuter les dernières volontés de la morte. Qu'il lui préparait même l’enterrement auquel une marquise avait droit. Confusément, cette vérité déplaisante l’avait sans doute empêchée d’agir plus tôt ; car même morte, Marie continuait de tempérer les emportements élisabéthains. Oui, mais… elle vacille bien vite, la résolution qui ne repose que sur les certitudes des autres ; et voici qu'un coup de savate inconsidéré venait de faire voler en éclat toute velléité de conciliation. Place nette à la douleur.

La pression se relâcha sur la poitrine de Mauny.


- Quand l’avez-vous vue pour la dernière fois, dites-moi ?

Au lieu de s’éloigner, les doigts fins agrippèrent soudain le col du baron. Élisabeth fit volte-face, dans l'intention de l'attirer vers la sacristie et de lui mettre, si l'on peut dire, le nez sur le problème.

Quelqu'un a demandé un électrochoc ? Pour le dialogue constructif, en revanche... on repassera.

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(Helen Kazei / Pierre de Ronsard, Je n'ai plus que les os)
Roxannemontfortlaval
Des trombes d'eau violentes. Torrentielles. Continues. Martèlement régulier sur les pavés glissants. Ascelin était maintenant entré dans l'édifice.

La blonde ne cherchait pas à analyser ce qu'il se passait. Il lui avait demandé son aide, elle avait accepté. Ne pas interférer, ne pas s'interposer, mais rester là. Si le besoin s'en faisait sentir.

Un coup d'oeil sur ses deux escuyers au loin et c'est ainsi qu'elle appréhende la silhouette. Intriguée, elle se rapproche et n'a pas vraiment de mal à reconnaitre une personne qu'elle croisait assez régulièrement dans l'une des institutions qu'ils avaient partagés.
Et ironie du sort. Il fallait qu'elle le croise ce jour. Alors qu'elle courrait après le cercueil de Marie et qu'elle pleurait en silence la mort de Pelotine. Combien de fois n'avait elle pas recueilli les méandres et confidences de celle qui fut une amie si chère, et au creux de l'esgourde, le nom de Gwilherm lui avait été on ne peut plus conté.

Et c'est pour cela qu'elle n'est pas étonnée de le trouver sur les lieux.

"- Penauz ez a an traou ganeoch ?"*

*comment allez-vous ?
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En deuil de ma Pelote, Dame de Concoret & de Naël d'Artignac, Duc du Tregor et Chevalier de Pontekroaz.
Gwilherm
Dans ce frimas dont il n’était que peu coutumier car peu fréquent sur les côtes bretonnes, Gwilherm attendait et tachait d’y voir un peu plus clair, la main posée sur le pommeau de son épée, ce qui changeait de ces derniers temps, où le seul pommeau qu’il voyait finissait ingurgité sans manière. Son épée ? Il ne savait même pas pourquoi il l’avait prise avec lui alors qu’il ne l’avait pas défouraillée depuis belle lurette… Pourtant, s’il n’avait pas combattu, cela ne voulait nullement dire que le danger s’était éloigné de lui ces derniers mois, au contraire, il avait tutoyé la mort sans peur et presque avec une certaine envie par moments.

La silhouette imposante d’homme avait disparu en l’espace d’un instant, semblant contourner l’église, pour laisser apparaitre une autre silhouette, plus petite et plus fine ; celle d’une femme, assurément. Il n’avait pas bu depuis plus d’une journée et ce n’était donc pas la boisson qui lui faisait croire qu’une brute épaisse s’était transformée en donzelle ! D’ailleurs, qu’est ce qui était le plus dangereux ? La femme assurément. Charmeuse, subtile et fourbe le plus souvent ; en tous cas plus que l’homme, habitué à se battre sans chichis, pour ne pas dire bêtement la majeure partie du temps. En résumé, le Bréhatin n’était pas certain d’avoir gagné au change, surtout qu’il savait quel ravage une femme pouvait faire sur un homme – et vis versa – sa présence à Rieux en ce dimanche matin ne témoignait que trop bien de cette cruelle déchéance que peuvent provoquer les sentiments.

Ne desserrant pas sa main du pommeau de son épée, il fit un pas vers la silhouette qui ne lui semblait pas inconnue, à mesure qu’ils se rapprochaient l’un de l’autre. Elle se signala alors par une question qui ne répondait en rien à celle qu’il avait posée en premier lieu. Qu’importe, le dialogue s’installait, c’était plutôt bon signe… C’est ce qu’il estima sur le moment du moins, sans pour autant relâcher sa vigilance.


- Anavezet em boa devezhioù gwelloc’h… amañ emaon evit leñvañ da Varie, n’hellan ket mont mat. (J'ai connu des jours meilleurs... Je suis ici pour pleurer la mort de Marie, je ne peux aller bien.)

Il se tut l’espace d’un instant, regardant si son vis-à-vis bougeait. Parce qu’il y avait inévitablement quelque chose qui ne tournait pas rond dans cette affaire. Les rues étaient désertes et cette femme venait à sa rencontre, ce qui n’avait rien de logique. Si elle avait été là pour participer aux funérailles annoncées, elle aurait dû pénétrer dans l’église, non venir contourner le pieux édifice de la sorte… Quelque chose ne tournait pas rond et il ignorait quoi. Il réitéra donc sa question initiale.

- Ha c’hwi, oc’h ober petra emaoc’h amañ... ? (Et vous, que faites vous ici ?)

Il regardait fixement la jeune femme et, dans la purée de pois qui brouillait la vue dans ces ruelles déjà étroites, cherchait à se souvenir qui cela pouvait bien être. Sa mémoire avait été malmenée, comme tout son organisme, non faute à l’alcool qui semblait l’accompagner plus que de raison ces derniers temps – quoique – mais par la faute du poison pernicieux que Pelotine avait versé dans son verre lors d’une cérémonie d’anoblissement à Nantes, voici des mois, des années, des siècles… Il n’en gardait aucune rancœur, uniquement des séquelles qui s’estompaient peu à peu. Sans doute que faire son deuil de Marie l’aiderait. Quant à Pelotine, il l’avait pardonnée ; elle était plus ou moins dans son bon droit à l’époque. Il se demanda un court instant ce que la croquemort pouvait devenir en ce mois de décembre qu’elle affectionnait particulièrement, si ses souvenirs étaient bons. Puis d’un coup, la lumière, non dans le ciel, mais dans son esprit : Roxanne !

- Neuze, Roxanne ? Petra emaoc’h oc’h ober amañ ? (Alors Roxanne ? Que faites vous ici ?)
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Roxannemontfortlaval
Et la pluie continuait de s'abattre en rafale impitoyable sur les ruelles désolées, projetant avec une violence inouïe des lames glacées sur les statues jacobites qui dominaient les lieux.
Elle imaginait que le cercueil de Marie devait reposer sur un catafalque à l'intérieur de l'édifice. Sans doute drapé d'une lourde pièce de tissu noir. C'est tout du moins ainsi qu'elle osait s'imaginer les choses. Mais elle espérait surtout ne pas à avoir à courir davantage après une morte. Si auparavant, elle voyait des funérailles comme devant être accompagnées de grande démonstration de tristesse et de pleurs, depuis qu'elle côtoyait son hencher, elle avait une vision différente. Celle d'un jour qui marquait bien plus la fin d'une époque et l'occasion de célébrer le début d'une ère nouvelle, toute tournée vers l'avenir, plutôt que le trépas d'une femme.
En ces temps où tout changeait très vite, la jeune femme avait pour perception, neveziad qu'elle est, d'observer ces anachronismes. Un féodal symbolisant un passé révolu et pourtant décidé à maintenir coûte que coûte des traditions qui péréclitaient.

La cloche de l'église se mit à sonner lentement, la tirant de sa rêverie. La cloche, celle censée chasser les esprits mauvais, dont tout le monde savait qu'ils rôdaient pendant une veillée, prêts à profiter de la vulnérabilité momentanée des endeuillés.

Devant elle, Gwilherm lui parlait. Elle observe l'homme avec attention. Elle ne le trouve pas vraiment changé, peut-être plus taciturne et renfermé que ce qu'elle n'a de lui comme souvenir. Et son visage semble plus dur et plus ferme qu'il ne l'était auparavant, dans les méandres de son esprit. Mais pour autant, c'était bien lui. Oui il pleure Marie tout comme elle pleure Pelotine. Mais l'ironie du sort veut-elle donc que ce soit à elle de l'informer du trépas de la Croque-Mort. Elle se tait Roxanne, estimant que ce n'est pas à elle de le lui dire. Et puis il est ici pour Marie. Tout comme elle. Tout comme eux en ce moment.

- Neuze, Roxanne ? Petra emaoc’h oc’h ober amañ ?

Un léger sourire vient éclairer le visage de la blonde. Il l'a reconnue. Elle fixe un moment le regard absent, l'église devant elle et reporte son attention sur le Brehatin.

"- Je suis venue remuer quelques cendres. Enfin pas vraiment, je cours après un cercueil. Celui de Marie. Ascelin qui est son exécuteur testamentaire souhaite lui offrir une cérémonie funéraire digne de ce qu'elle fut, selon les voeux conformes de Marie, mais il semble que son cercueil ait disparu de Cesson. Et il se pourrait qu'Ascelin en ait retrouvé trace en ces lieux. Je ne suis là que pour lui prêter assistance si jamais il en avait besoin."

Ses gris se portent sur Gwilherm avec attention.

"- Je suis heureuse de vous voir, cela faisait longtemps".

Elle se demande ce que dirait sa Pelote si de là où elle se trouve, elle les regarde deviser l'un et l'autre.
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En deuil de ma Pelote, Dame de Concoret & de Naël d'Artignac, Duc du Tregor et Chevalier de Pontekroaz.
Gwilherm
Le froid était là, mais il en avait vu d’autres, en mer notamment, quoi qu’il préférait nettement une bonne grosse vague dans la face que ce froid sec et saisissant jusqu’aux os… Mais il n’avait pas pris la mer depuis fort longtemps et devait donc s’accommoder du climat rugueux quasi continental – très relatif il est vrai – de la Bretagne intérieure. Surtout que pour rien au monde il n’aurait pu être absent en ce jour où devait être mise en terre celle qu’il avait tant aimé, fut-ce en secret.

À choisir en fait, non. Non, il n’aurait pas voulu être là. Non, il aurait préféré ne pas être en vie pour ne pas avoir à subir cela, pour ne pas avoir à assumer – pour partie au moins – cette mort. Non, il aurait préféré ne pas avoir sur la conscience ce deuil insoutenable qu’il ne pouvait porter n’ayant rien été pour la Blondeur défunte pas plus qu’elle n’avait été pour lui, si ce n’est un confident sous les yeux d’un saint Melaine bienveillant, si ce n’est un Amiral auprès d’une Duchesse épuisée, si ce n’est un ami qui offre un mouchoir au moment opportun. Gwilherm et Marie avaient-ils été plus ? Sans doute, oui. Et qu’importe à présent. Elle n’était plus là et cela le rongeait intérieurement ; qu’ils aient été plus que cela ou non, il l’avait aimée et continuait probablement de le faire, comme un homme abattu par la vie qui hésite encore sur le sens à donner à cette dernière

Alors qu’elle n’était plus qu’un corps que ses héritiers ou légataires tentaient de s’accaparer à quelques mètres de lui dans l’église sise à proximité, Gwilherm pensait à elle en cet instant, sans plus se soucier du tout de Roxane, son regard était vague et son esprit trainait ou pour mieux dire Trénet… Vagabondage furtif de l’esprit sur ce qui fut – ou du moins aurait pu être – et ne sera plus, jamais.


Revoir Marie,
Ne serait-ce qu’une seule fois,
Revoir Marie,
Et la prendre dans mes bras,
Seuls sous la pluie,
Plonger mes yeux dans son regard,
Bleu si joli,
Qui me revient en mémoire,
Elle me sourit,
Devant l’église Saint-Melaine,
Et nous revoici,
Marchant le long de la Vilaine…

L’espace d’un instant, il s’était vu ailleurs. Perdu dans ses pensées mélancoliques qui le rongeaient fréquemment encore en cette mi-décembre 1460, bien des semaines après la disparition de la Kermorial, et plus encore après son propre rendez-vous manqué avec l’Ankou. Une grosse goutte lui tomba sur le front et le ramena immédiatement dans le présent qui lui était bien réel.

Il faisait toujours froid et c’était une autre blonde qui était face à lui, à deux pas de l’église de Rieux. Mais à présent, après s’être ressaisi, il constata que la tension était redescendue et sa vis-à-vis affichait un léger sourire sur son visage fin. Libérant progressivement le pommeau de son épée, son visage se fendit à son tour d’un léger sourire de travers, avant de se fermer à nouveau lorsqu’elle lui narra la raison de sa présence ici… Les yeux bleus-gris du Bréhat se plissèrent. Il semblait dépassé par la situation encore une fois abracadabrantesque.


- Ne gomprenan ket… se dit il à lui-même, et c’est vrai qu’il était perdu par tant de folie et de déraison. - Ne laissera-t-on pas cette femme reposer en paix ? Enfin ? dit-il cette fois-ci à destination de Roxanne, qui n’y était sans doute pour rien mais qui était son seul interlocuteur.

Il était affecté par la révélation que venait de faire Roxanne ; manquer de respect à un défunt à ce point l’offusquait. Mais il y avait autre chose que cette affaire de cadavre volé ou non qui attristait au plus au point le Bréhatin. Le pire pour lui était de constater que malgré l’annonce publique faite au sujet de cette cérémonie – s’il l’avait entendu au bout du monde, c’est qu’elle avait été faite dans toute la Bretagne – personne n’était venu à Rieux pour rendre un dernier hommage à la défunte marquise. Oh bien sûr, il était conscient qu’elle n’avait pas que des amis, qu’elle n’avait pas mené une vie exemplaire et avait été haïe par certains – certaines surtout –, mais de là à ce que personne ne vienne lui rendre hommage…

Il soupira puis regarda Roxanne, à la fois triste de cet état de fait et confus de son emportement passager, et se décida à reprendre la parole pour s’excuser de ses derniers mots.
- Digarez Roxanne... puis se dit qu’il valait mieux poursuivre en français car la jeune femme y était plus à l’aise, a priori. - Vous n’y estes pour rien et je n’aurois pas dû dire cela sur ce ton... Sa bouche glissa en coin, comme à chaque fois qu'il était contrarié.

- Cela faisoit plus que longtemps mesme. Vous semblez en pleine forme, vous avez bonne mine en tous cas malgré ce froid glacial. Il sourit plus largement que la première fois, se demandant ce qu’elle pouvait devenir. Soudain son visage se ferma de nouveau, se demandant brutalement ce qui pouvait se tramer dans le pieux édifice à côté d’eux. - Qu’est ce qu’il convient de faire à présent d’après vous, pour feue la Marquise de Cesson et surtout son corps ?

La question était on ne peut plus sérieuse et lourde. La situation ne pouvait s’éterniser indéfiniment…
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Roxannemontfortlaval
Peut-être aurait-ce été un autre jour n'eut-elle rien dit. Sans doute que si les évènements ne s'étaient pas enchainés ces derniers temps les uns aux autres, serait-elle restée une simple observatrice.
Mais voilà. Gwilherm semble avoir changé. Et pourtant, elle voit toujours en lui cette personne qu'elle a toujours respectée. Elle le regarde s'approcher, il semble perdre pied un instant, s'éloigner dans un monde à lui où elle ne pourrait l'atteindre, même si elle le souhaitait.
Elle sait. Peut être mieux que quiconque désormais, en dehors de lui, puisque Marie et Pelotine ne sont plus. Et pourtant. Elle savait. Et s'est toujours tue.

Les gris se posent sur les bleu-gris face à elle. Bien sûr qu'elle saisit qu'il a du mal à comprendre ce qui se passe. Elle était dans la salle du grand trône ce jour là lorsqu'il s'est effondré. L'image en elle est restée toujours aussi vivace. Et le voir ici, devant elle, vivant, ne relève pas d'un miracle, mais presque. Lui est bel et bien là alors que les deux femmes qui ont certainement le plus compté dans sa vie ne sont plus. Mais s'il sait pour Marie, il est quasi évident pour Roxanne qu'il n'est au courant de rien pour Pelotine.
Depuis qu'elle passe une bonne partie de son temps libre avec son hencher à étudier, ce n'est pas que le druidisme et ses différentes voies qui sont apprises mais elle a tendance à s'intéresser de plus en plus à ce breton le plus profond, celui empreint du terroir.
Alors, elle est attentive à ses paroles et arrive à prendre conscience de ce qu'il lui dit.

- Ne laissera-t-on pas cette femme reposer en paix ? Enfin ? - Digarez Roxanne...- Vous n’y estes pour rien et je n’aurois pas dû dire cela sur ce ton... - Cela faisoit plus que longtemps mesme. Vous semblez en pleine forme, vous avez bonne mine en tous cas malgré ce froid glacial. - Qu’est ce qu’il convient de faire à présent d’après vous, pour feue la Marquise de Cesson et surtout son corps ?

Elle laisse alors échapper un léger soupir. Il était bien trop tard pour avoir des remords ou des regrets. Et pourtant, Roxanne en avait sans doute bien plus découvert sur Marie dans les derniers temps de sa vie que lorsque celle-ci était l'épouse de son cousin. Marie qui lui avait ouvert son domaine lorsqu'elle n'était pas au mieux de sa forme. Marie dont les vautours et les chacals de cette Bretagne désespérée n'avaient eu de cesse que de décortiquer et se repaitre de la moindre petite parcelle de sa vie privée. Tout comme d'autres le faisaient aujourd'hui avec elle. Alors comment ne pas la comprendre maintenant. Comment ne pas avoir une idée de ce que Marie avait souffert et enduré.

"- Ce sont nos décisions qui font de nous ce que nous sommes".

Un sourire amer se dessine sur les ourlées. Le paraitre, ça elle sait faire. Rares sont ceux qui sont capables de voir bien au-delà de ce qu'elle laisse volontairement paraitre.

"- Ma foi, j'ai connu mieux. Mais j'ai vécu pire aussi. Marie et moi n'étions pas les meilleures amies qui soient, loin de là, mais elle a su être présente et m'ouvrir ses portes à une période difficile de ma vie il y a quelques mois. Et ce, malgré nos différences. C'est une chose que je n'oublierais jamais. Il serait en effet temps de la laisser reposer en paix. Et pour cela, j'ose espérer qu'Else, si tant est que ce soit bien sa soeur qui ait agit- et Ascelin, arrivent à trouver une commune mesure et entente afin d'exaucer, ensemble, les dernières volontés de Marie.
Une cérémonie et une oraison, digne de ce que fut et de ce que fit Marie pour Breizh. Qu'une date soit fixée rapidement et que les invitations soient adressées de manière officielles. Et que la petite Alix-Ann ait un lieu décent où elle puisse aller parler à sa mère si elle en éprouve le besoin.
Peu importe ce qui s'est passé ou pas. Le temps des rancoeurs se devrait d'être terminé et Marie devrait reposer en paix. Je pense qu'ils vont devoir trouver à s'accorder tous les deux : pour Marie."


Gorge qui se noue. Et toujours pas un mot ne franchit ses lèvres au sujet de Pelotine. Inconsciemment, elle aurait voulu se trouver dans le petit hâvre de paix qu'elle s'est découvert sur les hauteurs de Kastell-Paol. Seulement. C'est ici qu'elle se trouve. Face au Brehatin.


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En deuil de ma Pelote, Dame de Concoret & de Naël d'Artignac, Duc du Tregor et Chevalier de Pontekroaz.
Gwilherm
"- Ma foi, j'ai connu mieux. Mais j'ai vécu pire aussi..."

En entendant ces mots, le Harscouët posa réellement son regard dans celui de Roxanne qui lui faisait face avant de s’en détourner, honteux. À cet instant, il prit la mesure du trou dans lequel il s’était enfoncé depuis des mois. Le poison agissait encore d’une certain manière, de manière bien plus vicieuse et douloureuse, avec des symptômes tels que la tristesse, la mélancolie, l’alcool, le désespoir… Et tout cela avait transformé le Bréhatin en un être lamentablement egocentrique, méconnaissable non physiquement – quoique – mais moralement ; lui qui avait jadis vécu comme il avait été élevé, en Breton fier de son pays et dévoué corps et âme à celui-ci ainsi qu’à son peuple, il s’en était bien éloigné.

La pluie redoubla sur Rieux et continua de ruisseler sur ses cheveux qui auraient mérités un bon coup de ciseaux. Il était en train de prendre la mesure de la médiocre chose qu’il était devenu à présent. Un type détestable qui n’était même plus l’ombre de lui-même, ne prêtant plus attention à rien ni personne. Il avait dit à cette jeune femme dont il arrivait désormais à percevoir une souffrance sur le visage qu’elle avait bonne mine quelques instants plus tôt ! Quel con ! Il n’avait prêté attention à rien…

Par la réponse calme et douce qu’elle lui avait formulé, par son regard gris peut-être aussi, par les circonstances de ce funeste jour inévitablement, grâce à l’aide d’une averse de pluie providentielle sans doute également, le Bréhatin semblait prendre conscience que si indéniablement – et c’était fort heureux – la Bretagne avait continué de tourner sans lui, lui n’allait pas pouvoir longtemps continuer de vivre sans elle, au risque de crever comme un rat, ce qu’il était en passe de devenir.

Péniblement il releva son regard vers celui de Roxanne, les yeux plein de dégoût de lui-même et de gène à l’égard de la jeune femme. Sa main passa sur son visage pour essuyer la pluie, râpant contre sa barbe de quelques jours. Il ne savait que dire réellement en cet instant ; il n’y avait de mots, ni en breton, ni en français, pour exprimer la lucidité si douloureuse qui lui explosait au visage en regardant la baronne de Langolen. Et puis bon, il ne la connaissait que peu, trop peu en tous cas pour s’excuser de… de vivre en fait. Mais le contrecoup de ce dégoût instantané de lui-même fut plus salvateur.

S’il vivait, c’est que le Très Haut estimait qu’il avait encore à faire en ce bas monde… S’il vivait, ce n’était pas pour s’excuser d’avoir encore de l’air dans les poumons mais pour faire quelque chose – du moins autre chose que se lamenter en ingurgitant toutes les boissons qu’on trouvait dans la péninsule armoricaine, locales ou importées. S’il vivait encore, c’est qu’il y avait une raison.

Ses vêtements étaient détrempés, ceux de la chevalier des Trente aussi et rien n’indiquait que la pluie allait cesser. Et puis, il y avait toujours, dans l’église à deux pas, le doublon de la Kermorial et le désormais Chancelier de Bretagne qui devaient être en pleine discussion sur ce qu’il convenait de faire… Pourtant la réponse était là. Il regarda de nouveau Roxanne et se décida à lui répondre.


- Je crois qu’il faut maintenant surtout donner à Marie de Kermorial la sépulture qu’elle mérite. Il marqua une pause, affecté. - Si des gens avoient dû, il s’arrêta de nouveau et se reprit, - Non, ils auroient dû estre nombreux mais si des gens avoient voulu venir, ils l’auroient faict ce jour, la sœur de la Marquise avait fait annoncer la cérémonie.

Une moue de dégoût s’afficha sur le visage marqué du Bréhatin, sans doute à l’adresse de ceux qui se disaient les amis de Marie tant qu’elle était quelqu’un.

- Une fois que son corps sera en paix, son âme pourra l’estre et il sera bien temps de faire dire une messe. Libre à ceux qui voudront lui rendre hommage de venir prier sur sa tombe.

Le Harscouët avait le visage fermé, mais affichait une forme de sérénité retrouvé ou une légère assurance du moins. Il commençait à gratter le long de la paroi du trou dans lequel il s’était était enfoncé tout seul dans l’espoir d’en ressortir.
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Roxannemontfortlaval
Elle sonda le regard de son interlocuteur.
Un observateur mal informé aurait pu croire qu'elle le convoitait éhontément. Mais ce n'était pas le cas. Elle était seulement occupée à le décomposer en une myriade de détails qu'elle transformait un à un en souvenir. D'après son masque douloureux, elle voyait bien qu'il était rongé par un secret désespoir. Qui à elle ne lui était pas inconnu.
Puis il lui sembla percevoir comme une étincelle dans le regard de Gwilherm. Et un sourire flotta sur les ourlées de Roxanne qui, elle l'aurait juré, venait d'apercevoir une lueur venir éclairer le visage du Brehatin.

Une bouffée d'air iodée apportée par la pluie, rien de tel pour vous remettre les idées en place. Les moments les plus tristes de l'existence ne se rencontrent-ils pas aux soirs des journées où l'on n'a rien entrepris pour se rapprocher d'au moins l'une des vies imprudemment laissées à notre portée par le hasard ?
Le crépuscule s'installait, barbouillant d'un rouge enflammé la moitié du ciel. L'averse continuait et ils étaient aussi détrempés l'un que l'autre. En silence, elle l'écoute tout en observant en direction de l'édifice dans lequel rien ne semblait bouger pour le moment.


 « - Vous avez raison. J'espère qu'Ascelin et Else sauront le voir ainsi également. »

Sa moue de dégoût ne passe pas inaperçue aux yeux de Roxanne et elle n'a aucun mal à en comprendre la raison. Mais elle observe un certain apaisement sur le visage de Gwilherm. Sans doute les circonstances font que l'inquiétude qui l'animait au sujet de Marie s'apaise. Et ce n'est définitivement pas ce jour qu'elle aura le courage de lui révéler cet autre événement qui pourrait le bouleverser. Ou pas.

La main de la jeune femme se tend et machinalement, vient essuyer du bout des doigts ces gouttes de pluie qui ruissellent le long de la joue burinée. S'il n'y avait cette lueur calme sur son visage on pourrait presque croire à des pleurs.

Et pourtant. Il faudra bien qu'elle le lui dise.

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En deuil de ma Pelote, Dame de Concoret & de Naël d'Artignac, Duc du Tregor et Chevalier de Pontekroaz.
Gwilherm
Nonobstant la volonté de sortir du trou psychologique dans lequel il s’était enfoncé, la chose n’était pas évidente. La pluie qu’il faisait sur Rieux semblait ruisseler jusque dans son esprit, rendant boueuses les parois de ce gouffre autodestructeur.

Cela faisait un moment, qu’ils étaient en tête à tête, sous la pluie, à échanger, à se regarder mutuellement. Gris dans bleus-gris et vis versa. La lucidité retrouvée par le Harscouët était violente et douloureuse, pour l’âme au moins. Le constat de sa déchéance était déjà difficilement supportable mais, plus amer encore était de s’imaginer ce que pouvait bien penser Roxanne de lui, en cet instant. Dans sa caboche de Bréhatin, il songeait qu’elle ne pouvait que le prendre pour un
paour kaezh den, un pauvre type grosso modo. Comment pouvait-il en être autrement ? Il se rappelait qu’elle était pour Pelotine – la jeune femme qu’il avait honteusement délaissée pour celle dont le cadavre était en train d’être marchandé par deux gus dans l’église à côté, motivant ainsi l’envie qu’elle avait eu de le tuer, ce que Gwilherm trouvait assez légitime, somme toute –, avait grande amitié pour la baronne de Langolen. Cette dernière ne pouvait donc, en conséquence qu’exécrer le Bréhatin.

Ce dernier, bien qu’aimant le soleil tout autant que la pluie, peinait à soutenir le regard aussi gris que les nuages qui les entouraient. Ce n’était pourtant pas les yeux de la Montfort qui étaient pesants mais la honte que l’ancien Amiral sentait sur ses épaules. Malgré cela, s’il voulait relever la tête, à commencer par regarder à quelle profondeur il s’était enfoncé, avant de tenter de remonter et, peut-être un jour, espérer servir à nouveau dignement son pays, il allait devoir faire fi de cette honte ; tirer de la force de ses erreurs et de ses douleurs du passé pour avancer. Facile à dire, plus compliqué à faire.

Il releva son regard et le posa dans celui de Roxanne avec difficulté. Il aurait presque eu envie de pleurer, sans trop savoir pour quoi précisément, pour un peu tout en fait : de Pelotine à aujourd’hui, de Marie à Saint-Melaine jusqu’à Rieux, il y en avait des raisons de s’apitoyer et de larmoyer. Heureusement, le peu d’amour propre qu’il lui restait lui imposa de se retenir. Étonnement, malgré tout ce qui avait pu lui passer par la tête depuis quelques instants, les gris face à lui étaient tout sauf accusateurs, ils l’apaisaient.

Cette femme aurait pu, si ce n’est dû, le détester et rien ne semblait l’indiquer. Soit elle savait mentir du regard, soit elle était la magnanimité incarnée. D’une voix calme et posée, comme depuis le début de leur échange, elle lui répondit des paroles sans grande importance si ce n’est qu’ils étaient d’accord sur la tournure des événements. Mais à vrai dire, le Bréhatin se raccrochait plus à la musicalité douce de cette voix qu’à ce qu’elle exprimait…

Puis, sans s’y attendre, une main fine, bien que sachant manier l’épée sans doute aussi bien que ses paluches, avait effleuré sa joue mal rasée, essuyant des gouttes. Était-il en train de divaguer ? Non, visiblement pas. Le regard définitivement empli de calme exprimant toute sa gratitude. On pouvait même déceler un sourire très léger sur ses fines lèvres qu’il aurait voulu entrouvrir pour lui dire simplement merci, mais il n’osait pas, n’y parvenait pas. Le Bréhatin était à la croisée des chemins, dans cette rue déserte de Rieux…

Il faudrait sans doute penser à aller voir ce qui se passait dans l’église si aucun signe ne venait jusqu’à eux, mais pour l’heure, il ne parvenait pas à se demander ce que fouttaient les deux légataires de Marie avec sa pauvre dépouille ; il ne parvenait surtout pas à sortir de cette forme de bulle analgésique, mais le voulait-il surtout ?

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