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[RP Fermé] Ce qu'art ne peut, hasard achève (*)

Axelle
Le silence qu’il laissa planer lui sembla une éternité tant son cœur battait trop vite dans sa poitrine, craignant de se voir privée de la recréation qui s’étalait sous ses yeux. Puis il sourit, de ce sourire si particulier qu’elle commençait à connaître et qu’elle ne lassait pas de voir naître. Elle pinça ses lèvres pour ne pas y répondre trop facilement sentant la réplique poindre et suivit son regard, le laissant planer sur leurs mains jointes, petit symbole furtif d’une intimité toute particulière qui avait la saveur des confidences voilées et clandestinement complices. Elle ne releva pas les yeux, détaillant la peau claire avalant la sienne, trop brune.

« Axelle, voudriez-vous me faire croire que tout cela ne tient qu’à seize écus ? Je crains que nous ne soyons pas quittes, loin de là. Les sucreries ne visaient qu’à vous appâter et le voyage à vous obliger à vous retrouver à ma merci »


J’suis vraiment trop gourmande, mais fichtre Alphonse, m’croyais-tu donc dupe ? Non voyons. Et tu m’ferras pas croire qu’tu l’es. Mais bondiou, qu’c’est bien d’t’l’entendre dire. C’est juste c’qu’j’voulais, j’marque un point, t’l’as dit avant moi.

Et son pouce, dans une caresse à peine esquissée se perdit au creux de la paume du libertin alors qu’elle laissait leurs doigts se mêler, faussement ingénus.

« Voyez comme je suis odieux, non seulement je vous enlève mais en plus, je vous garde en otage. Vous ne faites pas demi-tour, pire. Aujourd’hui, vous êtes à moi »

Ouais t’es odieux! Cruel aussi. Mais t’le fais si bien qu’j’arrive même pas à t’en vouloir. Mais à toi, jamais, t’en serais bien trop déçu. C’serait trop insipide pour l’prédateur qu’t’es. Et si j't'laisse un bout d'moi c'sera pas sans y laisser un bouquet d’plumes toi aussi, même si j’sais pas encore comment. Mais j’t’l’promets.

Le souffle sur son visage lui fit remonter un regard aiguisé. Elle s’apprêtait à le narguer à son tour, à piquer cette tension charnelle qu’elle ressentait furtivement dans chacun de ses regards, de ses mots, des intonations de sa voix. Mais il fut rapide et elle piégée à nouveau contre lui, prisonnière de ses mains et de l’aventure palpitante qu’il lui offrait, étalée là devant ses yeux brillants.

« Et moi aujourd’hui, je vous offre Paris. »


Prisonnière comme elle l’était ! Il jouait de toutes ses armes, son corps, ses mots et Paris, alternativement, aiguisant toutes ses envies passant de l’une à l’autre dans une valse sans fin qui ne laissait aucun répit à la Bestiole bêtement prise de court. Sitôt qu’elle voulait se rebeller, s’échapper, il abattait une nouvelle carte, et elle n’avait pas d’autre choix de le voir enchainer les victoires. Il était Roi en son domaine et elle n’avait aucun atout caché dans sa manche. Elle ne pouvait que le laisser mener la danse et se laisser entrainer dans ce tourbillon qu’il lui imposait avec habileté, poupée dans ses mains. Et il le savait, en usait et en abusait.

Quand il fit le premier pas, elle tourna la tête vers les comptoirs qui se dessinaient encore vaguement au loin et comme un nageur débutant, elle lâcha la corde reliée au bord de l’étang, prenant le risque de ne plus pouvoir regagner le rivage, et le suivit dans la foule.

Elle n’avait pas pris sa main, et au fil de leur promenade, elle avançait, nez en l’air flânant sur les façades, sans se rendre compte des heurts qu’il lui évitait. Souvent elle s’arrêtait devant une vitrine, musardant devant leurs couleurs. Alors elle tendait le bras, attrapant celui d’Alphonse pour le tirer contre elle, pointant d’un doigt agité un objet inconnu d’elle, se perdant en conjonctures folles sur ses utilisations possibles dans un joyeux babillage. Ils allaient tranquillement, enrubannés d’insouciance quand elle se figea devant une gamine qui faisait la manche en agitant un tambourin. La Bestiole resta silencieuse, et c’est la main d’Alphonse qu’elle saisit et pressa plus fort qu’elle ne l’aurait voulu. Elle aurait pu rester ainsi à regarder la môme si un charretier ne s’était mis à hurler qu’ils se poussent, dans des :

« Y en a qui travaillent ici! Dégagez l’passage cornebouc ! »

La charrette passée dans un charivari de jurons et de boue, la gamine avait disparu. La Bestiole relâcha la main d’Alphonse, songeuse et ils reprirent leur chemin, elle plus sage. Mais le calme fut de courte durée.

« Si je vous demandais désormais de vous en remettre uniquement à moi et de fermer les yeux, le feriez-vous ?... A vos risques et périls, bien sûr ».

Elle remonta son museau vers lui, une lueur amusée dans le regard, et susurra, si bas que le bruit de la rue couvrirent ses mots.


Mais, j’m’en suis remise à vous depuis longtemps.

Mais son regard s’effila dans la seconde, alors que le coin de sa bouche se fendait d’un petit sourire moqueur, répondant au défit qu’il lui lançait.

Allons bon, croyez pas qu’c’est cause qu’j’m’suis lamentablement endormie sur vous qu’vous fais confiance hein ! Mentit-elle. J’en fermerai qu’un ! M’croyez pas non plus trouillarde, et si facilement éblouie ! C’tout d' même pas la cuisse d’Jupiter qu’vous allez montrer, si ?

Puis elle tortilla sa bouche et s’approcha de lui, dangereusement, arrangeant d’une main distraite le col du brun qui n’en avait pas forcement besoin. Elle planta un regard légèrement aguicheur dans le sien, puis lentement ferma les yeux.

Z’avez d’la chance, z’avez piqué ma curiosité.
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Alphonse_tabouret
Il n’entendit pas les mots qu’elle chuchota, dissouts dans le chaos des bruits citadins et reçut la réponse à sa provocation dans un sourire conquis

Allons bon, croyez pas qu’c’est cause qu’j’m’suis lamentablement endormie sur vous qu’vous fais confiance hein ! J’en fermerai qu’un ! M’croyez pas non plus trouillarde, et si facilement éblouie ! C’tout d' même pas la cuisse d’Jupiter qu’vous allez montrer, si ?

Lorsque la main s’aventura sur son col, le lissant à la façon d’une femme et non plus d’une artiste, il sentit une délectation lancinante comme à chaque fois qu’elle franchissait d’elle-même la distance implicite qui séparent des inconnus.

Z’avez d’la chance, z’avez piqué ma curiosité

Elle ferma les yeux, abandonnée, confiante.
Tu es folle, songea-t-il en laissant son ventre se tordre d’envie sous l’inspection de ce visage aux yeux clos. Ne me fais pas autant confiance. Il avança d’un pas inaudible grâce au brouhaha ambiant, fasciné par la bouche suave dessinée, offerte, sans protection, à un pas d’une audace, d’une folie. Moi, je ne me fais pas confiance, conclut-il pour lui en se penchant avec lenteur à ses lèvres, les suspendant des siennes à tout juste quelques centimètres. Sentait elle sa présence si près de la sienne ? Son odeur peut être, comme lui sentait la sienne ? Si oui, que pensait elle, qu’espérait elle ? Ouvrirait-elle les yeux qu’il lui dirait juste vérifier qu’elle se prêtait bien au jeu, mais pour l’heure, déchiré entre l’envie et la raison, il vacillait dangereusement de l’un à l’autre.
Il pencha finalement la tête pour venir à son oreille, se demandant si cette proximité la surprendrait, s’il entendrait sa gorge palpiter ou si ses joues tannées par le soleil de la Provence viendraient se rosir à la façon des pêches.

-Il y a quelques pas à faire encore, accrochez-vous à moi, dit-il en mettant son bras contre le sien pour qu’elle s’y suspende.

Il la mena jusqu’à la porte d’une boutique qu’il poussa en faisant tinter le carillon léger, faisant relever le nez à un homme grand aux tempes grisonnantes. Les deux hommes échangèrent un regard, puis un sourire. Et lorsqu’Alphonse vint placer un doigt sur ses lèvres, l’artisan hocha la tête, en levant les yeux au ciel sans pouvoir cacher un air amusé. Jooste Ameloot était un flamand expatrié à Paris depuis quelques années. Alphonse l’avait rencontré un soir de beuverie et avait été littéralement séduit par les mains larges et calleuses de cet homme d’âge mur. Il les avait laissées explorer chacune des parties de son corps et s’y était abandonné à quelques occasions, avant qu’il ne se marrie. Mais Alphonse aimait la compagnie singulière de cet homme, déviant comme lui, et néanmoins loyal à certaines valeurs, jusqu’au bout, aussi, ne manquait il jamais de lui rendre visite et depuis très exactement cinq ans, Jooste Ameloot se contentait de soupirer en laissant son regard dévaler le dos d’Alphonse quand il venait lui rendre visite, nostalgique, mais au chaud dans le confort de sa vie comme celle des autres. De simples amants, les hommes étaient devenus amis.


-N’ouvrez pas tout de suite les yeux, lui demanda-t-il alors que les premières odeurs venaient leur prendre le nez : terre, plantes, odeur de chiffons compressés marinant, attendant qu’elle reconnaisse les effluves qui lui étaient si familières jusqu’à en crisper ses doigts d’excitation à son bras. Car quand elle ouvrirait les yeux, Axelle découvrirait un immense atelier, empli de poudres soigneusement alignées par vastes déclinaisons de couleurs le long d’un mur surchargés de petites étagères. Du blanc le plus tendre au noir le plus profond en variant les bleus, les verts et les rouges par dizaines. Dans des caisses exposées au centre de la pièce, des matières brutes, sélectionnées, lavées, polies jusqu’à les rendre brillantes. Plus loin, dans de gros bocaux, des pinceaux aux formes plus étranges les unes que les autres : en gouttes, plats, en éventails… de toutes tailles, tous formats, ils trônaient magistraux, exhibant leur plumeaux splendides. Des pots entiers de crayons rivalisaient avec des boites de sanguines, fusains et pastels variés. Et pour clore le tout, des vélins et des toiles, enroulées, par rubans immenses, certaines prédécoupées, installées par taille pour donner une meilleure appréciation de leurs volumes.

Alphonse connaissait la réputation de l’atelier dans la capitale. Ces matériaux étaient de première qualité, triés sur le volet avec une infinie patience par des petits producteurs. Ici, la diversité du monde prenait tout son sens, car on y trouvait de tous les pays.
Il l’amena au centre la pièce et avant de reculer d’un pas, délaissant son bras, pour lui laisser toute l’amplitude nécessaire, lui confia :


-Maintenant.

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Axelle
Ses yeux étaient fermés, le bruit de la rue couvrait tout, mais elle le sentait, là, proche, si proche. Elle savait qu’il lui suffirait de tendre un peu ses lèvres pour attraper les siennes tant son souffle inondait sa bouche de son goût presque palpable. Elle ne bougea pas, choisissant de lui faire confiance. Et s’il dérogeait à ses règles, il lui suffirait de faire un léger pas en arrière, si tant est qu’elle le puisse quand tout en elle hurlait « embrasse-moi ». Mais il ne le fit pas, et un léger sourire soulagé arqua sa bouche. Elle ne s’était pas trompée, il ne ferrait rien, il respecterait les règles, à sa façon, tout en gonflant l’envie avec effronterie.

Telles étaient les règles et il les respecterait jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus. Mais elle tenait, encore, même fébrile et ne broncha pas quand il vint murmurer à son oreille.

« Il y a quelques pas à faire encore, accrochez-vous à moi »

Tâtonnante, elle s’accrocha au bras tendu, sans tricher puisque lui ne le faisait pas, et le pas hésitant, suivit le sien, lentement, les bottes trainant au sol pour éviter une bosse ou un creux traitre.

Un tintement cristallin, la chaleur d’un intérieur qui embrasse ses joues, et cette odeur qui vint lui lécher le nez. Oh oui qu’elle la connaît cette odeur familière. Cette fragrance de papier vierge qu’elle lisse amoureusement de la paume de la main, plein de promesses d’une nouvelle peinture, excitée par avance de ce qu’elle pourra y tracer et en même temps anxieuse d’échouer.

« N’ouvrez pas tout de suite les yeux »


Non, elle ne voulait pas les ouvrir, elle voulait s’imprégner du lieu d’abord. Elle qui pensait stupidement qu’il la mènerait dans une gargote, dans son monde à lui, voila que la valse reprenait de plus belle. Il la menait dans son monde à elle, n’ayant en tête certainement que la surprendre, lui faire plaisir, à elle seule, s’inquiétant de ses envies. Cette mise en scène, cette attention toute particulière envers elle, si rarement elle l’avait connue. Jamais même pourrait-on dire. Enfant, elle était invisible aux yeux de son père, et adulte, son esprit indépendant et râleur avait découragé ce genre d’entreprise, comme si elle était trop insensible et moqueuse pour gouter à ce genre d’égards. Et pourtant, comme elle vibrait de plaisir là, les yeux clos, au milieu d’un atelier. Pourquoi faisait-il cela ? Pourquoi tous ces efforts pour la satisfaire ?

« Maintenant. »

Elle resta encore un moment paupières closes avant de les relever doucement. Et là, paumée au milieu de la salle, les couleurs éclatèrent dans ses prunelles, tourbillonnantes. Jamais elle n’en avait vu autant. Les terres ocrées d’Afrique dansaient avec les turquoise des mers du sud à lui en faire tourner la tête tant ses yeux ne savaient plus ou se poser, tant chaque nuances étaient une évasion.

Elle s’affaissa légèrement, le regard fou. Ce n’était une simple boutique de couleurs qu’il lui offrait, c’était un monde de voyage étalé là, à ses pieds. Elle en était retournée, bêtement. Sans le savoir Alphonse la transperçait de part en part. Sans le savoir il lui offrait d’être vue, vraiment, sans qu’elle ne demande rien. Il venait simplement de la mettre à nu, plus sûrement qu’en la dévêtant, réveillant cette part de sensibilité exacerbée qu’elle ne dévoilait que dans ses peintures.

Et la Bestiole qu’elle était prit peur. Une peur soudaine et irraisonnée.

Elle posa un bref un instant son regard sur le brun, les yeux luisants d’une émotion incompréhensive. Elle aurait pu lui sauter au cou, couvrir son visage d’embrassades en lâchant des « merci », ou s’empresser frénétiquement vers les pastels comme un gamine devant des friandises, pourtant elle n’en fit rien, immobile et interdite.

Puis lentement, sans le regarder, craignant de lire sur son visage la déception, la colère, la peine ou le mépris, la voix brisée et défaite elle annonça.


Ramenez-moi aux relais. J’veux rentrer chez moi. Maint ‘nant. S’vous plait.

Il jouait involontairement dans une cour bien plus profonde que celle de la simple tentation charnelle. Il l'apprivoisait doucement. Et elle refusa, in extremis.
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Alphonse_tabouret
La douche fut froide, glaciale. Il avait pourtant ressenti dans la tension de son corps contre le sien toute l’exaltation qu’il avait espérée dès lors qu’il avait décidé de l’emmener là, mais le résultat final était à mille lieux de ce qu’il avait imaginé, catastrophique.

Ramenez-moi aux relais. J’veux rentrer chez moi. Maint ‘nant. S’vous plait.

La voix était basse, terne. Si elle l’avait regardé à ce moment-là, l’incompréhension aurait été la seule chose qu’elle aurait eu le temps de voir sur le visage du flamand avant qu’il ne se renferme dans un sourire poli, car la maitrise de ses émotions était la clef de voute de son éducation et rien ne l’en ferait déroger, du moins en était-il convaincu. Terrible de frustration et tant de fois salvatrice, cette habilité à rester lointain dans toutes les émotions dont on le bousculait, lui avait sauvé la mise grand nombre de fois, cependant, il n’aurait jamais pensé devoir à ce point-là mettre ses acquis au service de la gitane, mais elle venait de taper fort, si fort que l’expression avait transpercé malgré lui pendant quelque secondes, celle où la brune avait sommé la fin de la récréation. Cacher, réprimer, s’épargner… Tous ces verbes avaient un sens profond, presque instinctif chez Alphonse. Dès son plus jeune âge il avait compris qu’être lisible sous le joug d’une émotion vive, c’était donner l’avantage à l’autre. Longtemps il s’était vu trahi par un œil trop rond, attardé bêtement sur l’objet de la surprise, une inspiration trop brutale, ou un jeu nerveux de doigts, et à chaque fois il avait observé la même jouissance malsaine de son père à découvrir une faille dans sa carapace. Ne rien posséder de précieux, c’était la seule façon de ne rien perdre de cher. Ne pas s’attacher, c’était le prix du regard narquois et jamais surpris, qu’il cultivait avec acharnement.
S’était-il berné ? Avait-il baissé les armes à ce point pour se sentir si cruellement tailladé par Axelle ?
Le froid s’insinua dans ses os, sensation d’engourdissement, presque douce, lui rendant ses automatismes de jeune homme bien élevé, rompu à assurer n’importe quelle situation déplaisante dans toute l’arrogance de sa légèreté. Le sourire se dessina donc, parfait, quoique distant comparé à ceux qui avaient pu jalonner les heures précédentes. Il ne comprenait pas ce qui n’avait pas plu à Axelle, et choisit de ne pas s’y attarder, orgueilleux, blessé dans son envie de lui faire plaisir.

- Bien sûr, répondit-il sobrement avant de se tourner vers l’artisan qui portait sur eux un regard rempli de curiosité. Je ramène la Demoiselle, lui signala-t-il, induisant son retour auprès de lui sous peu.

Sous le hochement de tête de Jooste, il fit un pas, ouvrant la porte, laissant le bruit de la rue troubler l’atmosphère de la boutique jusqu’à ce qu’ils s’y immergent complètement. Il s’attachait à un air neutre, mais se sentait incapable, lové dans un mécontentement poisseux, d’un geste vers elle comme il n’aurait pas manqué d’en avoir en temps normal. Sa demande était catégorique, mettant un terme au jeu, aussi nettement que possible. La gitane allait danser ailleurs, le laissant seul avec son cadeau. Aucune importance… Elle en avait le droit.
Son instinct de préservation finissait enfin par reprendre le dessus, observant froidement la situation.
Axelle était libre de partir quand bon lui souhaitait, c’était un fait. Il n’avait pas à la retenir, ni même lui demander une explication. Dans ce genre de parenthèse, il faut admettre les choses, sans chercher à les comprendre. Oui, ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne retrouve son flegme détaché. Il les ramena sur leurs pas, et si l’aller s’était étalé dans divers détours et arrêts fréquents, le retour fut fait d’une traite, et il ne leur fallut pas plus d’une vingtaine de minutes pour rejoindre les relais.


-Attendez moi ici
, fit il en la laissant sous le porche de l’un des comptoirs, sans même lui laisser le temps de protester sur les frais auxquels elle pouvait subvenir seule, et ne s’en revint qu’avec l’assurance que sa place était dûment payée. Il vint à ses côtés pour lui désigner une voiture. Vous prendrez celle-ci. Il tourna la tête vers elle, remarquant que c’était la première fois depuis qu’ils avaient quitté la boutique et se trouva idiot de s’en être privé. Étrangement ému par ses adieux prématurés, incapable de savoir s’il reverrait la gitane ou pas, il se permit de lui tendre le point final, d’une voix plus douce, où le chat dépité, rangeait sa morgue quelques instants pour donner à sa voix toute l’émotion que la brune lui inspirait dans cette détresse brusque qui était sienne. Si vous n’avez plus besoin de moi, je me propose de vous quitter maintenant…

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Axelle
« Bien sûr »

L’annonce fut accueillie d'une indifférence polie. Comment aurait-il pu en être autrement ? La colère et les rebuffades virulentes ne convenaient guère au brun, mais l’effet était tout comme, aussi glaçant. Elle refusa de s’y pencher davantage, ne voulant pas savoir si le détachement était feint ou sincère. Elle avait brisé, volontairement, le délice de la journée, elle n’avait plus son mot à dire. Des explications ? Pour quoi faire ? Et puis elle n’aurait pas su mettre, sur l'instant, de mots sur la raison qui la poussait à s’échapper encore une fois. D’autant plus que que si elle s’y aventurait, elle s’y perdrait et toute la lutte orgueilleuse n’aurait alors été que vaine.

Le chemin du retour lui convint donc plutôt bien, regard planté sur les pavés défilant au rythme de leurs pas rapides, fermés à tout. Elle s’en voulait, devinant malgré tout la vexation sous le vernis indifférent, mais se convainquait que tout était bien mieux ainsi, pour tout le monde. Et puis après tout, elle avait été avec lui comme avec tant d’autres. Ne la disait-on pas sombre, désagréable, injurieuse? Si tel était le cas, tout était rentré dans l’ordre et il n’y avait plus à s’éterniser.

Déjà les comptoirs s’étalaient, dans cette même frénésie que lorsqu’ils les avaient quittés, l’excitation et la joie en moins. Pour la première fois depuis qu’il avait fait irruption dans son atelier, la Bestiole était mal à l’aise face à lui.

« Vous prendrez celle-ci. »

Son regard se tourna dans la direction indiquée, retenant l’emplacement de la voiture, mais aucunement ses détails, ni même qui pourrait bien déjà y être installé.

« Si vous n’avez plus besoin de moi, je me propose de vous quitter maintenant… »

Elle se mordit la lèvre, tant sous l’adieu proche qu’au timbre de la voix d’Alphonse qu’elle aurait préféré encore distant, mais qui ne l’était plus vraiment. Et dans un effort elle remonta la tête, la mine fermée et indéchiffrable.


J’ai besoin l’adresse d’la boutique pour vous rembourser l’prix du billet, c’tout. J’pas pour habitude d’avoir des dettes.

Pourtant sans même attendre sa réponse elle tourna les talons, prête à s’engouffrer dans la foule sans un mot de plus, incapable de le regarder davantage. Elle fit quelques pas, puis se retourna vivement et revint vers lui, essoufflée sans même avoir couru.

Si. Si , j’ai besoin d’vous. Du bien être qu’vous m’apportez, d’vot insousciance, d’vos sourires. Le moment n’était plus aux mensonges. J’vous remercie pour c’temps qu’vous m’avez offert, restera gravé là, dit-elle en pointant sa tempe de son index. C’est pas vot’faute si j’préfère partir, c’mieux comme ça, c’tout. C’que vous m’avez donné, c’plus qu’c’que vous croyez, j’pas trop l’habitude d’tout ça moi. Mon mari, j’l’aime, pis lui aussi j’crois, mais les attentions délicates, c'est pas trop not' fort, on sait pas faire dans la dentelle par chez nous. Et vous, m’avez déboussolé. Trop. J’ai pas d’armes contre ça, à part filer.

Elle secoua sa tête, perdue dans ces mots qui n’intéressaient pas Alphonse et qui pourtant jaillissaient de sa bouche sans pouvoir les contenir.

Oubliez ça. J’pas à vous dire ça. Dites moi juste un endroit j’peux vous retrouver,
et le mensonge revint au galop, pour vous envoyer directement c’qu’j’vous dois.

Serait-il dupe du mensonge ? Accepterait-il cette dernière requête, où devrait-elle lui dire définitivement adieu ? A aucun moment elle ne chercha à cacher l’anxiété qui lui bouffait la figure dans l’attente de sa réponse.
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Alphonse_tabouret
J’ai besoin l’adresse d’la boutique pour vous rembourser l’prix du billet, c’tout. J’pas pour habitude d’avoir des dettes.

Il allait lui répondre qu’il n’était pas question de dettes, qu’il l’avait entrainée jusqu’ici et qu’il était bien normal de la renvoyer à ses frais jusqu’à chez elle mais elle ne lui en laissa pas le temps, tournant les talons sans même attendre, s’apprêtant à fendre la foule pour s’y laisser engloutir. Sa bouche s’entrouvrit pour l’interpeler sous le coup d’une impulsion mais elle se retourna, farouche et splendide jusqu’au bout de ses ongles maculés de peinture pour revenir vers lui, se planter sous son nez et débiter, dans toute la violence dont était capable de tels mots à ce moment-là.

Si. Si , j’ai besoin d’vous. Du bien être qu’vous m’apportez, d’vot insousciance, d’vos sourires. J’vous remercie pour c’temps qu’vous m’avez offert, restera gravé là,

Il ne suivit même pas le mouvement de l’index, les prunelles rivées aux siennes, se désaltérant au feu neuf et sincère qui dansait dedans, cette sensation de brûlure joyeuse venant bousculer la froideur de ses habitudes.

C’est pas vot’faute si j’préfère partir, c’mieux comme ça, c’tout. C’que vous m’avez donné, c’plus qu’c’que vous croyez, j’pas trop l’habitude d’tout ça moi. Mon mari, j’l’aime, pis lui aussi j’crois, mais les attentions délicates, c'est pas trop not' fort, on sait pas faire dans la dentelle par chez nous. Et vous, m’avez déboussolé. Trop. J’ai pas d’armes contre ça, à part filer.

Il accueillit les mots, les laissant couler à ses oreilles attentives, partagé entre la satisfaction égoïste de ne pas se savoir seul dans ce ballet étrangement envoutant qu’ils avaient entamé et le désarroi de l’avoir à ce point secouée, de la perdre.

Oubliez ça. J’pas à vous dire ça. Dites moi juste un endroit j’peux vous retrouver, pour vous envoyer directement c’qu’j’vous dois.

Le bras se tendit sans réfléchir vers l’épaule de la gitane, les doigts s’en saisirent, fermes, pour l’attirer vers lui, et dans le temps que dura le mouvement qui amena Axelle contre lui, Alphonse eut l’impression de ne plus entendre battre son cœur, suspendu à cette folie qu’il venait de se permettre… mais comment supporter une seconde de plus ce visage ravagé d’angoisse, cette envie avec laquelle elle se débattait, cette porte qu’elle voulait croire entrouverte alors qu’elle la refermait d’elle-même ? Les mots ne suffiraient pas, trop lointains, trop verbeux, et pour un homme habitué à se taire la plus part du temps sur ses sentiments les plus concrets, les gestes valaient parfois plus. Axelle était contre lui, emprisonnée par cet unique bras dont elle saurait se dépêtrer sans mal, mais contre lui, son corps à même le sien, son visage emmitouflé contre lui. Il aurait voulu s’attarder comme ça, mais savait le geste inconsidéré, le temps précieux, et la vie, fatidique, alors il précipita quelques mots à son oreille, le temps de l’étreinte ;

-En champagne, au Château de Brienne. Vous pourrez me trouver à la garnison.

Car oui il le prenait ce mensonge, il le prenait avidement, seul lien désormais entre eux, revenant à ce point de départ qui lui avait semblé si loin une heure encore auparavant, sauf que le choix ne lui appartenait plus. Il était tout entier à elle désormais, détentrice d’un futur que sa méfiance dans les sentiments humains le poussait à considérer sombre. Fidèle, loyale et amoureuse, il était tout ce qui s’opposait à ce genre de conduite et si elle avait joué le jeu un temps, elle refusait désormais de s’y bruler plus les ailes. Quoi de plus normal ? Elle avait tout à perdre et lui si peu à donner, songea-t-il avec une certaine amertume. Il la relâcha enfin, la repoussant doucement, preuve de sa bonne volonté à ne pas à la piéger, que ce moment s’achevait enfin, qu’il venait de prendre la dernière part d’elle qu’il pouvait se permettre.

-Nous allons nous tourner le dos, lui proposa-t-il, le temps de compter jusqu’à 5, et nous prendrons chacun notre chemin sans plus nous regarder, pour ne plus rien regretter… lui confia-t-il avant d’ajouter, dans un sourire doucement amer de sa sincérité : et parce que je n’ai aucune envie de vous voir encore me tourner le dos…
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Axelle
L’étreinte fut courte, sans équivoque et si douce et apaisante qu’Axelle s’y abandonna et ferma les yeux, nichée pour quelques instants au creux de cette épaule dérobée.

« En champagne, au Château de Brienne. Vous pourrez me trouver à la garnison. »

Champagne, Château de Brienne, garnison. Elle répéta ces mots, les rangeant précieusement dans sa mémoire. Même si jamais elle ne les délogeait de ce petit tiroir où ils avaient trouvé leur place, le simple fait de les connaître suffisait à eux seuls à ne pas rendre cet adieu déchirant. Ils étaient comme un petit fils de soie, si fragile qu’un simple souffle pouvait le détruire, mais il était là, et elle sourit, d’un sourire à peine esquissé, déjà nostalgique et en même temps empli de sérénité. Et déjà il s’écartait et déjà elle reculait en cadence. Danseurs synchrones.

« Nous allons nous tourner le dos, le temps de compter jusqu’à 5, et nous prendrons chacun notre chemin sans plus nous regarder, pour ne plus rien regretter… et parce que je n’ai aucune envie de vous voir encore me tourner le dos… »


Elle prit un moment pour dessiner chaque trait d’Alphonse d’un regard légèrement voilé, puis elle hocha la tête. Et sans plus dire un mot, elle commença à pivoter, ses yeux dans les siens, tout aussi sombres, et ce ne fut que quand il amorça son mouvement qu’elle détourna posément la tête, brisant le dernier regard. Dos à dos, sans le toucher et elle commença à compter, lentement.

Un. Deux. Trois.

Elle avança un pied, le regard sur la voiture qui attendait.

Quatre… Cinq.


Au moment ou elle se déportait vers l’avant, elle sentit la présence d’Alphonse s’estomper, se fondre doucement dans l’anonymat de la foule, sans se rendre compte qu’elle même s’engouffrait déjà dans la cohue braillante qu’elle n’entendait que vaguement, son carton à dessin serré sous son bras.

"Sans plus nous regarder, pour ne plus rien regretter."


Un sourire vint flotter sur ses lèvres, et elle monta dans la voiture, ignorante de ses occupants, ne regrettant ni le jeu, ni le terme qu’elle avait imposé, juste plus riche de la chaleur de cette rencontre, tellement hasardeuse.

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