Turenne
Un peu tardivement, comme d'habitude ([HRP]ce n'est pas qu'on aime se faire désirer, c'est juste qu'on a autre chose à faire en ce moment que de demeurer les jambons vissés devant un ordi[/HRP]), un vieux marquis bien connu de ces messieurs (il préfère qu'on dise "un exquis sybarite bien connu de ces dames", mais tâchons d'ignorer cette coquetterie de noble croûton) pointa le bout du nasal de son casque rouillé au château de Bourges. Après s'être fait annoncer et que la valetaille l'ait fait poireauter le délai réglementaire que les anciens larbins les plus bornés imposent parfois à leurs anciens patrons lorsque ceux-ci ne représentent plus aucune menace, il fut enfin invité à prononcer son allocution auprès du duc de Berry.
Monseigneur, c'est avec plaisir que je vous revois enfin. J'aurais voulu, pour que ce que j'ai à vous dire maintenant ne soit point dit hors contexte, le faire dès après votre élection. Hélas, le temps est un luxe que je n'ai pas, et que j'échangerais pourtant bien volontiers avec nombre de ceux que j'ai. Mais venons-en au fait : voici donc ledit propos.
Comme bien vous le savez, Monseigneur, et comme bien doit le savoir tout homme et toute femme de noble comme d'ignoble naissance, le lien de vassalité, ce serment pétri d'idéaux qui, par définition, unit entre eux les gens de notre statut est, avant tout, un lien de confiance et de respect, tout autant que d'amitié et de franchise. C'est en vertu de la valeur sacrée de ce lien, que je crains fort d'être l'un des derniers à placer encore au-dessus de sa vieille existence et de ses mesquins privilèges, que je déclare ce jour qu'il m'est impossible de vous prêter l'allégeance rituelle espérée.
Comprenez, Monseigneur, que je ne saurais prêter serment de fidélité à un homme, aussi incontestablement honorable soit-il, qui a accédé à ses fonctions par des moyens qui, s'ils sont totalement justifiables d'un pur point de vue tactique, sont néanmoins, dans leur essence même, en totale contradiction avec les valeurs que je viens de citer et sans lesquelles la noblesse n'est plus qu'un mot qui, affublé fébrilement de quelques breloques clinquantes qui tentent vainement de lui donner la légitimité que les actes ne lui assurent plus, perd tout son sens, et donc tous ses droits. Un beau mot donc, mais un mot qui ne saurait être estimable sans être accompagné du cortège de vertus qu'il doit incarner.
Par avance, je vous supplie de ne voir nulle ingérence politicienne dans ma position : je n'ai jamais pris fait et cause pour aucun camp ni aucun parti, outre ceux de la justice et du bien-être dus à nos populations, et entends bien ne jamais avoir à le faire. Peu m'importe qui dirige la province ou le royaume, pour peu que cette personne le fasse bien. Aux bassesses partisanes auxquelles j'assiste depuis mon départ des affaires, il y a de cela bien longtemps, je ne prends donc aucunement part, car la bassesse demeure la bassesse, d'où qu'elle soit issue - et mon vieil esprit pétri du respect dû à l'adversaire la voit justement issue de toutes parts, et même, hélas, de la part des personnes que j'affectionne le plus.
Comprenez bien, je vous en conjure, que mon propos n'altère en rien l'amitié que je vous porte, amitié dont vous avez, je l'espère, pleinement conscience : en effet, ce à quoi je dois obéir ici, c'est non à mon amitié pour vous mais à mon sens du devoir, car celui-ci m'impose, en dépit de toute considération personnelle, d'exprimer la position qui doit être celle de tout gentil homme conscient des devoirs éthiques et moraux que lui confère, vis-à-vis de Dieu et des Hommes, une naissance qui ne doit pas être que la garante de ses privilèges. Cependant, en vertu de ce même sens du devoir, il est évident que mon présent propos n'enlève rien à la conscience que j'ai de mes responsabilités vis-à-vis de votre province et de vos gens, que j'aime et auxquels je ne saurais tourner le dos : à travers l'impossibilité dans laquelle je me trouve de vous prêter directement allégeance, il n'y a donc nul refus de service, et si le Berry avait besoin de mon épée, vous seriez assuré, Monseigneur, de la trouver fourbie et vaillante, au-devant des ennemis du peuple, qui doivent aussi être les vôtres. Une fois encore, le bénéfice commun doit passer, ce me semble, bien avant des dissensions personnelles par définition mineures.
Et puisque nous parlons ici du bon peuple de Berry, au service duquel, j'ose le rappeler, nous, têtes couronnées, nous trouvons tous, je tiens à terminer cette succincte allocution par un autre serment d'allégeance, adressé, lui, à cette terre qui m'a vu naître et à ces gens avec lesquels j'ai grandi et, je dois bien l'avouer aujourd'hui, vieilli.
Je prête donc, ici et devant vous, serment d'indéfectible allégeance au Duché de Berry et à son peuple, au service duquel je jure de me dresser face à toute menace, et ce aussi longtemps que mes vieux os supporteront le poids de mon armure. Longue vie au Berry, longue vie à son peuple !
Sur ces ultimes mots, et comme il n'était guère friand de mondanités, le vieux marquis salua très poliment le duc puis l'assistance, adressant sourires et illades aux visages familiers, puis commença à s'en retourner vers la sortie pour retrouver la quiétude de ses terres familiales.
Monseigneur, c'est avec plaisir que je vous revois enfin. J'aurais voulu, pour que ce que j'ai à vous dire maintenant ne soit point dit hors contexte, le faire dès après votre élection. Hélas, le temps est un luxe que je n'ai pas, et que j'échangerais pourtant bien volontiers avec nombre de ceux que j'ai. Mais venons-en au fait : voici donc ledit propos.
Comme bien vous le savez, Monseigneur, et comme bien doit le savoir tout homme et toute femme de noble comme d'ignoble naissance, le lien de vassalité, ce serment pétri d'idéaux qui, par définition, unit entre eux les gens de notre statut est, avant tout, un lien de confiance et de respect, tout autant que d'amitié et de franchise. C'est en vertu de la valeur sacrée de ce lien, que je crains fort d'être l'un des derniers à placer encore au-dessus de sa vieille existence et de ses mesquins privilèges, que je déclare ce jour qu'il m'est impossible de vous prêter l'allégeance rituelle espérée.
Comprenez, Monseigneur, que je ne saurais prêter serment de fidélité à un homme, aussi incontestablement honorable soit-il, qui a accédé à ses fonctions par des moyens qui, s'ils sont totalement justifiables d'un pur point de vue tactique, sont néanmoins, dans leur essence même, en totale contradiction avec les valeurs que je viens de citer et sans lesquelles la noblesse n'est plus qu'un mot qui, affublé fébrilement de quelques breloques clinquantes qui tentent vainement de lui donner la légitimité que les actes ne lui assurent plus, perd tout son sens, et donc tous ses droits. Un beau mot donc, mais un mot qui ne saurait être estimable sans être accompagné du cortège de vertus qu'il doit incarner.
Par avance, je vous supplie de ne voir nulle ingérence politicienne dans ma position : je n'ai jamais pris fait et cause pour aucun camp ni aucun parti, outre ceux de la justice et du bien-être dus à nos populations, et entends bien ne jamais avoir à le faire. Peu m'importe qui dirige la province ou le royaume, pour peu que cette personne le fasse bien. Aux bassesses partisanes auxquelles j'assiste depuis mon départ des affaires, il y a de cela bien longtemps, je ne prends donc aucunement part, car la bassesse demeure la bassesse, d'où qu'elle soit issue - et mon vieil esprit pétri du respect dû à l'adversaire la voit justement issue de toutes parts, et même, hélas, de la part des personnes que j'affectionne le plus.
Comprenez bien, je vous en conjure, que mon propos n'altère en rien l'amitié que je vous porte, amitié dont vous avez, je l'espère, pleinement conscience : en effet, ce à quoi je dois obéir ici, c'est non à mon amitié pour vous mais à mon sens du devoir, car celui-ci m'impose, en dépit de toute considération personnelle, d'exprimer la position qui doit être celle de tout gentil homme conscient des devoirs éthiques et moraux que lui confère, vis-à-vis de Dieu et des Hommes, une naissance qui ne doit pas être que la garante de ses privilèges. Cependant, en vertu de ce même sens du devoir, il est évident que mon présent propos n'enlève rien à la conscience que j'ai de mes responsabilités vis-à-vis de votre province et de vos gens, que j'aime et auxquels je ne saurais tourner le dos : à travers l'impossibilité dans laquelle je me trouve de vous prêter directement allégeance, il n'y a donc nul refus de service, et si le Berry avait besoin de mon épée, vous seriez assuré, Monseigneur, de la trouver fourbie et vaillante, au-devant des ennemis du peuple, qui doivent aussi être les vôtres. Une fois encore, le bénéfice commun doit passer, ce me semble, bien avant des dissensions personnelles par définition mineures.
Et puisque nous parlons ici du bon peuple de Berry, au service duquel, j'ose le rappeler, nous, têtes couronnées, nous trouvons tous, je tiens à terminer cette succincte allocution par un autre serment d'allégeance, adressé, lui, à cette terre qui m'a vu naître et à ces gens avec lesquels j'ai grandi et, je dois bien l'avouer aujourd'hui, vieilli.
Je prête donc, ici et devant vous, serment d'indéfectible allégeance au Duché de Berry et à son peuple, au service duquel je jure de me dresser face à toute menace, et ce aussi longtemps que mes vieux os supporteront le poids de mon armure. Longue vie au Berry, longue vie à son peuple !
Sur ces ultimes mots, et comme il n'était guère friand de mondanités, le vieux marquis salua très poliment le duc puis l'assistance, adressant sourires et illades aux visages familiers, puis commença à s'en retourner vers la sortie pour retrouver la quiétude de ses terres familiales.