Blichilde
RP semi ouvert, toute intervention est la bienvenue, mais s'il vous plait, envoyez un MP avant. Bon jeu!
« L'enfance est indigente, chimérique, indéchiffrable. Elle est violente. » Robert Lalonde
Elle s'appelle Blichilde Blaudelle. Elle n'est pas bien vieille - huit, dix ans- , elle n'est pas bien belle non plus. Elle est grande, maigre, le teint bruni par le soleil. Elle sourit peu, mais quand elle le fait, on peut voir qu'il lui manque une incisive. Elle va pieds nus, les jupes trouées, un châle mince autour de ses frêles épaules. Elle est née un peu par hasard un soir de février sur le plancher de terre battue de l'atelier de son père. Elle était le sixième enfant vivant du maçon Blaudelle et de son épouse.
Comme tant d'autres, Blichilde a grandi dans un monde où il fallait pour subsister serrer les dents, les poings fermés. Très jeune on lui enseigna à chaparder des pommes et des oeufs. Le Blaudelle préférant la bouteille au mortier n'avait que très rarement du travail. Comme il fallait bien nourrir toute la marmaille au moins un jour sur deux, on quêtait aux soeurs et on volait au marché. Oh, elle n'était pas malheureuse de sa condition. Elle n'a jamais rien connu d'autre, la Blichilde. Les claques derrière la tête étaient fréquentes, l'hiver on avait froid et on mangeait souvent de la soupe aux glands. Quant à l'amour filial... La mère se taisait, Blaudelle distribuait les volées, les frères lui tiraient les cheveux . Une fois par an, à peu près, un nouvel enfant naissait. Par hasard ou par erreur, comme les autres avant eux. Souvent, il ne passait pas le premier hiver et la famille se rendait au cimetière pour enterrer le petit corps enveloppé dans un linceul.
La mort était familière. La mort n'effrayait pas. Elle arrivait, point. Blichilde ne saurait d'ailleurs pas dire si elle pleura de chagrin ou non lorsque sa mère mourut en même temps que l'enfant. En silence, sur le sol de terre battue. Sans doute pleura-t-elle de chagrin plus tard. Pour d'autres raisons. Pauvre âme. La dynamique familiale changea un peu. C'était maintenant Élodie, la fille aînée de Blaudelle qui servait de femme à son père, malgré les menaces d'Enfer Lunaire que brandissait le prêtre. Blichilde encore innocente ne comprenait pas vraiment ce qui se passait. Elle se contentait de faire ce qu'on lui demandait: aller ramasser des glands, prendre des écureuils au piège et trouver des excuses à Blaudelle pour justifier que son travail n'était pas encore terminé ou avait été mal fait.
Cela dura quelques mois. Nouvelle visite au cimetière. On avait retrouvé Élodie pendue à une poutre de la grange. Comme les autres suicidés, elle fut mise en bière en dehors de la terre consacrée. Pauvre Élodie. Blaudelle ne démontra aucune émotion. Pas une once de remords, de tristesse ou de soulagement. Rien. Il se contenta de retourner à ses briques une fois la cérémonie achevée. Pauvre Blaudelle. Un soir où il ne rentra pas, Blichilde alla voir ce qu'il faisait. Encore bourré, probablement. Lorsqu'elle poussa la porte, elle ne trouva qu'un tas de briques. Flegmatique du haut de ses dix ans, l'enfant retourna dans la maison annoncer à ses frères que leur géniteur n'était plus.
-L'Blaudelle il est comme les roys. Y dort dans un cercueil en pierre.
Sans plus de cérémonie, elle haussa les épaules retourna à sa soupe aux glands. Probablement que le corps du père gît encore au même endroit en ce moment. Bonjour l'odeur au printemps!
-Si ça s'trouve, Élodie est en train de lui casser la gueule sur la Lune!
Et le frère Kacedic de renchérir:
-Bien fait pour sa gueule tiens. En même temps, elle avait d'ces nichons l'Élodie!
Sourcillement blichildiens.
-Au temps pour moi...
Peu de temps après, Kacedic commença à regarder Blichilde d'un oeil différent. Ses amis aussi. L'enfant ne remarqua rien au début, puis commença à être agacée sans savoir trop pourquoi.
-T'es une femme, la soeur.
-Pff! Même pas vrai. Dit-elle en grommelant.
-Bientôt, alors.
-Pis? Qu'est-ce que ça peut t'faire à toi?
Il n'avait pas répondu, mais avait continué de boire sa bière forte. Kacedic n'avait pas les moyens de se payer une fille de joie. Kacedic n'avait pas de succès auprès des filles. Kacedic avait des envies que tous les jeunes hommes normalement constitués ont. Blichilde était plate, longue et n'avait pas les traits fins. Mais Blichilde était une femme. Une fille. Enfin, une femelle. C'est donc mu par une envie que la bière avait décuplée qu'il saisit sa soeur par le cou, la fit basculer sur la table bancale et avait assouvi rapidement son instinct.
Blichilde n'avait pas crié. La douleur l'en empêchait. Elle n'avait pas compris ce qui s'était passé. Il s'était rajusté et avait quitté la pièce. Remords? Honte? Seul le Sans-Nom le sait. Blichilde, elle, était restée immobile, tremblante. Les enfants dormaient dans la pièce d'à côté. Avaient-ils entendu? Lentement, elle se redressa, rabaissa ses jupons sur son corps meurtri. Elle ne serait plus jamais une enfant.
Lorsqu'il revint à peu près sobre, il ne la regarda pas. Dégoût? Peut-être. Il croqua dans une poire et s'adressa à sa cadette sans la regarder. Celle-ci était assise près de l'âtre et fixait les flammes. Elle sursauta lorsque la voix de Kacedic retentit.
-Maintenant que tu as connu un homme, tu vas pouvoir le refaire et rapporter de l'argent. T'as tes mois?
Elle haussa les épaules.
-Non? Excellent, tu nous f'ras pas un chiard!
C'est donc à partir de ce moment qu'il s'affichait avec la fillette dans les bouges, cherchant à la louer pour quelques sols la passe. Elle était plate, nous l'avons vu. Ses ronds de jambes et son sourire forcé ne dupaient pas grand-monde.