Syuzanna.
RÉSUMÉ DE LÉPISODE PRÉCÉDENT :
Novembre 1460. Syuzanna NicDouggal arrive à la Rochelle pour retrouver sa cousine. Elles doivent entreprendre un voyage jusquà Pau, où Sybelle a laissé quelques affaires.
Malheureusement, une tempête fait rage ce soir-là, et après un entretien quelque peu houleux, Syuzanna se prend la branche morte dun arbre proche en plein front. Sen suit une perte de connaissance. Sybelle en profite pour prévenir Søren MacFadyen Eriksen, époux de Syuzanna, que sa femme est gravement blessée. Celui-ci écrit à la demi-sur de Syu, Caitriona « Enjoy » MacDouggal Corleone. Maonaigh MacDowell est également prévenu, et ainsi, cest quasiment toute la famille qui se trouve au chevet de la blessée.
Blessée qui, en ouvrant les yeux, savère être amnésique. Ayant oublié les deux dernières années de sa vie, elle ne reconnait ni Enjoy ni Søren.
Le voyage jusquà Pau se fait malgré tout, et alors quelle remonte vers son foyer, ce « trou noir » commence à obséder la jeune femme
- Episode 2 : Combler le noir
« Fous-moi la paix ma sale caboche
Tu ne me feras pas sombrer
Je t'aurai à grands coups de pioche
Si tu ne laisses pas tomber »*
Novembre avait passé, Décembre avait pris sa place. Comme toujours. Immanquablement. Le cours naturel des choses de la vie, en somme. Rien de nouveau sous le ciel plombé. Pourtant ce mois de Novembre avait été extraordinaire pour au moins une personne sur cette Terre. Et cette personne nétait autre que celle qui était assise sur une chaise, face à la fenêtre de sa chambre, un pied posé sur le bahut de bois clair.
Il sagissait dune jeune femme, aux cheveux aussi roux que le pelage dune belette. Ses deux épaisses nattes reposaient sur ses frêles épaules, et son kilt était légèrement remonté sur ses cuisses blanches.
Elle insufflait régulièrement de la force dans sa jambe en suspension, se balançant lentement davant en arrière. Longle dun pouce coincé entre les dents, elle scrutait le paysage qui soffrait à ses yeux désabusés. Le lac semblait dacier. Les faîts des arbres étaient vierges de verdures. Et la neige dégringolait du ciel lentement, étouffant les sons.
Cela aurait pu être un Hiver ordinaire pour Syuzanna NicDouggal puisquil sagissait bien delle mais cétait pourtant loin den être un. Suite à une malencontreuse collision dentre son front et une branche morte, son passé lui avait échappé, coulant entre ses doigts comme de leau. Il eut été faux de penser quelle avait tout oublié. Car ce nétait que les deux dernières années qui avaient désertées sa mémoire abimée. Cela naurait peut-être pas dû la perturber autant, mais pourtant, cétait bel et bien le cas. Elle avait ouvert les yeux à la Rochelle en se croyant aux pieds du Ben Nevis, avait appris tout dabord que son père était mort, quelle était mariée, quelle avait adopté une fillette, et tout le monde avait été si évasif quant au sujet de Duncan quelle avait fini par comprendre que lui aussi avait disparu.
Tout cela sentrechoquait dans son esprit. Mort du père, mort du fiancé, mort du Clan. Départ de chez elle. Départ pour la France. Rencontres avec qui, avec quoi ? Elle avait tout oublié. On la regardait de travers, elle le sentait. Elle défiait tout le monde, brisait les liens de sa « vie davant ». Ne plus rien avoir à faire avec « ces gens-là » était devenu presque vital. Dès la seconde rencontre, elle avait clairement expliqué au Danois-Ecossais quelle ne poursuivait pas laventure avec lui. Ils avaient autant à faire ensemble que le Soleil et la Lune. Il nétait rien, elle était tout. Il voulait rester ami ? Non, elle nen voulait même pas comme ami. Il avait été sa faiblesse durant ces quelques mois, hors de question quil la redevienne. Même sil ny avait aucune chance pour que cela soit. Dailleurs il le lui avait dit lui-même, il ne laimait plus. Et lutter pour des causes aussi futiles que lamour Non, le seul pour lequel elle aurait combattu nétait plus de ce monde. Et elle voulait se rappeler de lui lors de leur dernière entrevue.
Cétait en partie pour cette raison quelle voulait se souvenir. Si on lui avait dit quelle avait « simplement » émigré vers la France suite à la défaite, elle naurait pas été si tracassée. Mais là, quavait-elle appris ? Quelle sétait mariée ! Avec un blond, assez sympathique dans lensemble mais qui ne lui inspirait strictement rien. Daccord, il était relativement bel homme, mais après ? Comment avait-elle pu On lui avait dit quelle laimait profondément. Pouvait-on oublier lamour ? Ou bien, comme elle le croyait, sétait-elle contentée de transporter lamour quelle ressentait pour Duncan vers cet individu-là ? Cétait la seule possibilité qui lui paraissait tenir la route. Ils avaient les mêmes yeux bleus, et en se concentrant bien, elle pouvait superposer les traits tant aimés sur ceux de son « mari ». Søren MacFadyen Eriksen, cette mixture dEcossais et de Danois, néveillait rien en elle, sinon un partenaire de beuverie. Aucun tressautement de cur, pas de pouls qui semballait. Quil continue sa vie et les cochons seront bien gardés ! Quil séduise à tour de bras, puisque cétait apparemment sa seconde activité favorite, après la bière. Certains disaient même quil la trompait copieusement. Et pour Syu qui exécrait linfidélité, son mépris à légard du demi-Ecossais sétait encore accru. Elle ne pouvait sempêcher déprouver un vif ressentiment à son égard. Cétait sa faute à lui, si elle avait changé. Comment avait-elle pu tolérer quil déménage un mois après son mariage ? Et comment avait-elle pu accepter ses tromperies sans légorger aussitôt ? « Jus de chaussettes dEcossais, va. Quil se fasse bouffer par une bestiole ! Ou non, quil chope la syphilis ! Ou quil se noie dans un tonneau de bière en souffrant atrocement ! », songea-t-elle en se redressant quelque peu, ranimée par ces agréables pensées.
Son pied abandonna son appui, et elle se leva en souplesse, légère et silencieuse comme lair. Lorsquelle était encore à Bergerac, une dizaine de jours plus tôt, elle lui avait demandé de lembrasser, pour voir. Mais rien ne sétait produit. Aucun souvenir qui était remonté, aucune sensation de plaisir ne lavait fait frémir. Le bloc de pierre était redevenu bloc de pierre, et cela la rassurait. Elle sétait depuis, activement rincée le gosier à grand renfort de whisky, pour éliminer la souillure de son odieux baiser. « Les accidents narrivent pas par hasard » Non, sans doute pas, elle devait bien le reconnaître. Elle avait dû faire des erreurs, ces deux années-là, et maintenant, il ne fallait pas quelle les répète. Cétait un signe des Dieux ou elle ne sappelait plus Syuzanna NicDouggal ! Mais pour ne pas recommencer, encore fallait-il se souvenir. Et pour se souvenir, il lui fallait remonter le temps. Par où commencer ? « Déjà, le cousin, lui pourra maider. Il était là. » Cétait le bon sens même, et si elle navait pas de cur, elle se targuait au moins davoir un peu de raison.
Sortant de sa chambre, elle emprunta lescalier qui menait au rez-de-chaussée, et simmobilisa devant une porte, tout à côté. A droite, le battant mystérieux, à gauche, le couloir menant à la salle à vivre. Elle nhésita pas longtemps, et enclencha la poignée. Aussitôt, des odeurs étranges, inconnues mais qui semblaient familières, lui assaillirent les narines. Lherboristerie. Elle avait été herboriste, elle laurait presque oublié, parmi toutes les autres révélations. Les sachets de toile salignaient là, parfaitement rangés. Onguents, pommades, feuilles et fleurs séchées Un monde de paix que celui-ci. Nul doute que çavait été sa pièce préférée. Cela ressemblait tant à la maison dIseabail !
Syuzanna poussa un profond soupir, et se détourna de lalignement des étagères qui lentement mais sûrement, prenaient désormais la poussière. Regagnant le couloir, elle saventura dans la maison silencieuse. Les enfants jouaient dans un coin. Et Manu était là, comme toujours. De trois ans son aîné, il avait toujours plus ou moins veillé sur elle, même si elle navait jamais eu besoin de personne pour se défendre.
- Manu ? Faut qujme souvienne, je tourne en rond et jdeviens folle. Aide-moi à Je sais pas. A me souvenir. Jveux rtourner dans tous ces endroits où que jai été avant. Tu veux bien maccompagner ? Prévenir les autres ?
* Olivia Ruiz - Elle panique
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