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[RP] Entretien avec un Danois

Syuzanna.
« I say high, you say low,
You say why and I say I don't know, oh no
You say goodbye, I say hello »
*

[Le 24 Décembre 1460 - à Vêpres - Sarlat - taverne du « Barbu Tyrannique »]

Joyeux Noël ! Joyeux Noël ! Ces cris de joie résonnaient à travers tout le royaume, et sans doute aucun dans tout le Périgord-Angoumois. Les femmes rivalisaient d'élégance avec des tenues d'or et d'argent, de velours rouge ou vert, de soie bleutée et de mousseline blanche. Les plus aisées d'entre elles arboraient de charmants cols de fourrure. Certaines avaient même les pieds chaussés de vair, ou les mains gantés d'hermine. Sur les gorges rondes brillaient des perles, des diamants, ou des pierres plus humbles. Les hommes eux-mêmes s'étaient mis en frais : leurs bottes étaient convenablement cirées, leur cape fraichement lavées, leur chemise sentaient bon le savon de Marseille, et sur certains couvre-chefs, une plume flottait au vent.

Dans les tavernes, on avait installé le traditionnel arbre de Noël. Tout paré de pommes rouges, de pomme de pin, et parfois même de rubans, les sapins rivalisaient de splendeur. La grosse boule de verre peinte était suspendue à l'arbre de fête, pour « éloigner les sorcières », comme le disaient les aristotéliciens. Tout le monde était joyeux, chaque visage était illuminé de bonheur. A minuit, on célèbrerait la naissance d'Aristote avec une grande messe. C'était l'occasion de montrer que l'on était généreux. On accueillerait un mendiant pour l'occasion, là où il resterait de la place. On avait déjà choisi la bûche à souhait, celle sur laquelle chaque membre de la famille placerait sa main en faisant un voeu : si la bûche était consummée au matin du 25, le souhait prendrait corps. Si non, il ne restait plus qu'à attendre le Noël prochain...
Le lendemain aussi serait une fête. La dinde serait dégustée, entourée de marrons. On jouerait dans la neige, bâtirait d'éphémères bonhommes auxquels on donnerait son foulard, voire son chapeau.
Chacun avait hâte, désormais, de se réunir, de se retrouver ensemble pour fêter la naissance du prophète. Les tavernes se vidaient peu à peu, sur de joyeuses paroles. Tout le monde était heureux.

Tout le monde ? Non, car une jeune femme luttait encore et toujours contre l'esprit de Noël. Et cette jeune femme n'était autre que la païenne du coin - chaque région en avait au moins une - la rousse Ecossaise, Syuzanna NicDouggal. Qui haïssait cette fête ridicule. Il fallait bien dire aussi, qu'à part les quatre fêtes Druidiques, Syu n'aimait pas les célébrations. Pas parce qu'elle se sentait exclue - même si c'était le cas - mais parce qu'il fallait faire semblant d'être heureux. Tout allait mal les 363 autres jours de la vie, mais comme par miracle, le bonheur était complet, la félicité atteinte, le 24 et le 25 Décembre. Cela sentait l'hypocrisie à plein nez.

Assise dans un coin de la taverne, juste à côté du sapin, elle jouait avec la boule des sorcières. On ne lui disait rien, parce qu'on la considérait comme telle. La rousse herboriste adepte du druidisme et qui en plus a perdu la mémoire ? Elle n'avait rien pour elle, pauvre femme. Et elle devait être bien puissante pour ainsi toucher un objet béni par le prêtre sans se tordre de douleur.
Une chope d'étain trônait sur la table, en compagnie d'un pain d'épices à moitié consommé. Son en-cas, avant d'aller déguster une bonne pièce de viande fraiche.
Elle soupira alors que la cloche de l'église marqua sept coups. Vêpres, l'heure du rendez-vous avec le Danois. Danois, simplement, pas de mention écossaise. Il ne le méritait pas. Pas à ses yeux de pure Scott.
S'adossant dans sa chaise, la boule de verre en suspension entre ses doigts fins et pâles, elle jeta un regard à la porte, qui demeurait close. Que faisait-il donc ? Ah, songea-t-elle avec amertume. Il devait être en train de quitter une donzelle, dans une quelconque chambre d'auberge. A moins qu'il ne les prenne directement dans le foin de l'écurie ? Elle eut une moue dédaigneuse.

Ce n'était pas par plaisir qu'elle lui avait donné rendez-vous. Plutôt par contrainte. Il avait voulu lui parler d'une chose personnelle, au bureau de la prévôté, mais n'en avait rien fait. Et elle voulait savoir de quoi il retournait. Ensuite, elle devait lui demander deux ou trois choses dont lui seul aurait les réponses. Et puis, rompre définitivement ce mariage encombrant, qui l'empêchait de renouveler d'autres voeux, pris en d'autres temps. Et même si elle ne comptait pas fêter Noël, elle avait hâte de partir du Barbu Tyrannique. Hâte que ce pénible entretien soit terminé. Hâte de reprendre enfin sa liberté.


- Mais qu'est-ce que tu fous, Eriksen ?


* The Beattles - Hello goodbye
{Je parle haut, tu parles bas
Tu dis pourquoi et je dis je ne sais pas, oh non
Tu dis au revoir, je dis bonjour}

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Soren
24 Décembre 1460... Ma première veillée de Saint-Noël en Périgord. Il parait qu'on se souvient toujours de ses premières fois. Mon premier baiser, ma première nuit d'amour, mon premier brigangage en tant que victime et en tant que procureur. Eh bien, cette première Saint-Noël ici ne restera pas longtemps dans ma mémoire. Pour cette occasion, mes bottes m'avaient mené jusqu'à Sarlat que je retrouvais de temps à autre depuis mon installation à Bergerac. Pourquoi? Simplement pour rendre service. Pour répondre à une demande de ma protégée. Pour faire un tour sur les remparts de la ville pendant que le reste de la ville fêterait. Est-ce que je regrette cette décision? Non. Pas vraiment. Même si j'ai du annuler ma présence auprès de ceux qui font maintenant mon quotidien, de ceux avec qui je travaille jour après jour. Ça ne sera que partie remise. Je fêterai avec eux le passage à 1461! N'empêche, c'est un foutu travail que celui de la maréchaussée! Aucun répit! 365 jours par an, il faut veiller sur la sécurité des villes du comté! Pas un jour de repos! Pas un! Ouais, c'est bien un foutu travail!
Sarlat avait été la ville avec laquelle j'avais pris le premier contact avec le Périgord, un jour d'Avril. J'étais venu ici pour retrouver une personne, avoir une discussion sérieuse. J'y ai trouvé des amis, un lieu où vivre. Petit à petit, je m'étais intégré à ce petit monde...et je m'y suis plu. J'avais tout ce qu'un homme pouvait désirer. Sarlat était la ville la plus agréable que j'avais jamais traversé dans le royaume de France. C'en est suivi un mariage...et un déménagement à Bergerac? Pourquoi ai-je donc quitté cette ville que j'aimais tant? Que j'aimais au point de convaincre d'autres personnes d'y rester? Par défi! Oui! A Sarlat, j'avais tous sauf un défi à accomplir. A Sarlat, j'étais un homme parmi tant d'autres. La vie ne manquait de rien, grouillait de vie. Je n'avais rien à lui apporter et de facto, elle ne m'apportait aucun défi. Bergerac, c'était tout le contraire : une ville déserte, délaissée par ceux qui avaient formé son âme par le passé. Bergerac présentait ce défi que je n'avais pas à Sarlat. A Bergerac, je pouvais servir! Essayer de ranimer la ville, participer à sa reconstruction après une période difficile. Tout était à refaire : restaurer le cadastre, revitaliser la vie minière, faire sortir les gens de leurs maisons, remettre à flot le marché... Et j'eux la chance de croiser une personne fantastique : Louiise. Elle a prit à sa charge toute la partie gestion de l'économie municipale. A moi le cadastre, la mine, le bureau de police! La maréchaussée? Mano était le seul maréchal! Il portait la défense de la ville sur ses seules épaules. Oui, il y avait tant à faire...
Il faut croire que, dans la vie, rien ne se détruit, rien ne se crée. Le prix de mon implication à Bergerac? Mon mariage. Ma vie avec Syu. Ce que j'ai donné à la communauté, j'ai l'impression de l'avoir perdu sur le plan personnel. Disputes, idées divergentes, intérêts qui s'éloignent de plus en plus, amour qui s'effiloche...Loin des yeux, loin du coeur? Je n'avais jamais cru à cet adage. Et pourtant il fallait croire que j'avais tort!
Si la journée avait bien commencé, cela a bien changé depuis. Je suis d'humeur morose. La crise noire est loin, toujours enchainé au fin fond de mon esprit, mais je m'ennuie désormais à Sarlat. La journée me parait longue, très longue. Enfin, vêpres pointait le bout de son nez. Vêpres...l'heure de mon rendez-vous au barbu tyrannique. J'entre dans la taverne. Ma vision doit s'habituer à la pénombre des lieux. Où est-elle? Ah! la voilà! Seule...comme prévu! A un instant, j'avais cru qu'elle serait venue en compagnie de son fatigant de frère-cousin...même pour une discussion personnelle! Manu...Il a beaucoup trop d'influence sur elle. Beaucoup de trop mauvaise influence!


- Bonsoir Syu! Je ne te souhaite pas une joyeuse Saint-Noël! J'imagine que tu ne fêtes pas ce soir?

Je prends place à sa table. Je suis mal à l'aise. Je ne sais pas trop comment aborder la discussion. J'évite même son regard, cherchant à la place le tavernier pour lui demander une bière...en espérant que Manu n'amène pas sa fraise.

- Peux-tu m'expliquer pourquoi? Quand tu es venue à Bergerac, on s'est expliqué. Tout était clair entre nous. Je t'ai proposé mon amitié. Tu avais accepté. Tu m'avais même annoncé que tu resterais un mois à Bergerac! Tu passes ici...
Tu parles avec cet abruti de Manu! Ouais... Il y a des pensées qu'il vaut mieux essayer de ne pas formuler

...et tu changes complètement d'avis! Pire...tu veux rejoindre des malfrats! Des personnes qui se battent sans aucun idéal! leur seul but est de nuire, de s'enrichir sur le dos des autres, de vivre de petites rapines. Ils se foutent de l'Anjou! Il se foutent du Roy de France! Tout ce qu'ils veulent, c'est que la guerre apporte son lot de troubles pour qu'ils puissent mieux mettre en oeuvre leurs noirs desseins? Qu'est-ce qui te prend Syu? Perdre la mémoire, c'est une chose... Mais là, tu perds aussi les valeurs que je te connaissais. Tu fais une croix sur ce en quoi tu croyais? Je n'arrive tout simplement pas à y croire!
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Syuzanna.
« Elle me dit "oui un jour tu me tueras"
Et c'est quand elle me dit ça
Qu'elle me dit un truc que j'aime »
*

La porte s'ouvrit, les clochettes qui y étaient suspendues s'agitèrent, produisant un léger tintinnabulement. La voix des fées, d'après la légende, ressemblait à cette petite mélodie désordonnée.
Un homme entra, et fort heureusement, ce fut Søren. Deux minutes de plus à attendre, et la rousse serait repartie d'où elle était venue.
Feignant ne pas l'avoir vu, elle porta son regard vers l'extérieur, l'air désabusé. La neige tombait à gros flocons, régulièrement. Ils étaient visibles grâce aux lanternes accrochées de chaque côté de l'entrée, le noir de la nuit interdisant de voir plus loin que ces cercles de lumière jaune.


Il prit place en face d'elle, et il ne fut plus question de l'ignorer. Cela n'eut pas été très poli, même si à vrai dire, la politesse ne faisait pas partie des qualités premières de Syuzanna.
Sans dire un mot, elle l'écouta de bout en bout de son discours. Une fois, elle porta la chope à ses lèvres, sans le quitter des yeux. Sa première question était superflue, tous deux le savaient bien. Non, elle ne fêtait pas Noël, elle avait une tronche à fêter Noël ? Et alors ? Elle n'était pas hypocrite, elle ne retournait pas sa veste en fonction de l'endroit où elle se trouvait. Elevée dans la religion druidique, elle entendait le rester jusqu'à ce que son heure ait sonné. Elle n'admirait pas les créations des Dieux en faisant trempette dans un lac, tout en s'engageant dans l'aristotélicisme. Elle ne jouait pas sur plusieurs tableaux.

Il se tut. Visiblement, c'était à elle de parler. Il attendait une réponse, et d'ailleurs, elle n'était pas venue là pour rester silencieuse. Leur dernière entrevue devait voir éclore tous les sujets dont ils n'auraient plus l'occasion de parler ensuite, puisque de toute façon, ils ne se fréquenteraient plus.
L'Ecossaise se cala confortablement dans sa chaise, les bras croisés sous sa poitrine menue. Un léger sourire en coin affleura à ses lèvres ourlées, et elle expliqua enfin, d'une voix calme, détachée, presque du ton de celle que la conversation n'interessait que moyennement.


- Pourquoi, me demandes-tu. Commençons par le début. Ta proposition d'amitié.

Elle pencha légèrement la tête de côté, avant de poursuivre :

- Tu m'as proposé d'être ton amie, mais une relation de ce type n'inclue-t-elle pas pour toi un minimum d'honnêteté ? Ce mot t'est-il inconnu ? Il me semble, d'après les dires que j'ai entendu un peu partout où je me suis rendue, que tu ne t'es pas gêné pour me tromper copieusement. Ton départ à Bergerac n'aura fait que confirmer cette rumeur. Et il me semble que tu ais profité du fait que je ne me souvenais pas de ce point - comme de bien d'autres - pour l'omettre. Volontairement, cela ne fait aucun doute. ta proposition d'amitié ressemble pour le coup à un verre empoisonné donné à quelqu'un mourant de soif. Ensuite... On a dit aussi que tu as laissé ta famille m'insulter sans réagir jamais. Que puis-je en conclure ? Que cela t'était égal. Tu t'imaginais peut-être que j'allais me défendre toute seule ? Sauf qu'insluter une épouse entâche aussi le mari, et si tu n'es pas soucieux de ton honneur, moi, je m'en préoccupe. Ton devoir d'époux n'était-il pas de défendre ta femme contre le venin de ta Môman, de ta soeurette-chérie, et de ton beau-père ?

Elle fit une pause, s'abreuvant quelque peu avant de reprendre :

- Ensuite... Pourquoi m'engager du côté de l'Anjou. A cela je réponds, pourquoi pas ? Et surtout, Seurn... Tu dis que je perds les valeurs que tu me connaissais ? Que je fais une croix sur ce que je croyais ? Mais finalement, Seurn, en réalité... Que sais-tu vraiment de moi, toi qui as fuit au bout d'un mois de mariage ? Toi qui m'a trompé ? Qui ne m'a jamais défendu ? Que sait de moi l'homme que j'ai épousé et qui m'a laissé en plan ? Et cet homme-là, s'il s'agit bien d'un homme, a-t-il le droit de donner son avis à une personne dont il ne s'est jamais soucié ?



* Mika - Elle me dit
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Soren
Au moins cette fois, elle était calme. Bien plus calme que lors de sa visite dans mon bureau à la prévôté. Quand je disais que le Barbu Tyrannique avait une mauvaise influence sur elle! Tout ce qui se passe autour de moi n'a plus d'importance. Mon attention est complètement reporté sur ces paroles. Finalement, elle avait raison. Je crois que cette discussion devait avoir lieu. Et pffff... je vois que j'ai beaucoup de travail de démolition à faire devant moi! D'un claquement de doigts, je hèle une serveuse et lui fait signe que je désire une chope.

- Joli petit bout de femme tu ne trouves pas?

Provoquant? Oui! Complètement! C'est même l'objectif que je recherche! Sans même avoir honte! Je soupire en entendant ses paroles. Décidément, je n'arrive vraiment plus à reconnaître celle que j'ai aimé, même si je l'ai toujours vu comme étant quelqu'un de jaloux. Le visage tendu, les traits tirés, je ne cherche même pas à croiser son regard. Je ne veux pas qu'elle lise la déception dans mes yeux. Ça ne sert à rien. Ça ne fera pas avancer la situation et ça ne fera que mettre de la confusion supplémentaire dans une situation qui commence plus à ressembler à une mauvaise tragédie grecque.

- Elle est loin la Syuzanna NicDouggal qui a volontairement marché sur mon pied pendant un concours de lancer de chopine tu sais. Oh oui...très loin!

Je soupire, avale un gorgée de bière. Dans la taverne, le bruit de fond s'est amplifié mais je n'y fais pas attention. Il pourrait même y avoir une bagarre généralisée que je ne m'en apercevrais pas.

- Depuis quand Syuzanna NicDouggal prend la rumeur publique pour des faits avérés? Depuis quand a t-elle perdu sa capacité de raisonner? De penser par elle-même? De se faire ses propres idées au lieu de consommer celles déjà préparées par d'autres esprits retors? Ça, Syu, c'est pour ceux qui sont incapables de réfléchir par eux-même. Pour les sots quoi! C'est bien facile d'écouter ce que la rumeur dit sur une personne et d'en faire son propre jugement!

Je me redresse et m'approche d'elle pour la toiser de mon regard dur.

- Je veux bien croire que tu as tout oublié, que tu ne te rappelles même pas qu'on a été marié... mais si tu crois que je suis du genre à aller en taverne pour lever une donzelle et coucher avec, alors, tu ne connais pas...pas ou plus... l'homme que tu as épousé! Je ne suis pas comme ton frère, cousin ou je ne sais quoi! Je ne laisse pas une maitresse ou une putain alanguie dans sa couche dans chaque village que je passe! Maintenant, je vais te dire Syu : tu penses ce que tu veux. Je ne cherche même pas à te convaincre ou à savoir qui t'a dit ça. Je m'en fous! Je trouve juste dommage de te voir si crédule... toi!

Voilà! C'est dit! Avec le coeur! Avec les tripes! Pfff...Un mari couche-toi là?!?!?! Je hoche la tête de gauche à droit. On est resté si longtemps ensemble et elle n'a pas compris. Comment peut-elle croire que je suis capable de confondre séduction et plaisir charnel? Ne comprend-elle pas qu'il n'y a aucun intérêt à céder à une femme pour une nuit? Décidément, elle est vraiment trop influencée par son cousin! Oui! Vraiment!

- Quand à ma famille, encore une fois, tu agis sans réfléchir. Tu me crois asservi par ma mère? Tu crois que j'ai perdu tout sens critique? Encore une fois, c'est bien facile d'écouter les autres donner des idées qu'ils ont déjà mâché et remâché! J'aime ma famille c'est vrai...même maintenant alors que ma mère m'aurait renié! Qu'importe! La Syu que j'ai connu n'aurait eu besoin de personne pour se défendre de quelqu'un comme Bryn MacFadyen! La Syu que j'ai connu aurait pris comme une insulte qu'un homme puisse croire qu'elle ait besoin d'être défendue. Et la Syu que j'ai connu se serait rappelé aussi que je l'ai épousé contre la volonté de cette même famille. Alors là aussi, tu vois, je ne te comprends plus Syu... Et là non plus, je ne veux même pas savoir ce qui a bien pu te mettre ça en tête! Même si je trouve extrêmement lâche de le part de celui qui l'a fait d'oser mettre dans ta tête d'amnésique autant d'idées préconçues!

La conversation prenait un tour auquel je ne m'étais pas attendu. Il faut vraiment qu'elle ait tout oublié et qu'on ait abusé d'elle pour résumer notre relation à ...ça!

- Mais est-ce là le plus important pour toi actuellement? Vraiment? Les ragots qu'on colporte sur moi? C'est ça qui t'intéresse?
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Syuzanna.
« I've never dared to
Let my feelings free » *


Il s'attendait peut-être à ce qu'elle ne réponde rien à propos de la serveuse ? C'était sans doute ce qu'elle aurait fait si elle se souciait encore de lui. Elle avait dû être jalouse, à l'époque. Elle avait dû avoir peur que d'autres femmes n'occupâssent ses pensées. Il était bel homme, une aveugle s'en serait rendue compte. Et elle savait en connaissance de cause, qu'on trouve toujours plus beaux ceux que l'on aime. Même un homme médiocre se pare des traits les plus fins quand il est aimé, et une femme médiocre devient sirène lorsqu'elle se sait la préférée. La beauté était après tout, affaire d'amour, avant autre chose.

- Trop maigre, rétorqua-t-elle donc. Mais son visage est charmant. Tu devrais tenter ta chance.

Un léger sourire plana sur les lèvres de la rousse. L'ennui avec elle, c'était qu'on ne savait pas toujours délimiter la frontière entre l'humour et le ressentiment. Certains traits d'ironie se perdaient donc pour les autres, qui y voyaient-là une énième trace de mauvais caractère.
Elle l'écouta parler, de nouveau. Il avait des choses à dire. Des reproches à lâcher. Il avait dû les retenir depuis un moment, et elle ne sut plus très bien s'il s'en prenait à la Syu amnésique, ou à l'autre. Celle d'avant. Mais elle aussi avait des choses à dire. Certains aveux devraient être gardés pour plus tard. Certains aveux méritaient le bon moment. Lorsqu'il eut finit ses tirades, lorsqu'il eut repris place, lorsqu'il eut posé sa dernière question, elle s'autorisa à fermer les yeux. Juste quelques secondes. Elle s'autorisa aussi à afficher sur son visage le véritable état d'esprit dans lequel elle se trouvait. Alors qu'une seconde plus tôt, chaque parcelle de sa figure était empreint d'ironie, de colère, de méchanceté, l'espace de ces quelques secondes, ce fut l'incertitude qui modela ses traits. L'incertitude et la peur ; la peur et cette sensation d'être perdue dans un monde trop grand pour elle. Elle redevint cette enfant qui, en Ecosse, était restée une nuit entière seule dans la forêt, alors qu'elle n'avait pas dix ans, et qu'elle craignait le noir. Elle attendait que quelqu'un vienne la chercher pour lui montrer la lumière.

Brusquement, elle rouvrit les paupières. Elle avait toujours ce même air d'enfant paniquée, mais cela ne dura que le temps d'un battement de coeur. Elle reprit bien vite son attitude désinvolte, rebelle, insolente. Taire ses émotions était capital pour la suite des évènements. Elle devait garder la tête froide, à tout prix.


- Tu dis que je devrais me forger ma propre opinion. Je ne demande que ça, au fond. Mais m'as-tu aidé à le faire ? Non. Tu m'as invité à la Crevette à l'Arnica, tu m'as annoncé en gros que nous avions été mariés, et tu m'as dit que tu ne m'aimais plus, ou pas, ce qui est quasiment la même chose. Et le lendemain, tu m'as ignoré la plupart du temps. Tu n'as rien fait pour m'aider, et si tu me connais aussi bien que tu oses le prétendre, tu aurais su alors que je ne suis pas du genre à demander de l'aide. J'ai bien trop de fierté, et dieux merci, j'en suis consciente, au moins. J'avais besoin de toi, Seurn. J'avais besoin que tu me dises comment s'était passée notre relation, comment nous nous étions rencontrés, et où. Et au lieu de ça...

Elle ne cacha pas un air méprisant, et se passa sous le nez une main énervée, furieuse. Un reniflement lui remonta brièvement les narines et les lèvres, et elle poursuivit :

- Au lieu de ça tu me parles comme si j'avais toute ma mémoire ! Là, par exemple, parfaite illustration de mes propos de l'instant ! Tu me parles du fait que je t'aurais marché sur le pied lors d'un concours de... de quoi déjà ? De chopes ?

Son plat de main s'abattit sur la table, faisant trembler les godets.

- Je ne me souviens pas de ça, d'accord ? Je ne me souviens de rien ! Je ne sais pas comment j'ai atterri en France, je ne sais pas comment je suis arrivée à Compiègne, je ne sais pas non plus pourquoi je...

Elle se mordit la lèvre, et lui jeta un regard assassin.

- Je ne sais plus pourquoi je t'ai aimé ! Et tu n'as rien fait pour me le rappeler. Alors à défaut de la vérité, pour le coup, je me contente des histoires que l'on me raconte, puisqu'en tant qu'amnésique, je n'ai que ça pour me raccrocher à ces deux années de noir. Peut-être que ce n'est pas la vérité absolue, mais c'est mieux que rien, pour combler le trou.

* Trouble sleeping - The Perishers
{Je n'ai jamais osé
Laisser mes sentiments s'exprimer librement}

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Soren
Trop maigre? Peut-être! De toutes façons, je me fous de cette servante. Regarder n'est pas synonyme d'une engagement d'une vie...ni même d'une nuit! De toutes façons, rien n'est synonyme d'une engagement à vie...pas même la mort! Je me demande comment prendre sa réflexion sur cette fille. Elle doit bien se douter que je ne suis pas venu ici pour courtiser. Ça n'aurait tout simplement pas de sens! La Syu que j'avais connu n'aurait jamais réagi ainsi. Elle aurait dit quelque chose comme... " Ferme donc ta bouche et arrête de baver. Sans ça, tu vas vite sentir au niveau de ton entrejambe que la pointe de mon poignard est plus tranchante que le rasoir d'un barbier!"

- Pas du genre à demander?!?!?! Mais for fanden Syu! Je ne suis pas Bryn MacFadyen! Ni même la mère de n'importe qui! Et je ne suis pas non plus un inconnu que tu viens de croiser pour la première fois en taverne! Je t'avais offert mon amitié... C'était bien plus que ce que tu demandais non? L'amitié n'inclut-elle pas l'assistance que tu requiers et que tu sembles avoir omise?

Je détourne brusquement le regard d'un air de dépit! J'ai l'impression de parler danois. Plusieurs mois passés à se côtoyer et tout est balayé par une simple branche venant fracasser un crane mal placé. Tout disparait...et bien plus que des souvenirs. J'ai l'impression de me retrouver en face d'une personne que je ne connais plus. Je n'arrête pas d'y penser. Ça m'obnubile! Qui ai-je en face de moi? Comment une personne peut-elle changer à ce point? Pas juste dans le fait qu'elle ait oublier ses souvenirs...mais dans ses valeurs, son comportement, ses idées ! Au centre de la salle, l'accorte fille se fait malaxer les fesses sans aucune gène par des clients sans scrupule! Pauvre fille! Mais que fait-elle ici, à servir des chopes à des ivrognes ? Dehors, la neige s'est mise à tomber. Elle s'accumule en gros flocons sur les vitres des fenêtres. Le contraste entre le froid de l'extérieur et le confort douillet de l'intérieur provoque le dépot d'un mince filet de buée opaque. Le filet se referme petit à petit sur le barbu tyrannique. Ce soir, il va pourtant me falloir sortir. Ce soir, je garde à Sarlat. Mes mirettes doivent être emplis de doutes, d'incompréhension et d'un brin d'agacement quand je me lève, tape d'un poing sur la table, renversant au passage ma chope qui coule sur le sol

- Mais que veux-tu que je te raconte Syu? Qu'en une soirée, je te raconte ce qui s'est passé en presque un an de vie commune? La Champagne où l'on s'est rencontré alors que je protégeais Loh...Le Maine où nous l'avons amené à sa comtesse de mère...ton isolement à Laval...Notre voyage vers le Périgord et notre installation à Sarlat? Notre mariage? Son échec? Que veux-tu que je te dise Syu? Parle-moi! Dis-moi ce que tu veux que je réponde à tes demandes!

La paume de ma main se rougit lorsqu'elle vient elle aussi rencontrer la table de pin. Les mèches blondes de mes cheveux virevoltent sous l'effet de l'énervement qui me gagne, venant obscurcir ma vue.

- Mon offre d'amitié est sur la table. Si je puis t'aider à recouvrer ton passé, je le ferais!

Un blanc vient prendre place dans la conversation qui s'est envenimée. J'ai besoin de reprendre mes esprits pour éviter que tout ceci ne dégénère. Je me laisse tomber lourdement sur la chaise de bois aussi inconfortable qu'une buche! Je pousse un lourd soupir de dépit et je remarque que le bruit ambiant vient de s'apaiser et que tous les regards sont dirigés vers nous. Engoncé dans la chaise, je scrute un à un les curieux d'un air mauvais, y compris la petite serveuse qui ne sait pas si elle doit appeler le prévôt, si elle doit demander aux quatre armoires normandes de me foutre dehors, ou si elle doit laisser faire et continuer à servir les clients pour que les écus rentrent dans la caisse.

je m'apaise petit à petit et mon visage se déride. Mes traits sont plus calmes, plus posés.


- Je...Excuse-moi Syu...Je me suis emporté...Mais tu me connais...Enfin...tu me connaissais!

je secoue lentement la tête de gauche à droite. J'ai encore oublié qu'elle a perdu tous ses souvenirs! Et pourtant moi, je n'ai pas reçu une branche sur la tête!

- Tu sais, mon travail actuel est prenant. Très prenant. Sans doute trop prenant. Je n'ai plus assez de temps pour moi. Après l'entrevue à la crevette à l'Arnica, je n'ai pas cherché à te fuir. Je n'ai aucune raison de te fuir. Je sais affronter mes responsabilités...et mes décisions. Si l'on ne s'est pas vu avant ton départ pour Sarlat, c'est que l'occasion ne s'est simplement pas présenté. Tu vois, ça, la Syu que je connaissais me l'avait reproché. J'ai passé mon implication comtale devant mes préoccupations d'ordre personnel. Oui! Tu dois trouver ça abject mais c'est ainsi. Mon déménagement à Bergerac, c'est pour ça Syu! Pour tenter de faire revivre une ville qui se mourrait lentement alors que Sarlat regorgeait de gars comme moi! Ton frère...ou ton cousin pense que c'est pour une autre raison. Il a tort. Il ne peut pas me comprendre...sans doute parce que ses priorités sont différentes des miennes. Il a sans doute raison. Ouais....il a sans doute raison.

Avec une phrase pareille, je risque d'être incompris de tout le comté! Ça me rappelle la tête de Kris quand je lui ai dit en toute vérité que j'ai financé la liste d'Elsamarie lors d'une comtale alors que je me présentais sous celle d'EPPA. Puis, quand je lui ai dit en blaguant que j'hésitais à voter EPPA lors de la deuxième comtale! Éternel incompris? Qu'importe!

- Parle Syu! Dis-moi ce que tu souhaites savoir. J'ai ma soirée...juste avant que je ne doive prendre la garde ici.
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Syuzanna.
Savoir, c'est se souvenir *

L'écouter, encore et toujours. Il s'emportait, mais sans que cela n'inquiétât particulièrement la rousse. La colère ne l'avait jamais effrayé. On lui avait toujours répété qu'il valait mieux un emportement vif et vite retombé qu'une colère froide, sourde, et au goût de vengeance.
Comment lui expliquer ce qu'elle voulait ? Comment lui expliquer qu'elle n'avait pas vraiment besoin des détails, mais que les grandes lignes lui suffiraient pourvu que ce soit la vérité ? Pas la version teintée de sentiments qui risquerait d'être erronée, mais juste les faits tels qu'ils se sont passés. Une date, une rencontre, une action. Etait-ce vraiment ce qu'elle désirait ? Elle ne savait pas vraiment. Elle voulait se souvenir de ses propres émotions. Du « pourquoi du comment elle était devenue herboriste » ; pourquoi s'être mariés si c'était pour qu'il aille « redorer le blason d'un village-cimetière » ? Elle était perdue dans ses propres désirs, entre son désir de vérité pure et dure, et le manque des sensations qu'elle avait ressenti.

Ne sachant que dire, que lui répondre, elle poussa un soupir et se frotta les paupières. Pourquoi l'avoir convoqué ? Tout ceci ne menait à rien, ne mènerait à rien. Elle n'avait pas envie d'être son amie parce qu'elle sentait au fond d'elle qu'ils n'avaient rien en commun. Il ne pouvait y avoir de tels liens entre une Ecossaise impétueuse et un demi-Danois coincé derrière un bureau. Le Feu et la Terre n'étaient pas faits pour s'associer, que ce soit d'une manière ou d'une autre.


- En réalité, tu ne peux pas m'aider. J'ai demandé de l'aide à Manu et Sybelle, mais je ne suis pas sûre qu'eux-mêmes sachent quoi faire. Je crois que personne ne peut m'aider, que je resterai avec ce trou noir ma vie durant et après tout, est-ce si grave ?

Non, ça ne l'était pas. Elle savait ce qu'elle avait fait durant ce laps de temps, alors quoi ? Pourquoi chercher à retrouver ce genre de souvenirs ? Cela ne servait à rien. A rien du tout. Elle s'était quelque peu trahie durant ces deux ans, mais ce n'était pas pire que ce qu'elle s'apprêtait à faire. Mais Syuzanna avait toujours eu cette tendance à se jeter dans la bagarre pour tempérer es ardeurs.

- Quant à ta proposition d'amitié... Ma promesse de ne pas devenir ton ennemie, c'est tout ce que je peux t'offrir, à l'heure qu'il est.

Ce n'était pas ce qu'il voulait entendre, elle le savait fort bien. Mais sans s'être souvenue de lui par elle-même, elle ne voulait pas s'engager plus avant. Et même après. Quand elle se souviendrait - si cela arrivait un jour - pourrait-elle le voir comme un ami ? Peut-être comme une vieille chemise qu'on passait sans espoir, qui allait toujours, malgré qu'elle serrât un peu. Cela ne pourrait être que comme ça, entre eux deux. Une relation qu'ils auraient, des invitations lancées de temps en temps, et puis l'éloignement inévitable, qu'ils ne chercheraient d'ailleurs pas à éviter. Syuzanna lisait dans ses yeux comme dans un livre : il était déçu d'elle, au bord du mépris, un pied dans la colère. Il ne l'aimait plus, même pas tendrement. Il ne tenait pas plus qu'elle à être ami avec elle. Il voulait juste avoir bonne conscience, pouvoir dire qu'il avait fait ce qu'il fallait. Elle pouvait le rassurer sur ce point, l'illusionner en quelques mots bien choisis.

- Je te remercie, cependant. Mais j'ai besoin de temps. Lorsque tout ceci sera terminé, lorsque j'aurais retrouvé mes souvenirs, ou que j'aurai accepté de vivre sans, je serai ravie d'être ton amie. Mais à l'heure qu'il est, je préfère... m'éloigner un peu, retourner dans divers endroits, tout tenter, et... je reviendrai, et nous fêterons mon retour à grand renfort de scotch whisky.

Elle lui offrit un sourire sincère, et pour le coup, elle-même aurait pu croire à ce qu'elle venait de dire. Il n'y avait eu aucune colère, aucun ressentiment dans ses propos ; mais un calme, une douceur, bien différentes de son attitude antiérieure.

- Et... Je te présenterai quelqu'un. Quelqu'un de très, très important pour moi.

* Aristote
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Soren
« Mais au bout du ch'min dis-moi c'qui va rester
De notre p'tit passage dans ce monde effréné ?
Après avoir existé pour gagner du temps
On s'dira que l'on était finalement... Que des étoiles filantes* »



Plus je l'écoute et plus j'ai l'impression de ne pas pouvoir rester les pieds sur terre. Tout ceci me parait si incongrue, si irréel. C'est incompréhensible. Je suis autant perdu que doit l'être un phoque au milieu de la cour du Roy de France à Paris! Elle me propose que l'on se rencontre ici même, pour discuter, pour mettre les choses au clair, et voilà qu'elle me dit que je ne puis rien pour l'aider? Mais qu'est-ce que je fais là alors? Pourquoi ai-je soudain l'impression que tout est faux? Cette chope, cette table, ces gens qui nous entourent et qui parfois me regardent d'un air étrange ou glauque? Sont-ils tous des troubadours payés par je ne sais qui pour venir me jouer un mauvais tour? Et cette serveuse là-bas? N'est-elle pas simplement une des mille formes du Sans-Nom? Dame Tentation? N'est-ce pas là son pseudonyme? Mais s'il y a une chose dont je suis sur, c'est que la rousse en face de moi n'est pas Syuzanna NicDouggal! Oh non! Même pas son fantôme! Elle n'est rien! Elle n'en n'a même pas la saveur…juste l'apparence.

- Non! Il n'en n'est pas question!

Ses paroles viennent d'ouvrir en moi une porte interdite, celle derrière laquelle on ne sait pas ce qui se trouve. Celle qu'on n'ouvre jamais car on se sait jamais ce qui pourrait en résulter. C'est sans doute plus un réflexe qu'un acte murement réfléchi, mais toujours est-il que je lève mon séant de cette chaise inconfortable et me retrouve à la toiser du haut de mes six pieds, les poings solidement ancrés à la surface de la table.

- Soit tu considères que tes souvenirs n'ont aucune importance et tu t'en fiches! Tu vas de l'avant, un point c'est tout! Soit tu désires les retrouver et tu fais tout pour y arriver. Mais ces paroles…C’est du n’importe quoi! Dis-moi donc que tes souvenirs sont importants et je t’aiderai à les retrouver! Dis-moi qu’au final tu t’en fous et je t’aiderai à te refaire une nouvelle vie…Enfin…à condition que tu oublies cette folie de rejoindre ceux qui vivent du vol des richesses d’autrui car ça, ça n’a jamais été la Syuzanna NicDouggal que j’ai connu! Elle, elle avait des valeurs, des principes! Elle, elle respectait la moralité. Elle, quand elle se mettait un objectif en tête, elle n’élaborait dès le début pas une solution de repli au cas où elle ne pourrait pas l’atteindre!

Colère? Non! Enfin…pas vraiment. Mais détermination…oui! Détermination à lui faire entrer dans son crâne visiblement en bouilli ce qu’elle doit faire, comment elle doit agir. J’ai l’impression qu’elle est une enfant de 7 ans, enfermée dans le noir le plus total, dans une cave sombre et humide, qu’elle crie à l’aide pour qu’on vienne la délivrer, lui ouvrir cette porte close, porte qu’elle tire vers elle de toutes ses forces…alors qu’elle s’ouvre vers l’extérieur. Je ne sais vraiment pas ce qu’il va rester de cette relation entre elle et moi, tant elle semble s’évertuer à tout détruire, tout effacer…jusqu’à la moindre petite miette. Un peu comme le font les…

- J’ai l’impression que tu veux te comporter comme tous ces abrutis qui pensent que dans la vie, une relation humaine n’existe que sous sa forme amoureuse et que si celle-ci s’efface, alors le monde entier s’embrase et se disparaît à jamais dans une fin apocalyptique. Que tu aies perdu tes souvenirs je veux bien le croire. Que tu aies changé à ce point…Je n’arrive pas à m’y faire! C’est impossible! Tu veux partir? Mais pour aller où? Pour faire quoi? Tu ne sais même pas ce que tu veux, et je doute même que tu saches qui tu es vraiment! Tu veux de l’aide et tu refuses ma main tendue!

Reprends ton souffle Seurn…Et surtout oublie la phrase qu’elle a pronon… Trop tard! Mes main s’agrippent au rebord de la table, et d’un geste, j’envoie paître dans un grondement sourd ce meuble qui se trouve entre elle et moi.

- Quand à ta proposition Syu, n’y compte pas! Tu acceptes de ne pas tout détruire parce que ça n’a tout simplement pas de sens ou… tu assumes le fait qu’on devienne ennemis. Pas d’entre deux Syu! La vie est terne lorsqu’elle flotte entre deux eaux, au gré du courant. L’homme est fait pour ressentir! En bien…ou en mal! Ça n’est que comme ça que l’on vit! C’est en eau vive que l’on doit chercher sa voie, c’est comme ça qu’elle a de l’intérêt! Ça fait bien trop longtemps qu’on se connait pour laisser retomber ça dans cette bouillie infâme qu’est l’ignorance! Alors maintenant…

Plus de meubles…plus rien entre nous. Main tendue, je cherche à croiser son regard, une fois de plus.

- Tu acceptes cette aide que tu es venue chercher et que je t’offre ou…

Mes yeux se détachent progressivement pour venir fixer le poignard danois qui pend à ma taille…puis de ma taille vers sa cuisse là où auparavant au moins une bosse se dessinait sous sa jupe.

… nous laisserons parler nos armes!

Quelqu’un d’important pour elle? A-t-elle parlé de ça? Si c’est le cas, je dois l’avoir complètement occulté! Et pourquoi, j'ai de nouveau l'impression qu'il n'y a plus un bruit dans cette fichue taverne?

* « Les étoiles filantes » - Les cowboys fringants.
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Syuzanna.
« Marcher sur le fil
Entre le bien et le mal
Disons, pour être moins solennel
Entre le "bof" et l' "pas terrible" »
*

Elle le regardait redécorer la taverne de son cousin, et l'écoutait encore et toujours parler, hurler, tempêter. Se rendait-il compte que, comme le vent s'abat sur la montagne, ses propos ne faisait pas varier d'un pouce ses propres résolutions ? Non, et sans doute espérait-il la changer, la modeler à l'image qu'il voulait avoir d'elle. Faire d'elle une bonne petite rousse docile. L'avait-elle été avec lui ? Non. De cela, elle en était certaine. Elle n'avait jamais faillie, jamais ployée sous son joug. Le joug d'un époux à ce qu'il semblait particulièrement violent. Il ne se maîtrisait pas, et cela, aux yeux de William MacDouggal, était preuve de faiblesse ; et puisque son père raisonnait ainsi, sa fille faisait de même. Le seul homme devant lequel elle eut jamais courbé l'échine était son géniteur, et elle n'allait pas commencer aujourd'hui à changer de comportement. Même Duncan n'oserait jamais.

Attentive à ses propos, Syuzanna fronça légèrement les sourcils à plusieurs reprises. Lentement mais sûrement, Søren commençait à l'agacer. Il fallait qu'elle lui fasse comprendre, puisque visiblement, il n'était pas capable de comprendre tout seul. Fermant les yeux, elle se pinça momentanément l'arrête du nez, tout en soupirant. Cet homme était soit idiot, soit... très idiot. N'allait-il jamais plus loin que le bout de son nez ? Ne cherchait-il jamais à gratter les croûtes ? Etait-il si stupide, si dénué du plus simple raisonnement ?


- Seurn... Que je t'explique...

Syuzanna inspira lentement, profondément, se forçant au calme, à la maîtrise, à la froide réflexion. C'était cela qui modelait les bons chefs. La capacité à garder son sang froid et d'analyser les situations sous tous les angles avant de prendre les décisions. Il ne servait à rien de beugler en agitant les bras et en crachant sur tout le monde. Cela montrait au mieux la faible emprise de l'esprit sur le caractère, au pire une profonde stupidité. Calme et froid comme un serpent, voilà comment se comporter avec dignité. Les chefs virulents n'étaient bons qu'au mépris, ne s'attiraient aucune forme de respect.

- Je ne compte pas m'engager dans la brigandise, et je me fiche de cette guerre. Ce que je veux c'est quitter cette ville qui n'a plus rien à m'offrir, ni à moi ni aux miens. J'aime voyager, cela, je le sais. Et j'ai envie d'aller voir en Bretagne s'il y fait bon vivre. Là-bas, aucun parti, ils vivent sous leurs propres lois. De plus, le druidisme y est très fréquent, ce qui me va bien. Ici, c'est peut-être ta terre d'asile, mais ce n'est pas la mienne. J'en ai parlé à Duncan, il est d'accord. Ne reste plus qu'à m'entretenir à ce sujet avec mes cousins et cousines.

Bien, c'était dit. La suite maintenant. La mise en bouche consommée, il était temps de passer au plat de résistance.

- Ensuite. Je n'ai pas besoin de toi pour m'aider en quoi que ce soit. Je ne t'ai pas appelé pour que tu m'aides, c'est là que tu te trompes, Danois. Je t'ai demandé de venir pour savoir ce que tu voulais me dire dans ton bureau. Tu te souviens ? Tu m'avais dit vouloir me parler en privé d'une affaire personnelle mais tu n'en as rien fait sur le coup. Il me fallait donc savoir de quoi il retournait. Si j'avais su que tu voulais simplement me dissuader de faire une chose que je ne voulais de toute façon pas faire, je me serai abstenue de te mander ce soir.

Un sourire flotta sur ses lèvres ourlées. Il n'y avait pas que dans sa vie que tout s'était écroulé. Dans celle de son cousin aussi, et c'était cet élan de colère qui les avait animé tous les deux ce soir-là. La guerre ? Ils n'en parlaient plus. Il voulait voyager, elle le désirait aussi. Peut-être pas pour les mêmes raisons mais cela n'avait guère d'importance. Se levant soudain de sa chaise, elle se tint droite devant lui, histoire de les mettre tous les deux sur un pied d'égalité. Personne ne dominerait personne, du moins, personne ne la dominerait elle.

- Enfin, Seurn. Mes souvenirs ont une certaine forme d'importance, mais pas comme tu peux l'imaginer, vois-tu. Je cherche à savoir comment je suis passée de la guerrière impulsive à la parfaite femme au foyer, rien de plus. Comment j'ai pu t'épouser toi, qui as finalement si peu de rapport avec ce que je suis. Tu oses prétendre me connaître, Seurn, mais ce que tu as vu de moi n'est que deux ans d'une vie dont le reste t'a entièrement échappé ! T'es-tu seulement demandé un jour qui j'avais pu être avant d'arriver en France ? Tu as dû t'arrêter à ce que tu voyais, jamais tu n'as creusé, sinon tu ne t'étonnerais pas. Tu me dis pétrie d'honneur ? Que sais-tu de l'honneur, Seurn MacFadyen Eriksen, toi qui place le nom de ton père en second ? Oh, je connais ton histoire, ne crois pas le contraire. Qui est Seurn, je n'ai qu'à demander autour de moi pour obtenir des réponses, et des réponses simples, qui plus est, pas celles que l'on me sert quand je demande comment tu te comportais avec moi. Danois qui a fuit sa patrie pour échapper au mariage forcé, devenu mercenaire, ayant rencontré Loh dans un couvent, oui, je connais cela ! Je sais comment tu as retrouvé ta mère, je sais tout cela, ne me crois pas ignorante !

Elle se reprit, se força à se calmer. Elle s'était emportée quelque peu, et s'en rendait compte.

- Je ne pense pas qu'il n'y ait que des relations amoureuses, dans la vie, non, loin de là. La fraternité, l'amitié, l'amour d'une fille à son père, je connais tout cela, et ces sentiments sont les fondements de mes valeurs morales. Mon honneur se base sur l'amour que m'inspire mes proches. L'éclat de mon nom de s'etâchera de rien, même si je sais que mon cousin a fauté, qu'il fautera de nouveau bientôt. Certes, je ne cautionne pas, mais je comprends et compatis, et il rachetera sa conduite parce que je sais pardonner. Je n'ai pas tout oublié, Seurn, seulement ma vie avec toi, est-ce cela qui te vexe ? Le fait que je puisse t'oublier ? Que quelqu'un ose oublier jusqu'à ton nom ? Je ne compte pas me battre mais n'empêcherai personne de le faire. Je le reconnais sans honte, j'avais l'intention de prendre les armes, mais ma colère est retombée, car Duncan m'est revenu. Ma plus grande déception dans cette amnésie, était d'avoir oublié nos derniers instants, à lui et moi. Mais puisqu'il est là, je n'ai plus à avoir de regret. Si je ne peux vivre sans son souvenir, Seurn, je peux parfaitement vivre sans le tien.

Elle le regarda de toute sa taille, ce qui n'était en soi pas très impressionnant ; mais l'éclat de ses yeux était adamantin.

- Tu dis que l'homme est fait pour vivre en eau vive ? Bien ! Dans ce cas, où est l'aventure, où est l'action quand tu te coinces derrière ton bureau ? Moi, je suis fidèle à ce principe que tu énonces. Toi, non. Je ne veux ni être ton ennemie, ni régler ta querelle stérile et enfantine dans une mare de sang. Soyons en paix, si tu le souhaites, mais te savoir en colère contre moi ne me fera pas regretter d'être partie. Je n'ai plus rien à faire à Sarlat, et cela n'a rien à voir avec toi. Tout ne tourne pas autour de toi, enfançon prétencieux que tu es. Ouvre un peu les yeux, un monde entier t'attend hors de ton misérable bureau de prévôt. Tu n'es pas plus le centre du monde que tu n'es celui de ma vie.

Se détournant de lui, elle se dirigea vers le comptoir, et régla les consommations. Puis, lui faisant face de nouveau, elle migra lentement vers la porte.

- Mes souvenirs reviendront, ou pas, cela n'a pas d'importance. Je sais qui j'ai été durant ce laps de temps et je n'ai pas à en rougir, c'est tout ce qui m'importe. Je ne m'attarde pas dans mon passé oublié, je vais de l'avant, bâtir ailleurs ce que je n'ai pu construire ici. Si mon départ de Sarlat et du Périgord est perçu par toi comme une déclaration de haine, alors j'en suis désolée pour toi, et cela ne fera que refléter davantage l'étroitesse de ton esprit. Si tu te rends compte enfin, que la menace d'inimitié ne provient que de toi, et que tu cesses ces enfantillages, alors...

Elle lui jeta un étrange regard, puis acheva d'une voix lente et mesurée :

- Alors je serai ravie de t'inviter à mes épousailles.


* Bénabar - Les Numéros
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Soren
La messe est dite, les sacrements prononcés. La pointe d'exaltation retombe tranquillement alors que Syu quitte la place pour se diriger vers le comptoir. Jusqu'au bout de cette discussion, l'incompréhension aura été totale. Elle parle gaélique et je lui réponds en danois. Elle réplique en langue d'oil et je m'insurge en langue d'oc. Cette soirée restera gravée longtemps en moi comme le paroxysme du "C'est moi qui ait raison. Toi, tais-toi, tu ne comprends rien!". Deux rôles similaires, deux acteurs qui jouent le reflet l'un de l'autre dans un miroir et qui pourtant n'arrivent pas à se parler franchement.

Je relève cette table que j'ai renversé et viens replacer les chaises autour. Ça permet de m'apaiser avant le départ. Si j'en crois ses paroles, c'est sans doute la dernière fois que je la vois. J'ai essayé…j'ai perdu. Et elle le sait. Après ce que l'on a vécu ensemble et qu'elle a oublié, je ne pourrais pas en faire une ennemie. Pas dans ces conditions. Pas puisque qu'elle reste du côté de la légalité et de l'honneur. Tous ceux à qui j'ai dit ça m'ont pris pour un fol, il n'empêche que je suis toujours aussi convaincu que l'amitié peut encadrer l'amour. Par devant. Par derrière. Mieux vaut être amis avant de s'aimer. Et lorsque la passion amoureuse perd de sa force, l'amitié peut reprendre sa place. J'en suis convaincu... Mais j'ai l'impression que je suis le seul à croire à ça.

Elle me prétend le contraire, mais j'ai du mal à le croire. Peut-être que Sarlat n'a plus rien à lui apporter c'est vrai. Moi, j'ai bien quitté Sarlat quand je n'avais plus rien à apporter à cette ville. Mais là n'est pas la véritable raison de son départ. Elle quitte le Périgord parce qu'elle me fuit. Elle est comme toutes les autres sur ce point. Elle est incapable de côtoyer quelqu'un qu'elle a aimé. Avec le recul, je me demande même si là n'est pas aussi la raison de sa réclusion à Laval. Tu es forte Syuzanna NicDouggal, je ne dis pas le contraire. Mais tu as d'énormes faiblesses. Comme tout le monde. Celle-là en est une. Tu laisses tes sentiments t'emporter comme le font mes crises noires et rouges. La raison est submergée au profit d'une déraison sentimentale. Mes crises sont noires et rouges? Les tiennes sont roses. A chacun ses problèmes. Et après tout, au final, est-ce cela qui nous différencie des animaux? Juste cela?

A quoi bon répliquer encore et encore à ses paroles. Elle n'est pas venue pour comprendre. Elle est venue pour entendre une chose. Une seule. Et c'est la seule que je me refuse à lui donner ce soir. Oui…cette fameuse incompréhension qui se manifeste toujours. Sans doute qu'il est trop tôt pour avoir une discussion franche et ouverte, sans aucune retenue. Sans doute… Alors quand? Un jour? Peut-être… Un jour, après que tu aies accepté tout ceci. Après que tu aies recouvré tes souvenirs puisque tel est ton bon vouloir. Encore faut-il que tu gardes le contact avec moi car même ça, j'ai l'impression que ce sera difficile pour toi.

Mon regard se pose sur elle alors que je la regarde se diriger vers la porte d'entrée. Je soupire lourdement. Je crois que je vais avoir besoin d'un bon remontant moi! Après tout, j'ai un tour de garde à prendre à Sarlat ce soir! Mais lorsqu'elle me parle de son mariage, j'ai l'impression qu'elle désire m'asséner un autre coup sur la tête! Mariage?!?!?!?!?!! Elle croit encore au... mariage!!!!! Ce mot qui, pour moi, a une connotation encore plus négative que brigandage ou haute-trahison! Le mariage... cette soi-disant cérémonie qui m'a pris mon pays et qui a dissous l'amour que je vivais pour cette écossaise. Ne ressens-tu pas tout ce que nous venons de vivre comme un échec du mariage? Ce sacrement qui nous donne la propension à oublier le besoin de séduction? d'épater? De troubler? Et ça, bien plus qu'un bureau de prévôt? Je détourne le regard d'elle et fixe le sol d'un air d'incompréhension totale. Un nouveau soupir lourd exhale de ma poitrine et je retombe lourdement sur ma chaise, les jambes s'étalant sous la table, les mains jouant nerveusement avec une chope bien trop vide en cet instant. Je n'ai plus rien d'intelligent à lui. Plus rien... Mais il faut encore que je la suive du regard quitter la taverne.


- Bon voyage à toi Syuzanna NicDouggal! Prends soin de toi surtout... et donne de tes nouvelles!

Dure expérience que celle-ci...Ouais! Dure expérience! Pour moi comme pour elle sans doute. Entretien avec un vampire...Voilà ce qu'elle doit se dire dans sa tête. Elle s'est entretenue avec un vampire...De ceux qui prennent tout jusqu'aux humeurs vitales... et qui ne laissent plus rien derrière eux! Je hèle la petite serveuse qui tout à l'heure avait retenu mon attention.

- Une chope! De la plus grand taille que tu possèdes!

Ce soir, j'ai besoin de reconstruire.
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Syuzanna.
[Tout à une fin. Le meilleur... comme le pire.]

Avait-il compris ? Pas seulement le sens de sa dernière phrase, mais tout le reste ? Avait-il compris pourquoi elle partait ? Avait-il seulement entrevu les raisons réelles ? Pour autant que son attitude trahissait, Syuzanna pouvait en conclure que non, il n'avait pas compris.
Objectivement, elle tenta de dresser une comparaison entre Søren et Duncan. La nuit et le jour, ils n'avaient rien à voir entre eux. Autant le Danois était-il blond, autant l'Ecossais était brun. Autant Søren était-il impulsif, autant Duncan était calme et réfléchi. Jamais Duncan n'aurait saccagé une taverne parce que la discussion ne tournait pas comme il le voulait ; non, jamais il n'aurait eu cette faiblesse-là.
Si elle voulait que Søren soit présent le jour de son mariage, c'était avant tout pour qu'il voit, qu'il constate de ses yeux que l'amour triomphait de tout, toujours, tout le temps. Même sous ses abords rugueux, Syuzanna l'avait bien compris. Son père en avait été la plus grande leçon. Le blond comprendrait-il en rencontrant Duncan qu'il se fourvoyait ? Que l'amour n'était pas faiblesse, ni prison, ni esclavage ? Et que le mariage, quand il est célébré alors que les deux promis s'aiment sincèrement, n'est que le couronnement naturel des choses ? Ensuite venait les enfants. Oui, les enfants, car après tout, elle n'était pas complètement contre.
On lui avait dit qu'elle avait refusé d'en avoir avec Søren, et aujourd'hui elle comprenait pourquoi. Le Danois n'était pas digne d'être père. Comment être père quand on est encore un enfant, sinon dans son corps, du moins dans sa tête ?

Syuzanna poussa un soupire teinté de tristesse. Pas pour elle, elle n'avait plus de quoi se plaindre désormais. Mais pour lui. Pour Søren, qui mourrait probablement jeune, seul, et sans progéniture. Un homme faible, c'était tout ce qu'il était, et la rousse était peinée pour lui. Ce n'était pas preuve de force que de refuser d'avoir des enfants, pas plus que de massacrer son mariage à grands coups de faux-semblants, ce n'était que faiblesse et lâcheté. Et elle était heureuse, sincèrement heureuse de le quitter lui, et ces lieux également. Pas parce que les lieux le lui rappeleraient, car après tout, elle ne crachait pas sur sa proposition de bonne entente. Mais parce qu'ici, à Sarlat, elle étouffait. Cette ville appartenait à une autre vie qu'elle avait vécu, et se voir répéter chaque jour la même question - « tu te souviens de moi, ça y est ? » - la lassait. Non, elle n'était plus maréchale. Non, elle n'était pas redevenue herboriste, non, elle n'était plus l'épouse du Danois. Non, non, non ! C'était passé, fini, révolu. Pourquoi fallait-il qu'on veuille sans cesse la rattacher à un fait, un lieu, un moment ? Elle voulait évoluer, voir ailleurs, respirer ailleurs, construire sa vie ailleurs. Et avec d'autres gens.

La main posée sur la poignée, elle tourna la tête vers Søren, qui lui souhaitait et bon voyage et bon vent, tout en réclamant chopine et faveurs de la serveuse. Un grondement roula dans sa gorge tandis qu'elle le regardait faire. Plus les secondes s'égrainaient, plus elle le trouvait méprisable. Ce besoin constant d'attention relevait un fait certain : il avait besoin d'une mère, et il la cherchait partout, même sous les jupons d'une pauvre fille qui devait en avoir marre d'être confondue avec la catin du coin. Après tout, elle vendait de la bière et du pain, pas sa poitrine et son entrejambe ! Elle haïssait tous ces hommes qui considéraient les femmes comme inférieures. Elle aurait pu tous les défier en lice et remporter le combat, sans être blessée. Les femmes n'étaient pas faibles. N'enfantaient-elles pas ? Si les dieux avaient confiés la mise au monde d'un bébé à un homme, la race humaine serait depuis longtemps éteinte, songea-t-elle en plissant les paupières. Inspirant un grand coup, elle parvint malgré tout à se contrôler, et actionna la poignée. La bise glacée lui cingla les joues, et elle s'emitouffla dans sa cape bordée de fourrure. Incapable toutefois de se retenir, elle lança par-dessus son épaule :


- Ne fais pas semblant de ne pas m'avoir entendu, Eriksen. Tu recevras mon invitation. A toi de voir si tu tiens tant que tu le dis à une amitié avec moi. Ta venue... ou ton absence... sera une preuve, dans un sens comme dans l'autre.

Et sans plus rien ajouter, Syuzanna se glissa dans la nuit, silencieuse comme une ombre, et disparut dans le noir.
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