Sara_
- ...Et j'ai rien mangé depuis trois jours, j'ai pas de travail, mon mari l'est mort, et mes cinq enfants y sont malades.
Ce texte trônait à coté d'un clochard d'une vieille ruelle parisienne. Cosette lorgnait dessus -le narrateur s'abaissera à la nommer par son prénom d'adoption, depuis que ses nouveaux parents l'avaient ainsi appelée, mais il est évident qu'il se dédouane complètement de ce choix peu ragoutant-. Cosette, donc, avait grande envie de lui piquer depuis quelques minutes. Et les minutes, dans un monde d'enfants, ont parfois goût d'éternité.
Pour l'atteindre il fallait traverser la route, éviter les roues de carrosses, la défection de porcs et de chevaux au milieu de la route. Ce fut dur, elle réussit pour l'un, échoua pour l'autre...
S'approchant de l'homme avec une main marron, l'autre blanche. Imberbe telle que le reste la peau des bébés... Elle savait, car elle était déjà dotée d'une intelligence assez peu orthodoxe pour cette branche de la population, elle était issue d'une putain, rappelons-le, intelligente, oui, elle savait ne pas rire des mots dont rient les enfants. Et user de tout ce que la nature mettant à sa disposition pour s'en sortir. Ni une, ni deux, ayant toujours à cur de s'approprier la pancarte du clodo, elle tendit les mains dans un grand éclat de rire -forcé-, répandant sur lui ce qui devait être digestion de fibres naturelles, de foin, et de carottes. D'aucuns auraient apprécié s'en retrouver tartiné.
- RAh ! Sale gosse !
Il s'en fut lui donnant coup de pied sur le crâne ; qu'elle avait fort solide. C'était bien choses à savoir en ce qui concernait Cosette : elle avait la tête et les dents dures. Le cuir chevelu recouvert de cheveux doux et clairs, la joue de cet espèce d'amas de fientes qu'elle essuya superficiellement. Où était Maman, où était Ladra? Peu importait. Elle les avait encore semé dans une des ruelles... Peut être celle-ci. Peut être celle-là. En attendant qu'ils la retrouvent, elle fuguait pour taxer les nobles du coin, les bourgeois attristés par son sort, tel qu'il était écrit sur planche, et qu'elle tenait fièrement de sa hauteur :
Citation:
"J'ai faim, et j'ai rien mangé depuis trois jours, j'ai pas de travail, mon mari l'est malade, et mes cinq enfants y sont malades."
Deux ans de débrouille dans les bas fonds parisiens nôtaient rien à l'admirable qualité d'arborer, toute saugrenue qu'il soit, la plus pitoyable de toutes les excuses pour voler du fric aux plus riches.
Et si le message ne les indignait pas, elle savait mimer la peste bubonique et l'apoplexie tuberculinique, Dieu soit loué.