Ingeburge
[Angers, hors les murs, sauterie royale, boudoir dourdannais]
Angers, donc.
Ingeburge avait suivi comme un petit mouton avec les autres membres de la Compagnie d'Artus. Cette fois, pas moyen d'y aller en voiture, elle aurait bien voulu pourtant surtout qu'elle en avait une à disposition. Mais voilà, si elle avait pu faire Auxerre-Troyes puis la brousse troyenne-Chinon en coche, maintenant qu'elle était revenue sous la bannière royale, elle devait faire comme tout le monde, enfin, comme tous ceux ayant un cheval : elle avait donc grimpé sur son frison, tant bien que mal. Plutôt mal, elle avait encore... mal. Docile comme depuis le début de cette guerre, elle avait pris sa place dans la file et avait chevauché sans jeter un il au paysage, sans s'enquérir d'où ils allaient, se préoccupant uniquement de son bras blessé qu'elle avait fait bander tout contre son corps. Rien d'autre ne l'intéressait qu'elle, si on leur avait demandé de bouger, c'était forcément pour une bonne raison. Et puis, elle se doutait que l'idée n'était pas de rentrer benoîtement à la maison et si elle ne demandait pas d'action, ne s'estimant pas suffisamment encore remise, quitter le cloaque saumâtre de Saumur n'était pas pour lui déplaire.
Et finalement, on lui avait annoncé Angers. Logique, même s'ils auraient pu moins avancer au cours de la nuit. Il n'y avait aucune raison de se rendre dans un Poitou qui s'était intelligemment désolidarisé des menées angevines en Domaine Royal. Angers et nouvelle installation, pour une durée indéterminée. Il y en avait du monde! Bien plus qu'à Saumur, et forcément quelques têtes connues vu la concentration de sujets-vassaux-officiers royaux au mètre-carré. Alors que l'on dressait le double et vaste pavillon qui faisait office de modeste-piaule-en-temps-de-guerre à la marquise de Dourdan, celle-ci chargea un môme zélé faisant partie de son train d'aller se renseigner sur les forces en présence. Le mioche revint alors que la Danoise pouvait désormais profiter de ses appartements de toile et de velours et se voyait débarrassée des diverses protections qui la harnachaient. Le moutard conta par le menu qui il avait vu, quels noms lui avaient été confiés et Ingeburge s'exclama :
Eh bien, l'on pourrait presque tenir céans une session de la Pairie.
La moue alabastrine de la Prinzessin se fit songeuse. C'est vrai que le contingent de porteurs de manteaux bleus doublés d'hermine était pour le coup fourni et qu'en dehors des exercices imposés par les obligations royales, elle ne voyait guère ses petits camarades. Du constat à l'idée, il n'y eut quelques secondes et Ingeburge rédigea quelques billets pour ses com-pairs retrouvés. Au sein de la Compagnie d'Artus, ils étaient trois : le marquis de Senlis, le comte du Tournel et elle-même. Et voilà qu'à la faveur des révélations du gosse, elle avait appris que la princesse d'Igny, la duchesse de Corbeil, le marquis de Rosny, les ducs d'Alluyes, de Montlouis et de Trun étaient également de la partie. Si ce n'était pas merveilleux! Les morceaux de parchemin noircis et scellés, l'on en chargea le gamin qui d'espion devint messager et des ordres furent jetés pour préparer la réception en deux minutes concoctée et réaliser tous les souhaits exprimés.
Quand les invités arriveraient, ils seraient introduits sous le dais du double pavillon; tous pourraient ainsi voir les Pairs de France réunis qui non, ne passaient pas leur temps carapatés à Paris. L'occupation sur le terrain, ça les connaissait. Sous l'avancée de toile retenue par des piquets, des nattes de jonc avaient été étalées au sol et garnies de carreaux de tapisserie, des chaufferettes sur lesquelles avaient été jetées des herbes odorantes et posés des couvercles à trous avaient été allumées, des lanternes avaient été accrochées, des faudesteuils disposés en demi-cercle et sur une petite table à tréteaux, l'on pouvait trouver deux barriques en perce, des carafons, des timbales et de quoi se sustenter. C'était peut-être la guerre, et c'était peut-être même la guerre en Anjou, mais la marquise de Dourdan qui était vêtue comme si elle organisait un raout mondain à Paris n'allait pas se comporter comme une pécore. Surtout quand il s'agissait de recevoir ses com-pairs. Ce qui expliquait qu'elle avait consenti à passer son manteau de Pair sur ses épaules. Bon, le froid hivernal aussi. Mais jamais ô grand jamais elle ne le reconnaîtrait.
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Angers, donc.
Ingeburge avait suivi comme un petit mouton avec les autres membres de la Compagnie d'Artus. Cette fois, pas moyen d'y aller en voiture, elle aurait bien voulu pourtant surtout qu'elle en avait une à disposition. Mais voilà, si elle avait pu faire Auxerre-Troyes puis la brousse troyenne-Chinon en coche, maintenant qu'elle était revenue sous la bannière royale, elle devait faire comme tout le monde, enfin, comme tous ceux ayant un cheval : elle avait donc grimpé sur son frison, tant bien que mal. Plutôt mal, elle avait encore... mal. Docile comme depuis le début de cette guerre, elle avait pris sa place dans la file et avait chevauché sans jeter un il au paysage, sans s'enquérir d'où ils allaient, se préoccupant uniquement de son bras blessé qu'elle avait fait bander tout contre son corps. Rien d'autre ne l'intéressait qu'elle, si on leur avait demandé de bouger, c'était forcément pour une bonne raison. Et puis, elle se doutait que l'idée n'était pas de rentrer benoîtement à la maison et si elle ne demandait pas d'action, ne s'estimant pas suffisamment encore remise, quitter le cloaque saumâtre de Saumur n'était pas pour lui déplaire.
Et finalement, on lui avait annoncé Angers. Logique, même s'ils auraient pu moins avancer au cours de la nuit. Il n'y avait aucune raison de se rendre dans un Poitou qui s'était intelligemment désolidarisé des menées angevines en Domaine Royal. Angers et nouvelle installation, pour une durée indéterminée. Il y en avait du monde! Bien plus qu'à Saumur, et forcément quelques têtes connues vu la concentration de sujets-vassaux-officiers royaux au mètre-carré. Alors que l'on dressait le double et vaste pavillon qui faisait office de modeste-piaule-en-temps-de-guerre à la marquise de Dourdan, celle-ci chargea un môme zélé faisant partie de son train d'aller se renseigner sur les forces en présence. Le mioche revint alors que la Danoise pouvait désormais profiter de ses appartements de toile et de velours et se voyait débarrassée des diverses protections qui la harnachaient. Le moutard conta par le menu qui il avait vu, quels noms lui avaient été confiés et Ingeburge s'exclama :
Eh bien, l'on pourrait presque tenir céans une session de la Pairie.
La moue alabastrine de la Prinzessin se fit songeuse. C'est vrai que le contingent de porteurs de manteaux bleus doublés d'hermine était pour le coup fourni et qu'en dehors des exercices imposés par les obligations royales, elle ne voyait guère ses petits camarades. Du constat à l'idée, il n'y eut quelques secondes et Ingeburge rédigea quelques billets pour ses com-pairs retrouvés. Au sein de la Compagnie d'Artus, ils étaient trois : le marquis de Senlis, le comte du Tournel et elle-même. Et voilà qu'à la faveur des révélations du gosse, elle avait appris que la princesse d'Igny, la duchesse de Corbeil, le marquis de Rosny, les ducs d'Alluyes, de Montlouis et de Trun étaient également de la partie. Si ce n'était pas merveilleux! Les morceaux de parchemin noircis et scellés, l'on en chargea le gamin qui d'espion devint messager et des ordres furent jetés pour préparer la réception en deux minutes concoctée et réaliser tous les souhaits exprimés.
Quand les invités arriveraient, ils seraient introduits sous le dais du double pavillon; tous pourraient ainsi voir les Pairs de France réunis qui non, ne passaient pas leur temps carapatés à Paris. L'occupation sur le terrain, ça les connaissait. Sous l'avancée de toile retenue par des piquets, des nattes de jonc avaient été étalées au sol et garnies de carreaux de tapisserie, des chaufferettes sur lesquelles avaient été jetées des herbes odorantes et posés des couvercles à trous avaient été allumées, des lanternes avaient été accrochées, des faudesteuils disposés en demi-cercle et sur une petite table à tréteaux, l'on pouvait trouver deux barriques en perce, des carafons, des timbales et de quoi se sustenter. C'était peut-être la guerre, et c'était peut-être même la guerre en Anjou, mais la marquise de Dourdan qui était vêtue comme si elle organisait un raout mondain à Paris n'allait pas se comporter comme une pécore. Surtout quand il s'agissait de recevoir ses com-pairs. Ce qui expliquait qu'elle avait consenti à passer son manteau de Pair sur ses épaules. Bon, le froid hivernal aussi. Mais jamais ô grand jamais elle ne le reconnaîtrait.
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