Cette nuit-là, dans la chambre de son hôte, le capitaine finissait d'écrire une lettre importante. La fenêtre donnait sur la halle de Troyes d'où l'on pouvait voir, malgré l'heure tardive, une chandelle encore brûler. La nuit portait conseil, disait-on. La chaleur de la journée passée retombait à peine. Aussi, la porte comme la fenêtre étaient entrouvertes pour faire courant d'air. La flamme de la bougie oscillait faiblement. La nuit, aussi, tous les chats étaient gris. Comme quoi, la lumière n'attirait pas que les papillons qui venaient s'y brûler les ailes. Un chat l'observait assis sur le rebord de ses yeux brillants. Lorsqu'il décida d'un bond leste d'entrer dans la pièce, à la lumière, Pons découvrit une bête d'un noir éclatant. Des années passées en Orient lui avaient donné d'étranges comportements et dans ce cas-là, il se releva et s'inclina devant l'animal. Car, il ne pouvait s'agir que d'un djinn, un démon à qui il devait respect pour ne pas s'attirer le mauvais il. Étonnamment, ce dernier chercha quelque caresse en se frottant le museau contre sa jambe. Il ne put qu'offrir gracieusement sa main et effleurer son poil délicatement. Le chat, satisfait, se faufila jusqu'à la porte et disparut, alors qu'il la refermait derrière lui. Il était temps de dormir.
Le lendemain, le calme des jours précédents était retombé tel un linceul mortuaire. Non pas qu'il y avait eu des morts mais bien que le village était mort. Si les derniers temps avaient été agités par des brigands audacieux, la vie du bourg n'avait pas été si troublée que ça. Les gens vaquaient à leurs activités quotidiennes comme si de rien n'était. Étonnants Champenois, le bourgeois les observait depuis son arrivée dans ce duché : de parfaits sujets, serviables et corvéables à merci. N'importe quel prince en voudrait. Traversant le marché tout en pensant à cela, Pons s'inquiétait un peu quant à l'avenir du Royaume. Se glissant sous lil torve d'un sergent, il fila dans une étroite ruelle en quête d'une gueuse rencontrée quelques jours plutôt dans la cathédrale de Reims. Ce n'était pas nécessairement dans une foule exsangue et affairée que l'on obtenait des réponses. Mais dans les traverses, les recoins, les impasses, à l'ombre d'un soleil de plomb, d'autres petites gens s'affairaient aussi. Cette racaille donnait plus de résultats. Le malheur tomba sur l'un d'entre eux. L'homme pensa détrousser un voyageur perdu, un bourgeois peureux. Bien mal l'en prit. Il se retrouva un gantelet de fer serrant sa gorge et un autre brisant le poignet de la main menaçante.
« C'est ton jour de chance, l'ami, commença le capitaine
. Une question contre ta vie
.
Que... que veux-tu savoir,
Seigneur
?
Où vit une brunette aux yeux émeraudes
?
Cette sorcière vit dans le péché,
Monseigneur... je... personne ne l'approche
...
Ne vis-tu pas dans ce même état, maraud
?
Elle... arg
! Elle vit avec un infidèle...
Un sarrasin... ah
! »Inlassablement, l'étreinte de ses doigts d'acier se faisait plus étouffante, douloureuse pour le larron. S'il était très patient, il n'aimait pas pour autant perdre du temps. Néanmoins, il devait le reconnaître : l'homme lui avait appris des choses. Un sourire malsain se peignit sur son visage. L'air mauvais qu'il affichait depuis tout à l'heure aurait dû faire comprendre ses intentions. Et pourtant...
« Il y a d'autre... question, moins agréable
!
Hum, répondit le gueux, l'
Inquisition
...
Ou la
Prévôté, vilain
!
Elle... elle habite non loin
.
Mène-moi
! »Relâchant sa prise, Pons la laissa filer et lui emboîta le pas, la main sur le pommeau de son épée au cas où. Dans ce bas-monde, l'erreur n'était pas permise. Un coup de dague était si vite arrivée, comme tout à l'heure. Quitter l'ombre pour la lumière ne le rassurait pas pour autant. Sautant les flaques d'eau putride et guettant le jet de quelque déchet depuis les étages des maisons longées, les deux hommes avançaient sans cesse plus du but. Enfin, l'espérait-il. Le capitaine n'était pas ingrat et récompensa le Troyen d'une petite bourse contenant un écu-or et quelques deniers. Le laissant pour de bon disparaître, il s'en remettait à une once d'honnêteté ou de crainte d'être puni pour l'avoir trompé. D'un coup de poing, son gantelet de fer s'écrasa lourdement contre la porte fermant la chaumière. Il saurait bien vite si elle vivait là avec son Sarrasin. Son histoire était donc un éternel recommencement. Quitter ce monde pour le retrouver, un rictus amer se dessina sur ses lèvres pincées. Était-ce un de ces sicaires que lui avait promis le Roy dÉgypte et de Syrie ? Ou simplement le hasard de croiser un de ses sujets si loin de ses terres barbaresques.
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