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[RP] Exil forcé, voyage mouvementé

Adess
La carriole bringuebalant à travers la ville, Bertin et ses comparses avançaient lentement vers la poterne Nord. La nuit était déjà bien avancée et le silence nocturne, simplement ponctué des grincements de l'essieu arrière, était pesant, à la manière du calme avant la tempête.
Et l'obscurité écrasante de la nouvelle lune, leur offrait certes un bel avantage mais ajoutait plus encore à l'ambiance tendue qui régnait sur le groupe.

Jetant un bref regard en direction de la vieille, assise à côté de lui, il ne put s'empêcher de grimacer. Le dos voûté, les yeux dans le vague, la mine déconfite... Depuis qu'ils avaient quitté l'échoppe, elle n'avait pas dit un mot. Inquiétude ? Peine ? Il ignorait l'origine de son humeur mais il espérait qu'elle serait de meilleure compagnie une fois la ville loin derrière eux.


Hé, comment qu'ça va derrière ?


Un cahot soudain secoua le chariot et provoqua un bruit sourd. Le vieux Loup grinça des dents. S'ils continuaient ainsi à faire du boucan, ils n'iraient pas bien loin... Dans un souffle, il murmura :

Morbleu !

Du coin de l’œil, il perçut un mouvement. L'apothicaire le regardait, fixement. Ah non, elle n'allait pas s'y mettre, elle aussi ?! D'un ton bourru, il dit à haute voix :

Quoi ? N'a même pus l'droit d'jurer ?

Le regard noir, les lèvres pincées, elle haussa vivement les épaules avant de rétorquer :


Restez calme, bougre d'idiot ! Nous approchons...


Effectivement, les hauts remparts Craonnais étaient proches et la porte, déjà en vue. Les gardes ne semblaient pas être à leur poste, ce qui était plutôt une bonne nouvelle. Maintenant, ils étaient peut-être tout simplement en train de faire une partie de dés dans un sombre recoin, afin d'éviter que le sergent ne les prennent la main dans le sac. Après tout, Royalistes ou Indépendantistes, les soldats avaient les même passe-temps !
Ce n'est pas qu'il doutait de l'efficacité du breuvage concocté par la vieille ou de l'attention portée par la brune mais il n'aimait pas ce genre de plans... Trop incertains...
Catterine


Catterine, enveloppée dans son mantel veillait son ami blessé et inconscient à l'arrière de la charrette.
Les cahots de la route la faisaient grimacer mais ils n'avaient pas trop le choix selon Bertin.
Ainsi, le petit groupe de la vieille, du garde de la petite brune devenue muette et du blessé quittaient en la plus grande discrétion possible, Craon la calme qui était devenue bien agitée.


Hé, comment qu'ça va derrière ?

Bien entendu la brune ne pouvait pas répondre à la question du garde qui menait la carriole et n'essaya pas de le faire par gestes dans l'obscurité qui les entourait.
Le silence pourtant habituel du village avait cette impression de pesanteur dûe à l'inquiétude que leur fuite pouvait donner.
Les gardes royalistes avaient normalement bien pris leur tisane, il ne restait plus qu'à savoir si la décoction somnifère qu'il y avait dedans serait assez efficace.
Néanmoins, alors qu'ils approchaient de plus en plus de la poterne, les lueurs des torches accrochées au mur d'enceinte les éclairait de plus en plus et il ne semblait y avoir aucun bruit si ce n'est… des ronflements ? Oui c'était bien ça.
Cependant, un bruit de pas d'au moins deux personnes se fit entendre, arrivant dans leur direction et tout le monde retint son souffle de peur qu'on ne vienne les arrêter.
Une voix basse avait lancé un ordre "personne ne bouge derrière" que Catty n'aurait su dire si cette voix autoritaire venait de la vieille apothicaire ou du garde mais elle ne se fit pas prier pour se tenir à carreaux.


Hey là ! Le charriot ! Vous faites quoi ici en pleine nuit ?

L'un des deux gardes qui étaient apparemment des sentinelles venait de les interpeler et Catterine se coucha sur adess, les couvrant tous deux de couvertures.
Les gardes approchaient, la tension était palpable mais Bertin prit une inspiration, s'apprêtant apparemment à répondre un prétexte de marchandises à livrer quand soudain…


Hey ! Qu'y s'font tous ptits !
L'royalos pendant la nuit !
A perdr' la tête comm' alouettes en goguette !


De par cet imprévu, les gardes allèrent directement voir le chanteur ivre qui commençait à les insulter joyeusement. Le pauvre soulard finirait sans doute la nuit au cachot mais pour cet instant, le chariot ne se fit pas attendre et reprit doucement son chemin pour passer les portes, le plus discrètement possible.
Au nez et à la barbes des veilleurs endormis et des sentinelles occupées à jouer du bâton sur l'ivrogne qui venait de leur sauver peut-être la vie.
Une fois les murs passés, tout le monde poussa un long soupir de soulagement et la brune, relevant sa tête des couvertures, sentit plus franchement l'air des champs qui les entouraient…
Le petit groupe hétéroclite serait sans doute au lendemain sur Laval et toute la nuit durant, la brune veilla son ami.

_________________
Bertin
Les dix lieues séparant Craon de Laval étaient déjà longues à parcourir en temps normal mais les circonstances particulières avaient nécessité des précautions bien contraignantes. En effet, afin de préserver le brun des secousses provoquées par les nids-de-poule, le chariot avait dû avancer à une allure considérablement réduite. Toute la nuit durant, le garde avait fermement tenu les rênes, sans fermer l’œil un instant.

C'est donc un Bertin, usé, harassé, qui grogna lorsque Laval fut en vue. Depuis leur départ, il ne pensait qu'à ce moment précis. Fallait-il prendre le risque de s'arrêter dans la ville Mainoise ?
Lui, préférait éviter. La vieille semblait vouloir le contraire. "Mieux pour le brun" qu'elle avait dit... Force était de reconnaitre qu'elle avait sûrement raison. Et puis, Bertin, bien qu'habitué à veiller sur les remparts, était exténué.
Toutefois, décidant de faire une pause afin de consulter ses comparses, une ultime fois, il intima aux chevaux de s'arrêter. Lentement, le chariot s'immobilisa dans un grincement strident. C'en fût trop...


Bah ! Rien qu'pour c'foutu essieu, on s'arrêt'ra à Laval !

Aussi sec, le chariot se remit en branle dans le même grincement. Le même ? Non, il était accompagné d'un autre bruit, plus discret. Les dents du Poitevin crissaient sous le coup de l'énervement.
D'un naturel impulsif, l'envie de jurer, d'injurier le "foutu essieu" était grande ! Cependant, la vieille dardait sur lui ce regard autoritaire dont elle avait le secret. Et si cela énerva le vieux Loup au plus haut point, ce regard l'empêcha également de débiter un flot de joyeusetés. Il grogna donc de dépit et garda sa mine renfrognée jusqu'à ce qu'ils arrivent aux portes de la ville.

***

Plusieurs gardes se dressaient devant la poterne, l'air alerte. Ils n'avaient pas l'air bien dangereux... Tous étaient grossièrement vêtus de cottes de mailles légèrement rouillées et armés de frêles lames. De plus, ils étaient tous d'une carrure bien modeste.
L'un d'eux s'avança toutefois vers le convoi afin de s'enquérir de la raison de leur venue.


Oh là ! Vous v'nez faire quoi dans l'coin, voyageurs ?

Bertin, sûr de lui, se racla la gorge et répondit à l'homme d'armes :

On va dans l'Nord. Duché d'Normandie.

L'homme le toisa, dubitativement immobile. Il jeta un coup d’œil à ses camarades qui rappliquèrent immédiatement. La situation devenait tendue et Bertin allait devoir la jouer serrée.


"On" ?


Sans montrer le moindre émoi, Bertin afficha un air détaché et acquiesça.

Ouais. Ma mère, mon cousin et sa compagne.

Les hommes tournèrent autour de la carriole, comme des loups autour d'une proie acculée, le regard suspicieux. L'un d'eux s'arrêta près de la brune, l'observa pendant quelques secondes et déclara, en se gaussant :

Un beau brin d'fille, pour sûr... Il en a d'la chance ton cousin, l'charretier !


Les autres, intrigués, firent le tour du chariot et vinrent se camper devant la brunette, assise près d'Adess. Les yeux pétillants d'excitation devant le joli minois de Catterine, ils piaffèrent doucement alors que Bertin posait sa main sur la garde de son épée, dissimulée sous le banc de la charrette. La vieille l'arrêta d'un geste discret et darda sur lui son fameux regard.
Se retournant vers les gardes, il les toisa pendant quelques secondes avant de gronder :


Ouais, bon, vot' ville, on peut entrer d'dans ou pas ?

Et lui ? Il lui est arrivé quoi ?

Toutes ces questions commençaient sérieusement à l'énerver...

Un groupe d'Ang'vins. Nous sont tombés d'ssus un peu plus tôt.


Ricanant, l'autre garde, qui visiblement semblait avoir eu "le coup de foudre" pour la muette, dit d'un ton enjôleur :

Bah alors ma belle, t'veux p'têt un vrai mâle, hein ?


Le premier garde, le plus posé, intervint alors.

C'est bon, Jo'... Laisse-la !


Il y eût un petit moment de tension entre les deux, puis, " Jo' " sembla abdiquer devant celui qui semblait être le gradé du groupe. Ce dernier fit un signe de tête à la brune, certainement en guise d'excuse, puis retourna à sa place, près de la porte de la ville.

Allez-y !


***

À peine la porte passée que le vieux Loup laissa échapper un bref soupir. Catterine attirait l'attention... Heureusement que le Maine n'était qu'une courte étape dans leur voyage !
Enfin, toujours est-il qu'ils étaient dans les murs de Laval et qu'ils allaient devoir dénicher une auberge au plus vite. Bertin commençait à avoir faim tandis que l'envie de dormir se faisait plus forte à chaque coudée parcourue.

On va s'faire un p'tit gueuleton... aux oignons ! Et après, j'pioncerais un coup !

Hiiiii ! Hiiiii !

Et on s'payera d'la graisse pour c't'essieu d'malheur !


Jetant un regard à la vieille, il crût apercevoir un semblant d'amusement dans les traits de cette dernière. Mais lorsqu'il cligna des yeux, le visage de l'apothicaire était redevenu inexpressif au possible.
Autour d'eux, les quelques badauds qui déambulaient dans les rues de la ville, s'écartaient pour leur laisser le passage. Les faciès semblaient joyeux, malgré l'heure matinale. Bien plus qu'à Craon. La ville devait être charmante... Enfin, ils n'avaient pas le temps de faire du tourisme, ni de boire un coup à la taverne. Ils devaient trouver une auberge, peu importe laquelle.
D'ailleurs, le chariot déboucha sur une petite placette sur laquelle se trouvait une jolie fontaine. Mais la fontaine, Bertin s'en moquait... Ses yeux étaient braqués sur ce qu'il y avait derrière.

Une devanture en bois foncé, un panneau doucement bercé par le vent froid qui s'insinuait entre les bâtiments et un chien, allongé, guettant sûrement l'occasion de mordre un mollet. L'auberge semblait convenable, à première vue. Bertin décida donc d'avancer la carriole jusque devant l'établissement et, dès que le véhicule fût à l'arrêt, il se précipita à l'intérieur.
Catterine


L'arrivée aux portes de Laval avait été des plus tendues pour la brunette qui ne l'avait pas mener large en voyant les gardes qui l'observaient comme un morceau de choix.
Fort heureusement l'intervention de Bertin les ramenèrent un instant (suffisant) à leurs moutons et ils purent bientôt passer sous la large porte de pierre.
A cette occasion, le précédent garde charmeur renvoya encore un simulacre de baiser écœurant accompagné d'un clin d'œil qui voulait tout dire.
Catterine en détourna le regard rapidement et ne vit pas son supérieur asséner une tape sur l'arrière du crâne du dragueur.
Ses yeux s'étaient tournés vers l'intérieur de la ville qu'elle redécouvrait et regarda de nouveau Adess.
Elle se rappelait lui avoir écris quand elle y avait été quelques semaines avant qu'elle aurait aimé qu'il voit cela mais même alors qu'il était là, il n'en verrait rien.
Le grincement de l'essieu commençait à taper sur les nerfs de tout le monde sauf peut-être l'ancienne qui semblait toujours aussi impassible mais la brune voyait dans cette expression un masque indéfectible couvrant les émotions.
Les trois compères semblaient un peu soulager de cette première étape passée et Bertin mena le charriot devant une auberge qui ne payait pas de mine. Et le grincement cessa enfin.
L'ancien patrouilleur s'engouffra rapidement à l'intérieur de l'auberge et Catty s'étira un peu en regardant autour d'elle la petite place où ils étaient.
La brune descendit du charriot, pas mécontente de retrouver le plancher des vaches sans subir de cahots puis alla aider l'apothicaire à descendre aussi.
Celle-ci restait presque aussi silencieuse que la nouvelle muette puis toutes deux revinrent vers le brun étendu à l'arrière et encore inconscient.
Les ecchymoses sur son visage semblaient s'estomper quelque peu mais il restait marqué.


Il ne passe pas inaperçu comme ça, dit la vieille d'un air de remontrance, comme si il était responsable.
Catterine y répondit d'une moue peu heureuse du sort de son ami mais elle était bien obligée de constater que l'ancienne avait raison.
Bertin réapparu à ce même moment et vint voir à son tour Adess, une grimace mêlée de réflexion qui ne semblait pas savoir comment s'occuper de lui sans éveiller l'attention.
C'est alors que Catterine, toujours silencieuse, grimpa dans le chariot et se mit à fouiller dans les victuailles qu'ils avaient emmenées.
La vieille regarda Bertin qui lui retourna son regard interrogateur…
Faites quoi, là ? la questionna-t-il.
Elle fouilla encore sans répondre, bien-sûre, puis soupirant de ne pas trouver ce qu'elle cherchait, regarda Bertin et fit (discrètement quand-même) le geste de boire.

Hein ? Croyez vraiment qu'c'est l'moment ? On a d'aut' problèmes, j'vous f'rai r'marquer ! puis la vieille l'interrompit d'un geste de la main alors que Catty soupirait de la réflexion du brun.
Attendez…Elle scruta un instant la brune de son regard de faucon puis demanda au bourru "Où avez-vous mis vos bouteilles ?"
Le Bertin n'y comprenait plus rien, voilà que la vieille lui demandait la même chose mais haussant les épaules, ne cherchant plus à comprendre, alla sortir une bouteille de ses propres affaires.
Tenez mais laissez-en j'en n'ai pas pris quarante !
La brune s'empara vivement de la bouteille, à la surprise de l'homme, la déboucha et commença à en verser sur Adess, prenant garde de ne pas en mettre sur les blessures.
Bientôt l'odeur était perceptible tandis que Bertin la regardait faire avec stupeur, les yeux lui sortant presque de la tête.
Expression qui fut vite retenue par le regard revêche de l'ancienne qui avait compris.
Après quoi, la bouteille bien entamée et Bertin poussant un grognement, ils tirèrent l'ancien Maire par les couvertures sur lesquelles il était allongé avant de le saisir pour le faire entrer dans l'auberge, devenu un homme ivre insignifiant aux yeux des autres.

Une fois dans la chambre à deux lits - la pièce sentait le renfermé mais était assez bien tenue - le brun fut déposé avec précaution sur l'une des couches, la vieille suivant de près avec sa besace de remèdes sous le bras et Catterine à la suite avec les provisions. Le chariot resté dehors pouvait être surveillé par la fenêtre de la chambrée, surveillance que fit Bertin avant de s'asseoir sur l'autre lit.

J'vais pioncer un coup... Réveillez-moi avant midi pis on s'relaiera pour qu'tout l'monde puisse s'reposer avant not' départ de c'soir
Les deux femmes acquiescèrent et commencèrent à s'occuper du blessé. Il fallait défaire les bandages, ce qu'elle firent aussitôt. La matriarche entreprit de laver les plaies, remettre certains de ces fameux onguents odorants dont l'apothicaire avait le secret avant de refaire des bandages propres avec d'autres linges qu'elle avait pris soin d'emmener.
Pendant ce même temps, de son côté, Catterine avait pris l'initiative de faire bouillir de l'eau pour nettoyer les vieux bandages salles dans lesquels Adess avait "baigné" depuis la veille.
Jetant un œil de temps à autres aux actes de la vieille femme, elle nota dans un recoin de sa tête les soins qu'elle prodiguait et regarda ensuite Bertin qui semblait s'être vite endormi, sa lourde respiration accompagnant les quelques bruits discrets des deux femmes.
Ainsi, une fois les soins et lessives terminés, les deux femmes prirent un repas frugal des quelques vivres qu'elles avaient pris avec elle et Catterine décida d'aller prendre l'air, ce qu'elle signifia à l'ancienne.
Celle-ci acquiesça d'un air somnolant sur sa chaise et la brune une fois bien couverte, retrouva l'air froid du dehors pour gagner le marché de la ville. Avec ces quelques économies, elle reprit quelques denrées nécessaires puis se rendit en taverne, se faire le plaisir d'une tisane bien chaude et réconfortante.
Là, elle put voir quelques personnes mais jamais ne donna le but de sa visite en ville. Apparemment personne ne se plaignait des routes donc il ne devait pas y avoir de brigands par ici, du moins concernant les nuits précédentes.
Voyant la journée qui s'avançait, elle ressortit pour regagner l'auberge. Sur son chemin elle s'arrêta un instant, ayant remarqué une vieille roulotte qui lui rappelait un instant celle qu'elle avait eue jadis.
Un soupir puis elle retrouva vite leur chambre pour relayer la vieille qui s'occupait en tricotant.
La brune sourit de la voir faire ainsi, elle-même aimant à l'occasion jouer des aiguilles puis allant voir Bertin, elle le réveilla d'un mouvement de main sur l'épaule. Il grogna, bien-sûre, à son réveil mais finit par se lever pour laisser la place à l'apothicaire qui semblait vraiment fatiguée.
Une nuit entière assise sur un chariot n'avait rien de reposant et il faudrait penser à l'avenir à échanger les places pendant les prochains trajets, pensée dont elle fit part par quelques mots gribouillés sur son ardoise.
Ils acquiescèrent et Bertin grignota avant de sortir à son tour, les rôles s'inversant pour chacun.
Quand il revint, la brune tricotait à son tour en veillant puis reprenant son ardoise pour lui "parler", elle écrivit de lettres le mieux formées possible… "tout à l'heure j'ai vu une vieille roulotte, on devrait l'acheter"
Il plissa les yeux en se concentrant sur ce qu'elle venait de lui écrire et leva les yeux au ciel en secouant la tête avant de lui répondre de sa grosse voix mais un peu rabattue pour ne pas déranger la vieille qui se reposait :

Croyez qu'c'est l'moment d'faire des emplettes ? ce à quoi elle soupira de nouveau, cette réaction était devenue une habitude face à l'ami de patrouille du brun et il ajouta : Et vous voulez l'ach'ter avec quel argent ? Non, soyez raisonnab' !
Encore un soupir et elle en tapa même un peu du pied puis écrivit de nouveau au dos de ce qu'elle avait marqué précédemment : "on revend le chariot et on achète la roulotte avec, ce sera mieux pour tout le monde"
Il sembla un instant accuser le coup des propos écrits de la brune et se gratta pensivement la barbe.


Elle a raison

Le patrouilleur se retourna tout comme Catty qui n'avait pas remarqué que l'apothicaire s'était réveillée. Elle regarda de nouveau Bertin, un regard presque implorant d'espoir et il capitula…
Bon… bon… Comme vous voulez ! Mais vous tiendrez aussi les rênes alors !

La brune opina et l'ancienne fit de même.
Ainsi, ils prirent possession d'une roulotte, modeste mais qui avait l'avantage d'avoir un toit et une petite couche bien mieux pour le brun et en plus laissait encore un peu de place pour une deuxième personne au besoin.
Une toute petite table et une chaise comptait aussi parmi les rares meubles mais c'était mieux que rien.
Une fois la nuit venue, le petit groupe quitta la chambrée qui avait été payée d'avance et repartirent avec la nouvelle acquisition, quelque peu plus confortable, vers la Bretagne…

_________________
Bertin
Après un bon repas, quelques petits moments de détente et un long repos, le Bertin était en pleine forme. Toutefois, toujours sceptique face à la roulotte, il maugréa allègrement lorsqu'ils en firent l'acquisition. L'idée était bonne car le brun avait indéniablement besoin du confort, certes sommaire, de la paillasse, afin que sa côte ne souffre pas trop des affres du voyage, nonobstant, plus grande et plus imposante qu'un simple chariot, la route vers Fougères ne s'annonçait pas des plus reposantes.
Jetant un coup d’œil à l'intérieur, l'ancien patrouilleur ne put s'empêcher d'émettre un petit grognement. Un lit prenait quasiment toute la place, tandis qu'une minuscule table et une chaise étroite se partageaient le reste de l'espace.


Bah, au moins not' maire s'ra mieux sur c'lit qu'sur l'bois du chariot...

Et pis l'brun et Catt'rine ont sûr'ment b'soin d'plus d'intimité...
, ajouta-t-il en pensée.

***

Bertin à la manœuvre tentait tant bien que mal de manier la roulotte. Plus haute que la carriole avec laquelle ils s'étaient déplacés jusqu'alors, la "masure-sur-roue" tanguait parfois étrangement. Il faut dire que le vent froid de l'hiver était rigoureux en cette nuitée... Et c'était une façon de parler. Un vent à faire s'envoler les pierres, voilà ce que c'était !
D'ailleurs, la vieille, emmitouflée dans un cocon de couvertures impressionnant, n'avait de cesse de rouspéter.


Mes aïeux, quel vent ! Froid, puissant et pénétrant... Et avec ces deux-là dans la roulotte, nous, on gèle sur place ! Sacré jeun...

Bertin, agacé par la mauvaise humeur de l'apothicaire, ne put toutefois s'empêcher de rire aux éclats. Et même si son rire fût presque instantanément emporté par une violente bourrasque, la passagère eut le temps de percevoir l'humeur du garde et lui lança un regard assassin.


Arrêtez donc d'rouscailler, l'ancienne !

Parce que vous n'avez pas froid, vous ? Je suis pourtant certaine de vous avoir vu trembler tout à l'heure !


Le Bertin l'observa pendant de longues secondes, le regard emplit de surprise et d'indignation. Trembler ? Lui ? Impossible !

Trembler ? Moi ? Impossib' !

***

À l'arrière, dans la roulotte, tantôt émettant quelques sons, tantôt bougeant légèrement, le brun semblait parfois émerger du lourd sommeil dont son corps avait visiblement besoin.
Toutefois, son esprit était toujours bel et bien enfoncé dans un enchevêtrement de songes.
Adess
Depuis combien temps parcourait-il ce chemin ? Une semaine ? Un mois ? Il n'en savait rien. C'était peut-être cela le plus gênant.
Conscient d'être embourbé dans une sorte de rêverie, singulière et tortueuse, il n'avait néanmoins aucune perception du temps qui s'écoulait. Selon les instants, tantôt le temps paraissait s'étirer, tantôt il défilait à toute vitesse et l'impossibilité de se situer chronologiquement allait finir par le rendre fou.

Décidant, une fois de plus, de prendre un chemin adjacent, Adess se retrouva soudainement face à Craon. Un instant durant, il hésita. C'était la première fois qu'il voyait autre chose que ce maudit chemin qu'il arpentait d'ordinaire.
Néanmoins, une fois le choc passé, il décida, timidement, de s'y risquer.

***

Déserte, comme toujours, elle était pourtant différente. Les remparts n'étaient pas de la même couleur ; les habitations étaient toutes biscornues, certaines étaient même imbriquées les unes dans les autres ; la mairie, incendiée, trônait tristement au milieu de la placette ; et la fontaine, SA fontaine... Elle n'était plus.
Lentement, il s'avança vers l'endroit où elle aurait dû se tenir. Curieusement, il y faisait à la fois plus chaud et plus froid que dans le reste du village, comme si ce point précis était différent. Certes, il l'était. C'était l'endroit où il lui avait parlé pour la première fois.

Souhaitant s'accorder quelques instants, il s'assit en tailleur, au milieu de la place. Et c'est brusquement que quantité de souvenirs refirent surface. Agressant son esprit, martyrisant son corps, ils prirent possession des lieux l'entourant. Il la revit, plus vraie que nature.


So... Sorcellerie !

C'est qu'il était surpris, le brun ! Malgré toutes ses tentatives pour se souvenir du visage de la blonde, il avait toujours eu du mal à le restituer dans sa tête. Or, là, elle était plantée devant lui. Et chose impensable, elle lui parla :

Vous m'avez fait souffrir !

Hébété, le brun mit quelques minutes avant de répondre au fruit de son imaginaire. Peiné d'entendre à nouveau des reproches de la part de "sa Dame", il ne put s'empêcher de soupirer. Plein de lassitude et de peine, le soupir s'envola à l'instant même où il franchit les lèvres d'Adess, se répandant alentour, telle une fuligineuse fumée.

Je le sais. Je n'ai point souhaité vous faire souffrir...

Mais vous l'avez fait. Vous m'avez fait du mal, Adess !

Après un court moment passé à scruter le visage de la blonde, le jeune homme prit une grande inspiration. Il n'allait pas se laisser faire. Il n'allait pas laisser son esprit le tourmenter ainsi !

Je n'ai point souhaité que vous me quittassiez non plus, vous savez ? Mais vous avez préféré vous fier aux ignobles rumeurs, aux ragots courant les tavernes, plutôt que de me croire. Moi... "votre meunier".
Vous m'avez fait du mal également mais cela vous vous en moquez bien, n'est-ce pas ? Après tout, c'est moi le méchant dans toute cette histoire...


S'étant levé entre-temps, il tourna furieusement les talons. Il ne voulait pas de ce genre de chose. Pas en ce moment. Les lieues qu'il avait parcourues, subconsciemment parlant, l'avaient éreinté et, de fait, il n'avait pas vraiment envie de se disputer avec une blonde qui n'était même pas réelle. Se dirigeant donc vers les remparts, afin de quitter ce village de malheur, il s'arrêta subitement devant le tronçon de remparts qu'il aimait parcourir.
Là, sur le chemin de ronde, Bertin et la vieille semblaient jouer aux dés...


Euh...

Oui, c'était une vision des plus incongrues, assurément !
Le garde salua brièvement le brun, tandis que la vieille ne lui prêta même pas attention. Soudain, une main se referma sur son épaule. Se retournant d'un bloc, il fit face à un visage connu.

***

Dans la roulotte, Adess était en nage. Bougeant, marmonnant, il semblait combattre l'état dans lequel il se trouvait. Ses mouvements étaient anarchiques, ses marmonnements, incompréhensibles... Et pourtant, alors que la nuit touchait à son terme et que le groupe approchait de Fougères, un mot, un seul, retentit dans l'espace confiné de la demeure mobile.


Catt... Catterine ?
Catterine


La première partie de la nuit, fut passée pour la brune aux côtés du Poitevin tenant fermement les rênes, assis tous deux sur le petit banc à l'avant de la roulotte.
Le vent se levait et la l'ancienne restée à l'intérieur pour le moment devait sans doute surveiller l'état du convalescent.
Juste avant de partir, la brune avait eu l'idée de prendre quelques braises de l'âtre de la chambre qu'ils avaient louée à Laval, dans un petit chaudron de fonte.
Celui-ci faisait office de poêle à défaut d'en avoir un pour le moment et cela permettait d'avoir un minimum de chaleur à l'intérieur ce qui rendait le voyage encore plus confortable.
Bertin fit une halte sur le chemin, afin de se réchauffer un peu à l'intérieur et avaler un morceau.
Les trois était un peu à l'étroit à l'intérieur surtout avec le large garde qu'était Bertin.
Tout en grignotant un morceau de pain et de fromage, celui-ci dit en mâchant avec une certaine réflexion :
J'vais continuer de t'nir les rênes pour le reste du trajet, y a trop d'vent, vous deux, vous tiendrez pas.

Puis avalant enfin sa dernière bouchée accompagnée d'une rasade d'eau-de-vie, il ajouta en désignant l'apothicaire par un signe du menton : Vous, v'viendrez avec moi d'vant.
Ce n'était ni une question ni une invitation mais une simple affirmation qui ne tenait aucune discussion possible.
La vieille donna quelques conseils à Catty si jamais il y avait un éventuel soucis avec le brun avant de s'envelopper de moult couvertures et de ressortir à la suite du gaillard qui l'aida à monter à l'avant.

Le convoie repartit, Catterine s'installa pour veiller le brun qui semblait agité dans son sommeil. N'ayant pas mieux à faire en même temps, elle continua son ouvrage tricoté qui devrait bientôt être terminé.
Le vent continuait de souffler fortement au dehors et elle entendait les deux compères menant la carriole qui une fois de plus s'envoyaient des "douceurs" et elle en esquissa un sourire amusé. Ces deux-là se lançaient souvent des piques qui rappelaient l'attitude d'un vieux couple.
Néanmoins, après peut-être deux heures de trajet son ami s'agitait plus qu'auparavant ; peut-être reprenait-il doucement conscience. Pour avoir connu cette état entre le sommeil et la vie, elle savait que cela pouvait être long avant de trouver le chemin de retour.
Le voyant en nage, elle posa son ouvrage et reprit un linge propre qu'elle trempa dans un peu d'eau et qu'elle essora afin d'essuyer le visage d'Adess torturé par ses rêves. Il marmonnait et semblait même se débattre de quelque chose que lui seul connaissait.
Dans un geste de compassion et d'amitié, elle terminait de nettoyer l'eau qui perlait sur la peau du brun et posa une main empreinte de tendresse sur son épaule, comme pour essayer de le rassurer, si cela était possible.
Néanmoins, elle ne s'attendait à ce qu'il réagisse à cet acte et surprise, sursauta en l'entendant dire son nom ; elle l'observa mais il semblait encore endormi à moins qu'il soit sur la voie du réveil.
Au prix d'un effort qui était devenu moins difficile, elle l'appela à son tour d'abord doucement : Adess ? pas de réaction alors elle réitéra en haussant la voix, plus affirmée : Adess ?
Ne sachant quoi faire de plus, elle frappa le bois de la roulotte à l'attention des deux qui étaient au dehors et leur transport s'arrêta bientôt avant qu'il la rejoignent à l'intérieur.

Qu'est-ce qu'y a ? lança Bertin en entrant suivi de l'apothicaire arborant son expression habituelle.
Le temps n'était plus pour la brune à l'ardoise et à la craie et elle balbutia en montrant l'ancien maire : A…Adess… p.. parlé… C…Catterine. Pour le coup ce fut au tour du duo d'être franchement étonné. Non par ce qu'elle venait de leur dire mais par le simple fait qu'elle ait parlé, étant jusque-là toujours restée silencieuse.
Une fois l'instant de surprise passé, la vielle alla voir le blessé encore agité et Catty la questionna : Réveillé ? L'ancienne souleva les paupières lourdes du convalescent et l'observa un peu dans ses mouvements puis répondit à la négative d'un mouvement de la tête.
Non, il dort encore.
Le Bertin quant à lui profitait de se réchauffer un peu en laissant les femmes faire, se passant une main sur son visage fatigué avant d'ajouter :
On arrive bientôt, la ville est en vue et vous en désignant Catterine, rest'rez à l'intérieur, pas envie d'avoir d'problèmes comme la dernière fois.
Les deux femmes acquiescèrent et ils reprirent pour moins d'une heure la route jusqu'aux portes de Fougères, première ville de la Bretagne qu'ils atteignaient enfin.

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--La_vieille_apothicaire
Fougères ne fut qu'une halte, une courte pause dans ce voyage qui s'annonçait encore bien long. Sans anicroche particulière, le groupe avait pénétré dans le village, apercevant tout de même, çà et là, quelques attroupements d'hommes en armes.
En dehors de cette effervescence armée, Bertin et les autres s'arrêtèrent à l'auberge, y passèrent quelques heures et dès le crépuscule, ils furent sur la route menant à Rennes.


***

Le temps était plus clément. Le vent s'était calmé à l'approche de Fougères et depuis, une simple brise balayait la campagne Bretonne. Le temps toutefois était humide et la morsure de l'hiver était tenaillante. Bertin était enveloppé dans la pèlerine du brun, qui pour l'instant n'en avait pas l'utilité, et dans quelques couvertures. Il n'avait pas l'air fin, il bougeait difficilement mais le climat nocturne était diablement rude, aussi n'avait-il pas trop le choix.
À ses côtés, Catterine était emmitouflé, plus encore que le garde, dans un méli-mélo d'étoffes. Grelottant toutefois, Bertin lui tendit une gourde emplie de vin Angevin.


Buvez !

***

La vieille, elle, était à l'arrière, pour une fois. Elle tricotait, observant parfois distraitement le blessé qui semblait toujours plongé dans un sommeil qui s'agitait de plus en plus. La flamme de la bougie, posée sur le petit guéridon, éclairait faiblement la pièce mais ses doigts tissaient sans peine ce qui deviendrait une longue écharpe.
Soudainement, elle entendit la voix rauque de Bertin. Elle dressa l'oreille, curiosité affutée par ce qu'il pouvait bien dire à la muette pas si muette que ça... Fidèle à elle-même en somme.


Buvez !


Tendant l'oreille davantage, pour saisir une éventuelle réponse de la brune, elle ne perçut toutefois aucun son de voix en retour. Ne parlait-elle que lorsqu'elle souhaitait parler d'Adess ? Il était probable, pour la vieille, que le mutisme de la brune ne soit pas si mutique que cela. Il s'agissait plus d'une réticence. La voix du garde s'éleva à nouveau :

C'est qu'un peu d'vin, Catt'rine... vous f'ra pas d'mal...

Encore une fois, la vieille ne perçut nullement la voix de la brune. Replongeant derechef dans ses théories quant à l'étrange "mutisme" de Catterine, elle sursauta lorsqu'un cahot fit choir la bougie près de son œuvre, manquant de mettre le feu à celle-ci et à la roulotte tout entière.
Agissant promptement, la situation fût vite maitrisée et aucune trace de chaud n'eut le temps de s'incruster sur son morceau d'écharpe. Soupirant légèrement, elle stoppa néanmoins tout mouvement lorsque de nouveaux mots furent prononcés.


Pourquoi faites ça pour l'maire, hein ? Y m'a dit qu'vous êtes amis mais j'crois pas. Entre vous et nous, y'a pas d'amitié possib'. Les hommes et les femmes peuvent pas être amis.

La vieille, à l'arrière, ne put s'empêcher de sourire. Une chose était sûre, le Bertin ne savait pas agir avec tact. Son franc-parler était, selon l'apothicaire, sa seule qualité, et en ce moment, le garde remontait légèrement dans son estime. Légèrement, pas plus.


J'crois qu'vous l'aimez ben. Moi, j'm'en moque, 'savez... C'est juste qu'si c'est l'cas, vous d'vez faire gaffe. Y m'a raconté c't'histoire avec la blonde, vous et tout et tout. Et...

L'homme se racla la gorge puis reprit :

Et j'me moque d'tout ça. Vous d'vez faire gaffe à lui, ne pas l'faire souffrir.

***

Le jour commençait à poindre à l'horizon et Rennes était en vue. La vieille, toujours au chaud dans la roulotte, s'étira et contempla son travail. Une longue moitié d'écharpe, d'une laine anthracite, trônait sur la table. Les points étaient nets, l'ensemble semblait de bonne facture.
Toutefois, ses doigts la faisaient souffrir. Ces derniers temps, avec le climat hivernal, elle avait du mal à tricoter, ses doigts étaient raides et, malgré l'étonnante qualité des points, ils étaient plus malhabiles qu'à l'accoutumée.

S'étirant de nouveau, elle perçut un mouvement du coin de l’œil. Elle tourna ses yeux noirs vers la couche et ce qu'elle vit lui tira un mince sourire. Le brun, assit sur son séant, se frottait les yeux.
Laissant son sourire s'évanouir, elle se para de son éternel masque d'indifférence et dit d'un ton neutre :


Enfin... Ce n'est pas trop tôt.

Puis elle se leva et frappa contre la cloison de bois.
Catterine


Assise aux côtés de l'ancien patrouilleur, dans le froid mordant de la nuit, Catterine regardait devant elle, l'air absent, songeuse et inquiète dans la nuit qui les entourait.
Seule la petite lanterne de la brune posée à leur pieds donnait un peu de lumière aux deux convoyeurs.
Le temps était long et Bertin bien emmitouflé venait de se saisir d'une bouteille dont l'odeur malgré le froid lui donnait toujours répugnance.


Buvez !

Et voilà qu'il lui proposait d'en boire maintenant. Aucun mot ne fut utile pour décliner la proposition, une simple négation de la tête s'exprimant pour réponse.
Et il insistait, réitérant d'une justification qui se voulait anodine…
C'est qu'un peu d'vin, Catt'rine... vous f'ra pas d'mal...
Un nouveau mouvement de la tête refusa le breuvage qui ne lui donnait que la nausée.
De ce fait, il sembla hausser une épaule (difficile à voir sous la multitude de couches qui le couvraient) et rebut une ou deux gorgées de plus.
Lui cédant un instant les rênes pour se servir de ses deux mains, il reboucha sa bouteille qu'il rangea précieusement dans ses affaires personnelles, à ses côtés.
Pendant un moment il ne dit rien de plus puis il se mit à poser des questions…


Pourquoi faites ça pour l'maire, hein ? Y m'a dit qu'vous êtes amis mais j'crois pas. Entre vous et nous, y'a pas d'amitié possib'. Les hommes et les femmes peuvent pas être amis.
J'crois qu'vous l'aimez ben. Moi, j'm'en moque, 'savez... C'est juste qu'si c'est l'cas, vous d'vez faire gaffe. Y m'a raconté c't'histoire avec la blonde, vous et tout et tout. Et...


Elle soupira d'une façon excédée à l'évocation de cette histoire qui commençait gentiment à lui taper sur les nerfs. Le curieux reprit ensuite après un raclement de gorge, peut-être avait-il perçu son agacement… ou pas.
Et j'me moque d'tout ça. Vous d'vez faire gaffe à lui, ne pas l'faire souffrir.

Là c'en était trop pour elle ! Certes il était vrai que le comportement des deux amis pouvait prêter à confusion mais après-tout il n'y avait jamais rien eu d'autre pour confirmer cette pensée qui semblait être devenue générale. Et puis… et puis la brune s'était pour ainsi dire jurée de ne plus jamais s'embarquer dans quelques histoires de ce genre… histoires de cœur, en somme.
Cette fois, il voulait l'entendre et il l'entendit sur un ton de remontrance…

Amis ! Comme Frère - Sœur ! Voilà ! Énervée la brune ? Oui un peu, elle n'aimait pas qu'on se mêle extérieurement de ses affaires et apparemment il n'y avait que les fortes émotions qui arrivaient à lui faire quitter son mutisme et elle se moquait bien de la stupeur du garde qui accusait le coup de ses mots.
A présent, elle s'était renfermée sur elle-même, bras croisés devant elle sans sentir le froid dans lequel ils baignaient depuis quelques heures. Légèrement en colère, la brune s'était remise dans sa bulle mais son ouïe fine lui permit d'entendre une voix sourde dans la roulotte qui l'interpela une seconde, le temps d'entendre ensuite la vielle toquer contre le panneau de bois de l'intérieur.
Bertin l'entendit aussi, pour avoir été suffisamment fort et il arrêta la carriole avant que la brune descendit agilement sans demander son reste. Elle alla rejoindre la porte à l'arrière qui s'ouvrit sur la vieille et le brun qui se tenait assis sur la couche sommaire, semblant encore un peu endormi.
Stupéfaction de la brune qui se fendit ensuite d'un sourire en le voyant de nouveau vivant. L'envie d'aller à sa rencontre était grande mais elle ne voulait pas le brusquer et resta un instant interdite dans l'encadrement de la porte, ne faisant pas attention au froid de l'extérieur qui s'insinuait dans la roulotte.


Entrez Catt'rine ! on gèle ! Disait Bertin dans son dos qui ne demandait qu'à se réchauffer et voir de quoi il retournait.
La brune entra donc plus avant dans l'étroite roulotte, laissant par la même occasion plus d'envergure à l'encombrante stature du poitevin qui s'engoufra rapidement à l'intérieur en refermant derrière lui, Catty ne quittant pas Adess des yeux…

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Adess
À travers les brumes des songes qui planaient sur son esprit, le brun percevait un bruit régulier et singulièrement distinct. Alors qu'il parcourait le même chemin depuis ce qui lui semblait être une éternité, jamais aucun son n'avait été si net. La plupart du temps, ils étaient étouffés ; parfois, un grésillement les accompagnait. Or là, le bruit était parfaitement audible et même s'il n'arrivait pas à en identifier la nature, en tendant l'oreille, il pouvait en distinguer l'origine.
Suivant donc le flot sonore, Adess se hâta sur le chemin. Le paysage, d'ailleurs, se modifiait étrangement sous ses pas... Le contour des arbres alignés sur le bord de la route, les arêtes tranchantes des rochers dans le lointain, tout prenait des couleurs, tout devenait plus net.
Le chemin lui-même semblait plus physique, moins vaporeux. Et alors que ces changements environnementaux s'opéraient autour de lui, ses sens s'altéraient de même.
Sa respiration se faisait plus profonde, comme s'il respirait enfin, après des jours d'une lente asphyxie ; ses pensées devenaient plus claires, plus vives également ; et il ressentait enfin pleinement son corps.

Il se sentait vivant de nouveau.


***

Les yeux brûlants, la bouche pâteuse et une migraine tenaillante, Adess s'était lentement relevé pour s'asseoir sur son séant. Il se frotta les yeux, tâchant de calmer le feu qui les dévorait, tentant également d'habituer ses prunelles à la vive lumière qui lui irritait sincèrement la vue.
Après quelques longues secondes, ses yeux semblèrent s'habituer à la luminosité et il perçut enfin ce qui l'entourait.
Il se trouvait dans une sorte de petite maison. Des murs en bois, une petite table, sur laquelle se trouvait la bougie à l'origine de la "vive" lumière, une chaise étroite et... une vieille femme qui tricotait. Faisait-elle partie du mobilier ? En tout cas, elle s'intégrait parfaitement dans le cadre vieillot de cet environnement.

Soudainement, une secousse ébranla les murs de bois, lui arrachant une grimace. Une douleur dans le flanc gauche. Une côte. Pourquoi avait-il mal au flanc ? Et surtout, d'où venait ce cahot ?
Un mouvement, furtif, attira son attention. La vieille femme le dévisageait.


Enfin... Ce n'est pas trop tôt.


Si, de prime abord il avait eu quelques doutes quant à l'identité de la vieille, en entendant sa voix à la fois ferme et chevrotante, il reconnut l'apothicaire. Qu'est-ce que tout cela voulait dire ?

Se levant, elle se glissa entre la paillasse et la cloison et frappa quelques grands coups sur le bois. Presque immédiatement, le mouvement régulier de la "demeure" s'arrêta. Des bruits de pas foulant la terre retentirent. Une porte s'ouvrit et révéla deux personnes.
Plissant les yeux, Adess tenta de discerner leur visage, sans toutefois y arriver sur l'instant.

Entrez Catt'rine ! on gèle !

Catterine ? Et cette voix... Bertin ? Le jeune homme n'y comprenait rien. Que faisaient-ils tous là ? Et où étaient-ils d'ailleurs ?
La porte se referma sur ses deux amis. Et alors que ces questions le tourmentaient, il put enfin apercevoir le délicat visage de la brune et les traits taillés à la serpe du vieux Loup.
De les voir ainsi, son cœur bondit dans sa poitrine. Si son aventure subconsciente n'était guère plus qu'un vague souvenir, il avait toutefois l'impression que cela faisait des semaines qu'il ne les avait pas vu. Se fendant d'un large sourire, il dit d'une faible voix :


Catterine... Bertin...

Deux mots, deux grimaces. Parler lui était difficile, douloureux. Sa côte ? Encore ? Sûrement.
Rompant avec le bonheur qu'il avait ressenti quelques secondes auparavant, la douleur lui rappela ses interrogations.


Où sommes-nous ? Que faites-vous tous ici ? Pourquoi ai-je mal au flanc ? Et qu'est-ce qu...

Bertin émit un rire rauque, tandis que la vieille, elle, soupira longuement.

M'sire Adess ! À peine d'bout et d'jà tout plein d'questions...

Après un autre court éclat de rire, il ajouta :

Enfin, n'sommes tout près d'Ren...

L'apothicaire toussa, interrompant le garde et le gratifiant, au passage, d'un regard assassin.

Vous, l'idiot, dehors !

Éberlué par la façon dont la vieille lui parlait, Bertin la dévisagea, l'air visiblement perplexe. Puis, il bredouilla quelques mots, jeta un regard en direction du brun, puis de la brune et enfin, tourna les talons et sortit de la carriole, non sans faire dangereusement chanceler l'édifice de bois.

Catterine, vous devriez tout expliquer à votre ami. Moi, j'ai un grand imbécile à sermonner...

Et elle quitta l’exiguïté de l'endroit pour s'enfoncer dans l'obscurité agonisante du petit matin, laissant la brune, seule, face au brun et à ses questions.
Catterine


Le sourire du brun se dévoilant quelques quelques secondes de réveil embrumé rassura Catty qui s'était tant inquiétée.
Il était bel et bien vivant et avec, a priori, toute sa tête et sa mémoire.
Et à peine ses esprits repris, il se mit à poser des questions comme un flot de paroles jusque-là retenue par le barrage de ses lèvres endormies.
Forcément, il n'en fallut pas beaucoup pour que le poitevin se mette à en rire bruyamment


M'sire Adess ! À peine d'bout et d'jà tout plein d'questions...
Enfin, n'sommes tout près d'Ren...


Ah ça pour être franc, il était franc mais il ne savais pas beaucoup faire dans la subtilité avant de parler… du moins pas en cet instant et ce fut la vieille apothicaire qui le fit taire d'un simple regard avant de le congédier sans ménagement.
Vous, l'idiot, dehors !
Le pauvre, pour un peu elle le plaignais car il n'avait simplement pas mesuré ce qu'il venait de dire. Il lança un regard à tous, regard qu'elle ne savait comment lui rendre tant elle avait été elle-même surprise par l'intervention de l'ancienne.
La porte se referma sur un Bertin décontenancé, bientôt suivi de la matriarche qui la laissa gentiment en plan avec le devoir de mettre Adess aux faits des évènements des derniers jours.
C'est ce qu'il s'appelait surtout "refiler le bébé" et c'est un peu comme une poule ayant trouvé un couteau que Catterine vint s'asseoir sur la chaise abandonnée plus tôt.
Déjà que sa parole avait du mal à refaire surface, même avec son ami et il fallait en plus qu'elle lui explique que les trois compères l'avaient arraché à Craon.

Poussant un peu la bougie qui trônait au milieu de la petite table, elle sortit ensuite son habituelle ardoise et sa craie et réfléchit un instant avant d'écrire…
Il ne s'agissait pas de faire comme Bertin et de dire de but en blanc qu'ils l'avaient fait partir et pourtant… Et pourtant il faudrait bien.
Prenant une petite inspiration, elle prit sa craie et commença à écrire d'abord ces quelques mots… Autant commencé par le commencement :
Vous avez été blessé à Craon quand les armées royalistes ont pris la mairie"… Terminant d'écrire, elle lui montra ses dires inscrits sur l'ardoise.
Elle n'attendit pas longtemps pour écrire à la suite : "Bertin vous a retrouvé et amené chez l'apothicaire pour vous faire soigner"

Le laissant accuser le coup de la première partie de ses écrits elle poursuivit après avoir nettoyé son ardoise : "Je vous ai cherché partout et ne vous trouvais pas, c'est un ancien garde de Craon qui m'a menée à vous"
C'est ce qu'il s'appelait gentiment tourner autour du pot mais elle ne voulait pas tout sortir d'un seul coup.
Elle lui montra à nouveau avant d'écrire au revers du petit tableau noir : "Bertin disait que les royalistes voulaient vous tuer alors on a voulu vous protéger… et nous avons quitté Craon."

C'est avec une certaine hésitation qu'elle tendit l'ardoise couverte de ses derniers mots à son ami, tête baissée, le laissant prendre pleinement conscience de la situation…

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Adess
L'air hagard, perdu, le jeune homme ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Pourquoi la vieille avait-elle si sèchement rabroué le garde ? De quoi étaient-ils "tout près" ? Quelle était cette étrange pièce aux murs de bois dans laquelle il se trouvait ? Et surtout, pourquoi Bertin, la vieille, Catterine et lui, étaient rassemblés au même endroit ?
Les questions sans réponses bourdonnaient dans son esprit encore embrumé par la longue torpeur dont il venait tout juste d'émerger et sa tête lui semblait lourde, comme faite de pierre. Toutefois, une drôle d'impression le tenaillait... Tout cela lui semblait si saugrenu, si insensé, qu'il se croyait à nouveau en plein songe. Et pourtant, non... il se sentait physiquement et mentalement plus "réel".

Implorant la brune du regard, espérant qu'elle prenne pitié et lui explique la situation, Adess ne dit mot lorsque Bertin quitta la roulotte, suivi de près par l'apothicaire. Ainsi, enfin seul avec elle, et bien que rongé par l'envie de lui sourire, de lui sauter au cou tant il était heureux de la revoir, il se contenta de l'interroger stoïquement du regard. Elle s'assit, lentement, l'air préoccupé.
Un étrange pressentiment commençait à naitre en lui. Ce qu'elle allait lui annoncer ne serait sûrement pas à son goût, il le sentait. Dardant sur elle un regard emplit de crainte, il l'observa néanmoins silencieusement lorsqu'elle commença à écrire sur son ardoise.


***

Bertin avait besoin de souffler. On inspire, on expire... Et on ne s'énerve pas !
Faisant les cent pas, à quelques coudées seulement de la roulotte, le garde essayait donc de rester placide face à la manière dont le traitait constamment la vieille. Pourquoi le traitait-elle d'idiot ou d'imbécile ? Il n'était pas le plus intelligent du groupe, certes, peut-être même était-il le plus benêt des quatre mais était-il nécessaire qu'il en soit fait mention à chaque bourde de sa part ? Enfin, elle avait probablement eu raison de l'interrompre, Catterine était sûrement plus fine que le Poitevin lorsqu'il s'agissait d'apprendre quelques mauvaises nouvelles... Car assurément, pour l'ancien maire, c'était une mauvaise nouvelle.
Poussant un long soupir, il ne put toutefois s'empêcher de jurer en repensant à l'apothicaire :


Vieille chouette !


Soudainement, un toussotement se fit entendre derrière lui. Se retournant vivement, main sur la garde de son épée, toujours à l'affût, il vit la vieille, campée sur ses courtes jambes qui lui lançait un regard noir. Haussant les épaules, émettant un bref grognement, il se retourna de nouveau, lui offrant son dos comme seule compagnie. Sans mot dire, elle se glissa à ses côtés, observant ce qu'il observait... C'est-à-dire pas grand-chose d'autre que de la forêt, quelques buissons épars et surtout, beaucoup de neige.
Enfin, après un court raclement de gorge, elle dit :


Il fallait un peu de tact, Bertin... Il me semble que votre ami tenait à sa ville et nous l'en avons éloigné, sans son consentement. D'après ce que vous m'avez dit, il risque de mal le vivre.

Après une courte pause et un soupir simultané des deux compères, elle ajouta :


Catterine s'en sortira bien mieux que vous... et même sûrement bien mieux que moi également.

Toujours ronchonnant, le garde émit un nouveau grognement. Il était d'accord sur le fond mais l'apothicaire avait le chic pour être désagréable sur la forme... Et s'il s'était abstenu de tout commentaire en face de l'ancien maire, cette fois, il ne se gêna pas pour le lui faire remarquer.

Vous m'réprimandez tout l'temps et j'commence à en avoir sacrément marre !


La vieille tourna son visage vers lui, légèrement surprise.

Vous faites ânerie sur ânerie !

Le garde secoua la tête, visiblement dépité de voir que la vieille semblait incapable de comprendre.

C'pas une raison pour m'app'ler "l'idiot" !

Cette fois ce fût à la vieille de secouer la tête.

Vous m'appelez bien l'ancienne et pourtant, je ne vous en tiens pas rigueur...

Elle marquait un point mais, pour rien au monde Bertin ne lui donnerait raison. Il se contenta donc de marmonner quelque chose puis d'ajouter, plus clairement :

On r'prend la route.

***

"Vous avez été blessé à Craon quand les armées royalistes ont pris la mairie"

Cela, il s'en souvenait. Vraiment ? S'en souvenait-il ? Non, il avait quelques vagues souvenirs, sans plus. Il se revoyait dans son bureau, l'épée au clair, attendant que les Royalistes défoncent la porte. Et puis, plus rien.

"Bertin vous a retrouvé et amené chez l'apothicaire pour vous faire soigner"

Voilà ce qui expliquait la raison de la présence du Bertin et de la vieille, ensemble, au même endroit. Brave Bertin ! Son vieux Loup était d'une loyauté sans pareille.

"Je vous ai cherché partout et ne vous trouvais pas, c'est un ancien garde de Craon qui m'a menée à vous"

*Catterine, si vous saviez à quel point je m'en veux de vous avoir fait revenir à Craon. Si vous saviez ce que j'ai fait, si vous saviez ce que j'ai secrètement souhaité...*


"Bertin disait que les royalistes voulaient vous tuer alors on a voulu vous protéger… et nous avons quitté Craon."

...

Ainsi donc ils l'avaient enlevé... Il était quelque part, loin de son village, avec pour seule compagnie une vielle revêche et deux amis indignes. Encore que Bertin n'avait fait que remplir son office, lui. Catterine, en revanche, savait pertinemment qu'Adess aurait préféré mourir plutôt que de lâchement s'enfuir. Et pourtant, elle avait laissé faire. Était-ce de l'égoïsme ou bien de l'altruisme ? L'avait-elle fait pour elle, par devoir, ou bien se souciait-elle vraiment de lui ?
Non, si elle s'était souciée de lui, elle l'aurait laissé là-bas, elle serait restée à Laval, comme il le lui avait demandé... Au lieu de cela, il se retrouvait quelque part, loin de sa ville, loin de son cœur, loin de sa vie. C'était plus douloureux que la mort, assurément.

Et alors que la roulotte se mit doucement en branle et que mille questions fusaient encore dans son esprit, Adess s'allongea, tourna le dos à son "amie" et resta ainsi jusqu'à leur arrivée à Rennes.
Adess
Cela faisait un bon moment maintenant que les cahots de la route agitaient la roulotte en tout sens et rendaient le temps incroyablement long pour le brun qui s'était mis en chien de fusil depuis que la brune lui avait révélé leur départ de Craon. Ainsi sur le flanc blessé, dos à la brune, il ressentait la moindre des aspérités de la route défoncée qu'ils parcouraient.
Lorsqu'enfin la carriole s'arrêta, Adess se mit sur le dos et resta ainsi, quelques instants. Il en profita d'ailleurs pour détailler l'étrange espace dans lequel il se trouvait. Le grand matelas sur lequel il était couché prenait une grande partie de la place. La brune, elle, était assise sur une étroite chaise qui faisait face à un petit guéridon. En dehors de ces trois choses là, Adess remarqua que le toit était en mauvais état et que deux des quatre carreaux de la fenêtre étaient fêlés. L'endroit était triste et exigu. Un coup à rapidement devenir claustrophobe.

Des pas lourds retentirent, la porte s'ouvrit et la tête de Bertin apparut soudainement par l’entrebâillement de la porte.


N'est arrivé...

Le jeune se redressa lentement, jetant un coup d'oeil furtif à la brune puis posa le regard sur la trogne du garde Craonnais.

Où sommes-nous ?

Le Bertin dévisagea brièvement la brune avant de répondre :


Rennes, dans l'Grand Duché d'Bretagne.

Et il referma la porte.

En Bretagne ? Que faisaient-ils en Bretagne ? Et où allaient-ils d'ailleurs ? Poussant un petit grognement, le jeune homme se leva, péniblement, et, sans un regard pour son "amie", il sortit de la roulotte.


***

Rennes était une sacrée ville... Ce n'était pas tant sa taille que son effervescence affolante qui impressionnait le jeune Craonnais. Des dizaines, des centaines de gens parcouraient sans cesse les rues pavées de la cité, les tavernes étaient animées, des échos de conversation retentissaient de toute part et des rires ponctuaient même cette mélodie citadine.
Craon et son silence de mort lui semblèrent bien loin en cet instant et l'élancement qu'il ressentit lorsque son cœur se serra, le lui fit sentir. Pourquoi Diable aimait-il cette ville ? Les gens y étaient étranges... Certains étaient trop bavards, d'autres ne sortaient jamais de chez eux ; la plupart ignoraient les consignes que le maire pouvait leur donner ; et surtout, c'était la ville où il avait aimé une femme qui n'avait pas su lui rendre son amour. Il avait espéré que cett... Oui, il avait espéré ! C'était donc cela qui le poussait à aimer Craon. Après des mois d'errance, et même s'il s'était arrêté à Craon pour une raison bien précise, il y avait trouvé un semblant de réconfort et d'amour. Il fut accueilli et apprécié... pendant un temps tout du moins. Puis Catterine était arrivée.


Catterine...
, murmura-t-il dans un souffle alors qu'il s'était assis près d'une charmante fontaine.

C'était elle la responsable. Par ses propos "honnêtes", elle avait contrarié plus d'une personne et c'était au jeune homme que l'on reprochait ses agissements. Qu'avait-il donc fait ? Il avait prêté l'oreille aux propos de la brune. Hé quoi ?! Aurait-il fallu qu'il se bouche les oreilles ? Qu'il s'emporte et lui casse une cruche sur la tête ? Aurait-il fallu qu'il la laisse agoniser ? Non. Il avait une conscience et un sens aigu de la morale. Il avait fait ce qu'il devait faire, n'en déplaise à ses détracteurs. Toutefois, tout cela lui avait finalement porté préjudice, il en était conscient. L'aide qu'il avait apportée à la jeune femme lui avait coûté cher, très cher même puisqu'il avait perdu son amour, ses amis et sa dignité. En temps normal, il se moquait de l'égo, de la réputation mais qu'il passe dans tout l'Anjou comme étant un homme vil, un homme adultérin qui se complaisait avec une femme médisante et malade... Cela lui avait semblé, et lui semblait toujours, fort injuste.

Le jeune homme poussa un profond soupir et observa la vie qui régnait sur la petite placette. Près d'un haut bâtiment en pierre de taille, assez semblable à une tour de guet, deux hommes échangeaient quelques regards avec un autre, placé un peu plus loin, tout en pouffant de rire. Visiblement, l'autre ne riait pas. Il se hâta même soudainement vers les deux et s'ensuivit une brève altercation.
Ne désirant voir pareille chose, le brun détourna le regard et le posa sur un joli minois. Gloussant, minaudant, elle semblait acquise à son interlocuteur... Et ce dernier, de par son comportement, paraissait en être conscient et en jouait même à grand renfort de mouvements assurés et prétentieux. Ah, l'estime de soi ! Ah, la confiance ! De bien grands maux, assurément. Adess avait connu deux hommes semblables à celui-ci. Geoffroy et le blond de Craon et tous deux étaient détestables. L'un avait détruit sa vie, l'autre jouait avec les femmes comme un enfant s'amuse avec ses jouets...

Soudain, lorsque le brun émergea de ses pensées, il prit conscience qu'un homme se tenait devant lui. Grand, bien bâti, un air réprobateur peint sur la trogne... Bertin.


***

Le soleil commençait à décliner, paresseusement, et, inéluctablement, la lune, déjà haute dans le ciel, attendait son heure. Les deux compères, eux, se dirigeaient tranquillement vers la roulotte, tout en discutant. Bertin était inquiet au sujet du brun. Il savait que Craon comptait beaucoup à ses yeux et le fait de l'en avoir ainsi éloigné, le préoccupait.
Ils avaient longuement discuté, près de la fontaine, et s'il avait été soulagé de voir que le brun lui pardonnait ce rapt, en revanche, il craignait pour l'amitié qui s'était établie entre la brune et le maire. Il semblait incroyablement remonté contre elle mais il ne souhaitait pas en discuter avec elle et même Bertin savait qu'il n'était pas bon de garder les choses pour soi...

Ils arrivaient en vue de la roulotte. La vieille était déjà installée et la brune était sur le pas de la porte, arborant un air inquiet et attendant visiblement que le blessé rejoigne sa paillasse. Une vraie mère-poule !
Balançant une tape dans le dos du brun, il se dirigea vers l'avant de la carriole et s'installa aux côtés de l'apothicaire tout en maugréant :


Crénom d'Dieu... C'foutu banc m'ruine l'fessier !


Et sur ce, avec fermeté, il mit le convoi en branle. Direction, Rieux !
Catterine


Depuis les quelques révélations que la brune avait faites à la suite du réveil de son ami, celui ci, avait prit le parti de lui tourner le dos sans rien dire et de tout bonnement l'ignorer.
La brune qui avait encore des réticences à faire de nouveau entendre sa voix se retrouva encore plus muette qu'avant, face à la tension qui venait de naître.
Elle se doutait bien qu'il l'aurait mal prit et en le voyant ainsi prostré à son opposé, elle en soupira longuement.
La roulotte s'était remise en branle depuis un bon moment et, pour passer le temps malgré son envie de parler au brun, elle avait ressortit son ouvrage tricoté afin de le continuer.
Perdue dans la concentration de sa facture, elle jetait de temps à autres un regard au brun qui ne devait pas dormir, à l'écoute des sourds grognements qu'il laissait échappé à chaque nid-de-poule encaissé par la carriole.
Soupirant pour de bon, excédée de le voir ainsi lui tourner le dos alors qu'il aurait eu besoin de se mettre à plat, elle posa son tricot sur la petite table et se leva, non sans se tenir à la paroi bringuebalante.
Penché sur lui, elle posa gentiment une main sur l'épaule de son ami afin de le faire se retourner mais elle n'obtint qu'un rejet exprimé par un coup d'épaule.
Prenant son courage à deux mains, elle dit d'une voix un peu sourde mais audible "Adess…" mais il resta immobile et muet. Devant cette réaction, elle soupira une énième fois de plus avant de se pencher par dessus lui pour frapper la paroi qui les séparait des deux compères de l'extérieur.
Sans attendre, elle rangea son ouvrage dans son sac qu'elle laissa à l'intérieur et remit son mantel avec une couverture par dessus le tout.
La roulotte s'immobilisa et elle ouvrit la porte, déjà prête, quand Bertin s'apprêtait à se saisir de la poignée, la vieille apothicaire perceptible entre l'encadrement de la porte et la carrure du poitevin.
Tous deux semblaient vouloir lui demander ce qu'il se passait mais, en guise de réponse, elle ne fit que se glisser derrière Bertin pour sortir, l'air contrit pour aller rejoindre le banc extérieur de la roulotte, à l'avant.

Le garde regarda un instant la situation, comme s'il ne savait pas quoi faire sur le moment, regardant l'ancienne tout aussi perplexe. Puis celui-ci fit un signe nonchalant à la vielle pour qu'elle aille à l'intérieur, chose qu'il ne fallut pas lui dire deux fois.
Catterine, déjà postée à l'avant, attendait. Un claquement de la porte de derrière fit tanguer le bâtiment de bois et le garde la rejoignit bien vite sur le banc pour reprendre les rênes. Il la dévisagea un instant mais comme elle restait toujours aussi muette, il n'insista pas et fit claquer le cuir sur la croupe de leur percheron.
La route fut longue, très longue, tout du moins au sens de la brune qui ressassait sans cesse les mêmes questions. Elle avait pensé au début que le côté boudeur d'Adess passerait mais, apparemment, il n'en était rien et les choses semblaient même aller de mal en pis.
Et c'est sur cette idée demeurée en suspens que la brune restait fermée au reste, se demandant ce qu'il adviendrait ensuite de la situation si le brun continuait de l'ignorer, voir même à lui en vouloir… car elle commençait sérieusement à penser que c'était le cas.
Le petit matin se leva enfin et, avec lui, quelques rayons de soleil pour donner un peu de baume au cœur après cette nuit glaciale… dans tous les sens du terme. Mais la brune restait de marbre.
Le brun était fâché et elle s'en sentait offusquée. Il était certain que le dialogue serait des plus difficiles dans ces conditions. Et pour couronner le tout, Bertin et l'apothicaire avaient même arrêté de se chicaner ce qui rendait l'ambiance encore plus pesante. Un Bertin grognon, une vieille apothicaire revêche et une brune muette pour accompagner un blessé boudeur ; des étrangers en voyant l'étrange groupe auraient pu penser qu'ils étaient en deuil.

Fort heureusement, la ville de Rieux était assez plaisante, ce qui permit, ne serait-ce que le temps d'une petite journée, alléger quelque peu l'humeur devenue maussade de Catty.
Quelques gentilles personnes croisées en tavernes et notamment une qui lui fit don d'un bon pot de miel qu'elle accepta volontiers. lui redonna un tantinet le sourire.
Cependant, le soir revint et la roulotte reprit sa lente course vers le sud et surtout… à travers une longue route de campagne cette fois…

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Adess
Bertin et la vieille apothicaire ne se parlaient plus, ainsi que les jeunes amis. De fait, la brune voyagea aux côtés de Bertin et la vieille, au chevet du brun.
Tous quatre boudeurs arrivèrent ainsi dans cette petite ville Bretonne. Rieux.
Le jeune brun ne daigna point bouger, même si l'envie était puissante. Depuis qu'il était éveillé, il ne désirait qu'une chose : courir ! Néanmoins, il ne souhaitait même pas ne serait-ce qu'apercevoir Catterine, cela lui faisait trop de mal. Alors il resta, allongé, à contempler le plafond.
La vieille, elle, ne supportant plus cette ambiance, décida de parler au vieux Loup. Alors que celui-ci errait dans les ruelles de la bourgade, elle l'intercepta, bien déterminée à mettre les choses au clair.


Nous sommes du même bois, vous et moi... Nous sommes durs par la force des choses et je ne me doutais pas un instant que vous puissiez vous sentir blessé par mes propos.

Le garde la dévisagea un instant avant de reprendre sa route, sans toutefois lui répondre. La veille trottinant derrière lui, afin de suivre l'allure, renchérit :

Vos amis ont besoin de vous, Bertin. Quittez donc cet air sombre et remontez leur le moral, ils en ont besoin.


Bert' lui fit alors un signe de la main, pour lui faire comprendre qu'il verrait. Et il s'en alla, par une ruelle, à une allure que la vieille ne pouvait suivre de ses courtes jambes.

***

Après Rieux, et ils le savaient tous, plus ou moins, les attendaient quelques jours en rase campagne. Plus de villes ni de villages pour les aider à passer le temps. Ils allaient devoir se supporter. Et si Bertin semblait faire des efforts pour paraître moins contrarié et si l'ancienne semblait en faire de même, le brun et la brune restaient tels qu'à leur récente habitude. Froids. Distants. Sombres.
Au détour d'un lacet, au milieu de la campagne Poitevine, ils découvrirent une auberge, de laquelle s'échappait une mince colonne de fumée, symbole d'une éventuelle possibilité, pour les deux amis, de profiter de l'animation, de la vie, d'une sympathique auberge de voyage. Bertin s'était imaginé y trouver du vin, ou de la bière, tandis que la vieille espérait y trouver quelque confort et chaleur. Toutefois, ce relais était d'un calme et d'une froideur décevante. Et c'est donc dans une ambiance morne que tous s'assirent, un instant, sur les chaises rudimentairement inconfortables. Ils partagèrent un humble repas puis s'occupèrent du mieux qu'ils purent.

Dans l'après-midi, alors qu'Adess était assis au comptoir, seul cette fois, Catterine entra dans la taverne et tenta de s'expliquer avec lui. Très vite, le brun se laissa aller à déballer ses ressentiments. Durement. D'une manière qui, après coup, lui rappela son vieil ami pour qui blesser était un passe-temps. Sans sourciller, les traits figés comme par la glace, il lui avait déclaré froidement qu'elle n'avait pas été une bonne amie, que tout était de sa faute. Il lui avait tout mis sur le dos, l'accablant de reproches. Et elle était partie.

Quelques heures plus tard, juste avant de repartir, il repassa toutefois par l'auberge, afin de récupérer ses affaires, qu'il avait oubliées. Accompagné de Bertin, ils arrivèrent dans l'établissement, pour y trouver Catterine.
Le garde sournois le laissa seul face à la brune, espérant qu'ils s'expliqueraient plus posément. Mais elle n'était pas d'humeur, vraisemblablement. Elle se leva et s'arrêta à la hauteur du jeune homme qui n'osa bouger. Ils se regardèrent un instant. La stupeur frappa Adess en plein cœur. Les yeux de la brune étaient rougis.


Catt...

C'est tout ce qu'il put dire. Le reste resta bloqué par le nœud, la boule qui s'était formée dans sa gorge. Elle darda sur lui un regard qui le plongea dans un profond désarroi. Elle qui était toujours de marbre, toujours distante et pudique. Elle qui ne riait (presque) jamais, qui semblait si forte... Il avait réussi l'exploit de la faire pleurer.
Soudainement, sans mot dire, elle le quitta, le laissant à ses pensées dévorantes.



***

[Deux jours plus tard]

Assit à une table dans l'auberge abandonnée qu'ils avaient dénichée au hasard d'une balade hors des sentiers, le jeune homme attendait. Quoi ? De trouver la force de parler à Catterine, de lui dire qu'il regrettait d'avoir été si dur avec elle, d'avoir été d'une telle injustice, d'une telle ingratitude... Les mots mêmes lui manquaient tant il s'en voulait. Elle l'avait sauvé, après tout. Même s'il aurait préféré qu'elle l'écoute, qu'elle reste à Laval et même s'il aurait préféré périr dans l'attaque, elle était revenue. Pour lui.
C'était la première fois que l'on faisait quelque chose de ce genre pour lui, qu'on risquait sa vie pour la sienne, que l'on s'inquiétait autant... Il fallait qu'il s'excuse.


Cela faisait deux heures, peut-être trois, qu'il espérait voir venir la brune. Il désespérait. Il savait qu'il lui avait causé grand mal par ses mots et il s'en voulait terriblement. Cette attente... Cette attente allait le rendre fou.
Soudainement, la porte branlante s'ouvrit, faisant grincer les gonds rouillés. Le jeune homme fixa son regard sur le battant et sur la personne qui le poussait ainsi. Il aperçut une petite main, frêle et délicate. Catterine... Il déglutit avec moult difficultés, tout à coup plus angoissé que jamais. Comment allait-il lui faire comprendre à quel point il était désolé ? Comment allait-il faire pour ne pas paraître ridiculement coupable ? Allait-elle le pardonner ?
Ses sens s'affolèrent en cet instant. Il se gratta nerveusement l'avant-bras alors que la brune se glissait enfin dans l'auberge, dardant sur lui un regard empli de... de colère, de déception et de tristesse mêlées. Ce regard dans les yeux de son amie était une vision insupportable. Il détourna donc la tête et attendit qu'elle fût assise, à bonne distance de lui, pour se racler la gorge et commencer son plaidoyer, sans ambages.


Je suis désolé.
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