La rencontre avec le conteur avait été assez violente. Sous l'indifférence apparente, il avait réussi à l'agacer. Si rien ne paraissait, si rien ne se voyait dans ses réactions, au fond d'elle, la teigne bouillonnait. Qui était-il pour la juger ? Qui était-il pour lui dire ce qu'elle devait faire ? Pour la regarder avec une lueur de mépris. Parce que Cillien savait pour l'avoir vu si souvent que ce regard, ce regard froid était le pire jugement qui soit. Mieux valait des mots virulents. Des insultes, des injures. Même des coups. Pourtant, le comportement de Cillien l'empêchait généralement d'avoir ce genre de réaction. Elle intériorisait tout. Elle ne laissait rien paraître. Elle cachait soigneusement ses moindres sentiments. Au fond, elle aimait qu'on la craigne, qu'on la méconnaisse. Elle aimait rester mystérieuse et provocante. La seule façon qu'elle connaissait pour se faire remarquer.
Elle était bâtit comme un moineau, qu'aurait été malade. A la bouche, derrière un petit rideau, y'avait des sarcasmes en cascade. Elle était pas bien grosse l'asticot, mais c'était une vraie boule de haine. On lui filait plein de noms d'oiseaux, même ceux qui ne la connaissaient qu'à peine, l'appelait L'Austère. Mais si vous la connaissiez un peu, en y repensant parfois, vous verriez c'qu'elle était malheureuse et c'qu'elle cachait comme souffrance dans ses yeux tristes dans sa dégaine...
Son coeur saignait à Cillien. De voir que sa môme, cette braillarde, son enfant ne lui ressemblait pas. Pas le moins du monde. Non... physiquement c'était plutôt le portrait de son père. Et de caractère... De caractère, elle était l'opposée de sa mère. Si elle était craintive, et timide, elle était aussi joyeuse, et attachante. Et au fond, Cillien n'avait encore croisé personne qui n'aime pas Spirit. Inversement, ceux qui supportait la présence de Cillien étaient peu nombreux. Voir inexistant. Une exception. Et ce n'était pas faute pourtant de lui faire comprendre qu'il valait mieux qu'il se tienne loin d'elle. Il voulait l'aider. Les aider. Oui mais, pouvait-on vraiment aider une mauvaise mère ? Oui, l'Austère se remettait en question. Mais son orgueil, et sa colère étaient plus grands. Elle savait que les gens qui entouraient Spirit depuis plusieurs semaines ne la laisseraient pas aisément récupérer son enfant. Mais elle ne se laisserait pas faire. D'ailleurs, ils partaient tous, de ce qu'elle avait pu entendre à droite et à gauche. Alors... il serait plus facile de forcer la gamine.
La forcer ... Ou la convaincre. Quand plus personne ne lui glisserait des bêtises dans la tête. La convaincre et la reprendre en main. Oui. Elle savait ce qu'elle devait faire. Mais c'était plus facile à penser et à dire qu'à mettre en place. Non, Spirit ne déciderait pas seule. A moins qu'elle ne soit manipulée. Manipulée drôlement. Et manipuler, mentir, la brune savait bien le faire... En temps normal. Ses pensées furent coupées... Par une petite voix frêle au loin. Une voix, qu'elle reconnut aisément, bien qu'elle ne l'aie pas entendu bien souvent. Le petit blond insolent. Le "meilleur ami" de sa miocharde. Au début, la brune ne bougea pas d'un poil, gardant sa posture, mains sur le visage, même si ses doigts s'écartèrent un peu pour suivre la scène de loin. Elle n'entendait pas grand chose. Un flot flou de paroles tout aussi flou. Des paroles d'enfants... Et de vieille femme croyante... Elle constatait qu'on la montrait ostensiblement du doigt. Nouveau petit soupir. Elle aurait aimé être tranquille... Plus de jugement.. Juste le temps d'une journée. Le temps qu'elle essaie de tuer de froid sa solitude et sa méchanceté; son austérité. Mais non... Elle ne serait pas tranquille. Pas encore.
Et enlevant ses mains de son visage, enfin, elle vit une sorte de petite dispute entre la jeunesse et la vieillesse. Son visage resta de marbre. Et elle les regarda arriver le petit d'abord, d'une démarche qui connotait sa colère. Suivi de la vieille, un léger sourire aux lèvres. Et Cillien vrilla son regard sur le gosse qui murmura timidement un "pardon" peu convaincant. Pour un gosse peu convaincu. Froncement des sourcils de la brune. Ce gosse ne paraissait pas mauvais dans le fond. Seulement... Il manquait cruellement d'éducation pour un fils de pseudo bourgeois/nobles. Alors la brune répondit, non sans avoir lâché un petit regard à la vieille - dans lequel si on était un peu observateur on voyait la surprise - avec un petit hochement de tête en guise de bonjour, avant de reporter son attention sur la demie-portion :
J'ai pas bien entendu.
Chiante, et odieuse jusqu'au bout. Embêter ce pauvre enfant... Et ce n'était pas fini. Elle attendit quelques secondes... Qu'il répète - ou non... Et repris :
Mais pardon de quoi ?
Provocation plus que véritable question. Elle voulait surtout apprendre au môme à parler correctement. Le vouvoiement, et les phrases cohérentes et précises. Elle n'était pas si méchante que ça. Derrière ses faux airs de vilaine elle voulait simplement l'aider lui aussi. Mais voilà, elle ne savait pas s'y prendre.
Au fond d'elle même, elle ressentait cette solitude. Plus encore face à cette vieille et ce môme... Les efforts étaient là. Mais hypocrites. Et sans doute que la vieille avait sa place dans cette famille. Elle était sans doute prêt du petit depuis sa naissance. Et donc, dans le coeur du môme, même si parfois la vieille pouvait l'agacer, Cillien était certaine qu'elle y avait sa place. Un soupir retenu... Et un regard faisant d'abord un va et vient entre le vieux visages et le jeune visage, avant de se fixer sur celui de Lénaïc.
Cillien avait la vie qui lui piquait les yeux. Son petit coeur était tout bleu - de froid de n'avoir pas servi tant de temps. Dans sa tête, pensez bien qu'il pleut... Pas beaucoup mais un petit peu. Oui elle cogite. Elle réfléchit beaucoup depuis son arrivée à Epinal.
Elle ne s'intéresse plus à grand chose - la brune. Elle boit la vie à toute petite dose. Elle ne voit plus la couleur des roses depuis longtemps. Dans ses doigts gelés plus rien ne tient. Dans sa peau il n'y a que du chagrin.
Pour elle, la vie c'était une tonne de cafards. Elle aimerait bien - si si, elle aimerait vraiment - n'avoir jamais quitté l'enfance. Elle aimerait que ce soit tous les jours l'enfance... Un monde que d'innocence. Mais elle vivait au fond d'un abîme. Toute seule, et dans sa petite tête, elle ne trouvait que déprime, et angoisse comme rime avec amour...
Et pourtant, tout au fond de sa détresse, elle découvrait tellement de tendresse... Et même si elle tombe très souvent et qu'elle se blesse, elle dit bonne nuit à sa tristesse. Du moins elle essaie... Elle fait de son mieux ... Même si son mieux n'est pas grand chose.
Elle a la vie qui lui pique les yeux... Heureusement, son amour pour une petite fille la rendra un jour heureuse... Un jour. Pas beaucoup, mais un petit peu...
Pardon pour ce RP musicale sur Renaud !
* La teigne
* J'ai la vie qui m'pique les yeux.
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