Citation:Douce amie,
Excusez, encore une fois, le délai de cette réponse. Je trouve à peine le temps de dormir un peu, et ma correspondance en retard est en train d'atteindre des sommets que je n'aurai jamais cru possible.
Tant la privée que la publique est fournie, et si pour l'une, je puis éventuellement déléguer, ce que je ne fais guère d'ailleurs, il est absolument impossible de déléguer la seconde.
Mais, si cela peu m'excuser un peu, sachez que cette réponse là passe avant celle que je dois au Roy des Deux-Sicile.
D'ailleurs, si vous ne le connaissez pas, ce dernier est un rustre de la pire espèce qui nous laisse, l'Impératrice et moi-même, attendre aux portes du Château de Naples, alors que son couronnement est sûr le point de commencer. Rendez-vous compte!
J'espère que vous vous portez le mieux du monde. Mes oisillons m'ont fait savoir que votre mari vous avait fait enfermer pendant la Fronde. J'ai trouvé cela odieux!
Et bien que je n'en connaisse la raison, les murs d'Orléans doivent vous paraître désormais bien froids et austères, maintenant que vous en fûtes prisonnière.
"Prisonnière" .. Le mot sonne faux, vous concernant.
Le Très Haut sait que je souhaite de tout mon coeur que vous vous portiez au mieux!
Je profite de cette lettre, qui tombe fort à propos en date quand au sujet qui vient, pour vous venter les mérites d'un jeune homme dont je crois que l'une de vos filleules est éprise autant que lui-même en est éprit.
Ce jeune double duc, Leg dict le Jeune, Di Cesarini, est, bien qu'un peu maladroit parfois, tout à fait bon et généreux. C'est un jeune garçon plein de promesse et d'esprit, et je suis sûr que ces mots seront totalement inutiles tant vous le trouverez à votre goût.
Quand à moi, les temps sont durs, la charge est lourde, les pressions incessantes, les vipères toujours plus nombreuses.
Les rumeurs les plus folles m'assaillent, ont dit que je voudrai déflorer l'Impératrice! Rendez-vous compte! Heureusement pour moi, celle-ci est une monarque exceptionnelle, et elle a toute confiance en moi. Je ne saurai comment je ferai à l'inverse ..
Mes seules réconforts résident en ma fille, qui est toujours attentionnée pour son père, et en le souvenir que j'ai de vous.
Je vous aime toujours, et je crois que cela ne changera guère plus à l'avenir. Puisse le Très-Haut me pardonner de vous mettre ainsi dans l'embarras et de compromettre votre honneur tout autant que le mien.
Mais je suis faible, et vous êtes belle, trop peut-être. Belle, douce et vive ..
A dieu, Della, ma tendre amie.
Puissions nous nous revoir! J'irai jusqu'en Orléans, si il le faut!
Tendrement,
Flavien
Citation:Cher Flavien,
Peu importe le temps que met votre réponse, pourvu qu'elle me parvienne.
Voilà l'important, pouvoir lire vos mots et savoir que tout va bien pour vous, que le Très Haut a entendu encore mes prières.
J'ai failli vous écrire alors que j'étais enfermée mais j'ai eu peur que mon époux ne fasse lire mes lettres et les mots que j'aurais eu à ce moment auraient été assassins envers lui et nous auraient très certainement fort mal servis, tous les deux.
J'ai aussi voulu quitter Orléans et prendre la direction de l'est, hélas, les armées étaient par trop menaçantes et mourir sous les lames des soldats n'était pas mon projet.
Kéridil a agi avec sagesse, mon amitié pour Eusaias aurait pu mettre à mal le Duché d'Orléans tout entier. Aujourd'hui, je m'en rends compte. Tout comme je me rends compte que finalement Vonafreux a des qualités. Je lui ai d'ailleurs écrit récemment afin de lui porter connaissance des mérites que je lui reconnaissais. Après mes précédents courriers dans lesquels je m'insurgeais contre sa façon de traiter ma Chère Mère, je le lui devais bien. Il m'a répondu, m'assurant de son amitié. Mais faut-il réellement y croire ?
Malheureusement, ma Mère et ma vassale, Maud Saint Anthelme sont en procès pour haute trahison. Elles sont accusées d'avoir favoriser Eusaias lorsqu'il a pris le château de Dijon. Je suis bien en peine avec cela mais je ne prends le parti de personne, l'affaire est trop grave. Je ne peux encore et toujours que demander au Très Haut d'étendre sa main sur la Bourgogne afin que celle-ci recouvre son calme et sa sérénité. Lors d'un bref passage en mes terres de Bourgogne, j'ai seulement fait remarquer que les actes d'accusation du Procureur relevaient plus de la plaidoirie que d'un simple acte de faits comme cela aurait du l'être. Nous attendons les verdicts avec impatience. Je ne sais encore quelle sera mon action alors. Si jamais Maud était reconnue coupable, il me faudrait la renvoyer à la roture, ce qui me fendrait le coeur autant que cela me ferait enrager ! Car il s'agirait bien là pour moi également, d'un affront amer. Mais ne vendons pas la peau de l'ours trop tôt.
Je suis heureuse d'apprendre que votre fonction vous plait. Oui, elle vous prend du temps mais je sais que vous ne déméritez point et que vos talents sont reconnus. Je suis fière de vous.
Je suis flattée bien évidemment de passer devant un roi, pour ce qui concerne votre missive ! J'en rougis...de plaisir, sans aucun doute.
Ne laissez pas les mauvaises langues jalouses vous dénigrer, mon tendre ami ! Ruez et montrez-leur que vous êtes un homme d'honneur, droit et fier ! C'est la rançon de la gloire, hélas. Retenez que jamais la belle étoile n'est entachée de la bave des crapauds. Regardez votre fille et voyez en son regard tout l'amour qu'elle vous porte, vous en oublierez les médisants. J'aimerais que vous puissiez voir le regard que je porte sur vous, Flavien.
J'ai rencontré le Duc Leg Di Cesarini.
La façon dont vous le décrivez est tout à fait bonne. Maladroit mais charmant. Il apprendra encore et pourra très certainement palier à ces quelques maladresses.
Je souhaite bien entendu que ma filleule et lui puissent convoler. Je pense que l'annonce de leurs noces sera pour bientôt. Puisse ce couple vivre dans la paix et dans l'harmonie.
Si vous êtes un ami de Leg, alors, peut-être puis-je espérer qu'il vous invite à son mariage ? Ce n'est pas sage, je le sais mais vous revoir me serait si agréable.
Je n'ai pas le droit de me plaindre de ma vie. J'ai tout en suffisance et trop aussi ! Je ne suis jamais seule, je suis entourée de gens de maison, de gardes, de valets, j'ai un fils adorable et mon époux est Duc apprécié du roi. Pourtant, il m'arrive de m'asseoir à la fenêtre et de rester là, des heures durant à imaginer autre chose, d'autres gens autour de moi, d'autres paysages aussi. Alors, je me sens lasse et triste parce que je ressens ce vide menaçant, cette espèce de solitude de l'âme qui rend morose et goûte l'amertume. Dans mes rêves secrets, je me trouve dans vos bras et sans qu'un seul mot ne s'échappe de mes lèvres, vous devinez ce que je veux vous dire. Ces jours-là qui suivent ces rêves, je suis heureuse, simplement.
Ô oui, je sais. Je sais que ceci n'est guère sage ni raisonnable mais les rêves ont-ils pour but la sagesse ? Non, je ne le pense pas. Je les vois comme des nuages qui nous emmènent loin du quotidien, loin des devoirs et des charges qui nous incombent, qui nous libèrent enfin de chaines que nous avons nous-mêmes scellées à nos chevilles, soumission volontaire et librement consentie à une vie dont nous cherchons à nous échapper lorsque le poids des fardeaux est trop lourd.
Mais que me voici à philosopher comme un vieux prêtre alors que je ne voulais que vous voir sourire !
Souriez, mon cher et tendre Flavien, souriez car par dela les chaines, nos liens se tissent pour en apaiser la morsure jusqu'au jour béni où vos mains enserreront les miennes et où vos lèvres se poseront sur mes doigts.
Portez-vous bien, prenez soin de vous.
Que le Très Haut vous protège de tout tourment.
Tendrement.
Della