--Louana.
Sa mère lui avait dit de ne pas traîner sur le chemin, qu'elle avait besoin TOUT DE SUITE des oeufs qu'elle l'avait envoyé chercher chez la Bertha !
La gamine avait froncé les yeux devant le doigt boudiné que sa mère avait tendu devant son nez et après avoir fait un oui de la tête, elle avait tourné les talons en tirant la langue !
Des oeufs ! On l'envoyait chercher des oeufs alors qu'elle, tout ce dont elle avait envie, c'était d'aller courir et grimper aux arbres, chercher misère au chien du gros Louis et tirer les poils de la chèvre de la Flora !
Seulement, la mère, elle était pas commode tous les jours, pour preuve, les fesses de Louana brûlaient encore de la tannée de la veille. Alors, elle était allée chez Bertha et elle avait acheté les oeufs, sagement. Même que Bertha lui avait donné un verre de lait qu'elle avait fait durer longtemps parce que le lait, c'était pas tous les jours qu'elle en avait, la môme. Puis, Bertha l'avait renvoyée chez elle.
A Dijon, il y avait plein de soldats, c'était la guerre lui avait dit sa mère, fallait pas faire de bêtises sinon elle serait pendue ! Ah ça, ça l'avait calmée, la môme ! Pendue, pensez donc, on se trémousse au bout d'une corde qui vous étrangle, on a la langue qui sort et même on se pisse dessus ! Elle en avait déjà vu, la môme, des pendaisons. Et c'était dégoûtant. Elle voulait pas mourir comme ça.
Elle était presque rentrée chez elle quand elle entendit des voix du côté de la lice. Elle tourna la tête et là, elle vit du monde. Ca voulait dire qu'il y avait un combat ! Il n'en fallait pas plus pour la détourner de sa décision de rentrer à la maison.
Petite, elle put se frayer un passage entre les grands et elle se pointa là où elle voyait tout, absolument tout !
Là, c'était près d'une dame, dans un coin. D'abord elle ne fit même pas attention à la dame, bien trop occupée à dévorer la scène des yeux. Et voilà que le duel commence et que l'intensité de l'action augmente et la môme gigote d'un pied sur l'autre, voudrait bien taper dans ses mains mais le panier avec les oeufs l'empêche, elle le dépose...sur le pied de la dame. Oups.
'Scusez-moi, m'dame.
Vite, elle regarde à nouveau pour voir lequel des deux bonshommes va avoir le dessus, elle bat des mains cette fois, trop contente de cette distraction qui s'offre à elle. Elle lève un oeil vers la dame qui porte un sac, elle l'avait même pas vu avant le sac.
'Les connaissez ? Vous êtes pour qui, vous ?
Il faut avoir un camp, c'est certain, dans un duel, faut toujours être pour quelqu'un.
Gautier.de.kestel
Quelques passants venaient voir le duel, mais il n'y avait pas vraiment foule. Une partie de Gautier s'en réjouissait : au cas où il subirait une défaite, il n'aurait pas à le faire devant trop de monde.
Certes, le Vaisneau ne se sentait par particulièrement à l'aise avec son épée dans les mains -les deux mains, c'est lourd une épée- mais il s'amusait tout de même de se trouver à défendre son épouse, à jouer le mari qui veille.
Oui, la situation avait quelque chose de comique. Les deux filleuls de la mamelue qui s'affrontent, cela a presque un côté combat fraternel. Mais nexagérons rien et revenons aux faits : c'est à dire le Vaisneau s'élançant sur Niall de manière impulsive et pas forcément judicieuse.
En un fracas qui surpris même Gautier, les épées sentrechoquèrent. Évidemment Montréal ne se laisserait pas embrocher aussi aisément. En cet instant, le plus faible des deux n'avait rien de prudent, il songeait à l'honneur qu'il fallait réparer, à tous les agissements qu'il détestait, aux gens qu'il haïssait, un peu à Tibère, comme lui avait conseillé sa conseillère es armes.
Le rouge lui était monté au joue. Il attaquait et provoquait, inlassable, tantôt physiquement, tantôt par les mots. Il cherchait la faille. Il n'était même plus question de faire attention avec la vie de son adversaire, juste de gagner, pour ne pas se faire occire à l'inverse. Gautier était certes moins fort mais il compensait ce désavantage par la rapidité de ses mouvements.
La fatigue commençait à se faire légèrement ressentir quand, sans savoir d'où lui venait l'impulsion et le talent -intervention divine, jugerait-il, un mouvement de jambe vient habilement faucher celles de Niall.
Gautier.de.kestel
Fichtre.
S'il s'était douté que la douleur pouvait atteindre un tel niveau et qu'il l'atteindrait au cours de ce combat, Gautier n'aurait pas défié Angelyque.
Le sang coulait et lui ne voyait, ne ressentait plus que cela. S'il était douillet ? Surtout loin d'être habitué à de telles blessures. Il avait l'impression que sa vision était altérée de rouge, que son corps ne se constituait plus que de ce mollet. Le combat n'existait plus, la lice avait disparue, le Vaisneau n'était pas assez conscient pour enrager.
On ne savait par quel miracle tenait-il encore debout. Seul l'instinct de survie le guidait encore. Il savait que s'il ne mettait pas tout de suite le de Rivien dans l'incapacité de combattre, celui ci pourrait lui asséner d'autres coups, et peut être le tuer. La mort, encore... il n'aurait simplement pas eu le temps de devenir roi de monde. Par contre d'autres coups, d'autres douleurs...
Alors que Gautier tenait depuis une ou deux secondes en vacillement, que les spectateurs ne savaient guère s'il s'écroulerait ou s'il rendrait coups, le Vaisneau d'un seul coup leva la lame de son épée avant de l'abattre sur l'épaule de son adversaire, des forces qu'il lui restait.
Sur l'épaule de la dextre, ainsi Niall ne pourrait plus relever son épée.
Gautier n'était plus bien fiérot, ainsi blessé, il devait d'ailleurs être assez pitoyable à voir en lice. Cependant il était pour l'instant en position de vainqueur, élément non négligeable.
Il pourrait le tuer, mais il ne le fit pas. Non par bonté, mais parce que l'idée leffrayait. Il n'a jamais tué d'homme et il ne commencerait pas en duel avec le filleul de sa marraine.
Malgré tout, il fallait finir le combat. Dans une vilaine grimace, il porta violemment son gant maillé au visage de Niall. Et paf. S'il se relevait après ça, ce n'était pas un géant mais un monstre.
A son tour, la genoux de la jambe de Gautier en sang se posa à terre.