Axelle
[Ce RP contient des scènes qui peuvent choquer les mineurs]
Une blague. Une simple blague bourrée de tabac à coté dun mot apparemment anodin déposé sur le chevet dune chambrée dijonnaise, et sa vie avait basculé. La Bestiole avait oscillé entre colère et douleur avant de rentrer à Embrun et de sombrer dans la prostration de longues semaines durant, anonymes et blafardes. Mais in extrémis, elle avait refusé de crever là, la bouche ouverte, grâce à la force dun arcane de tarot de Marseille planqué au fond de sa poche. Elle avait relevé la tête, et même si elle se sentait coupable dune escapade à Paris, un profond sentiment dinjustice lanimait.
Alors, elle avait tout quitté, sans un regard vers larrière même si ses pas restaient lourds damertume, sa fille sous le bras, dans la poussière des chemins et des pulsations régulières des sabots de sa mule. Et lentement, le bruit des pas sétait transformé en une litanie de plus en plus puissante, presque entêtante guidant ses pas. Champagne, Château de Brienne, garnison. Et elle lavait suivi, la main grossièrement bandée recroquevillée sur elle, contre une alliance qui maintenant se balançait à son cou, passée dans un petit ruban noir.
Cest seulement tard le soir quelle sarrêtait dans une auberge, parfois accueillante et coquette, parfois bouge sordide perdu sur le détour dune route. Peu importait tant quelle pouvait, chaque matin à laube, faire chauffer de leau et frotter frénétiquement sa peau, sale comme jamais dun gâchis poisseux. Et elle reprenait sa route, sans avoir dormi la plupart de temps, les élancements de ses doigts ne lui laissant que peu de répit, mais sans plus se poser de questions, certaine quune parenthèse auprès dAlphonse lui permettrait de retrouver un peu de sa joie de vivre piétinée par un Ours exclusif quand elle était trop impulsive. Et lentement les pics acérés des Ecrins avaient fait place aux vallonnements doux de la Champagne, sans pourtant quelle ne sy attarde plus que nécessaire.
Lauberge des terres de Brienne était simple et rustique, à limage de la tenancière, une femme forte aux joues roses, dune chaleur peu commune qui dès le premier regard dans le panier où gazouillait lenfant se prit de tendresse pour la braillarde qui lui rendait bien, tentant dattraper les deux bandeaux noirs et lisses de ses cheveux découpés symétriquement sur son front. Installée dans une chambrée aux effluves de cire, chemin demandé et gamine laissée en nourrice dans les bras douillets et ravis, la Bestiole avait tourné un long moment devant le poste de garde du château, hésitante une fois le but atteint. Et finalement, transie de froid sous le crachin, sétait décidée à demander à voir Alphonse. Elle craignait quil soit absent, ou inconnu en ces lieux, ou encore quon lui refuse la visite. Pourtant, le garde, dun signe de tête, linvita à le suivre.
En entrant dans une large pièce, lodeur de cuir, de sueur et de bière lui rappela sans équivoque possible celle des salles de repos des garnisons de lOst Dauphinois quelle avait arpenté un temps, avant que tout ne se brise. Sur le pas de la porte, elle releva le regard, les rires et les grivoiseries fusaient, les visages inconnus lui faisaient tourner la tête quand, au fond de la salle, elle le vit. Elle allait esquisser un sourire quand il se pencha vers une blonde qui rirait gorge déployée à ce quil semblait lui chuchoter à loreille.
Timaginais quoi ? Tferrais mieux dfiler, tas pas ta place ici.
Tremblante, regard ancré sur le bout de ses bottes boueuses. Elle allait filer sans demander son reste quand, dune voix goguenarde et forte tranchant les rires, le garde éructa :
"Alphonse Tabouret, une visite !"
Etrangement, ce qui linterpella en premier fut lomission du garde, discipline à laquelle elle avait du se plier à la Durance, puis la seconde fut de le retrouver dans cette ambiance militaire, tranchant avec latelier et Paris, et enfin, comprenant que toute retraite était impossible ne réussit quà se recroqueviller pour ne pas voir les regards sur elle, ne pas voir son regard, à lui, maudissant le garde, se maudissant elle-même, se préparant déjà à un accueil moqueur ou distant pour éviter une chute trop brutale.
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