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[RP fermé] Présumée coupable.

Axelle
[Ce RP contient des scènes qui peuvent choquer les mineurs]


Une blague. Une simple blague bourrée de tabac à coté d’un mot apparemment anodin déposé sur le chevet d’une chambrée dijonnaise, et sa vie avait basculé. La Bestiole avait oscillé entre colère et douleur avant de rentrer à Embrun et de sombrer dans la prostration de longues semaines durant, anonymes et blafardes. Mais in extrémis, elle avait refusé de crever là, la bouche ouverte, grâce à la force d’un arcane de tarot de Marseille planqué au fond de sa poche. Elle avait relevé la tête, et même si elle se sentait coupable d’une escapade à Paris, un profond sentiment d’injustice l’animait.

Alors, elle avait tout quitté, sans un regard vers l’arrière même si ses pas restaient lourds d’amertume, sa fille sous le bras, dans la poussière des chemins et des pulsations régulières des sabots de sa mule. Et lentement, le bruit des pas s’était transformé en une litanie de plus en plus puissante, presque entêtante guidant ses pas. Champagne, Château de Brienne, garnison. Et elle l’avait suivi, la main grossièrement bandée recroquevillée sur elle, contre une alliance qui maintenant se balançait à son cou, passée dans un petit ruban noir.

C’est seulement tard le soir qu’elle s’arrêtait dans une auberge, parfois accueillante et coquette, parfois bouge sordide perdu sur le détour d’une route. Peu importait tant qu’elle pouvait, chaque matin à l’aube, faire chauffer de l’eau et frotter frénétiquement sa peau, sale comme jamais d’un gâchis poisseux. Et elle reprenait sa route, sans avoir dormi la plupart de temps, les élancements de ses doigts ne lui laissant que peu de répit, mais sans plus se poser de questions, certaine qu’une parenthèse auprès d’Alphonse lui permettrait de retrouver un peu de sa joie de vivre piétinée par un Ours exclusif quand elle était trop impulsive. Et lentement les pics acérés des Ecrins avaient fait place aux vallonnements doux de la Champagne, sans pourtant qu’elle ne s’y attarde plus que nécessaire.

L’auberge des terres de Brienne était simple et rustique, à l’image de la tenancière, une femme forte aux joues roses, d’une chaleur peu commune qui dès le premier regard dans le panier où gazouillait l’enfant se prit de tendresse pour la braillarde qui lui rendait bien, tentant d’attraper les deux bandeaux noirs et lisses de ses cheveux découpés symétriquement sur son front. Installée dans une chambrée aux effluves de cire, chemin demandé et gamine laissée en nourrice dans les bras douillets et ravis, la Bestiole avait tourné un long moment devant le poste de garde du château, hésitante une fois le but atteint. Et finalement, transie de froid sous le crachin, s’était décidée à demander à voir Alphonse. Elle craignait qu’il soit absent, ou inconnu en ces lieux, ou encore qu’on lui refuse la visite. Pourtant, le garde, d’un signe de tête, l’invita à le suivre.

En entrant dans une large pièce, l’odeur de cuir, de sueur et de bière lui rappela sans équivoque possible celle des salles de repos des garnisons de l’Ost Dauphinois qu’elle avait arpenté un temps, avant que tout ne se brise. Sur le pas de la porte, elle releva le regard, les rires et les grivoiseries fusaient, les visages inconnus lui faisaient tourner la tête quand, au fond de la salle, elle le vit. Elle allait esquisser un sourire quand il se pencha vers une blonde qui rirait gorge déployée à ce qu’il semblait lui chuchoter à l’oreille.

T’imaginais quoi ? T’ferrais mieux d’filer, t’as pas ta place ici.

Tremblante, regard ancré sur le bout de ses bottes boueuses. Elle allait filer sans demander son reste quand, d’une voix goguenarde et forte tranchant les rires, le garde éructa :


"Alphonse Tabouret, une visite !"

Etrangement, ce qui l’interpella en premier fut l’omission du garde, discipline à laquelle elle avait du se plier à la Durance, puis la seconde fut de le retrouver dans cette ambiance militaire, tranchant avec l’atelier et Paris, et enfin, comprenant que toute retraite était impossible ne réussit qu’à se recroqueviller pour ne pas voir les regards sur elle, ne pas voir son regard, à lui, maudissant le garde, se maudissant elle-même, se préparant déjà à un accueil moqueur ou distant pour éviter une chute trop brutale.
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Alphonse_tabouret
Brienne l’avait accueilli quand il n’avait plus rien d’autre que le devoir en guise de gage à ses idéaux. Sa Grâce l’y avait laissé y faire son nid, et lui qui ne savait pas faire grand-chose de ses dix doigts, se comportait en élève étrangement appliqué depuis qu’il avait été au service de l’italienne. Ce qu’il avait considéré comme un simple gagne-pain avait petit à petit su prendre des allures de travail et cette petite chambrée attribuée dans un coin du château qu’il avait trouvé absolument sinistre lorsqu’il y avait mis un pied la première fois, encore fraichement lové dans le luxe de sa bourgeoisie paternelle, lui semblait désormais presque un havre lorsqu’il venait y finir sa nuit. Il était rentré de Paris encore hagard de ses excès pour y avoir noyé tout fragment de déception et de colère, sentiments qu’il jugeait mal placé lorsqu’on aime la légèreté. Or, s’il y avait bien une chose dont Alphonse voulait se convaincre, c’est qu’il serait éternellement assez éthéré pour que rien ne l’atteigne et même s’il aimait être surpris, touché, désarçonné, parfois même frustré, il s’attachait à prendre avec la plus parfaite distance tout ce qui aurait dû le toucher de prés. Il avait appliqué à son excursion parisienne une couche épaisse de vernis dont ne subsistait qu’un futur informe qui s’était étiolé au fil de semaines, mais qui étrangement, gardait une opiniâtreté qui ne manquait pas de l’amuser.

Le soir où son nom résonna dans la salle commune, le jeune homme était rentré depuis moins d’une heure de son tour de garde, et tentait de monnayer auprès d’une des aides cuisinières un repas chaud et consistant, là où les autres, vu l’heure, avaient soupe, pain et charcuterie. Distrait quelques secondes par le décolleté pigeonnant que la domestique affiché une fois son tablier enlevé, il avait dévié la conversation jusqu’à faire assoir la blondine, et badinait désormais, en lui décrivant à l’oreille d’un ton de conspirateur, des ingrédients tous plus extravagants les uns que les autres qu’elle devait lui amener pour caler son ventre vide quand la voix d’un des gardes résonna clairement dans la pièce boisée. .

"Alphonse Tabouret, une visite !"

Ses prunelles, curieuses, quittèrent le visage poupin de la demoiselle pour venir chercher du regard le visiteur le demandant et si elles passèrent une première fois sur la silhouette d’Axelle sans la reconnaitre, elles revinrent immédiatement dessus, incrédules, laissant naitre une myriade de questions et d'affabulations sur sa présence ici, et maintenant: pourquoi, comment, jusqu'à quand?
Il resta un bref moment cloué sur son siège en dévalant des yeux la tignasse brune où s’accrochaient des dizaines de gouttes minuscules, donnant à ce corps recroquevillé sur lui-même de malaise une sorte de côté chimérique. Le futur informe venait finalement de se dessiner dans une apparition contraire à toutes les lois tacites qui les liaient tous les deux. Il glissa quelques mots à l’aide cuisinière tandis qu’ils se relevaient tous les deux et la quitta sur un sourire avant de se retourner vers la gitane et de s’en approcher, sans pouvoir s’empêcher de la dévorer des yeux, cherchant à percer ce qu’elle mettait tant de cœur à lui cacher, ce qu’il allait fatalement découvrir quand elle relèverait le nez vers lui, car elle ne pouvait pas être venue juste comme ça. Si elle était de passage, justifiée, elle aurait affiché une moue pleine d’arrogance, un sourire qu’il lui en aurait tiré un sans même qu’il ait à y réfléchir, mais la façon qu’elle avait de se tenir là, si fragile, lui laissait présager du pire.
Son bras s’enroula autour de son épaule alors qu’il s’adressait au garde, ses doigts s’accrochèrent à l’arrondi avec une sorte de fermeté qu’il souhaitait rassurante

-Toujours porteur de bonnes nouvelles, Gauthier, le remercia-t-il avant de lancer, sur un ton débonnaire, entrainant la brune contre son flanc en tournant les talons. Vous voilà enfin ! Savez-vous depuis combien de temps j’espère que vous allez enfin franchir cette porte ? Le ton était enjoué, taquin, plaisant, comme à son habitude alors que leurs pas les menaient lentement vers un couloir dans la danse vive et vaporeuse des flammes de l’âtre. Je n’aurais pas cru que vous auriez le courage de faire de la route par ce temps… Il l’assommait volontairement de mots sans lui laisser de répit, horrifiant de naturel et continua sur sa lancée jusqu’à ce qu’ils atteignent le couloir menant aux cuisines, le suivant sur quelques mètres jusqu’à un virage en coude qu’ils passèrent et juste après lequel il s’immobilisa, laissant les derniers mots mourir sur ses lèvres et le silence tomber entre eux.
Quelques secondes s’écoulèrent avant que sa main ne la fasse pivoter dos au mur, face à lui et que son anxiété ne le trahisse, ravagé à l’idée de ce qu’il allait trouver sur ce minois qu’il avait accepté de bonne grâce d’ignorer jusque-là, la gitane étant garante des règles qu’il s’apprêtait à transgresser. Sa dextre vint saisir le menton pour le relever jusqu’à embrasser l’ensemble du visage de son regard et se trouva à ce point apaisé de n’y trouver aucune marques de coups, qu’il poussa un soupir et se laissa aller à un petit rire nerveux avant de s’appuyer d’une main au mur à côté d’elle, presque étourdi de soulagement
Ne croyez pas que je boude ma joie à vous trouver en ces lieux, lui glissa-t-il en coulant le regard vers elle… le sourire se dessina presque tristement dans une ombre diffuse sur ses lèvres… mais vous m’avez tellement inquiété l’espace d’un instant… que je me suis permis… il chercha ses mots une familiarité, conclut-il enfin comme une excuse mais sans regret.
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Axelle
Dans un flou improbable, la voix du libertin retentit, pleine de ce ton enjoué qui lui plaisait tant, sans pour autant retenir un traitre mot de ce qu’il disait. C’est juste sa main sur son épaule, enveloppante et rassurante dont elle s’abreuva, assoiffée de chaleur après ces longues journées de solitude. Elle se laissa entrainer sans la moindre résistance, s’en remettant à lui comme à une évidence.

Adossée au mur, menton relevé vers lui, elle retrouvait ses traits dans un charivari d’images qui l’assaillaient. L’expression de son regard, des sentiments furtifs qu’il y cachait méticuleusement et dont, parfois, elle croyait voler une bride aussi volatile qu’un mirage. Mais ce qu’elle lut et entendit là la surprit tant il ne le cachait pas. Avait-elle une allure si terrible pour qu’il ait eu si peur ? Baissait-il les armes ? Non, elle n’y croyait pas. Mais le soulagement qu’il affichait lui tordit le ventre, étrangement. Cet homme aux allures si distantes et détachées était il sincèrement attentionné ? Quelle était la nature de ce lien étrange qu’ils partageaient ? La Bestiole n’aurait su le dire, trop craintive et méfiante des sentiments humains, de leur fragilité. Chat échaudé…


« mais vous m’avez tellement inquiété l’espace d’un instant… que je me suis permis… une familiarité. »


Un instant, elle voulut tout lui dire, l’abandon, la lâcheté, la prostration, la désillusion, l’amertume. Ses lèvres s’étiraient déjà sous le flot de paroles qui se précipitait à sa bouche, mue d’une force terrible. Mais au lieu de cela, elle le regarda, les yeux noirs bouffés de reconnaissance. Elle aurait pu l’embrasser aussi, pleine de cette liberté nouvelle et imposée, mais elle ne le fit pas non plus. Pour rien au monde elle n’aurait voulu qu’il ait le sentiment d’être utilisé, remplaçant, même s’il était tout sauf cela pour elle. Ce qui l’avait conduit auprès de lui était bien plus profond et salir ce « ce » indéfini était simplement impensable. Aussi s’interdisait-elle de penser au réconfort de ses lèvres, de leur goût imaginé tant de fois, désiré, espéré aussi.

Sa main gauche remonta lentement à la bouche murmurante, jusqu’à ce que la pulpe de ses doigts l’effleure, n’osant à peine s’y poser de peur de les briser et de se retrouver réveillée, dressée sur la paillasse miteuse d'une auberge croisée. Longtemps elle suivit des yeux ces doigts téméraires brisant les règles tacites, caressant des mots, avant de les noyer dans ses homologues, étrangement brillants de retrouvailles insoupçonnées quelques semaines auparavant. Etait-ce pour son bien ou pas? Elle n’en avait aucune idée, elle savait juste que la vie tournait, cycle infini naissant dans la mort du précédant, et qu’il lui appartenait à elle et à elle seule de la construire. Voila l’ultime message que lui avait fait parvenir sa grand-mère, par le biais biscornu d’un vieil homme penché sur sa canne et d’une carte colorée nichée dans sa poche.

Roue de fortune, sois mon alliée.

Et d’une voix aussi basse que celle d’Alphonse, elle murmura, comme une vérité qui voulait encore se cacher.


L’voyage n’a pas été facile, mais c’pas l’courage qu’m’a permis d’l’faire, c’est vous. Mais j’vais bien. Elle marqua un temps, plein d’hésitation. Maint’nant. Et vous ?

Question anodine, ou pas. Sa dextre recroquevillée remonta vers le torse d’Alphonse, comme un appel à se qu’il la garde là, sous le couvert de son corps, pour échapper au reste, mais se tendit trop vivement pour y chercher un appui. Une plainte douloureuse s’échappa de sa bouche tordue alors que la sénestre se crispa en abandonnant les lèvres veloutées du brun. Elle ferma les yeux, soudain pâle et ne les rouvrit que quand l’éclair cuisant fut passé et la respiration calmée. Se sentant ridicule de cette faiblesse, de cet élan de violence contre un mur innocent et ravageur, le mensonge reprit ses droits et elle un air farouche.

En fait, j’m’suis blessée, j’passais pas loin, et au lieu d’me faire charcuter par l’premier v’nu, j’me demandais s’vous connaissiez pas un médicastre qu’pourrait m’remettre c’t’main d’aplomb, c’est qu’j’en ai b’soin.

Et oui, quelle bêtise quand on est peintre, de foutre sa main en l’air et si ses paroles étaient narquoises, c’était bien un appel à l’aide qui se lisait dans ses yeux. Et bien au-delà d'une main brisée.

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Alphonse_tabouret
Les yeux noirs et cernés semblèrent s’ouvrir à la façon d’un puits sans fond, où se noyaient toutes les envies et tous les non-dits, pataugeant dans la mélasse d’une désillusion douloureuse. Un instant de plus à la regarder comme ça et il n’aurait plus pu répondre de rien, tant cette bouche venait se tendre, indécise de ses propos, soumise à une folie redoutée, ayant tant à dire et ne disant rien. La main de la gitane remonta lentement et il suivit son trajet sans pour autant la quitter des yeux, le mouvement se dessinant dans son angle de vision, le cœur sourd, battant dans une lenteur précautionneuse, tandis que la bile de l’amertume menaçait de refaire surface aux travers des souvenirs encore récents. Elle l’avait abandonné à l’aube de leur fugue, planté dans un Paris assourdissant de couleurs et de sons où il avait espéré la faire danser pour elle à défaut qu’elle ne le fasse pour lui, et s’en était allée, seule détentrice de leurs retrouvailles, façonnant le futur informe par sa seule volonté. Et aujourd’hui elle était là, fragile, transie par les doutes, mue par une énergie dont il ne soupçonnait rien, mais devant lui, à un souffle à peine.
Les doigts bruns de la gitane effleurèrent ses lèvres sans qu’il pose les yeux dessus, trop occupé à la regarder elle, hypnotisée par sa propre audace. Avide de cette sensation de l’épier dans sa propre transgression il ne broncha pas, ses prunelles suivant le vacillement des siens, tentant d’en percer le secret. Que voyait elle dans le tracé qu’elle dessinait, que ressentait elle à craindre ainsi de définitivement y poser un pouce ou un index ? Sa voix retentit enfin, basse, presque fiévreuse, répondant à la sienne

L’voyage n’a pas été facile, mais c’pas l’courage qu’m’a permis d’l’faire, c’est vous. Mais j’vais bien. Maint’nant. Et vous ?

Suspendu à cette confession, à cet aveu pétri de faiblesse et à la fois d’une violence insoupçonnée, il resta sonné, la main toujours appuyée au mur, couvrant la gitane de toute son ombre, l’envie furieuse de l’y plaquer pour la dévorer toute entière se réveillant dans le murmure qu’elle lui adressait. Lorsque la plainte lui échappa et qu’elle relâcha ses lèvres, blêmissant de douleur, vacillant légèrement, Alphonse fronça un sourcil et consentit enfin à laisser son regard couler sans plus s’attarder sur les courbes de son visage et découvrit la main bandée, enflée, recroquevillée sur elle-même. L’expression sur le visage d’Axelle changea du tout au tout, retrouvant dans ses yeux la lueur vive qu’il avait souvent eu l’occasion de voir briller alors qu’elle se retranchait derrière l’arrogance de ses manières brutes.

En fait, j’m’suis blessée, j’passais pas loin, et au lieu d’me faire charcuter par l’premier v’nu, j’me demandais s’vous connaissiez pas un médicastre qu’pourrait m’remettre c’t’main d’aplomb, c’est qu’j’en ai b’soin.

Le jeune homme sentit une rage aveugle s’étendre dans ses veines en une fraction de seconde, et s’il attrapa la main droite de la jeune femme avec vivacité, il ne le fit pas moins avec la plus grande délicatesse pour l’examiner avec attention. Sa mâchoire se crispa sensiblement en découvrant le carnage et la rage enfla, enfantine, neuve, débordante en imaginant les possibles conséquences dues au manque de soins, au laisser aller quasi suicidaire dont elle avait fait preuve. Depuis combien de jours laissait-elle les chairs enfler sans se préoccuper de les traiter ? Combien de jours insensés où la douleur avait dû se propager, lancinante, avait-elle enduré avant de se retrouver là ? Il releva un regard lourd dans le sien, et n’en délogea pas en donnant sa première sentence.

-Idiote…
La moue peinte sur ses lèvres témoignait d’une tristesse infinie et violente qui le transperçait à la simple idée que cette main-là ne tiendrait peut être plus jamais de pinceaux, à la pensée qu’Axelle ne créerait plus. Il se pencha jusqu’à son oreille pour y déverser quelques mots : Si vous n’en récupérez pas l’usage, je me chargerai personnellement de vous faire passer l’envie de faire la difficile avec les médicastres, la menaça-t-il avec une sincérité à la fois tendre et d’une cruauté sans nom car il en pensait chaque mot, et même si les sentiments sont parfois fait pour s’émousser sous le joug du temps ou des autres, à cet instant précis, il en pensait chaque syllabe. Venez, fit-il d’un ton catégorique en se redressant, la reprenant par l’épaule pour l’emmener d’un pas vif dans la continuité du couloir.

Plus d’une fois il manqua de parler, d’ouvrir la bouche, de laisser déverser le fiel qui lui prenait inexplicablement les tripes en imaginant ce désastre mais se rattacha toujours in extremis à cette distance obligatoire qu’il ne devait jamais laisser les autres franchir. Ils passèrent la porte de la cuisine, retrouvant une ambiance doucement moelleuse, aux odeurs éparses de plats cuisinés plus tôt dans la journée pour la quitter sans même s’y attarder, retrouvant le crachin froid de décembre. L’air froid emplit ses poumons et ses pas ralentirent doucement lorsqu’il se rendit compte de la précipitation avec laquelle ils les avaient fait traverser les murs, tout à sa colère et à son angoisse, à son envie de voir les doigts d’Axelle déjà s’ouvrir et s’agiter sous l’effet fantastique d’un remède miracle…


-Pardonnez-moi,
dit-il dans un soupir en secouant la tête, faible soudain de s’être à ce point laissé porter par l’instant sans oser la regarder. C’est que… j’enrage à l’idée que vous ne puissiez plus peindre… Une vérité, à dissoudre rapidement dans un mensonge imbécile. Je comptais beaucoup sur mes honoraires exorbitants de modèle à votre compte pour me payer quelques vacances à l’étranger… Réveillé par l’urgence froide qu’exigeait la situation, il retrouvait ses réflexes badins, ce besoin de donner un peu une échappatoire à Axelle. Sa main relâcha la pression à son épaule mais y resta, plus douce, plus chaleureuse. Dépêchons nous, il serait mal venu de finir par éternuer au nez de la rebouteuse, lui glissa-t-il en les plaçant dans une petite pente menant au village qui bordait Brienne, laissant apparaitre un peu à l’écart en contrebas à juste quelques centaines de mètres, la petite maisonnée qu’ils souhaitaient atteindre.
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Axelle
Elle resta figée devant le visage qui se métamorphosait juste là, devant ses yeux surpris et eut un mouvement de recul instinctif quand Alphonse prit sa main d’un geste vif, rapidement étouffé par la délicatesse qu’il y mit.

« Idiote… »


Le mot trancha l’air comme un couperet, sans pour autant qu’elle n’en soit vraiment étonnée. Qu’aurait-il pu dire d’autre ? N’avait t’elle pas penser exactement la même chose en découvrant une main brulée ? Stupidité parfaite et sans limite ? Si. Plantée devant lui, elle tortillait sa bouche comme une gamine prise en faute, sans pourtant se sentir affligée. La réaction du brun lui arracha un sourire inopportun qu’elle camoufla avec soin. Mais pourtant elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver un sentiment de ravissement malvenu devant le désarroi d’Alphonse. Cette simple colère, cette agitation soudaine, aux yeux de la Bestiole, n’avait qu’une seule signification : il ne la laisserait pas seule dans son bourbier et cela compensait bien toutes les mains brisées du monde. Sans le savoir, il lui offrait une dose de réconfort d’une valeur inégalable, même si rien dans son attitude ne le laisserait transparaitre, trop fière et entêtée qu’elle était pour admettre avoir besoin qu’on s’occupe d’elle, un peu.

« Si vous n’en récupérez pas l’usage, je me chargerai personnellement de vous faire passer l’envie de faire la difficile avec les médicastres »


Un sentiment étrange la submergea. Elle ne voyait pas de menace dans ses mots, mais le ton employé, le visage contracté d’Alphonse lui promettait tout le contraire. Elle se perdit en conjonctures folles. Sous-entendait-il être capable de lui faire tant de mal qu’elle réclame un médicastre à cor et à cri? Non, pas un instant elle ne le croyait capable de violence pour l’assouvir à sa volonté. Lui arracher sa si chère indépendance en la trainant de force chez tous les rebouteux possibles tant qu’elle n’aurait pas retrouvé l’usage de sa main ? Peut être, vraisemblable même devant la mine déterminée d’Alphonse. Elle n’eut pas le temps de réfléchir davantage qu’il l’entrainait déjà sans qu’elle n’ait même le temps de rechigner, jeu auquel elle s’adonnait pourtant en toute circonstance par pur principe, et se retrouva à le suivre, devant presque courir pour suivre le pas long du brun. Du coin de l’œil, elle voyait la mâchoire masculine se crisper, pleine de colère alors qu’elle ne trouvait que sa lèvre à mordiller, taiseuse, pour ne pas déclencher une nuée de noms d’oiseaux qui s’abattrait sans doute possible sur elle si elle grinchait. Impuissante à toute rebuffade, elle dut regarder la cuisine enflée de fumets alléchants lui passer sous le nez, la mine déconfite devant un jambon suspendu, tendant simplement un bras vers le délice pour le laisser retomber, désespéré. L’appétit, après de longs jours à ne manger que du bout des lèvres, se réveillant, gargantuesque, dans son ventre découvert affamé. Mais elle n’eut que le crachin à se mettre sous la dent.

T’vois comme il peut être cruel, hein, t’vois maintenant ! Oh oui !

« Pardonnez-moi, c’est que… j’enrage à l’idée que vous ne puissiez plus peindre… Je comptais beaucoup sur mes honoraires exorbitants de modèle à votre compte pour me payer quelques vacances à l’étranger. »

Étourdie par ses mots, appesantis encore par le mensonge évident, elle tourna la tête et son regard glissa lentement sur le profil droit où couraient des mèches brunes. Son cœur sauta un battement comprenant que lui aussi, peut être, avait besoin d’être rassuré sans toutefois en discerner le motif précis. Sous la main qui se fit plus douce à son épaule, elle se rapprocha de lui. Lui qui l’aidait sans même lui poser de questions, sans même savoir pourquoi. Comme elle en était soulagée et redevable. Il y avait bien des choses qu’elle voulait partager avec lui, mais le naufrage pathétique d’un mariage n’en faisait pas partie.

Arrivés devant une porte anodine, ils s’arrêtèrent enfin. Avant qu’il n’ait pu toquer à la porte, elle attrapa le bras d’Alphonse, retenant le geste qu’elle devinait.


‘Tendez. Dans les yeux lentement remontés vers lui pouvaient se lire presque des excuses de venir ainsi chambouler dans son quotidien, si j’la retrouve pas, ma main, j’vous promets d’apprendre à peindre avec la gauche, c’pas pour rien qu’on a deux, d’mains. Pis j’vous promets aussi d’vous payer l’double, rapport qu’vous devrez restez deux fois plus d’temps à poser, et deux fois plus d’temps donc à vous farcir ma présence. Un sourire taquin s’esquissa sur ses lèvres, s’opposant à la lueur sincère de son regard. ‘Tendez encore, j’reviens.

Et sans lui laisser le temps de réagir, elle remonta la pente pour s’engouffrer dans une taverne croisée un peu plus tôt dont elle ressortit quelques instants plus tard, une bouteille d’eau de vie rivée à la bouche qu’elle engloutissait à grandes gorgées, s’assurant ainsi une ivresse secourable.

Arrivée à sa hauteur, elle toussa, les yeux larmoyants et le cramoisi aux joues.


J’sais pas c’qu’y ont mis d’dans, mais c’est... fort ! Un peu très. Z’en voulez? Cause qu’j’risque d’brailler comme un goret savez, pis j’ai la voix qui porte parait. Elle reprit une longue lampée à même le goulot, grimaçant sous la force de l’alcool lui brulant la gorge. Puis d’une voix bien moins assurée, lui proposant la bouteille. J'suis prête. Et elle frappa à la porte dans une grande inspiration.

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Alphonse_tabouret
Devant la porte, elle interrompit son geste pour prendre la parole

‘Tendez. si j’la retrouve pas, ma main, j’vous promets d’apprendre à peindre avec la gauche, c’pas pour rien qu’on a deux, d’mains. Pis j’vous promets aussi d’vous payer l’double, rapport qu’vous devrez restez deux fois plus d’temps à poser, et deux fois plus d’temps donc à vous farcir ma présence

Il suivit des yeux la ligne taquine que prit la bouche, ouvrit la sienne pour répondre mais elle ne lui en laissa pas le temps, tranchant encore une fois :

‘Tendez encore, j’reviens.

Elle le planta là, le forçant à regarder sa silhouette disparaitre, chose dont il avait horreur car à chaque fois, c’était pour ne pas savoir s’il la reverrait un jour et il ne put s’empêcher un léger relâchement rassuré des épaules tandis qu’elle réapparaissait, ses lèvres brunes rivées à une bouteille de gnole qu’elle lampait à grands coups. Elle le rejoignit, laissa passer une quinte de toux avant de lever le nez vers lui, les joues rouges et du froid et de la chaleur vive que l’alcool diffusait à chaque gorgée tant il était épais.

J’sais pas c’qu’y ont mis d’dans, mais c’est... fort ! Un peu très. Z’en voulez? Cause qu’j’risque d’brailler comme un goret savez, pis j’ai la voix qui porte parait

Son envie première fut de venir gouter la liqueur à même ses lèvres rutilantes d’alcool, la deuxième, de la prendre dans ses bras pour lui promettre que tout irait bien, lui déverser des mensonges desquels elle ne serait pas dupe mais qu’elle avait besoin d’entendre… mais s’ils se mentaient pour préserver leur égo, leur orgueil et leur vulnérabilité, ils ne s’étaient tous les deux encore jamais menti pour ce qui avait de l’importance, et comment ne pas accorder toute l’importance possible à cette main qui lui permettait de s’exprimer au travers des formes et des couleurs, elle qui avait choisi de cacher tout ça derrière le voile de son âme sauvageonne. Il rejeta les deux avec virulence, presque fâché de s’être laissé tenter et choisit de répondre avec la même fausse légèreté qu’elle s’était accordée. Au moins cette imposture-là était-elle tolérable.

-Intéressant, lâcha-t-il dans un rictus amusé, en reprenant les habitudes qui caractérisaient leurs rapports. ... mais je préférerais assez-vous entendre donner de la voix dans d’autres circonstances, lui confia-t-il dans un sourire effilé, roublard, tandis qu’elle frappait à la porte de sa main valide.

Le battant s’ouvrit à la volée, les cueillant avant même qu’elle n’eut pu répondre, à croire que la vieille était derrière la porte depuis un moment à les écouter, ce qui était certainement d’ailleurs ce qui s’était passé. Toute en chair et en courbes rondelettes, la rebouteuse avait tout au plus une cinquantaine d’années mais ses cheveux entièrement blancs et les rides profondes qui marquaient son visage lui donnaient facilement une à deux décennies de plus selon à qui on le demandait. Alphonse avait croisé la vieille à plusieurs occasions et avait beaucoup aimé ses allures de mamie bonhomme que contrebalançait un caractère bien trempé et peu causant. On avait envie de tout lui dire et elle entendait tout, laissant les autres se vider dans son oreille en hochant vaguement la tête de temps en temps tout en soignant leur arthrite, désinfectant leurs plaies, préparant un cataplasme pour leurs poumons, ne se fendant d’un mot ou deux que quand elle jugeait cela pertinent, et à sa façon bourrue, elle réussissait à soigner autant le corps que l’âme.

-Madda, la salua-t-il d’un mouvement de tête. Je m’excuse de vous déranger à cette heure-ci, mais j’ai ici quelqu’un qui a besoin de vos soins... quel qu’en soit le prix, insista-t-il sobrement, sachant que les mots feraient mouche, ce qu’ils firent car la vieille le regarda un bref instant pour lui signifier qu’elle avait bien entendu et qu’ils en reparleraient plus tard. Sa senestre se posa dans le dos d’Axelle pour la pousser dans l’entrée. La main est en mauvais état… Celles menues et fines de la rebouteuse s’avancèrent jusqu’à celle de la gitane, un air impénétrable sur le visage et il poursuivit en suivant des yeux les gestes précis qu’elle apposait aux chairs pour déployer la main recroquevillée, venant instinctivement se coller au dos de la brune pour la rassurer, pour qu’elle puisse s’accrocher à lui si elle en ressentait le besoin.

-Ferme donc la porte derrière toi, conclut la vieille en entrainant Axelle loin de lui, le laissant étrangement démuni alors qu’il les regardait filer vers l’intérieur de la pièce près d’une grosse table où étaient éparpillés des lots de plantes sèches et des mortiers plein de poudres. La rebouteuse tenait toujours la main, levant le bras pour examiner la dextre près d’un gros bougeoir lourdement chargé. Comment t’as fait ton compte ? demanda-t-elle finalement, toujours impassible en défaisant le bandage que la gitane avait jeté dessus découvrant l’ampleur de la catastrophe.

La main suspendue à la poignée qu’il venait de pousser pour fermer la porte comme elle le lui avait demandé, le jeune homme tendit l’oreille avide de savoir si le mensonge qu’elle lui avait servi allait perdurer, s’il saurait la vérité sous peu.
Qui était coupable de ce crime sans nom ?

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Axelle
« Intéressant, mais je préférerais assez-vous entendre donner de la voix dans d’autres circonstances »

Elle tourna vivement la tête vers lui, préparant déjà une réponse à l’audace amusée mais étrangement rassurante dans ce contexte. Mais déjà la porte s’ouvrait sur une petite femme rondelette, vieille, mais dont le regard pétillait. La Bestiole ne put que penser à sa grand-mère, et cela la mit suffisamment en confiance pour pénétrer dans la chaumine sans trop d’hésitations. Alphonse expliquait la situation alors que les yeux d’Axelle couraient sur les bocaux de poudre, les bouquets suspendus par la tige, les narines pleines des senteurs mêlées de plantes séchées. Mais celle qu’elle recherchait était celle de la lavande.

Sa main fut happée, sans douceur particulière, mais avec une connaissance des secrets du corps toute caractéristique, qui sans être douloureuse, n’en n’était par pour autant agréable. Déjà pleine des vapeurs d’alcool brouillant ses pensées, elle suivit la vieille, docile. Le choix n’était plus permis. Elle voulait peindre, encore, et ouvrir cet atelier dont elle rêvait tant. Confusément, la présence d’Alphonse s’estompa et assise à une table elle se retrouvait sans plus de défense face à la vieille qui inspectait sa main.

« Comment t’as fait ton compte ? »


Un instant, elle pensa mentir, pour ne pas avouer la vérité aux oreilles d’Alphonse sur ce carnage dont elle était la seule fautive. Mais la vieille semblait ne s’intéresser qu’à l’essentiel. Mentir, et elle risquait d’y laisser sa patte, tant pis pour les remontrances possibles.


J’ai frappé du poing. Sur un mur.

Son regard restait bas, parcourant les méandres du bois de la table, si bien qu’elle ne vit pas l’expression de la vieille quand celle-ci lâcha un simple « hum ». Elle sentait les doigts fins et froids de Madda fouiller ses chairs gonflées pour y déceler les dégâts qu’elles y cachaient et malgré l’ivresse, l’examen était pénible et l’attente insupportable. Axelle regrettait le restant de gnôle et le profond sommeil d’ivrogne dans lequel il l’aurait plongée. Alors qu’elle s’attendait à une réprimande sur sa négligence, la main toujours prisonnière de celle de la vieille, celle-ci lança par-dessus sa tête penchée, à l’adresse d’Alphonse.


Mets-toi derrière elle et maintiens-la.

A cet instant, les yeux effrayés de la Bestiole remontèrent vers la vieille dont le visage restait impassible sous une couche de concentration, mais dans ses yeux aux paupières flétries, une lueur d’encouragement glissa furtivement.

Deux craquements secs, rapides, tonnèrent aux oreilles bourdonnantes d’Axelle qui vacilla sur sa chaise, si Alphonse était derrière elle, elle n’en eut aucune conscience tant elle luttait pour chasser les taches noires qui dansaient devant ses yeux quand la sueur perlait à son front. Ce que la vieille dit en lâchant enfin sa main traumatisée, elle ne le comprit qu’à moitié, le martellement du pilon s’enchevêtrant à celui de son sang dans ses tempes.


C’est remit en place. Maintenant, faut que ça se consolide. Tu devras te tenir tranquille un bon mois. T’auras les doigts droits, c’est déjà ça. Si tu veux les bouger comme avant, ça dépendra que de toi gamine.


Un verre rempli d’un liquide blanchâtre apparut sous les yeux encore hagards de la Bestiole.

Bois ça. Ca fait du bien. Faudra en boire une fois par jour. C’est plus efficace que l’alcool gamine. Faut juste faire infuser le mélange que je te donne.

La senestre tremblante attrapa le godet, et elle but, grimaçant sous l’amertume du breuvage. La vielle reprit sa main droite, l’emplâtrant d’un cataplasme dont la Bestiole ne chercha pas même à connaître la nature et la rebouteuse ne distillant que les informations essentielles. Puis, impuissante sous la tutelle de Magga, sa main fut emprisonnée d’une attèle de bois et enserrée dans un bandage qui fut enduit à son tour d’une préparation alors que les minutes s’égrainaient plus lentes que des siècles.

Petit à petit, Axelle reprenait pied, étonnée de voir sur la table coquilles d’œufs et traces de farine, et ne put s’empêcher de lancer bêtement.


Faites un gâteau ?

La vieille ne répondit pas à la sottise, mais enfourna la main bandée et raide dans une moufle de cuir gras, lacée au poignet.


Ça, c’est pour protéger de l’eau et des salissures. Tu peux le retirer la nuit. Il faudra refaire le tout dans deux semaines. Deux pas plus. T’as tout bien compris gamine?

La Bestiole hocha la tête vaguement répétant les consignes d’une voix engourdie quand toute son attention était accaparée à chercher Alphonse des yeux.

Dans deux semaines, r'faire l'bazar. Tous les jours, ingurgiter l’truc infâme.

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Alphonse_tabouret
Sur un mur, se répéta-t-il dans une moue fâchée en entendant Madda lui arracher la vérité, sentant une contrariété frustrée monter à sa gorge. C’était bien sûr mieux que si quelqu’un le lui avait infligé, mais que c’était-il passé pour qu’elle en arrive là ? Il se souvenait de son application, de la façon délicate dont ses doigts devaient travailler pour saisir les nuances et les dégradés des ombres et de plis, et avec quel enthousiasme sous cette expression fermée elle pratiquait son art… alors pourquoi avait-elle frappé un mur jusqu’à s’en briser les os, et pourquoi était-elle partie sur les routes dans cet état sans même prendre le temps de redescendre de cette folie, pour venir là… les questions se bousculaient, sans réponses , l’arrachant à la douceur moelleuse dans laquelle l’enveloppait cette vie neuve qu’il se forgeait tous les jours au service de Maltea, ou rien n’était plus compliqué que le sourire de la blonde italienne. Axelle, elle, l’avait dès le début de leur rencontre précipité dans un tourment délicieux et insatisfait duquel il ne pouvait se résoudre à s’extraire, contaminé par le feu qui louvoyait dans les prunelles sombres de la gitane et auquel tout son être voulait se confronter, jeu d’orgueil et de désirs, fatras de sentiments tronqués par des années de servitude et de convictions devenues vérités absolues. La violence qui se déployait pourtant dans toute son âme les contredisait pourtant une à une, avec une insolence qu’il détesta et l’espace d’un instant il en aurait giflé la brune de s’être fait mal au point de l’émouvoir.
La rebouteuse le tira de ses pensées, autoritaire, efficace, et il s’exécuta, sans mot dire. Se penchant dans le dos de la gitane assise à la table où fourmillaient les ingrédients et ustensiles jusqu’à frôler ses cheveux de sa bouche, il plaça sa senestre sur l’épaule gauche et vint comprimer fermement la droite et la clavicule de son bras, la tenant ainsi contre lui. Son regard s’attarda sur sa main, réduit au silence par la situation et par l’état épouvantable de celle-ci avant que la précision des gestes de la vieille ne fasse craquer horriblement les os et que le corps d’Axelle ne se tende avec une raideur brutale, le forçant à raffermir sa prise, ne pouvant s’empêcher de la trouver maigre sous le joug de sa présence, les souvenirs du corps toujours aussi vifs des courbes qu’il avait volontairement écrasé des siennes à l’atelier.
Alphonse relâcha cette étreinte forcée en même temps que la vieille, attardant néanmoins sa main sur l’épaule, ne pouvant se résoudre à lâcher la gitane, la dextre venant s’enfouir dans le cou brun pour y déverser une caresse apaisante enveloppant la nuque qui lui signifiait que le plus dur était passé, la sentant hagarde, désorientée, vidée par cette douleur brusque.

C’est remit en place. Maintenant, faut que ça se consolide. Tu devras te tenir tranquille un bon mois. T’auras les doigts droits, c’est déjà ça. Si tu veux les bouger comme avant, ça dépendra que de toi gamine.

Il suivit le reste des yeux sans vraiment pouvoir s’y concentrer, raccroché à l’espoir mince que venait de leur jeter en pâture la rebouteuse, jusqu’à ce qu’il sente la brune s’agiter sous ses doigts, la tête vacillante, les mots encore engourdis. Il se pencha par-dessus son épaule et attendit qu’elle croise enfin son regard pour lui murmurer :

-Je vous ramène, venez.
Il glissa un bras sous le sien pour la lever tandis qu’il s’adressait à Madda. Merci pour tout. Je passerai vous régler le tout demain. Il recueillit le corps chancelant de la gitane contre lui et l’y lova avec délicatesse, sa main à sa hanche, supportant son poids plume.

La vieille hocha la tête et lui tendit un petit sac qu’il attrapa avant de les diriger vers la porte. Le froid hivernal le cueillit avec une presque brusquerie dans les petites rues désertées du village au vu de l’heure tardive et il raffermit sa prise sur Axelle, inconsciemment.


-Vous êtes décidément bien sotte, trancha-t-il enfin avec une moue faussement hautaine, la colère s'étant délayée au profit d'un sentiment plus insidieux, celui d'une tendresse rarement ressentie qu'il choisit d'ignorer pour reprendre son flegme . On ne gagne jamais contre un mur… que vous a-t-on donc appris à l’OST ?, continua-t-il en regardant autour d’eux, sur un ton où la malice perçait la couche de sérieux sans trop d’effort, tachant de la reconnecter à lui après la douleur qu’elle avait eu à subir. Maintenant vous allez me dire dans quelle auberge vous êtes descendue… La gitane ne portait nul bagage sur elle, il fallait bien qu’ils soient quelque part… que nous nous y rendions, et ne me dites pas non… vous n’êtes pas en état, lui fit il en glissant ses prunelles sombres dans les siennes, laissant un sourire félin venir lui lécher les babines. Je vais vous donner la becquée, se moqua-t-il gentiment avec une morgue amusée, peut-être même un bain et après, vous allez me raconter pourquoi vous vous êtes abimée de la sorte, et là non plus vous ne pourrez pas me dire non… vous n’aviez qu’à pas venir jusqu’à moi si vous vouliez vous taire, lui confiant il en baissant d’un ton, en s’attardant brièvement sur l’épaisseur de ses cils qui rendait ce regard aussi velouté qu’une danse autour du feu. Je veux, j’exige et vous allez obéir, lui certifia-t-il d’un sourire aux accent d’insolence et d’assurance.

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Axelle
La froidure de l’air s’insinua en elle, vivifiante, et elle la respira avec avidité. Ainsi tirée de sa torpeur, elle se trouva abasourdie d’être à ce point soutenue, presque portée par Alphonse et se tendit promptement, non pas par envie de se détacher de lui mais par fierté, honteuse qu’elle était de cette dépendance et de la faiblesse de ce corps qui l’avait trahie. Les paroles d’Alphonse firent le reste. Son cou s’allongea, ses pas s’assurèrent quand sa dextre, engourdie par les soins, le breuvage infect et l’alcool se prélassant encore dans ses veines, la laissait enfin en paix.

« Vous êtes décidément bien sotte, On ne gagne jamais contre un mur… que vous a-t-on donc appris à l’OST ? »

Ses pas s’allongeaient, mais son corps, bien que moins fébrile, se refusait encore à quitter le refuge de celui du brun. Elle ronchonna, profitant d’une légère pause


C’pas ma tête qu’j’ai envoyé contre l’mur, c’d’jà ça qu’y m’ont appris.

Mais déjà, sans même l’entendre certainement, il poursuivait.

« Maintenant vous allez me dire dans quelle auberge vous êtes descendue… que nous nous y rendions, et ne me dites pas non… vous n’êtes pas en état, Je vais vous donner la becquée peut-être même un bain et après, vous allez me raconter pourquoi vous vous êtes abimée de la sorte, et là non plus vous ne pourrez pas me dire non… vous n’aviez qu’à pas venir jusqu’à moi si vous vouliez vous taire, Je veux, j’exige et vous allez obéir. »

Un rouge indigné monta au joues de la Bestiole tant le libertin piquait au vif son orgueil. Elle se délogea vivement de son flanc, un instant sans voix sous l’effronterie. Non pas à cause du bain suggéré, mais pour ces confidences qu’il voulait lui arracher. Rapidement, une idée la rassura, si le brun avait porté toute son attention à sa main droite, son regard ne s’était pas encore posé sur la gauche. Il finirait par le faire et découvrirai que si la dextre était brisée, la senestre, elle, était amputée de son alliance. Et alors il comprendrait, sans qu’elle n’ait rien de plus à dire. Elle n’avait plus qu’à espérer qu’il ne demande pas de détails. Comment pourrait-elle donc lui dire que son mariage s’était brisé suite à leur escapade parisienne ? C’était insensé, inconcevable. Elle refusait bec et ongles de l’y mêler. Pourtant, au fond d’elle, elle savait qu’après tant d’attentions à son égard, il serait outrageant de ne pas contenter sa curiosité bien naturelle. Pourtant, elle priait qu’il accepte un plus tard, un bien plus tard, quand la tempête serait moins vive.

La tension était trop forte et la Bestiole choisit de la contourner pour en faire naitre une autre, connue, encore maitrisable, dans laquelle elle saurait se dépêtrer avec plus de facilité, ayant une secrète longueur d’avance sur lui. Celle qu’il ne sache pas, encore, que les règles avaient changées. Cet atout, elle le garderait encore dans sa manche, jusqu'à ce que la tricherie soit découverte. Alors, elle n’aurait plus beaucoup d’armes.

Elle arrêta son pas et tourna la tête vers lui. A l’effronterie répondrait l’effronterie. Forte de vouloir s’arracher aux questions, elle put le regarder sans ciller, une lueur provocante s’invitant dans ses prunelles. Et lentement, elle s’extirpa de sa tutelle.


D’jà, j’ai d’quoi payer la rebouteuse, j’irai moi-même l’faire d’main. Pas qu’j’boude votre aide hein, non, mais après, j’serai encore plus redevable, j’l’suis d’jà assez. La vente d’mes champs a assez gonflé ma bourse pour qu’j’puisse m’débrouiller sur c’point. Pis un bain ? Elle se planta devant lui, cherchant la lueur de son regard dans la nuit et le forçant à s’arrêter. Un bain ? J’sais pas vous, mais moi, j’ai l’habitude d’les prendre nue. Un léger sourire narquois arqua ses lèvres. Pensez vraiment en être capable sans vous salir à moi ?

Elle s’approcha de lui, jusqu’à ce que son museau vienne frôler le tissu de son col. Sa senestre s’appuya sur l’épaule de son vis à vis et elle se hissa sur la pointe des pieds, son corps tendu narguant celui du brun en se faisant liane. Ses lèvres flânèrent aux abords des siennes, prenant soin de masquer sa respiration qui ne cherchait qu’à s’emballer. Puis presque à regret, elle détourna son visage et effleura sa joue de la sienne jusqu’à ce que sa bouche puisse happer le lobe, un instant si bref qu’il aurait pu n’être que le fruit d’une imagination trop fertile, et souffla au creux de l’oreille ainsi rendue attentive.

J’obéis pas. Jamais. A personne. Exigez d’moi c’qu’vous voulez, j’céderai qu’sous la torture. « de vos lèvres » pensa t’elle si fort qu’elle douta un instant l’avoir tu.

Si l’approche avait été lente, le retrait lui fut rapide, et elle reprit sa marche, se retournant après de quelques pas.


‘Lors, venez ? J’crève d’faim et m’avez promis d’m’donner la becquée ! J’suis à la première auberge, à l’entrée du village, doivent tous pioncer à c’t’heure, mais la tenancière m’a promis un bon restant d’ragout mijotant dans l’âtre à mon retour. ‘Lors ?
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Alphonse_tabouret

La réaction de la gitane ne tarda pas, et drapée d’un orgueil retrouvé, elle s’éloigna de la chaleur de son flanc sans pour autant le quitter tout à fait, le menton haut, une moue outrée sur le visage, qui le rassura immédiatement dans un apaisement amusé dont il fut surpris tant il le submergea rapidement. La douleur devait diminuer pour qu’elle retrouve cette morgue brutale qu’il aimait provoquer au risque de se heurter lui aussi à un mur. Elle tourna enfin sa tête brune vers lui, tandis qu’elle quittait lentement le joug de son bras. S’il vit sa tête pivoter, l’obscurité régnante engloutissait encore les traits de son visage et il y superposait pourtant avec une netteté tranchante le visage dont il avait pris le temps de s’abreuver à Paris jusqu’à ce que la voix rocailleuse de la gitane le sorte de la cohue passée de la capitale.


D’jà, j’ai d’quoi payer la rebouteuse, j’irai moi-même l’faire d’main. Pas qu’j’boude votre aide hein, non, mais après, j’serai encore plus redevable, j’l’suis d’jà assez. La vente d’mes champs a assez gonflé ma bourse pour qu’j’puisse m’débrouiller sur c’point. Pis un bain ?

Elle poursuivit, sans lui laisser le temps de s’étonner de cette vente, de ce départ de ce pays qu’elle aimait tant… N’ayant pas remarqué l’annulaire esseulé et contraint au silence qu’elle lui imposait et qu’elle lui apposait, il n’en demeurait pas moins une question, tapie dans l’ombre de ses pensées, volontairement délaissée mais, planante comme l’ombre qui avait limité leur jeu, porte ouverte à des centaines d’autres : Où était son mari ?
La lueur braisée qu’il avait fugitivement aperçue à l’atelier dans sa prunelle vint le faucher avec une note curieusement épicée et il sentit dans ses veines une chaleur bien connue se distiller. Il le connaissait ce regard, pour l’avoir provoqué, suscité, perdu, retrouvé, chassé… Axelle avait un parfum de Bourgogne à cet instant ci, et le fauve en lui s’étirait dans un ronronnement sourd et amplifié, retrouvant la danseuse qui était venue lui montrer le bout de ses pieds graciles pour tenter ses griffes.


J’sais pas vous, mais moi, j’ai l’habitude d’les prendre nue. Pensez vraiment en être capable sans vous salir à moi ?

Il répondit au sourire qu’elle lui adressait en étirant le sien, le rendant plus gourmand, retenant les mots qui lui venaient à cette simple évocation, mais laissant les images se déverser avec une effronterie telle que rien qu’à son expression, on devinait aisément ce que l’idée lui inspirait .
Axelle allait mieux, bien mieux, peut-être même trop, se dit il quand elle rogna avec légèreté la distance entre eux, que son nez vint frôler le col de sa chemise, lui donnant envie qu’elle vienne à son cou pour y glisser son souffle et que son corps se tendait, glissant contre le sien pour la hisser toujours plus près de ses lèvres à lui. Le feu se déversa insidieusement dans la pulpe de ses doigts qu’il crispa doucement pour les empêcher de saisir la nuque qu’ils tenaient encore un instant plus tôt et la soumettre au désir qu’elle éveillait avec tant de brusquerie. Où étaient les règles qu’il avait dû lui assurer pour qu’elle brise le mutisme dans lequel il l’avait plongé lorsque leurs corps s’étaient touchés pour la première fois. Il ne broncha pas, laissant ses tempes l’engourdir d’une pulsation violente quand ses lèvres flânèrent aux siennes, comme si elles hésitaient alors qu’il savait déjà qu’elles se déroberaient, que ce n’était là que la première provocation. Il savoura le frôlement de la joue, de cette peau qu’il ne s’était encore jamais autorisé à toucher, et laissa le fauve respirer le parfum de feuilles qu’il y avait dans les cheveux de la gitane, les yeux mi clôt, qu’il rouvrit avec surprise en sentant sa bouche s’approprier son oreille une trop brève seconde, le temps de se demander si elle le pensait à ce point sage pour lui infliger si rapidement un second coup aussi savoureux. Et elle avait raison la gitane, car l’attention était captée, à son paroxysme, le jeu reprenant ses droits avec de nouvelles frontières.

J’obéis pas. Jamais. A personne. Exigez d’moi c’qu’vous voulez, j’céderai qu’sous la torture

Le sourire s’affuta dangereusement. La torture, il la connaissait. Celle des sens mis à vif, celle du feu qui couve dans un corps qui veut être mené à l’extase, celle de la frustration au creux de la luxure… Oh comme il l’imaginait cette bouche si sure d’elle râler dans le supplice, se retenir avant de se laisser déverser d’une gorge fiévreuse, comme il la voulait maintenant sans pourtant esquisser le moindre mouvement pour s’assouvir. Elle délaissa son corps pour lui tourner le dos et laisser ses yeux venir couvrir sa silhouette tout entière d’un regard fauve.

‘Lors, venez ? J’crève d’faim et m’avez promis d’m’donner la becquée ! J’suis à la première auberge, à l’entrée du village, doivent tous pioncer à c’t’heure, mais la tenancière m’a promis un bon restant d’ragout mijotant dans l’âtre à mon retour. ‘Lors ?

-Oh mais je viens, je viens, répondit-il amusé en lui emboitant le pas. Je marcherai sur Rome pour vous voir tendre le cou vers moi en attendant que je vous nourrisse, la taquina-t-il. Savez-vous piailler aussi ? demanda-t-il tandis que la silhouette massive de l’auberge dont elle lui parlait apparaissait au détour de la place centrale… Et siffler ? Vous me sifflerez quelque chose n’est-ce pas , pour me remercier au moins, au creux de l’oreille… Le ton était détaché, bonhomme, flânant sur le côté le plus tendre du jeu dans lequel ils s’affrontaient, pétris de fierté et d’orgueil, animaux blessés l’un comme l’autre, tâtonnant avec difficulté dans le méandre des sentiments et des liens qui les nouaient aux autres.

Quand ils arrivèrent devant la bâtisse, ils la trouvèrent plongée dans le noir, les flammèches d’un feu illuminant vaguement la nuit de reflets dorés par les fenêtres de la salle commune. Il tendit la main pour se saisir de la poignée avant elle, lui ouvrit la porte, et la passa à sa suite, les plongeant dés qu’il la referma dans une pièce plus sombre qu’il en l’aurait cru mais assez éclairée pour souligner le mensonge qui lui servirait de prétexte. La dextre profita qu’elle n’ait pas plus avancé pour se saisir de sa hanche avec une délicatesse pourtant ferme, imprimant doucement ses doigts dans le tissu de ses jupons, les reliant l’un à l’autre, fil d’Ariane de chaleur et d’envies.
Il fit un pas souplement dans son dos jusqu’à être presque contre elle, ne franchissant pas le cap de venir s’affirmer à son dos, préférant se pencher lentement à son oreille dans un sourire taquin qu’elle put deviner jusque dans ses mots, pour qu’elle reconnaisse dans sa courbe l’adversaire qui venait la chercher.


-Il fait sombre, ne me perdez pas en route…
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Axelle
« Je marcherai sur Rome pour vous voir tendre le cou vers moi en attendant que je vous nourrisse. Savez-vous piailler aussi ? Et siffler ? Vous me sifflerez quelque chose n’est-ce pas, pour me remercier au moins, au creux de l’oreille… »

Présumée coupable ? Baliverne, elle l’était, coupable. Coupable et tout aussi injuste que l’Ours, à nier l’évidence. Cette évidence qui lui éclatait à la figure quand, lui tournant le dos, elle put enfin fermer les yeux pour calmer l’agitation de son sang bouillonnant. Salutaires pauses secrètes dans le jeu qui reprenait et que rien n’arrêterait plus. L’arbitre avait disparu emportant avec lui les règles implicites. S’il y avait une chose dont la Bestiole était certaine, c’est que la confrontation serait opiniâtre, qu’aucun des deux duellistes ne se déclareraient vaincus sans avoir lutté jusqu’à la déraison, dussent ils se retrouver tous deux aux abois. Le brun l’annonçait dans ses paroles presque anodines.

« Il fait sombre, ne me perdez pas en route… »


A la faveur de ce dos tourné, elle se permit encore la liberté de se mordre sa lèvre quand la main du brun enveloppa sa hanche et que son souffle lui brula la nuque s’appliquant à garder le trouble d’une distance calculée. Un presque, mais pas, un peut être, un voulez vous. Si le ton de la voix d’Alphonse ne laissait que peu de doutes sur le sourire espiègle qui devait inonder son visage, c’est pourtant la sincérité que choisit la Bestiole.

Lentement sa senestre vint se poser sur la main du brun pour enlacer ses doigts aux siens, espérant et craignant dans un même temps qu’il la découvre vide de tout bijou. Un cambrement léger mais suffisant permit à sa bouche de retrouver l’oreille quand elle tourna la tête, déployant sa gorge presque innocemment quand elle souffla.


J’traversé la moitié du pays pour vous retrouver, c’pas pour vous perdre maintenant. J’m’échapperai pas, et j’refuse d’vous voir disparaître.

Une pincée de vérité qui pointait de temps à autre, comme si le jeu seul avait été insuffisant. Un coin de voile bien plus épais et délicat relevé furtivement, comme pour brouiller les cartes et ne plus savoir, au final, ce qui se jouait réellement. Même si elle s’en défendait, l’emprise d’Alphonse sur elle était bien plus profonde qu’un simple jeu d’orgueil et de désirs. Bien sûr, à cet instant, elle le désirait farouchement, chaque port de sa peau appelant ses baisers, mais au plus profond d’elle, elle voulait plus, bien plus qu’une nuit, aussi torride ou délicieuse de frustration soit t’elle. Au fond de son être, elle qui ne donnait que si peu d’elle, espérait savoir, un peu, ce qui se cachait derrière cette douce arrogance et cette indifférence cultivée avec soin. Elle devinait des blessures profondes derrières le masque. Quelles étaient-elles ? Elle n’en savait rien hors quels mots échappés à l’atelier. L’égalité était de mise, elle n’accepterait le creux confidentiel de son épaule que s’il acceptait la sienne en retour.

Ses yeux habitués à l’obscurité détaillaient les courbes des lèvres à portée, un sentiment étrange de jalousie tortillant son ventre en songeant aux peaux inconnues qu’elles avaient déjà goutées. Était-il possible qu’elles trouvent à la sienne un gout particulier ? Jouer à son jeu, risquer de s’y perdre, ne serait-ce pas prendre le risque, au final, de le perdre, lui. Quel intérêt pourrait-elle encore avoir à ses yeux si elle s’abandonnait à ses mains? La question était à la fois angoissante et déroutante de défit. Mais il était trop tard pour se la poser. Elle avait tranché au plus vif de son existence. Et plus rien ne l’arrêterait.

Un sourire anima ses lèvres et elle laissa à l’adversaire le choix des armes, sans broncher, pour le moment, presque contre lui, presque à sa merci.


Z‘avez d’la chance, c’soir, j’suis pas trop mal lunée. J’vais être docile donc, vu qu’suis pas en état, comme vous dites. La becquée ou l’bain à l’oisillon déplumé en premier, j’vous laisse l’choix. Profitez’en, c’pas tous les jours.

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Alphonse_tabouret
Elle suspendit le temps en lui tendant son cou, et il maudit l’obscurité à laquelle il n’était pas encore tout à fait habitué qui ne lui laissait qu’une ligne vaguement éclairée à observer, à imaginer croquer, mise à nue tandis que le léger cambrement venait le frôler dans le bruissement délicieux des tissus.

J’traversé la moitié du pays pour vous retrouver, c’pas pour vous perdre maintenant. J’m’échapperai pas, et j’refuse d’vous voir disparaître.

Ils restèrent ainsi un instant qui dura, étonnamment long dans sa brièveté, et il en profita pour s’abimer dans les mots qu’elle avait choisi de lui murmurer. Pas de fuite pour ce soir, mais un combat dont les participants ne se retireraient pas, allant jusqu’au bout de l’affrontement, quel qu’en soit l’issue. Des semaines entières à marcher droit devant elle avant d’enfin lui parvenir pour lui offrir cette délicieuse rixe entamée et suspendue, et elle se tenait là, dans l’atmosphère assombrie de cette petite auberge silencieuse, à un souffle de les faire basculer. Qu’est ce qui avait bien pu se passer pour qu’elle choisisse cette voie ? Qu’est ce qui était mort pour qu’elle ait ce désir de vie revenant avec une fougue aussi addictive que surprenante ? Qu’était-elle venue chercher précisément ? Le confort de ce flanc contre lequel elle avait réussi à s’assoupir une nuit ou le feu qu’il lui avait promis en la sommant de ne pas trop le tenter ? Quel masque Axelle avait elle décidé de porter ou bien d’enlever ce soir ?
La réponse fut sans mots, mais charnelle, ses doigts répondant aux siens pour resserrer leurs entrelacs, trop accaparé par le visage de la brune qui émergeait à la faveur de l’âtre vacillant pour se rendre compte qu’il lui manquait une ombre en forme de bague.


Z‘avez d’la chance, c’soir, j’suis pas trop mal lunée. J’vais être docile donc, vu qu’suis pas en état, comme vous dites. La becquée ou l’bain à l’oisillon déplumé en premier, j’vous laisse l’choix. Profitez’en, c’pas tous les jours.

Un mouvement, un seul mouvement aurait suffi pour qu’il cueille cette bouche insolente sans qu’elle ne puisse rien y faire, son corps lié par leurs mains, mais… comment refuser une telle invitation ? Impossible de se précipiter malgré l’envie, ce qu’elle lui promettait valait bien la frustration de ne pas se perdre dans une attaque vivace. Son sourire s’étira, comme repu à cette simple idée et laissa apparaitre l’espace d’un instant toute la satisfaction du félin à sa proie qui l’entraine dans sa danse.

-Docile, répéta-t-il, la bouche toujours ourlée de ce sourire vaguement moqueur de celui qui n’y croyait pas vraiment. Sa senestre remonta traitreusement dans le dos de la jeune femme sans qu’elle la vit, peut être en devina-t-elle le mouvement quand l’épaule pivota doucement mais ce fut en tout cas trop tard. Les doigts avaient saisi le haut de la nuque, empoignant doucement les cheveux bruns, s’y enfouissant avec une lenteur volontairement équivoque, prenant possession de sa tête et la bloquant dans son axe pour qu’elle lise ouvertement dans ses prunelles sombres ce feu qu’elle conduisait à l’incendie. A vouloir titiller l’animal, on finit par le réveiller, semblait lui dire le regard qu’il attardait sans gêne aux lèvres roses si près des siennes. Je voudrais bien voir ça, continua-t-il en laissant une pointe d’amusement diluer doucement sa provocation… Et pour voir ça, je choisis le bain…

Espérais tu vraiment que je choisisse l’autre ?, lui demandaient ses yeux qui la regardaient avec une avidité naissante, espérais tu vraiment que je te sauve galamment de ta propre proposition ? Oh non, Axelle, non… Tu connais les règles, je les ai faites pour toi, mais si tu les transgresses… c’est à tes risques et périls…
Les doigts quittèrent la nuque pour se fondre dans une caresse appuyée dévalant le cou, savourant avec insolence cette chair interdite, la bravant du regard le temps qu’il lui fasse pivoter la tête par l’avant, finissant dans l’esquisse de ses doigt à la naissance de ses épaules. D’un mouvement du corps qu’il plaqua au sien, il la poussa doucement vers l’avant sans pourtant se détacher d’elle, au chaud de cette envie qu’apposaient ses formes diffuses à son ventre.
Le jeu prenait une ampleur nouvelle, exaltante et s’il sentait bien qu’il se tramait plus qu’une simple lutte de désirs, il se laissait porter, malgré lui, entendant presque les tambours lancinants de la danse qu’elle lui avait promise. Axelle possédait quelque chose qu’il voulait, et ce n’était pas que ce corps souple aux pieds effilés… C’était son histoire… Et lui qui n’était pourtant pas bien curieux, voulait la connaitre, sentant chez lui et chez elle une certaine gémellité des sens, de cette solitude chérie, de cette méfiance spontanée de l'autre…


- Menez-moi à votre chambre, chuchota-t-il, plaquant sa bouche à son oreille, laissant l’empreinte de ses lèvres s’y fondre dans un frisson qui crispa les doigts encore et toujours liés aux siens comme un aveu à la ligne rouge qu’il frôlait avec une curiosité affamée, en avançant lui aussi, savourant cette marche lente, ,bizarrement solennelle , finissant de franchir les quelques mètres les séparant du nouveau terrain de jeu.
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Axelle
Et sa main, presque sournoise d’une exigence délicate, assouvissait la Bestiole à sa volonté de la pulpe des doigts s’invitant sur sa peau, jouant d’un frissonnement traitre longeant son cou pour se perdre au creux de ses reins. Sous le miel de la caresse, la poigne intransigeante régissait son regard, l’amenant à s’abimer dans celui du brun et lire, dans cette lueur féline reconnue, les menaces et les promesses. Les mots entendus n’étaient que diversion, c’est les yeux d’Alphonse qui criaient. Et Axelle les entendaient, sans plus de crainte, pourtant. Pas un instant elle ne chercha à s’extraire du feu des prunelles sombres, elle laissait au contraire les siennes s’y alanguir, profondément, s’y bruler insidieusement et en demandait, encore, dans un étrange dialogue muet.

Si j’voulais pas me perdre Alphonse, j’serais pas venue à toi.


Et la main à nouveau imposa, l’arrachant aux flammes du regard quand le corps serré à son dos la poussait vers l’avant, interdisant toute retraite toute hésitation. Hésitations ? Si une seule avait osé s’insinuer en elle, l’empreinte affolante de sa bouche à son oreille l’aurait noyé dans un claquement de doigt

« Menez-moi à votre chambre »


Aux doigts qui se serraient sur sa main répondirent les siens, comme si eux aussi avaient un langage, encore différent de celui des yeux, de celui des lèvres, la bousculant magistralement entre ardeurs et émois. Et elle avança, maudissant cette dextre inoffensive, inutile quand le duel s’annonçait acharné, magnifique. Son pas était calme et posé jouant les faux semblants à la perfection, s’amusant du prétexte avec une légèreté bienvenue.

Les marches escarpées de bois craquèrent sous leurs pas complices et la porte couina quand de la pointe du pied elle la referma sur eux. La chambrée était chaude du feu crépitant dans la cheminée où la crémaillère supportait un petit chaudron de cuivre. Sous les effluves boisées inondant la chambrée, la Bestiole ne put que sourire à l’application de la tenancière. Si la chambre était petite, au mobilier simple, presque désuet, elle était d’une propreté méticuleuse. Comme à chacune de ses haltes, elle avait demandé de l’eau pour le rituel brutal des ablutions matinales, mais s’amusa de découvrir une large cuvette de terre cuite et son broc sur la petite table et une pile de linge propre méticuleusement pliée à leur coté. Sans lâcher la main d’Alphonse, elle se libera de l’emprise de son corps en tournant sur elle-même, ses yeux se posant sur un mot laissé d’une écriture enfantine.

"La petite à tout mangé et dort comme un petite ange. Reposez vous bien, je me suis occupée de tout."

Un petit rire s’échappa des lèvres d’Axelle. Un petit ange, il fallait vraiment que la femme soit gentille ou en manque d’enfant pour qualifier la Bidulette de petit ange. Non, elle était simplement bonne, et ce n’était certainement le supplément d’argent octroyé pour la charge supplémentaire qui justifiait ses attentions. La distraction fut de courte durée, et rapidement ses yeux replongèrent sur le Brun recaptant toute son attention.

Elle dénoua ses doigts des siens pour tirer sur le cordon de sa cape, la laissant glisser au sol dans un bruit flasque. Et plantée là dans sa vieille robe rouge, elle le regarda longuement, les yeux louvoyant et irrémédiablement attirée, s’approcha. Penchant doucement la tête pour laisser son souffle se perdre dans son cou elle y souffla dans un sourire sournois.


J’suis désolée, pas d’baquet ici, pensiez pas qu’j’vous rendrais la tâche facile tout d’même, garde malade, c’pas simple.

Et finalement, ne pouvant résister davantage à son odeur, elle s’y posa du bout des lèvres se permettant un écart presque maitrisé si la pointe de sa langue aventureuse ne s’était échappée, trop gourmande, encore. Son corps se tendit sous le gout de sa peau, à peine perçu, dont elle se privait, pour attiser l’envie d’y revenir. La défaillance passée, elle remonta le nez, mine de rien, le visage tout plein d’une fausse innocence et d’un vrai sourire.


Mais, j’suis certaine qu’z’êtes plein d’ressources.
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Alphonse_tabouret
Dans la chaleur de la chambrée, alcôve personnelle dans laquelle elle venait de les enfermer, le jeune homme laissa les doigts de la gitane s’échapper, curieux, odieusement curieux de ce qu’elle était venue chercher, provoquer et de ce qu’elle donnerait.
Axelle était indéniablement ce joyau brut qui l’avait fasciné à l’atelier, habillée de ses moues fermées, dans le confort de ce corps qu’elle préservait sauvagement. Il avait vu sous l’argot haché et la rudesse des mots, la délicatesse de la danseuse, la façon dont ses courbes se mouvaient silencieusement sous un air imaginaire… Et ce soir, à la faveur de ses retrouvailles chaotiques, à la fois emplies d’une ferveur partagée et catégorique, elle avait choisi de revenir à ses premières amours : le feu, le jeu, la provocation. Elle dévoilait enfin ses armes avec une liberté qui le subjuguait, et il n’avait pas envie d’y résister, si ce n’était pour cette curiosité dans ses prunelles sombres qui la dévorait des yeux tandis que la cape glissait au sol. Les aveux s’arrachaient avant la jouissance, sinon, ils prenaient un gout de confidence et la confidence était une chose précieuse, délicate, presque dérangeante, qu’Alphonse avait du mal à recevoir. Combien de fois avait-il réchauffé, le temps d’une nuit, un corps transi pour le distraire, lui rappeler que le plaisir était un bon élixir, que parfois, c’était au prix d’une folie qu’on retrouvait la raison ? Combien d’abandons volontaires dans des bras qui ne demandaient juste qu’une échappatoire, un ailleurs pour quelques heures ? Combien de nuits passer lui-même à oublier, se servant de chacun d’eux pour ne plus penser et s’abimer dans leur luxure pour y laisser exploser la sienne ?
Un sourire vint à ses lèvres tandis que les pensées se délayaient dans l’appréciation charnelle de ce corps souligné de rouge qui le narguait à portée de bras. Axelle avouerait elle ou se confierait elle ? Et surtout qu’en ferait-il ? N’était-ce au fond pas là sa plus grande curiosité, à lui, l’inflexible égoïste ?
Qu’importait au fond qu’il se noie entre ses cuisses, qu'elle s’abandonne à la langueur de son souffle entrecoupé, ou qu’ils combattent toute la nuit, flirtant sur le fil du rasoir, qu’elle le dise maintenant ou plus tard… le jeu l'emportait, avec leurs règles bien à eux, leurs non dits, leurs acquis... que chambouleraient ils au juste, cela restait à voir et c'était bien cette indiscrétion qui le rongeait avec vivacité.

Dangereusement séduisante, elle s’approcha et gagna son cou pour y jeter une nouvelle provocation dans un chapelet de mots avant de conclure par un baiser diffus à son cou, où la pointe de sa langue gouta sa peau dans une caresse presque incontrôlée qu’il savoura dans un frisson délicieux qui le submergea jusqu’au bout des doigts et qu’il noya sans se cacher dans les prunelles sombres qu’elle releva vers lui. Contre lui, le corps de la brune s’éveillait sensuellement de ses propres audaces, et au vrai sourire et à la fausse innocence, il répondit par un air où se mélangeaient la malice et l’envie, où l’idée de leurs corps mêlés se reflétait sans aucune pudeur, où la fièvre de son imagination l’emportait irrémédiablement, dans une bourrasque insensée. Si les yeux ne mentaient pas, le corps lui, restait étonnamment souple, contrôlé, habile serviteur d’un propriétaire rompu à la feinte la plus impénétrable, héritage solide et salvateur de vingt années de servitude placide. La rébellion était trop neuve chez le jeune Tabouret pour qu’il s’y laisse aller aussi promptement.


Mais, j’suis certaine qu’z’êtes plein d’ressources.

-Vous n’imaginez pas à quel point, lui assura-t-il à mi-voix en venant cueillir d’une paume le bas du visage de la gitane pour le garder près de lui et se battre, duelliste, avec l’envie de plonger dessus, de s’en approprier chaque centimètre d’une fouge qui grondait avec de plus en plus d’emphase. Le pouce suivit la courbe de la lèvre inférieure d’une caresse légère en y abimant le regard, et il poussa le vice jusqu’à s’en pourlécher les babines de la pointe de la langue avant de se consacrer de nouveau à son regard de braise et de parfums. Qu’importe le baquet ou la cuvette, pour se laver, il s’agit d’abord de se dévêtir Le sourire s’aiguisa, révélant un tranchant amusé, dans un éclat neuf tandis que la senestre venait s’aventurer sur l’épaule droite d’Axelle, la dévalant jusqu’au poignet où naissait le bandage de cuir qu’avait posé la rebouteuse. Il pencha la tête jusqu’à ce que sa tempe se pose à la sienne et s’y appuya, s’y frotta doucement, le bout du nez venant s’enfouir dans les cheveux bruns, frôlant l’oreille. Malheureusement pour vous, continua-t-il en caressant distraitement le poignet, vous vous êtes sottement estropiée La dextre quitta le visage qu’il tenait encore pour glisser dans le cou de la brune et s’y enrouler, serpentin. Il la tint ainsi, palpitante dans cette étreinte où tout était encore contenu, où tout ne demandait qu’à exploser et où les artificiers luttaient avec grâce. Son corps lové au sien, tous deux fatras de frustrations délicieuses, il vint mordre le lobe sans en cacher l’assaut, venant assouvir brièvement cette envie de sa chair à sa bouche savourant sous chacun des doigts imprimés à son cou, ce que sa gorge allait lui révéler, si proche. Souhaitez-vous de l’aide pour y arriver ? demanda-t-il , taquin, le parfum d’Axelle enfin en bouche, sur le bout de la langue, joyeusement enivré de cette question qui venait enfin de trouver sa réponse après tant de semaines : Elle avait un goût de fruit.

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Axelle
« Le désir est une vertu déshabillée. »
Eugène Beaumont



Il n’y aurait pas de pleurs, pas de cris, pas de confidences désespérées. Elle n’était pas venue pour cela. Elle était venue par simple envie d’être avec lui, de partager encore. Partager quoi ? Une fièvre ? Des rires ? Quelle importance tant qu’il était là. Elle ne serait pas jugée, pas forcée, pas rabrouée. Et là, le menton déposé dans la paume du brun, le passé s’effilochait, le futur restait délaissé, trop insaisissable pour tenter de le deviner, elle avait bien appris sa leçon. Seul éclatait le présent, instinctif, spontané, salvateur et la Bestiole s’y prélassait, se gorgeant sans retenue de son insouciance qui faisait voler en éclat chaque porte qu’elle avait cru verrouillée. Et c’était enivrant, bon comme rien au monde, tout autant que la douce caresse sur son poignet, que ce pouce qui cueillait ses lèvres dans une sensualité dévastatrice. Elle dévorait du regard cette langue impie qui la narguait, qu’elle voulait sienne. Son corps, se lova sinueusement contre celui d’Alphonse, épousant souplement chaque courbe des siennes, l’aguichant sous le tissu trop usé et fin pour cacher ses pleins et ses déliés. Et quand enfin elle put détacher son regard de la langue gourmande et irrésistiblement provocante, le feu ravageait ses prunelles aiguisées d’une fièvre ardente sans qu’elle ne cherche un seul instant à la cacher.

« Malheureusement pour vous, vous vous êtes sottement estropiée… »

Et la danse ne faisait que commencer. La Bestiole se prit à ronronner quand tempe contre tempe, le nez du brun se faufila entre ses mèches, félin appâtant la proie, la préparant doucement à une attaque encore diffuse dont les desseins s’affinèrent sous les doigts glissant dans son cou, prenant possession, hypnotique. Et l’attaque fusa, si vive si précise, que son souffle sursauta dans une légère plainte suppliante d’être dévorée sans plus d’attente tant le désir la suppliciait. Pourtant, par fierté peut être, ou par simple envie d’être encore torturée, elle tut la lame brulante de ses entrailles, et rouvrit les yeux qui avaient céder à l’aveuglement.

« Souhaitez-vous de l’aide pour y arriver ? »


Doucement, sous la caresse de leurs cheveux mêlés, sa tempe s’échappa à l’emprise de sa jumelle pour laisser son front la remplacer et glisser doucement jusqu’à celui du brun pour s’y laisser choir, dans leurs souffles si proches qu’ils s’enroulaient l’un à autre, insoumis, prenant la liberté de s’aimer sans en avoir l’autorisation. Sa senestre, se faufila entre leurs corps et remonta lentement le long du buste geôlier, ses doigts, bien que piaffant d’impatience restant sages, même si la curiosité de percer le mystère de la chemise suintait au travers du tâtonnement léger. Ils trouvèrent enfin refuge sur le cordon de la chemise, s’en jouant distraitement, feignant la maladresse, avant de le dénouer d’un geste habile et prompt. Et un sourire aiguisé, à l’orée des lèvres d’Alphonse, s’étira plein de malice.


Ouais, j’ai besoin d’aide, j’suis pas fichue d’faire qu'que chose d’la gauche, dit-elle alors que celle-ci, du bout des doigts, écartait lentement le tissu, frôlant la peau ainsi découverte de la saillie de la clavicule jusqu’à faire bailler le tissus sur l’épaule que seul l’attrait des lèvres à proximité sauvait encore d’être dévorée. Aidez-moi…

Puis, comme pour se justifier, user encore de faux prétextes, elle dénicha celui qui tant de fois déjà avait jalonné leurs faces à faces.

L’soucis, c’est qu’après avoir payé l’auberge, la rebouteuse, mentit elle sans honte, j’aurai pu d’quoi vous offrir un quelconque remerciement pour vot’ application à m’soigner, voyez, j’suis encore plus sotte qu’vous l’pensiez, pis comme j’aime pas être redevable, l’savez, j’dois trouver aut’chose. Le ton de sa voix se fit plus enrouée, gorgée d’un souffle envieux, J’ai donc pas grand-chose à vous proposer, mais qu’choisissez vous ? Une confidence ? Une réponse ? Un défit ? Ses yeux remontèrent aux siens, mêlant les flammes en un incendie explosif. Un baiser ?

Avait-elle une préférence sur le choix qu’il annoncerait ? Non, l’ordre des choses n’avait plus d’importance.

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