Anatole.
- Laissez-nous, je vous prie.
Tirant doucement la porte derrière lui, Anatole tira machinalement sur sa veste avant de descendre les quelques marches le ramenant à la salle principale de la taverne. Regardant machinalement par la fenêtre, il constata quil pleuvait, ce qui le ramena à ce constat inéluctable : la Bretagne, en hiver, cest à déconseiller aux âmes désespérées. En plus, cest complètement pourri niveau ensoleillement.
Des mois quils étaient ici, dabord dans le but de «sauver Doudinet» puis de « conquérir la Bretagne » avant de «trouver un prince ou deux histoire de remplir le CV» et finalement de «sauver les plus nécessiteux en leur offrant notre condescendance exacerbée» et toujours «détablir notre domination mondiale sur le peuple qui ne nous mérite pas». Rien de bien nouveau, donc, pour les poneys, la seule modification du programme depuis des années ayant été lintitulé de la région à conquérir. Mais allez savoir pourquoi, cette fois-ci, quelque chose avait changé. Lâge, sans doute, même si ce sujet restait absolument tabou chez les poneys roses, lensemble ayant longuement débattu du sujet pour établir quil était inconcevable quils dépassent la « fraîcheur de 19 printemps », quand bien même certains membres finissaient par clairement avoir vécu 2 fois ladite fraîcheur. Lâge ou alors lalcool. On pouvait trouver un alcool absolument correct en Bretagne et pour sa part, sa maîtresse avait dans ses caves personnelles dabsolus chefs duvre en vins de toute origine, mais la mirabelle qui lavait soutenue pendant des années était désormais finie, et rien nindiquait quune nouvelle cargaison arrive. Pendant pas loin de trois semaines il avait accompagné les femmes de marin guettant leurs époux sur le port, scrutant lhorizon à la recherche dune voile signalant larrivée dune cargaison mais rien, rien. A part des sardines et des crabes, ces incapables étaient infichus de ramener un truc à boire digne de ce nom. Et en plus les mouettes visaient sacrément trop bien.
De toute façon, cela nétait pas vraiment le problème principal du moment, même si évidemment, cela en rajoutait sur les nerfs. Non, la situation était pire, bien pire que ça. Tout dabord la maladie qui pour une fois (un dieu compatissant ?) avait cloué au lit la brune pendant des mois. Quoiquinquiétants, ce furent définitivement les plus beaux jours de la vie dAnatole, la vicomtesse ayant plongé dans une espèce de sommeil profond, lempêchant de parler, hurler ou réclamer quoique ce soit pour la première fois depuis son acquisition du langage (acquisition que lon dit « beaucoup trop précoce » soit dit en passant). Les médicastres appelés au chevet furent unanimes : il avait une chance de pendu, car rien nexpliquait ce silence et ce sommeil, mais « putaize de kerbordel, ça arrivera ptêtre pas 2 fois dans votre vie un truc comme ça, piochez donc dans ce tonneau, ça ma lair dun bon bourgogne ». Evidemment, en y repensant, il aurait dû réagir plus vite, soit en posant une bonne fois pour toute un coussin sur sa tête pendant ½ heure histoire dêtre sûr, soit en prévenant sa famille ou ses proches pour se débarrasser du problème mais, voilà, il était homme, il était faible et la perspective dêtre tranquille pendant plusieurs mois lavait un peu écarté des réalités.
Alors oui, ce fut un peu dur quand elle se réveilla. Pour lui, pas pour elle. Elle, même faible et coincée au lit, elle aurait pu retrouver toutes ses forces en deux temps trois mouvements, mais pour lui le réveil fut plus brutal. Surtout quand elle lui demanda douvrir le courrier. Oui, évidemment, ouiiiii, il aurait pu le faire pour soccuper entre deux promenades sur les quais, mais pouvez-vous seulement imaginer ce que cest que de profiter pleinement de son temps, de pouvoir décider le matin même de ce que lon fera laprès-midi, voire même de rester au lit toute la journée pour terminer enfin lexégèse de Saint Christophin sans être interrompu par des « Anatoooooooooooole ! Mon ruban ! Jai perdu mon ruban rouge ! Hiiii ! Je suis défigurée à vie ! » ? Non, sans doute pas. Alors oui, cest vrai, il aurait pu tiquer en voyant les sceaux de certains expéditeurs mais bon, que voulez-vous, pendant ce temps là on lui proposait de découvrir la pêche à pied et le beurre demi-sel alors chacun ses priorités, hein.
De toute façon, les ¾ du courrier étaient inintéressants. Blablabla-élisez-votre-maire, blablabla-une-bretagne-unie, blablabla-cest-la-guerre, bref que des nouvelles clairement oubliables. Et soyons honnêtes, même éveillée, elle aurait balancé tout ça au feu. Alors bon, daccord, oui, certes, éveillée, elle aurait surveillé pour savoir si son allégeance était bien parvenue en Périgord. Mais bon, il lavait envoyée pour elle, non ? Et dhabitude les pigeons étaient fiables. Alors à quoi bon surveiller ? Et puis le comte était un homme intelligent, jamais il nirait retirer les titres de quelquun de malade sous prétexte que lallégeance nétait pas arrivée, hein ? Non, ces choses là arrivaient quand on avait un régnant absolument mesquin et étriqué desprit, mais là il ny avait pas de risque. Ha ha. Non parce quà la réflexion cétait amusant, quand même, non ? Rayer des années de travail en une phrase, sans même prendre le temps de se renseigner sur sa situation, cétait un tantinet comique, non ? Destituée en moins de temps quil nen faut pour dire « mirabelle » Destituée de ses titres les plus chéris, de ceux quelle avait arrachés à son mari mourant, organisant de grandes soirées « poules et poneys » et dépensant sans compter pour repeindre ses fiefs tout en rose. Destituée de ce quelle avait fait rayonner partout sur son passage, des tavernes de Bourgogne en passant par des tournois de Genève jusquau Louvre Bon mais ce nétait pas comme si cétait toute sa vie, hein ? Elle avait encore de la mirabelle. Ah non, tiens. Bon mais oui, bon
Autant le dire tout de suite, elle navait pas pris la nouvelle avec beaucoup denthousiasme. Oui, certes, elle avait eu une espèce dattaque qui lavait de nouveau laissée catatonique pendant quelque temps, les yeux ouverts plein deffroi sur le mur de la taverne. Pendant ce temps là, il avait surveillé, histoire de voir si quelquun à lhérauderie allait sétonner de la situation, ou même si quelquun allait juste se renseigner sur ce qui lavait rendue muette pendant des mois, mais bon, peut-être était-ce une justice divine mais personne navait bougé le petit doigt. Il avait tenté plusieurs techniques, du réconfort « allez, il y a plein de nobles à dévaliser par ici, allez savoir, vous serez peut-être princesse pour le début dannée » à la raison provocatrice « il y a quand même une justice, personne ne pouvait décemment vous prendre pour une vicomtesse quand vous vous baladiez en petite tenue dans les concours délevage de poules hein ». Rien, pas une réaction, pas de petit mouvement nerveux au coin de lil. De nouveaux jours de silence mais beaucoup plus inquiétants, ceux-là. Alors oui, encore une fois, oui, il aurait pu prévenir les poneys, créer une alerte nationale « poney en détresse », mais vous auriez vu ces couchers de soleil silencieux sur la côte, sincèrement, vous aussi vous auriez repoussé au lendemain. Et puis bon, cest bien connu, cest increvable, les poneys, il leur faut juste un peu de temps pour digérer.
Dailleurs, elle avait fini par émerger, hein. Ce matin, il lavait trouvée assise dans le lit, regardant ses mains fixement mais avec un rien de décidé qui lavait un peu rassuré. Une brune décidée, cétait le retour des aventures de poneys. Dailleurs, elle lavait surpris en lui demandant de noter ce quelle avait à lui dire, mais rien de grave, cétait du grandiloquent classique et sans doute juste la preuve quelle réalisait quune nouvelle ère souvrait. Et dailleurs, dès demain, il écrirait aux poneys pour leur raconter un peu la situation et ils trouveraient bien de quoi le remettre daplomb. Une invasion de lAngleterre ou lachat dun bateau pour pirater les côtes de Guyenne (parce que si on ne peut plus samuser avec la Guyenne alors à quoi bon, hein, je vous le demande ?) Là, elle était un peu sous le choc, dailleurs elle avait demandé un pichet deau, sans même préciser « de vie », mais ça allait lui revenir et puis dès quelle réaliserait que la servante nétait pas habituée, elle hurlerait au meurtre en faisant des signes de choppe dhorreur, il la connaissait par cur. Non, là, honnêtement, ce quil fallait faire, cétait profiter une dernière soirée dun peu de tranquillité en feuilletant lexcellente analyse liturgique des apophtegmes de Saint Ursin des Carpates au coin du feu. Et demain serait un nouveau jour, plein de poneys roses. Mais dabord une tartine de beurre salé.
Tirant doucement la porte derrière lui, Anatole tira machinalement sur sa veste avant de descendre les quelques marches le ramenant à la salle principale de la taverne. Regardant machinalement par la fenêtre, il constata quil pleuvait, ce qui le ramena à ce constat inéluctable : la Bretagne, en hiver, cest à déconseiller aux âmes désespérées. En plus, cest complètement pourri niveau ensoleillement.
Des mois quils étaient ici, dabord dans le but de «sauver Doudinet» puis de « conquérir la Bretagne » avant de «trouver un prince ou deux histoire de remplir le CV» et finalement de «sauver les plus nécessiteux en leur offrant notre condescendance exacerbée» et toujours «détablir notre domination mondiale sur le peuple qui ne nous mérite pas». Rien de bien nouveau, donc, pour les poneys, la seule modification du programme depuis des années ayant été lintitulé de la région à conquérir. Mais allez savoir pourquoi, cette fois-ci, quelque chose avait changé. Lâge, sans doute, même si ce sujet restait absolument tabou chez les poneys roses, lensemble ayant longuement débattu du sujet pour établir quil était inconcevable quils dépassent la « fraîcheur de 19 printemps », quand bien même certains membres finissaient par clairement avoir vécu 2 fois ladite fraîcheur. Lâge ou alors lalcool. On pouvait trouver un alcool absolument correct en Bretagne et pour sa part, sa maîtresse avait dans ses caves personnelles dabsolus chefs duvre en vins de toute origine, mais la mirabelle qui lavait soutenue pendant des années était désormais finie, et rien nindiquait quune nouvelle cargaison arrive. Pendant pas loin de trois semaines il avait accompagné les femmes de marin guettant leurs époux sur le port, scrutant lhorizon à la recherche dune voile signalant larrivée dune cargaison mais rien, rien. A part des sardines et des crabes, ces incapables étaient infichus de ramener un truc à boire digne de ce nom. Et en plus les mouettes visaient sacrément trop bien.
De toute façon, cela nétait pas vraiment le problème principal du moment, même si évidemment, cela en rajoutait sur les nerfs. Non, la situation était pire, bien pire que ça. Tout dabord la maladie qui pour une fois (un dieu compatissant ?) avait cloué au lit la brune pendant des mois. Quoiquinquiétants, ce furent définitivement les plus beaux jours de la vie dAnatole, la vicomtesse ayant plongé dans une espèce de sommeil profond, lempêchant de parler, hurler ou réclamer quoique ce soit pour la première fois depuis son acquisition du langage (acquisition que lon dit « beaucoup trop précoce » soit dit en passant). Les médicastres appelés au chevet furent unanimes : il avait une chance de pendu, car rien nexpliquait ce silence et ce sommeil, mais « putaize de kerbordel, ça arrivera ptêtre pas 2 fois dans votre vie un truc comme ça, piochez donc dans ce tonneau, ça ma lair dun bon bourgogne ». Evidemment, en y repensant, il aurait dû réagir plus vite, soit en posant une bonne fois pour toute un coussin sur sa tête pendant ½ heure histoire dêtre sûr, soit en prévenant sa famille ou ses proches pour se débarrasser du problème mais, voilà, il était homme, il était faible et la perspective dêtre tranquille pendant plusieurs mois lavait un peu écarté des réalités.
Alors oui, ce fut un peu dur quand elle se réveilla. Pour lui, pas pour elle. Elle, même faible et coincée au lit, elle aurait pu retrouver toutes ses forces en deux temps trois mouvements, mais pour lui le réveil fut plus brutal. Surtout quand elle lui demanda douvrir le courrier. Oui, évidemment, ouiiiii, il aurait pu le faire pour soccuper entre deux promenades sur les quais, mais pouvez-vous seulement imaginer ce que cest que de profiter pleinement de son temps, de pouvoir décider le matin même de ce que lon fera laprès-midi, voire même de rester au lit toute la journée pour terminer enfin lexégèse de Saint Christophin sans être interrompu par des « Anatoooooooooooole ! Mon ruban ! Jai perdu mon ruban rouge ! Hiiii ! Je suis défigurée à vie ! » ? Non, sans doute pas. Alors oui, cest vrai, il aurait pu tiquer en voyant les sceaux de certains expéditeurs mais bon, que voulez-vous, pendant ce temps là on lui proposait de découvrir la pêche à pied et le beurre demi-sel alors chacun ses priorités, hein.
De toute façon, les ¾ du courrier étaient inintéressants. Blablabla-élisez-votre-maire, blablabla-une-bretagne-unie, blablabla-cest-la-guerre, bref que des nouvelles clairement oubliables. Et soyons honnêtes, même éveillée, elle aurait balancé tout ça au feu. Alors bon, daccord, oui, certes, éveillée, elle aurait surveillé pour savoir si son allégeance était bien parvenue en Périgord. Mais bon, il lavait envoyée pour elle, non ? Et dhabitude les pigeons étaient fiables. Alors à quoi bon surveiller ? Et puis le comte était un homme intelligent, jamais il nirait retirer les titres de quelquun de malade sous prétexte que lallégeance nétait pas arrivée, hein ? Non, ces choses là arrivaient quand on avait un régnant absolument mesquin et étriqué desprit, mais là il ny avait pas de risque. Ha ha. Non parce quà la réflexion cétait amusant, quand même, non ? Rayer des années de travail en une phrase, sans même prendre le temps de se renseigner sur sa situation, cétait un tantinet comique, non ? Destituée en moins de temps quil nen faut pour dire « mirabelle » Destituée de ses titres les plus chéris, de ceux quelle avait arrachés à son mari mourant, organisant de grandes soirées « poules et poneys » et dépensant sans compter pour repeindre ses fiefs tout en rose. Destituée de ce quelle avait fait rayonner partout sur son passage, des tavernes de Bourgogne en passant par des tournois de Genève jusquau Louvre Bon mais ce nétait pas comme si cétait toute sa vie, hein ? Elle avait encore de la mirabelle. Ah non, tiens. Bon mais oui, bon
Autant le dire tout de suite, elle navait pas pris la nouvelle avec beaucoup denthousiasme. Oui, certes, elle avait eu une espèce dattaque qui lavait de nouveau laissée catatonique pendant quelque temps, les yeux ouverts plein deffroi sur le mur de la taverne. Pendant ce temps là, il avait surveillé, histoire de voir si quelquun à lhérauderie allait sétonner de la situation, ou même si quelquun allait juste se renseigner sur ce qui lavait rendue muette pendant des mois, mais bon, peut-être était-ce une justice divine mais personne navait bougé le petit doigt. Il avait tenté plusieurs techniques, du réconfort « allez, il y a plein de nobles à dévaliser par ici, allez savoir, vous serez peut-être princesse pour le début dannée » à la raison provocatrice « il y a quand même une justice, personne ne pouvait décemment vous prendre pour une vicomtesse quand vous vous baladiez en petite tenue dans les concours délevage de poules hein ». Rien, pas une réaction, pas de petit mouvement nerveux au coin de lil. De nouveaux jours de silence mais beaucoup plus inquiétants, ceux-là. Alors oui, encore une fois, oui, il aurait pu prévenir les poneys, créer une alerte nationale « poney en détresse », mais vous auriez vu ces couchers de soleil silencieux sur la côte, sincèrement, vous aussi vous auriez repoussé au lendemain. Et puis bon, cest bien connu, cest increvable, les poneys, il leur faut juste un peu de temps pour digérer.
Dailleurs, elle avait fini par émerger, hein. Ce matin, il lavait trouvée assise dans le lit, regardant ses mains fixement mais avec un rien de décidé qui lavait un peu rassuré. Une brune décidée, cétait le retour des aventures de poneys. Dailleurs, elle lavait surpris en lui demandant de noter ce quelle avait à lui dire, mais rien de grave, cétait du grandiloquent classique et sans doute juste la preuve quelle réalisait quune nouvelle ère souvrait. Et dailleurs, dès demain, il écrirait aux poneys pour leur raconter un peu la situation et ils trouveraient bien de quoi le remettre daplomb. Une invasion de lAngleterre ou lachat dun bateau pour pirater les côtes de Guyenne (parce que si on ne peut plus samuser avec la Guyenne alors à quoi bon, hein, je vous le demande ?) Là, elle était un peu sous le choc, dailleurs elle avait demandé un pichet deau, sans même préciser « de vie », mais ça allait lui revenir et puis dès quelle réaliserait que la servante nétait pas habituée, elle hurlerait au meurtre en faisant des signes de choppe dhorreur, il la connaissait par cur. Non, là, honnêtement, ce quil fallait faire, cétait profiter une dernière soirée dun peu de tranquillité en feuilletant lexcellente analyse liturgique des apophtegmes de Saint Ursin des Carpates au coin du feu. Et demain serait un nouveau jour, plein de poneys roses. Mais dabord une tartine de beurre salé.