Morelius
Ils approchaient de Dax et au fur et à mesure qu'ils s'avançaient entre les halliers déshabillés par l'hiver, repère rêvé pour quiconque administre au moyen d'un coutel les derniers sacrements, Morelius eut la nette impression qu'on leur emboîtait le pas. Du moins les épiait-on, de cela il était sûr. Transpercé par le regard glacial d'une Gorgone eût été plus proche de la vérité, malgré la brusque tombée du brouillard sur la route Béarn-Gascogne. Il n'entendait plus les trilles enchanteurs des corbeaux perchés sur les hauteurs, la brise s'était tue. Comme saisi d'effroi, le temps ne volait plus.
Un silence angoissant, une vacuité pesante, la mort en personne claquait des dents de froid et craignait sa propre ombre.
Puis il y eut soudain dans l'invisible, un cri déchirant qu'avait précédé un curieux air de flûte. Curieux autant que familier, mais du diable si le spadassin se souvenait en quelle occasion... Puis ce cri derechef. Et quel cri, mes aïeux ! À vous fendre l'âme. Un cri qui traduisait toute la souffrance, tout le désespoir, toute la détresse du monde ; un hurlement de bête sauvage à l'agonie qui évoquait le Gévaudan, l'Ardèche et ses landes maudites, l'auberge des assassins, et ce genre de légende à vous faire venir du poil de sanglier sur l'échine tandis que vous parvient du fond des bois la lancinante mélopée d'une vielle à roue.
Un sanglier ? Mais oui, c'était cela, le cri : un solitaire, juste là-devant, à vingt queues de renard, dans le lacet, couché sur le flanc droit, aux pieds d'un cairn de pierres qui balisait la fourche, et sur lequel une main anonyme avait jadis buriné une Patte d'Oie, la griffe, le logo des premiers bâtisseurs, du temps que l'intelligence habitait encore avec les hommes et qu'ils savaient tirer le miel du rocher, juste avant que la lune n'apparaisse et les crétinise.
Le mercenaire aux blancs cheveux approcha de l'animal. Il était blessé à la gorge, une plaie béante qui coulait le sang gros comme le poing. On eût dit luvre d'une lance qu'on avait enfoncé à dessein jusques à l'ardillon, tourné, vrillé, puis arraché d'un coup sec avec les lambeaux de chair vive qui s'étaient mis après. Une vilenie, un travail de félon, un fait de basse douve.
- Mmmfff, ourf, wharff... Providence nous offre là le repas du soir. Qu'en dis-tu, marquise ?
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Un silence angoissant, une vacuité pesante, la mort en personne claquait des dents de froid et craignait sa propre ombre.
Puis il y eut soudain dans l'invisible, un cri déchirant qu'avait précédé un curieux air de flûte. Curieux autant que familier, mais du diable si le spadassin se souvenait en quelle occasion... Puis ce cri derechef. Et quel cri, mes aïeux ! À vous fendre l'âme. Un cri qui traduisait toute la souffrance, tout le désespoir, toute la détresse du monde ; un hurlement de bête sauvage à l'agonie qui évoquait le Gévaudan, l'Ardèche et ses landes maudites, l'auberge des assassins, et ce genre de légende à vous faire venir du poil de sanglier sur l'échine tandis que vous parvient du fond des bois la lancinante mélopée d'une vielle à roue.
Un sanglier ? Mais oui, c'était cela, le cri : un solitaire, juste là-devant, à vingt queues de renard, dans le lacet, couché sur le flanc droit, aux pieds d'un cairn de pierres qui balisait la fourche, et sur lequel une main anonyme avait jadis buriné une Patte d'Oie, la griffe, le logo des premiers bâtisseurs, du temps que l'intelligence habitait encore avec les hommes et qu'ils savaient tirer le miel du rocher, juste avant que la lune n'apparaisse et les crétinise.
Le mercenaire aux blancs cheveux approcha de l'animal. Il était blessé à la gorge, une plaie béante qui coulait le sang gros comme le poing. On eût dit luvre d'une lance qu'on avait enfoncé à dessein jusques à l'ardillon, tourné, vrillé, puis arraché d'un coup sec avec les lambeaux de chair vive qui s'étaient mis après. Une vilenie, un travail de félon, un fait de basse douve.
- Mmmfff, ourf, wharff... Providence nous offre là le repas du soir. Qu'en dis-tu, marquise ?
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