Labda
« Si la liberté grise, la famille rassure »
Bourges 31 octobre 1460, au soir
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- Maurice Chapelan
- Labda était rentrée chez elle, parce que lhiver nest pas propice aux affaires du saltimbanque. Parce quelle aurait sous peu rencontré la brutalité des neiges, la morsure du froid, et quelle nen avait, cette année, ni la force ni la volonté. Labda était rentrée chez elle pour retrouver sa jeune sur, cloîtrée dans son bordel, mélange de saveurs et de douceurs, alcôve merveilleuse. Elle était finalement rentrée chez elle car le Berry manquait cruellement à sa chair. Son corps tout entier le réclamait, terre de souillures et damertume.
Mais cétait là un retour déçu, duquel il émanait cette si particulière odeur de sang qui, sournoisement, attirait lenfant. Leffluve lui promit mille soulagements ! Elle lui dit, lui susurra, que sa course était lancée et quon ne pouvait arrêter une vengeance en marche. Allez, lui dit-elle séduisante, exauce ma volonté et tu en seras pleinement récompensée ! Elle lui promit la tranquillité de lesprit. La tranquillité de lâme ! Cest si beau, si enviable Alors à quoi bon refuser lappel du démon ? Comment seulement songer à négliger loffre ? Cétait un choix sans lêtre, car Lindor nétait plus corruptible, mais disons plutôt, déjà corrompue.
Seule la gifle de June nétait responsable de cet engrenage, dautres chaînes et maillons rouillés sy entremêlaient déjà. Une dernière chose seulement avait entraîné le précieux mécanisme dans sa course effrénée : ironie du sort, Orian participait au meurtre de son père ! Ô joie, ô allégresse ! Car Labda avait été convaincue, de par la dernière lettre du jeune berrichon, creuse, trop amère à son goût, trop violente, quil nen était pas le commanditaire. Alors qui ? Son esprit torturé en était alors venu à la conclusion si folle et pourtant, toute simple, de la mort de lamant. Tué par son propre père, probablement. C'est ainsi que vengeance était devenue nécessaire.
Engeance de malheur, crève, crève !
Vengeance était en marche. Plus quune histoire d'honneur car quel honneur peut se vanter davoir une fille de rien ? laffaire était viscérale, animale. Disons, instinctive. Jusquà la mort un chien enragé défendra sa part de viande, soit-elle minime. Jusquà la mort la louve défendra son louveteau ! Ou presque. Une chose seule était certaine, la haine, vouée par lun à légard de lautre.
Bourges 31 octobre 1460, au soir
- Il faisait nuit noire déjà, et les rues de la capitale doucement s'étaient vidées. Seuls quelques badauds gémissant se faisaient encore entendre au coin des rues, quelques soudards insidieux et quelques filles de mauvaise vie que l'on apercevait à peine. La nuit recouvrait tout de son manteau dhiver, tandis quun vent sifflant traversait la cité de part et d'autre. Les quartiers maudits n'étaient pas si loin, pas tellement éloignés, mais ça n'en restait pas moins un pari risqué ; seulement raison avait grand soif de vengeance. Lindor s'avançait, vêtue, comme un homme, toute entière de couleurs sombres. Une longue pèlerine dissimulait la créature et assombrissait la face figée ; lombre, le spectre rasait et dévorait les murs, dans son sillage probablement les rats gisaient, inertes. La démarche était aisée, assurée. Rapide et silencieuse. Ces ruelles, combien de fois les avait-elle empruntées ? Trop souvent à son goût. Trop souvent et pourtant si peu encore.
Car ne crains-tu pas, Lindor, de courir à ta propre mort ?
Elle arriva au centre de la capitale, là où elle soupçonnait le grand Sarzay de surgir. La place était silencieuse. Un chat, au loin, miaula avec force. Elle ne put dire de quelle couleur était lanimal, ni sil souffrait dun quelconque mal, ou bien sil craignait seulement les entrailles de la nuit. Elle prit les miaulements pour de sombres encouragements, et savança à pas de loup jusquau Palais, siège de la Chancellerie berrichonne. Maudite chancellerie. Lindor brûlait intérieurement. Alors, cest là que tu te caches, putain de June ?
Limposante bâtisse écrasait la jeune fille et elle pria pour quil ne soit pas long. Oui, voilà, il fallait qu'il vienne vite ! A labris du regard du garde, elle sagenouilla, aux aguets. Tout son être était concentré sur une seule et unique action ; lattente était insupportable. Elle était prête, c'était, le moment ou jamais ! Allez maudit June, viens, viens à moi ! Viens à ta perte !
Elle attendit qu'il s'éloigne un peu et le prit en filature. Son regard était comme aspiré par la masse sombre qui filait au loin : elle eut même le sentiment de s'envoler tant elle était mue par la passion. Furtive, elle se glissa au moment propice dans le dos de sa proie, y appuyant le bout de sa dague. Avec fermeté, elle le força à poursuivre son chemin jusqu'aux quartiers déchus, futurs planches dune mise à mort.
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