Ingeburge
[Vendredi 25 janvier 1460]
« Allons à Dourdan. » Trois mots pour d'autres, trois mots pour une promesse, un rêve, qui était sur le point de se concrétiser. Elle les avait jetés à la hâte, concluant ainsi son billet avant de le signer. Nul besoin d'en écrire davantage, de leur découverte de Dourdan, ils en avaient déjà parlé et le moment lui semblait propice pour mener le projet à bien. Après l'Anjou, l'armée à laquelle ils appartenaient avait tracé sa route vers l'Orléanais, pour faire halte en sa capitale. L'idée était donc revenue, cette idée qu'elle avait formulée un peu audacieusement alors qu'ils étaient à Montpellier et qu'elle se trouvait à nouveau, enfin, dans ses bras. Elle avait même supplanté la possibilité d'un retour sur Auxerre puisque la relâche était prévue pour quelques jours. Auxerre était son havre, son antre, sa paix mais la Bourgogne promettait d'être insupportable et puis, le dernier séjour à Auxerre avait été parasité par cette nécessité de se justifier auprès d'une gamine qui n'était rien et qui pourtant semblait être en mesure de pourrir le lien existant avec lui; à son grand dépit, elle n'avait pu lui montrer Auxerre. L'injustice de la situation lui était revenue et elle s'était jurée que lorsqu'elle reviendrait à Auxerre, ce serait sans lui. Il faudrait reprendre l'endroit en sa possession et le rendre à ce qu'il était : son refuge, celui qu'elle n'ouvrait quasi jamais et qu'elle avait laissé pénétrer, bien trop naïve. Dourdan, pour toutes ces raisons, s'était imposé. Là, rien d'autre ne compterait qu'eux, ils en avaient le droit.
L'on partit donc d'Orléans dans la nuit du jeudi, après qu'elle eut reçu une réponse laconique mais moins blessante que la dernière missive qu'il lui avait fait porter. Dans celle-ci, il l'avait assurée qu'il était son ami dévoué et dans un geste rageur, comme seul il était capable d'en produire, elle avait froissé le parchemin avant de le jeter au sol. Après avoir arpenté la pièce où elle se trouvait de long en large, histoire de se calmer, elle avait ramassé la boule formée, avait déroulé le papier malmené et avait glissé celui-ci dans le petit coffret où étaient serrées toutes les lettres venant de lui. Du voyage, elle ne vit pas grand chose, elle était épuisée. La campagne contre les Angevins était sa première et elle y avait mis tout son enthousiasme, portée par sa candeur et la nouveauté. Résultat, elle avait été grièvement blessée mais elle en avait eu quatre, d'ennemis. Aussi, peu de temps après le départ, confortablement allongée sur la banquette de son coche, bien au chaud sous des peaux, son chat blotti contre son flanc, elle s'endormit. Les cahots de la route ne l'affectèrent pas, les ralentissements subits, les accélérations les suivant, pas davantage, elle était bien trop exténuée pour être perturbée par les désagréments routiers. Dans la froideur de la nuit hivernale, le train princier fila et à l'image de leur maîtresse pressée d'arrivée à destination, les membres de l'équipage jetèrent toutes leurs forces pour soutenir une allure importante.
Ainsi, de ses terres dourdannaises, elle ne vit quasi rien. Elle savait juste, pour en avoir discuté un peu avec ses gens, qu'ils feraient cap plein nord depuis Orléans. Ils arriveraient donc par le sud du domaine et c'est dans les derniers instants passés dans la forêt de Dourdan qu'on la réveilla. Cette forêt était divisée en deux massifs par la vallée de l'Orge et c'est dans la partie de l'Ouÿe qu'ils se trouvaient. Clignant des yeux mais reposée, elle eut le temps d'apercevoir l'abbaye portant le même nom que les bois qu'ils parcouraient, il lui faudrait y venir au plus tôt. La pensée la traversa aussi rapidement que le coche avançait et bientôt, ils furent en vue des remparts ceinturant la ville de Dourdan. Si elle avait été curieuse de l'abbaye et avait pointé le bout de son nez pour ne finalement pas voir grand chose, en revanche, elle resta tranquille quand le véhicule ralentit, appréhendant cette découverte de son nouveau fief, intimidée soudain de devoir prendre possession de cet endroit-là. Nul ne l'y avait vue depuis qu'elle l'avait reçu en septembre, l'éloignement, le voyage en caraque depuis le sud puis la nouvelle mobilisation du ban royal auquel elle appartenait désormais l'avaient contrainte à reculer plusieurs fois une venue qu'elle attendait pourtant ardemment. Et maintenant, elle y était, lui et elle y étaient. La voiture ralentit encore pour s'arrêter tout à fait. Il y eut quelques échanges à l'extérieur, l'on fit savoir de son côté que c'était la marquise qui venait prendre possession du siège de son fief. Quelques palabres encore et la porte de Corbreuse fut ouverte, avalant l'escorte, le coche, les chariots d'Ingeburge et avalant tout autant le train du comte du Tournel qui faisait voyage avec elle.
Quelques minutes dans les rues de Dourdan, un passage devant l'Hôtel-Dieu et l'église Saint-Germain... l'Auxerrois et la file de voitures emprunta le pont-levis principal du château de la nouvelle dame. Le châtelet d'entrée était flanqué de deux tours rondes et ouvrait au sud-est du château carré entouré de fossés secs. Dans un grincement du tonnerre, la herse fut relevée et l'on entra plus avant, pour déboucher sur une vaste cour. Là, un petit comité d'accueil attendait la marquise pendant qu'à l'ouvrage d'entrée, on s'empressait de hisser les couleurs familiales de celles-ci, en lieu et place de celles du fief, conformément aux instructions de la propriétaire. Celle-ci en avait pris l'habitude à Auxerre, pour faire savoir aux gens du pays qu'elle se trouvait présente; c'était un moyen efficace, permettant d'offrir une première information, sans avoir à employer de messagers, la nouvelle se répandant par le bouche-à-oreille, à la faveur des marchands, paysans, qui chaque jour venaient en ville. L'on ouvrit la porte du coche et une Ingeburge à la mine fraîche malgré le voyage nocturne mit un pied à terre. Chaudement emmitouflée dans sa mante pelissée, le visage encadré par la capuche de son manteau et tenant entre ses bras son chat tigré, elle posa ses yeux pâles sur ce castel qui était le sien et qu'elle découvrait pour la première fois. La domesticité locale l'observait, attendant un mot, et comme elle ne disait rien, car elle examinait avec une respect timide ces bâtisses qui avaient en leur temps accueilli des reines de France, ces bâtisses qui avaient pris la place d'une forteresse de bois où disait-on, était né Hugues Capet, un homme fit un pas en avant et se racla légèrement la gorge.
Ses prunelles quittèrent les murs pour la face rubiconde de l'homme et de quelques mots étouffés, elle l'invita à parler. L'homme se présenta comme l'intendant de l'endroit, donna son nom et elle put enfin mettre un visage sur son correspondant dourdannais. Tous deux avaient en effet entretenu une relation épistolaire soutenue, pour faire connaissance puis mettre en place les premières mesures de la nouvelle maîtresse des lieux. L'homme était un peu chagrin, elle l'avait prévenu fort tard de son arrivée et elle expliqua qu'elle n'avait pu faire autrement. Il continua à exposer ses griefs, indiquant qu'il n'y avait que peu de domestiques car il lui avait été impossible de recruter en masse en deux jours, sauf à prendre le tout-venant, il précisa qu'il faisait froid absolument partout, qu'il n'avait été possible de remettre en état l'ensemble des salles habitables et qu'il avait dû décider se résoudre à seulement faire chauffer la grande salle et une chambre, ne pouvant assurer davantage. La plainte promettait d'être fort longue et elle le coupa, faisant savoir qu'elle ne pourrait de toute façon rester, étant attendue en Touraine et qu'il s'agissait d'une visite de deux jours, voire trois, tout au plus. Ce qu'elle tut, c'est que si le château n'était pas vivable, ils trouveraient logement dans quelque auberge de la cité : elle sentait l'homme vexé et contrarié de ne pouvoir montrer l'étendue de ses talents.
Nul ne lui gâcherait son bon plaisir, elle avait voulu venir, elle était venue et elle s'accommoderait bien, après avoir vécu en campement militaire, d'un château trop grand pour être convenablement chauffé en si peu de temps. Elle avait des soucis plus importants et malgré ces derniers, malgré cet intendant bougon, elle se sentait légère, stupidement heureuse d'être là, chez elle, avec le comte du Tournel non loin d'elle. Elle avait envie de battre des mains, de jeter son voile au sol, de défaire sa coiffure compliquée faite d'épingles et de rubans lui serrant le crâne, de faire tomber sa ceinture, d'ôter ses suières et de poser ses pieds nus sur les tas blancs et froids subsistant çà et là suite à la neige ayant recouvert la région ces jours derniers, de virevolter et de tomber au sol, étourdie. Quelque chose lui disait que si ses familiers étaient habitués à ses lubies, les locaux qui lui faisaient face ne goûteraient guère ses facéties. Cette visite n'était pas seulement faite pour découvrir Dourdan, il fallait aussi marquer des points et vite séduire les gens du coin qui n'auraient guère loisir de voir leur dame. Et puis, elle avait hâte de se retrouver seule avec Actarius.
Alors, par où commencer? Le donjon isolé et disposant de ses propres fossés l'intéressait grandement, la vue depuis les combles surmontés de hourds promettait d'être grandiose. Seulement voilà, elle imaginait déjà la mine pincée de l'intendant qui ne manquerait pas de s'outrer de la voir grimper dans la haute tour avec l'Euphor pour seul compagnon. Où donc alors? La grande salle n'était pas prête, elle imaginait l'effervescence dans les cuisines et il n'était pas question d'aller au-dehors. Restait l'église accolée à l'un des corps de logis, l'endroit serait suffisamment respectable pour qu'elle pût y entrer avec le Languedocien sans que l'on n'en parlât trop. Et puis, ils ne gêneraient ainsi personne. Sa décision prise, elle déclara :
Je commencerai par l'église, je gage qu'elle intéressera le comte du Tournel qui est un ami dévoué.
Car après tout, puisque Dourdan serait à eux, quoi de mieux que de le baptiser en s'y querellant comme il leur arrivait d'ordinaire? Les deux derniers mots avaient été prononcés avec un peu plus de force que les autres. Décidément, elle ne parvenait à oublier cet « ami dévoué » qui lui avait sauté au visage quand elle avait lu le billet porteur de discorde. Elle revoyait encore l'écriture ferme, le parchemin froissé repêché au sol et un temps étalé contre sa poitrine frissonnante avant d'être rangé. Après cela, il y avait eu cette soirée étrange dans une taverne de Blois, mercredi, soirée au cours de laquelle le Phnix s'était montré renfrogné sans qu'elle sût pourquoi, cette soirée durant laquelle le duc de Chartres l'avait invitée à danser, invitation qu'elle avait poliment et fermement déclinée en glissant à Keridil qu'il risquait sinon de perdre sa jambe valide. Clair que si le cousin dudit Keridil avait appris la chose, il se serait montré encore plus ombrageux et aurait été capable d'en découdre.
L'intendant sortit un trousseau de clés et alla d'un pas traînant vers l'église après avoir demandé à ce que l'on ramenât des flambeaux. Là, l'homme empoigna une grosse clé, introduisit celle-ci dans la serrure, la tourna puis poussa le lourd vantail de bois. Ingeburge elle, avait glissé un coup d'il à Actarius qu'elle n'avait point vu depuis le moment où elle était montée dans son coche, se demandant s'il était toujours aussi maussade. Si elle se sentait le cur léger et si elle était d'humeur à embêter son compagnon, son beau visage n'en demeurait pas moins grave. Elle n'eut cependant pas le temps de s'arrêter aux traits de l'Euphor, on lui tendait déjà un cierge. Se détournant, elle remit son chat Faunus à Äanchen qui se tenait tout près d'elle et elle accepta la bougie dont elle protégea la flamme vacillante d'une main gantée. Un autre cierge fut pareillement présenté au Mendois et quand elle le vit ainsi équipé, elle se dirigea vers l'église dans laquelle elle pénétra enfin. L'édifice religieux avait été dédié à saint Jean-Baptiste, un saint archaïque. Il sentait le renfermé et la poussière, étant resté clos durant des années, faute de seigneur pour lequel servir la messe. Les vitraux étaient maculés d'une couche noirâtre, les bans abîmés, le sol cassé çà et là et c'est avec précaution que dans ce lieu où la pénombre et la saleté régnaient que la Danoise progressa. Ces détails ne la gênèrent nullement, elle ne s'était pas attendue à autre chose et c'est bougie tendue en avant qu'elle observait l'endroit. Arrivée au maître-autel, elle posa son cierge muni d'un bougeoir et s'inclina respectueusement devant la table sacrée. Durant trente secondes peut-être, elle demeura prosternée tout en récitant une courte prière.
S'étant redressée, elle regarda le comte du Tournel, un peu craintive maintenant qu'ils étaient seuls, les domestiques s'étant retirés après avoir piqué çà et là des chandelles qui fournissaient une lumière diffuse. Frottant ses mains gantées contre ses bras croisés, elle souffla :
Il faudrait que je la fasse consacrer mais je ne sais, avec tous les soucis que nous avons avec Rome, je ne risquerais pas de pouvoir en jouir bien longtemps. Et puis, l'évêque de Nevers auquel je pensais pour son rattachement n'a même pas répondu à ma demande de conseils, alors une consécration?
Puis, malgré son appréhension, elle se fit narquoise et interrogea son accompagnateur :
Qu'en pense donc mon ami dévoué?
_________________
ABSENTE DU 16 AU 24 MARS
Souci héraldique tout court = contacter un maréchal
Souci exam' héraldique = contacter Perrinne
Souci TNAPF = bureau de la Pairie
[Courriers = mp IG
Retour examen héraldique = mp fofo I]
« Allons à Dourdan. » Trois mots pour d'autres, trois mots pour une promesse, un rêve, qui était sur le point de se concrétiser. Elle les avait jetés à la hâte, concluant ainsi son billet avant de le signer. Nul besoin d'en écrire davantage, de leur découverte de Dourdan, ils en avaient déjà parlé et le moment lui semblait propice pour mener le projet à bien. Après l'Anjou, l'armée à laquelle ils appartenaient avait tracé sa route vers l'Orléanais, pour faire halte en sa capitale. L'idée était donc revenue, cette idée qu'elle avait formulée un peu audacieusement alors qu'ils étaient à Montpellier et qu'elle se trouvait à nouveau, enfin, dans ses bras. Elle avait même supplanté la possibilité d'un retour sur Auxerre puisque la relâche était prévue pour quelques jours. Auxerre était son havre, son antre, sa paix mais la Bourgogne promettait d'être insupportable et puis, le dernier séjour à Auxerre avait été parasité par cette nécessité de se justifier auprès d'une gamine qui n'était rien et qui pourtant semblait être en mesure de pourrir le lien existant avec lui; à son grand dépit, elle n'avait pu lui montrer Auxerre. L'injustice de la situation lui était revenue et elle s'était jurée que lorsqu'elle reviendrait à Auxerre, ce serait sans lui. Il faudrait reprendre l'endroit en sa possession et le rendre à ce qu'il était : son refuge, celui qu'elle n'ouvrait quasi jamais et qu'elle avait laissé pénétrer, bien trop naïve. Dourdan, pour toutes ces raisons, s'était imposé. Là, rien d'autre ne compterait qu'eux, ils en avaient le droit.
L'on partit donc d'Orléans dans la nuit du jeudi, après qu'elle eut reçu une réponse laconique mais moins blessante que la dernière missive qu'il lui avait fait porter. Dans celle-ci, il l'avait assurée qu'il était son ami dévoué et dans un geste rageur, comme seul il était capable d'en produire, elle avait froissé le parchemin avant de le jeter au sol. Après avoir arpenté la pièce où elle se trouvait de long en large, histoire de se calmer, elle avait ramassé la boule formée, avait déroulé le papier malmené et avait glissé celui-ci dans le petit coffret où étaient serrées toutes les lettres venant de lui. Du voyage, elle ne vit pas grand chose, elle était épuisée. La campagne contre les Angevins était sa première et elle y avait mis tout son enthousiasme, portée par sa candeur et la nouveauté. Résultat, elle avait été grièvement blessée mais elle en avait eu quatre, d'ennemis. Aussi, peu de temps après le départ, confortablement allongée sur la banquette de son coche, bien au chaud sous des peaux, son chat blotti contre son flanc, elle s'endormit. Les cahots de la route ne l'affectèrent pas, les ralentissements subits, les accélérations les suivant, pas davantage, elle était bien trop exténuée pour être perturbée par les désagréments routiers. Dans la froideur de la nuit hivernale, le train princier fila et à l'image de leur maîtresse pressée d'arrivée à destination, les membres de l'équipage jetèrent toutes leurs forces pour soutenir une allure importante.
Ainsi, de ses terres dourdannaises, elle ne vit quasi rien. Elle savait juste, pour en avoir discuté un peu avec ses gens, qu'ils feraient cap plein nord depuis Orléans. Ils arriveraient donc par le sud du domaine et c'est dans les derniers instants passés dans la forêt de Dourdan qu'on la réveilla. Cette forêt était divisée en deux massifs par la vallée de l'Orge et c'est dans la partie de l'Ouÿe qu'ils se trouvaient. Clignant des yeux mais reposée, elle eut le temps d'apercevoir l'abbaye portant le même nom que les bois qu'ils parcouraient, il lui faudrait y venir au plus tôt. La pensée la traversa aussi rapidement que le coche avançait et bientôt, ils furent en vue des remparts ceinturant la ville de Dourdan. Si elle avait été curieuse de l'abbaye et avait pointé le bout de son nez pour ne finalement pas voir grand chose, en revanche, elle resta tranquille quand le véhicule ralentit, appréhendant cette découverte de son nouveau fief, intimidée soudain de devoir prendre possession de cet endroit-là. Nul ne l'y avait vue depuis qu'elle l'avait reçu en septembre, l'éloignement, le voyage en caraque depuis le sud puis la nouvelle mobilisation du ban royal auquel elle appartenait désormais l'avaient contrainte à reculer plusieurs fois une venue qu'elle attendait pourtant ardemment. Et maintenant, elle y était, lui et elle y étaient. La voiture ralentit encore pour s'arrêter tout à fait. Il y eut quelques échanges à l'extérieur, l'on fit savoir de son côté que c'était la marquise qui venait prendre possession du siège de son fief. Quelques palabres encore et la porte de Corbreuse fut ouverte, avalant l'escorte, le coche, les chariots d'Ingeburge et avalant tout autant le train du comte du Tournel qui faisait voyage avec elle.
Quelques minutes dans les rues de Dourdan, un passage devant l'Hôtel-Dieu et l'église Saint-Germain... l'Auxerrois et la file de voitures emprunta le pont-levis principal du château de la nouvelle dame. Le châtelet d'entrée était flanqué de deux tours rondes et ouvrait au sud-est du château carré entouré de fossés secs. Dans un grincement du tonnerre, la herse fut relevée et l'on entra plus avant, pour déboucher sur une vaste cour. Là, un petit comité d'accueil attendait la marquise pendant qu'à l'ouvrage d'entrée, on s'empressait de hisser les couleurs familiales de celles-ci, en lieu et place de celles du fief, conformément aux instructions de la propriétaire. Celle-ci en avait pris l'habitude à Auxerre, pour faire savoir aux gens du pays qu'elle se trouvait présente; c'était un moyen efficace, permettant d'offrir une première information, sans avoir à employer de messagers, la nouvelle se répandant par le bouche-à-oreille, à la faveur des marchands, paysans, qui chaque jour venaient en ville. L'on ouvrit la porte du coche et une Ingeburge à la mine fraîche malgré le voyage nocturne mit un pied à terre. Chaudement emmitouflée dans sa mante pelissée, le visage encadré par la capuche de son manteau et tenant entre ses bras son chat tigré, elle posa ses yeux pâles sur ce castel qui était le sien et qu'elle découvrait pour la première fois. La domesticité locale l'observait, attendant un mot, et comme elle ne disait rien, car elle examinait avec une respect timide ces bâtisses qui avaient en leur temps accueilli des reines de France, ces bâtisses qui avaient pris la place d'une forteresse de bois où disait-on, était né Hugues Capet, un homme fit un pas en avant et se racla légèrement la gorge.
Ses prunelles quittèrent les murs pour la face rubiconde de l'homme et de quelques mots étouffés, elle l'invita à parler. L'homme se présenta comme l'intendant de l'endroit, donna son nom et elle put enfin mettre un visage sur son correspondant dourdannais. Tous deux avaient en effet entretenu une relation épistolaire soutenue, pour faire connaissance puis mettre en place les premières mesures de la nouvelle maîtresse des lieux. L'homme était un peu chagrin, elle l'avait prévenu fort tard de son arrivée et elle expliqua qu'elle n'avait pu faire autrement. Il continua à exposer ses griefs, indiquant qu'il n'y avait que peu de domestiques car il lui avait été impossible de recruter en masse en deux jours, sauf à prendre le tout-venant, il précisa qu'il faisait froid absolument partout, qu'il n'avait été possible de remettre en état l'ensemble des salles habitables et qu'il avait dû décider se résoudre à seulement faire chauffer la grande salle et une chambre, ne pouvant assurer davantage. La plainte promettait d'être fort longue et elle le coupa, faisant savoir qu'elle ne pourrait de toute façon rester, étant attendue en Touraine et qu'il s'agissait d'une visite de deux jours, voire trois, tout au plus. Ce qu'elle tut, c'est que si le château n'était pas vivable, ils trouveraient logement dans quelque auberge de la cité : elle sentait l'homme vexé et contrarié de ne pouvoir montrer l'étendue de ses talents.
Nul ne lui gâcherait son bon plaisir, elle avait voulu venir, elle était venue et elle s'accommoderait bien, après avoir vécu en campement militaire, d'un château trop grand pour être convenablement chauffé en si peu de temps. Elle avait des soucis plus importants et malgré ces derniers, malgré cet intendant bougon, elle se sentait légère, stupidement heureuse d'être là, chez elle, avec le comte du Tournel non loin d'elle. Elle avait envie de battre des mains, de jeter son voile au sol, de défaire sa coiffure compliquée faite d'épingles et de rubans lui serrant le crâne, de faire tomber sa ceinture, d'ôter ses suières et de poser ses pieds nus sur les tas blancs et froids subsistant çà et là suite à la neige ayant recouvert la région ces jours derniers, de virevolter et de tomber au sol, étourdie. Quelque chose lui disait que si ses familiers étaient habitués à ses lubies, les locaux qui lui faisaient face ne goûteraient guère ses facéties. Cette visite n'était pas seulement faite pour découvrir Dourdan, il fallait aussi marquer des points et vite séduire les gens du coin qui n'auraient guère loisir de voir leur dame. Et puis, elle avait hâte de se retrouver seule avec Actarius.
Alors, par où commencer? Le donjon isolé et disposant de ses propres fossés l'intéressait grandement, la vue depuis les combles surmontés de hourds promettait d'être grandiose. Seulement voilà, elle imaginait déjà la mine pincée de l'intendant qui ne manquerait pas de s'outrer de la voir grimper dans la haute tour avec l'Euphor pour seul compagnon. Où donc alors? La grande salle n'était pas prête, elle imaginait l'effervescence dans les cuisines et il n'était pas question d'aller au-dehors. Restait l'église accolée à l'un des corps de logis, l'endroit serait suffisamment respectable pour qu'elle pût y entrer avec le Languedocien sans que l'on n'en parlât trop. Et puis, ils ne gêneraient ainsi personne. Sa décision prise, elle déclara :
Je commencerai par l'église, je gage qu'elle intéressera le comte du Tournel qui est un ami dévoué.
Car après tout, puisque Dourdan serait à eux, quoi de mieux que de le baptiser en s'y querellant comme il leur arrivait d'ordinaire? Les deux derniers mots avaient été prononcés avec un peu plus de force que les autres. Décidément, elle ne parvenait à oublier cet « ami dévoué » qui lui avait sauté au visage quand elle avait lu le billet porteur de discorde. Elle revoyait encore l'écriture ferme, le parchemin froissé repêché au sol et un temps étalé contre sa poitrine frissonnante avant d'être rangé. Après cela, il y avait eu cette soirée étrange dans une taverne de Blois, mercredi, soirée au cours de laquelle le Phnix s'était montré renfrogné sans qu'elle sût pourquoi, cette soirée durant laquelle le duc de Chartres l'avait invitée à danser, invitation qu'elle avait poliment et fermement déclinée en glissant à Keridil qu'il risquait sinon de perdre sa jambe valide. Clair que si le cousin dudit Keridil avait appris la chose, il se serait montré encore plus ombrageux et aurait été capable d'en découdre.
L'intendant sortit un trousseau de clés et alla d'un pas traînant vers l'église après avoir demandé à ce que l'on ramenât des flambeaux. Là, l'homme empoigna une grosse clé, introduisit celle-ci dans la serrure, la tourna puis poussa le lourd vantail de bois. Ingeburge elle, avait glissé un coup d'il à Actarius qu'elle n'avait point vu depuis le moment où elle était montée dans son coche, se demandant s'il était toujours aussi maussade. Si elle se sentait le cur léger et si elle était d'humeur à embêter son compagnon, son beau visage n'en demeurait pas moins grave. Elle n'eut cependant pas le temps de s'arrêter aux traits de l'Euphor, on lui tendait déjà un cierge. Se détournant, elle remit son chat Faunus à Äanchen qui se tenait tout près d'elle et elle accepta la bougie dont elle protégea la flamme vacillante d'une main gantée. Un autre cierge fut pareillement présenté au Mendois et quand elle le vit ainsi équipé, elle se dirigea vers l'église dans laquelle elle pénétra enfin. L'édifice religieux avait été dédié à saint Jean-Baptiste, un saint archaïque. Il sentait le renfermé et la poussière, étant resté clos durant des années, faute de seigneur pour lequel servir la messe. Les vitraux étaient maculés d'une couche noirâtre, les bans abîmés, le sol cassé çà et là et c'est avec précaution que dans ce lieu où la pénombre et la saleté régnaient que la Danoise progressa. Ces détails ne la gênèrent nullement, elle ne s'était pas attendue à autre chose et c'est bougie tendue en avant qu'elle observait l'endroit. Arrivée au maître-autel, elle posa son cierge muni d'un bougeoir et s'inclina respectueusement devant la table sacrée. Durant trente secondes peut-être, elle demeura prosternée tout en récitant une courte prière.
S'étant redressée, elle regarda le comte du Tournel, un peu craintive maintenant qu'ils étaient seuls, les domestiques s'étant retirés après avoir piqué çà et là des chandelles qui fournissaient une lumière diffuse. Frottant ses mains gantées contre ses bras croisés, elle souffla :
Il faudrait que je la fasse consacrer mais je ne sais, avec tous les soucis que nous avons avec Rome, je ne risquerais pas de pouvoir en jouir bien longtemps. Et puis, l'évêque de Nevers auquel je pensais pour son rattachement n'a même pas répondu à ma demande de conseils, alors une consécration?
Puis, malgré son appréhension, elle se fit narquoise et interrogea son accompagnateur :
Qu'en pense donc mon ami dévoué?
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ABSENTE DU 16 AU 24 MARS
Souci héraldique tout court = contacter un maréchal
Souci exam' héraldique = contacter Perrinne
Souci TNAPF = bureau de la Pairie
[Courriers = mp IG
Retour examen héraldique = mp fofo I]