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Enfant : fruit qu'on fit.

Gnia
Depuis le retour d'Anjou, le gros des journées de la Saint Just était dévolu à la campagne pour les élections royales de son époux. Le peu de temps qui lui restait avait été consacré à l'acquisition de l'Ostal Morand à Toulouse pour y installer famille et mesnie.
Et puisque l'installation y était imminente, il convenait à présent d'user des instants de calme pour une entrevue qui avait été trop longtemps repoussée.

Après quelques hésitations, sommes toutes naturelles au regard de l'épreuve qui attendait Agnès, celle-ci demanda à Brunehaut, nourrice en chef de la progéniture de l'Infâme, de lui amener le colis rapporté d'Anjou.

Laetitia, fille reniée avant sa première année à cause d'une infirmité, que le Très Hauct faisait revenir dans le giron maternel.
Comme si pour être accomplie, il était temps qu'Agnès fut également et enfin mère.

Dans la petite chambrée d'auberge, elle attendait, se tenant assise sur un siège à haut dossier, roide et nerveuse.



HRP : citation de Leo Campion en titre.
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L.i.a._de_denere
Jamais Laetitia s'était sentie aussi loin de son grenier. Ou plutôt "les combles", comme la nourrice Aglaé s'était mise à dire tout à coup devant l'étrangère dès le départ de Paris, comme si grenier, c'était pas assez distingué. Ou peut-être qu'elle avait honte. En tout cas, Laetitia, elle, elle avait honte. Et elle était triste. Elle aurait aimé pouvoir se cacher dans un petit coin tout noir, rester là jusqu'à ce que tout le monde l'ait oubliée.

Mais non, elle était malheureusement pas invisible, même si elle en avait eu l'impression depuis qu'ils avaient rejoint la dame en Anjou.

Sa mère.

Quand elle pensait pas à Dame Arielle, Laetitia arrêtait pas d'être fascinée par cette dame qu'on lui avait désignée. Belle, mais pas du tout comme elle se l'était imaginée. Plus vieille, déjà, mais quand même plus jeune que Dame Arielle, avec des cheveux noirs, et pas de sourire. C'était pas ça que Laetitia avait associé à l'idée de mère, mais en même temps, elle y connaissait rien.

Et là Aglaé était partie voir sa famille qu'elle avait pas vue depuis sa naissance à elle, Laetitia - c'était pas clair pourquoi - et donc la fillette était restée toute seule dans une chambre à jouer avec un bout de tissu sur le bord de la fenêtre. Personne s'occupait d'elle et c'était parfait. Sauf que ça ne dura pas.


Suis-moi, dit une voix derrière elle, ce qui la fit sursauter. Elle avait pas entendu la porte s'ouvrir.

Oui, ma Dame, marmonna-t-elle en se mordant la lèvre. Qu'est-ce qu'on lui voulait?!?

Son pouls s'emballa quand Laetitia reconnut la chambre où la nourrice - mais pas la sienne, une autre - poussa la porte et la fit entrer. Les yeux agrandis de terreur, elle eut à peine la force de faire quelques pas dans la pièce. Elle resta là à triturer nerveusement son gant de cuir, le regard fixé à terre après avoir jeté un tout petit petit coup d'oeil à la Dame de St-Just. Elle était sûre que sa mère savait.

Elle savait tout et elle la chasserait. C'était sûr.

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Gnia
Le regard s'attarda longuement sur la petite silhouette voutée qui se tenait à quelques pas d'elle. Et bien que force avait été de constater que la fillette était de ces enfants discrets et silencieux, Agnès plissa légèrement le front en sentant la peur qui semblait suinter de sa fille.

Sa fille.

Elle prit une profonde inspiration puis de sa voix rauque, elle l'invita à s'approcher, non sans douceur.


Approchez donc Laetitia...

Elle désigna un siège en face d'elle, puis une coupelle de douceurs sur le petit guéridon qui séparait les sièges et poursuivit


Quittez donc cette mine apeurée, Damoiselle ma fille, je vais ni vous gronder ni vous manger.

Un discret sourire souleva la commissure de ses lèvres, alors qu'elle se levait et tendait une main vers la fillette. Geste qui ne lui était pas naturel mais qu'elle ne força pas tant il était évident que l'enfant avait besoin d'être rassurée.


Je vous ai fait mandé afin que nous puissions faire connaissance, nous n'en avons guère eu le temps depuis notre départ d'Anjou.
Et je gage que vous devez avoir quantité de questions...


Elle poussa un soupir tenu et sa mine sembla un instant s'assombrir avant qu'elle ne relève un regard à nouveau avenant sur Laetitia.
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L.i.a._de_denere
Il y avait eu un vraiment trop long silence pendant lequel Laetitia sentait presque déjà le froid du vent lui mordre le visage quand elle serait jetée à la rue et qu'elle n'aurait plus personne et que ce serait bien fait parce qu'elle était une méchante petite fille et qu'elle mourrait de faim et de chagrin et que ce serait tant pis pour elle. Ses yeux s'étaient emplis d'eau.

Et puis enfin, la Dame de St-Just avait dit quelque chose, et étonnamment, son ton n'était pas fâché. Son accent était bizarre mais bon, tout le monde parlait bizarre depuis qu'ils étaient partis de Paris et souvent Laetitia comprenait rien, alors ça n'avait rien de spécial.

Alors elle leva les yeux vers sa mère.

Cette dernière souriait! Et en plus, elle lui dit qu'il ne fallait pas avoir peur et qu'elle n'allait pas la gronder! Submergée par un mélange de soulagement et de frayeur, Laetitia sentit les larmes descendre le long de ses joues sans qu'elle puisse les arrêter. Alors elle ne serait pas chassée? Et la dame voulait même lui offrir des dragées? Oh comme il n'y avait rien à comprendre aux grandes personnes!

Tremblante, la fillette essuya la marée du revers de sa main avant d'aller s'asseoir. Elle savait pas à quoi s'attendre et la dame lui donnait un noeud dans le ventre quand elle la regardait avec ses yeux qui avaient l'air de toujours tout voir, mais au moins, ça se passait bien. Beaucoup mieux que prévu.


Merci ma Dame, parvint-elle à articuler sans oser tendre la main vers la coupe de friandises.

Elle resta là un moment à se balancer juste un peu d'avant en arrière. Qu'est-ce qu'il fallait qu'elle dise, maintenant? Il fallait qu'elle pose des questions, c'était ça? Est-ce que toutes les questions étaient permises? C'est sûr qu'elle avait un millier de questions, mais même à son âge, elle savait bien qu'il fallait justement pas en poser trop, des questions. Alors lesquelles?


Hum... Laetitia fouillait dans sa mémoire pour puiser dans les leçons de bienséance de Dame Arielle. Une fois il y avait eu un après-midi sur l'art de la conversation mais euh... C'était quoi déjà? Hum... Co... Comment allez-vous, ma Dame?

Ses yeux d'un bleu profond cherchaient dans le visage sévère devant elle un signe qui lui indiquerait qu'elle était sur la bonne voie. C'était bien ça qu'il fallait dire? Euh, belle journée, n'est-ce pas? Non, non! C'était sûrement pas ça que sa mère voulait avoir comme questions! Sentant la panique enfler, Laetitia chercha n'importe quoi, un détail auquel elle pourrait s'accrocher.

Elle remarqua tout à coup une cicatrice qui partait de la joue droite de la dame et qui descendait dans son cou. C'était discret, pas comme l'horrible bobo qui avait mal guéri autrefois dans le cou de Dame Arielle, mais c'était tout de même quelque chose.


Vous vous êtes fait mal? Ça va mieux maintenant? Qu'est-ce qui s'est passé?

C'était pas mal comme questions, ça, non?
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Gnia
A la première réaction de la fillette, le front d'Agnès se plissa. Les sourcils se froncèrent sur un regard perplexe qui avisait quelques larmes rouler sur les joues potelées.

Puis à l'incompréhension se substitua une furieuse envie d'éclater de rire, de ces rires qui naissent dans les entrailles et usent de la poitrine comme caisse de résonance pour jaillir, enfin libres, de la gorge. Et pourtant, elle retint l'irrépressible provoqué par les questions de Laetitia qui semblaient si incongrues dans le contexte.
Mais de cette contenance étaient nés un sourire discret et un regard pétillant qui perdurèrent tout le temps où la toute jeune fille s'efforça de se dépêtrer du piège que semblait constituer une entrevue avec sa mère.

Si Agnès avait craint plus que de raison cette première entrevue, visiblement Laetitia la craignait plus encore, ce qui inquiétait et amusait tout à la fois sa mère.

Une main nerveuse piocha une dragée dans la coupelle qui fut ensuite discrètement poussée vers l'enfant, et prenant le ton des ménestrels qui égayaient parfois les banquets de leurs récits tantôt romantiques tantôt épiques, la Saint Just raconta


Un jour, vous étiez à peine nées votre soeur et vous, des gens venus de loin, depuis les hautes montagnes de l'Est, ont décidé d'attaquer le Béarn, l'endroit où vous êtes née. Nous y vivions une vie paisible votre père et moi, mais leur arrivée avait soudainement, au sortir de l'été, semé désolation et chaos.
Votre père, Erel de Dénéré, était alors, si je me souviens bien, Connétable du Béarn, et avait tout naturellement joint son épée aux nombreuses autres qui voulaient ramener, quelque en soit le prix, la paix sur leurs demeures, villages et terres. Alors moi aussi, j'ai pris mon épée, passé mon armure, monté mon cheval et je me suis joints aux autres. Je ne savais guère de quoi il en retournait, mais je crois bien que je m'ennuyais, alors je suis partie en guerre.
Nous étions sous les murs de Tarbes, fermant toute sortie à nos ennemis qui venaient d'attaquer Pau, notre capitale.
Le premier soir...


Le regard se voila un instant, la voix sembla se faire plus lointaine

Votre père est tombé... Fauché par une lame ennemie, et ne s'est jamais relevé...

Un profond soupir soulève sa poitrine, tandis que machinalement les doigts piochent une nouvelle friandise dans la coupe et la portent à la bouche.


Le deuxième soir, j'ai pris la place de votre père comme second dans l'armée. Au moment de fondre sur l'ennemi qui tentait à nouveau une percée, ma monture s'est rebiffée, effrayée par je ne sais quoi et je suis tombée. J'avais perdu mon bassinet, mon plastron pendait lamentablement par une seule lanière que j'ai tranché, et j'étais encore étourdie lorsqu'une lame d'épée m'a entaillé le visage.


Prenant soudainement conscience de la gravité de son récit, Agnès se tut un moment avant de conclure avec un petit sourire gêné.

J'ai eu mal, très mal...
Mais ça va mieux maintenant.


Une nouvelle dragée fut engouffrée et nerveusement mâchée avant qu'elle ne reprenne

A quoi occupiez-vous vos journées chez Dame Arielle ?
Y a-t-il une chose que vous prisez faire plus qu'une autre ?


Bien maladroite diversion, mais soit.
L'on avait permis les questions, il était temps d'assumer.

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L.i.a._de_denere
À coup sûr, Laetitia avait visé juste avec ses questions parce que la dame sourit. Cette dernière poussa même la coupe de friandises pour que la fillette en prenne. Oui vraiment, ça se passait bien. Mais alors que Laetitia allongeait le bras vers ces dragées si attirantes, la réponse de sa mère vint résonner à ses oreilles comme quand quelqu'un vient de crier tout près et que ça cille encore.

Vous étiez à peine nées,
votre soeur et vous?

Votre soeur?
"... décidé d'attaquer le Béarn, l'endroit où vous êtes née..."
Bouche bée, Laetitia essayait de se concentrer sur les informations précieuses que la dame était en train de dire mais c'était pas facile parce qu'un visage arrêtait pas de revenir dans sa mémoire.
"... chaos. Votre père, Erel de Dénéré, était alors, si je me souviens..."
Elle avait remarqué cette petite fille qui faisait le voyage avec eux tous depuis l'Anjou.
"... épée aux nombreuses autres qui voulaient ramener, quelque..."
Difficile en fait de pas la voir vu qu'elle avait vraiment les mêmes traits que Laetitia. Mais avec deux mains.
"... terres. Alors moi aussi, j'ai pris mon épée, passé mon armure, monté mon..."
La fille l'avait d'ailleurs regardée d'un drôle d'air. Elle aussi avait dû voir quelque chose de spécial.
"... crois bien que je m'ennuyais, alors je suis partie en guerre. Nous..."
Laetitia savait pas que c'était possible que deux personnes aient le même visage.
"... ennemis qui venaient d'attaquer Pau, notre capitale. Le..."
Et puis en même temps, elle avait maintenant le même nom que Dame Arielle, alors une autre pouvait peut-être avoir son visage à elle.
"... père est tombé... Fauché par une lame ennemie, et ne s'est jamais... "
En tout cas, Laetitia l'avait pas revue depuis qu'ils étaient arrivés à Toulouse. Elles s'étaient jamais parlées.
"... second dans l'armée. Au moment de fondre sur l'ennemi qui..."
Laetitia avait déjà beaucoup de choses à penser alors elle avait jusque là un tout petit peu oublié l'autre fille.
"... suis tombée. J'avais perdu mon bassinet, mon plastron pendait..."
Mais là elle arrêtait plus d'y penser, au point de pas assez écouter la Dame de St-Just qui lui parlait de son père décédé et tout ça. Alors non seulement elle avait un père et une mère, mais aussi une soeur?
"... étourdie lorsqu'une lame d'épée m'a entaillé le visage."

Et puis il y eut un silence, et Laetitia rougit parce qu'elle crut que la dame venait de se rendre compte qu'elle était distraite. Mais non, sa mère en était à la conclusion de son histoire. Laetitia piqua enfin une dragée, qu'elle dut avaler un peu tout rond parce qu'il semblait que c'était maintenant à son tour de se faire poser des questions.


Chez Dame Arielle... J'avais des leçons et après, je pouvais jouer, et je chantais aussi et le dimanche, il fallait faire une prière spéciale et ensuite on mangeait des crêpes au miel parce que c'était le jour du Très Haut.

Son regard flotta un instant. Elle se rendait bien compte que sa vie là-bas ne reviendrait plus jamais. Et Dame Arielle non plus.

Le lundi, c'était leçon de grammaire. Le mardi, c'était leçon d'histoire et de géographie. Mercredi parfois il y avait pas de leçon mais sinon c'était bienséance ou poésie et musique. Le jeudi, c'était leçon d'arithmétique, et le vendredi, c'était leçon de latin et d'anglais. Le samedi, c'était leçon de tenue de maison.

C'était pas vraiment intéressant, mais Laetitia savait pas quoi dire d'autre. C'était comme quand le monsieur Lantelme lui avait demandé de raconter son histoire. Tous les jours étaient pareils, c'était juste la leçon de Dame Arielle qui changeait, alors ça faisait pas une très bonne histoire.

Mais ça faisait du bien de parler de tout ça. Laetitia se sentait juste un tout petit peu moins perdue. Il fallait quand même faire attention à pas dire n'importe quoi.


J'aime ça apprendre des choses, mais ce que je préfère, c'est la géographie, la musique et l'arithmétique.

Elle se balança encore un petit peu en se demandant si elle pouvait maintenant poser la question qui la tenaillait depuis tout à l'heure. Peut-être que c'était enfin le bon moment.

Est-ce que j'ai vraiment une soeur, ma Dame? C'est peut-être la petite fille qui a le même visage que moi?
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Copiste.



A l'énoncé des divers enseignements que recevait Laetitia, Agnès se dit qu'elle avait vraiment trop tardé à avancer l'éducation de Niria et que le recrutement d'un percepteur se faisait urgent.
Attentive, elle écoutait la liste, prenant notes mentales des matières, des préférences de sa fille, s'étonnant de son goût pour l'arithmétique, esquissant un sourire à la mention de plaisir de la musique.
Puis après un court silence, tomba une nouvelle question.
De celles qui auraient dû trouver réponse bien avant.

La mère se mordit la lèvre inférieure, front plissé et, avec une mine contrite, se penchant vers Laetitia.


Oui, vous avez vraiment une soeur, Laetitia. Elle s'appelle Niria et elle est née le même jour que vous. Elle vous ressemble effectivement.
Et j'aurai dû depuis longtemps vous la faire rencontrer.


Prenant une profonde inspiration, Agnès se leva, grapilla une nouvelle dragée dans la coupelle puis tendit la main à la fillette.

Venez, nous allons réparer ce manquement de suite, puis nous irons ensemble visiter notre nouvelle maison.

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