Baile
Car c'est bien le plus vieux tango du monde que je vais te faire danser...
[Sémur, et prête pour la moisson]
Trois verres et mille écus. Voilà ce qu'elle avait déboursé la veille pour se payer l'intendante du Petit Bolchen, la rousse et appétissante Rosa. Une nuit par tranche de deux mille deniers, un contrat des plus équitables que la belle (pas Baile, l'autre...) avait goulûment accepté au bout de quelques 75cl de bière.
Sans doute se voyait-elle déjà écumer les marchés de Sémur ou d'ailleurs, cherchant et trouvant les tissus pour sa nouvelle robe, ou bien était-elle allée directement aux Doigts D'Or, dans ce bout d'atelier indiqué par Elisabeth, où on lui ferait sa robe de pas noble, sa robe pas trop voyante parce qu'elle n'a pas le temps de la porter ailleurs qu'au Domaine, sa robe qui la rendrait quand même un peu plus belle, un peu plus désirable. SA robe.
Une vraie femme, cette Rosa. Et un presque vrai homme, cette Baile qui l'avait appâtée avec une bourse, une seule. Et quelle bourse. Posée fermement sur la table de la taverne. Glissée lentement vers les mains douces et hésitantes de la Rousse. Happée un peu plus tard par ces mêmes mains, lorsqu'enfin le "Je suis d'accord" avait été lâché, sans regret apparent, et rangée précieusement quand le "Demain" fut offert à la question "Quand, pour la première nuit?".
Une vraie femme, cette Rosa. Liée à un Von Frayner que la Baile n'avait fait que croiser une fois en taverne, et dont le nom seul suffisait à la faire grimacer de dégoût. Et c'était cette femme qu'elle allait prendre, qu'elle allait posséder. Pour le prix d'une robe. Mais les doigts d'or, ce soir-là et pour les quatre autres à venir, seraient seulement ceux du Chevalier. Des doigts qui allaient s'offrir l'intendante du Petit Bolchen. Tout un symbole. Elle en jouissait d'avance.
Elle eut un sourire ironique lorsqu'elle se dévêtit de ses fidèles couillette et braquemart, et qu'elle les posa sur la table. Ah si le Judas avait été là, à la regarder conquérir celle qui était à lui, sans qu'il ne pût rien faire, avec la rage du regard pour seul moyen d'expression! Ca c'est de l'orgasme aussi!
Le sexe était souvent une question d'ego, et la Baile s'en découvrait une bonne portion ce soir. Car bien que la poitrine de la belle Rousse fût généreuse et attirante, c'était aussi - sans obsession aucune - l'intendante du Petit Bolchen que la Blanche avait achetée, et elle comptait bien en avoir pour chaque denier dépensé.
Assise sur le lit, elle délaçait ses bottes lorsqu'elle entendit les coups à la porte. Sans arrêter son action, elle lança un "Entrez" suffisamment puissant. Les béliers et les bombardes étaient en place. Ce soir la forteresse allait vaciller.
* Rosa, de Brel.
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I have never seen a wild thing feel sorry for itself. A little bird will fall frozen from a bough without ever having felt sorry for itself.
[Sémur, et prête pour la moisson]
Trois verres et mille écus. Voilà ce qu'elle avait déboursé la veille pour se payer l'intendante du Petit Bolchen, la rousse et appétissante Rosa. Une nuit par tranche de deux mille deniers, un contrat des plus équitables que la belle (pas Baile, l'autre...) avait goulûment accepté au bout de quelques 75cl de bière.
Sans doute se voyait-elle déjà écumer les marchés de Sémur ou d'ailleurs, cherchant et trouvant les tissus pour sa nouvelle robe, ou bien était-elle allée directement aux Doigts D'Or, dans ce bout d'atelier indiqué par Elisabeth, où on lui ferait sa robe de pas noble, sa robe pas trop voyante parce qu'elle n'a pas le temps de la porter ailleurs qu'au Domaine, sa robe qui la rendrait quand même un peu plus belle, un peu plus désirable. SA robe.
Une vraie femme, cette Rosa. Et un presque vrai homme, cette Baile qui l'avait appâtée avec une bourse, une seule. Et quelle bourse. Posée fermement sur la table de la taverne. Glissée lentement vers les mains douces et hésitantes de la Rousse. Happée un peu plus tard par ces mêmes mains, lorsqu'enfin le "Je suis d'accord" avait été lâché, sans regret apparent, et rangée précieusement quand le "Demain" fut offert à la question "Quand, pour la première nuit?".
Une vraie femme, cette Rosa. Liée à un Von Frayner que la Baile n'avait fait que croiser une fois en taverne, et dont le nom seul suffisait à la faire grimacer de dégoût. Et c'était cette femme qu'elle allait prendre, qu'elle allait posséder. Pour le prix d'une robe. Mais les doigts d'or, ce soir-là et pour les quatre autres à venir, seraient seulement ceux du Chevalier. Des doigts qui allaient s'offrir l'intendante du Petit Bolchen. Tout un symbole. Elle en jouissait d'avance.
Elle eut un sourire ironique lorsqu'elle se dévêtit de ses fidèles couillette et braquemart, et qu'elle les posa sur la table. Ah si le Judas avait été là, à la regarder conquérir celle qui était à lui, sans qu'il ne pût rien faire, avec la rage du regard pour seul moyen d'expression! Ca c'est de l'orgasme aussi!
Le sexe était souvent une question d'ego, et la Baile s'en découvrait une bonne portion ce soir. Car bien que la poitrine de la belle Rousse fût généreuse et attirante, c'était aussi - sans obsession aucune - l'intendante du Petit Bolchen que la Blanche avait achetée, et elle comptait bien en avoir pour chaque denier dépensé.
Assise sur le lit, elle délaçait ses bottes lorsqu'elle entendit les coups à la porte. Sans arrêter son action, elle lança un "Entrez" suffisamment puissant. Les béliers et les bombardes étaient en place. Ce soir la forteresse allait vaciller.
* Rosa, de Brel.
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I have never seen a wild thing feel sorry for itself. A little bird will fall frozen from a bough without ever having felt sorry for itself.