Mog
A l'heure où les regards profanes sur son compte sont légion, où même les murs écroulés le toisent comme le dernier des rebuts échappé de sa condition, la recherche de familiers s'impose en nécessité. Intervient la voie du salut, éphémère et brouillée par la cadence soutenue du char l'entraînant vers l'inconnu. Une trogne dont le souvenir impérissable appert au coin de la ruelle.
D'un bond, l'homme s'affranchit de sa cage, faussant compagnie à ses compagnons de malheur. C'est la gueule enfarinée de bran animal qu'il regagne les pavés et suit les miettes d'une ivresse programmée. Les feuilles égrenées de-ci de-là craquent sous le pas curieux du Gaélique. La providence a bon dos et, pas un seul instant, le doute ne freine son allure.
La lueur d'un foyer l'attire comme un navire en perdition à son phare. Quelques enjambées courtaudes le rapprochent d'un air débonnaire. La chevelure grasse du Gaélique est ramenée en arrière d'une main coquette alors qu'un sourire mignard lui fend la barbe. L'hurluberlu se débarbouille alors à même sa manche, décimant le plus gros de l'ouvrage porcin.
D'un aspect jugé satisfaisant à grand renfort de modestie, le Gaélique lève quelques doigts pour héler l'apparition providentielle d'un ton camarade.
- « Karine, hey...»
Le vieux renard cale à deux pas de la créature dont la blondeur, la dégaine nerveuse et la franche hospitalité affichée l'avaient induit en erreur. Circonspect, il constate la méprise. Et, sans déroger à son immobilisme, détaille des racines jusqu'aux cimes ce conifère enneigé bien trop élevé.
- « ... »
Une étrangère.
Ou plutôt, non, une locale.
Il se tait et se gratte l'oreille.
Mog
Planté devant la grande gigue, le front se plisse.
Hermétique aux grandes salamalecs de sa vis-à-vis, l'Irlandais n'entrave pas une once de son franc-parler. Seuls le ton rude et la mine austère de la fumeuse d'herbes lui font entrevoir la possibilité qu'elle puisse chercher à l'envoyer voir si les pavés sont plus clairs ailleurs. A moins que ce ne soit ça, une Parisienne.
L'il vitreux, il jauge alors.
Et se lance.
- « Tissue ? », réclame-t-il en mimant des mains l'emploi qu'il veut en faire sur sa trogne crottée.
[« Mouchoir ? »]
Pas totalement convaincu que sa prestation soit entendue, l'homme s'éclaircit la voix et baragouine tout ce qu'il sait dans un terrible accent gaélique.
- « Je.. voulons... Bourgogne.. ? »
C'est plus clair là, non ?
Mog
Le regard intrigué du Gaélique se pose sur la flasque alors qu'il se débarbouille à l'aide du linge douteux. Une petite langue franchit le seuil de sa lippe.
Oubliant l'échec de sa requête, l'étranger échange le torchon bruni contre la mystérieuse offrande. Un mouvement de recul quand l'effluve lui grille les naseaux. En voilà une qui sait recevoir. Téméraire, il goûte.
Une toux mêlée d'un rire gras accueille la goulée péniblement administrée à un foie en piteux état.
- « Oh, that's grand. »
[ « C'est génial. »]
Imprononçable, mais délicieux.
Distrait, il lui faut pourtant se reconcentrer sur les gestes de sa bienfaitrice pour en démêler le sens.
Ceci fait, l'hésitation est palpable. Elle a beau l'avoir rincé, le zig n'est pas né de la dernière pluie salée d'Irlande.
- « Sightseeing ? Je voulons Bourgogne. »
[« Tourisme ? »]
Ah, ce qu'il est buté.
Mog
Privé de la flasque, le gorgeon suivant n'atteint pas ses lèvres au risque d'épouser le chiffon qui y siège à présent. Et tant qu'à faire, mieux vaut le digestif que la digestion porcine.
La réaction de son inconnue est aussitôt scrutée, savamment étudiée par deux orbites incrédules tant sa confusion est grande.Les murmures peu amènes dont elle le gratifie laissant peu de doutes sur leur réelle teneur, l'étranger se raidit et se braque. L'intérêt porté n'était visiblement pas que pure civilité, elle attend quelque chose.
Mais sa question à double tranchant ne l'avance pas davantage.
- « Oh God... »
[« Oh mon Dieu... »]
Il n'y en a quand même pas cinquante !
- « BOURGOGNE ! », radote-t-il tout en ondulant conjointement des deux pognes vers une direction quelconque, ramant sévère.
Mog
Elle s'en va. Se tire à l'Angloise. Et ses chances de trouver ce qu'il cherche avec.
Poussé dans ses derniers retranchements, le Gaélique remâche son échec devant l'Iceberg avant de capituler, amèrement enfumé.
- « All RIGHT ! »
[« D'accord ! »]
Manifestement moins sot qu'il veut bien s'en vanter, le Mog n'est pas là par hasard. Et même si sa méfiance se heurte à celle de la barrière de glace, il n'en démord pas d'avoir été béni par la Providence.
Tendue vers la fuyarde, une main potelée dévoile un parchemin chiffonné datant de plusieurs jours.
Rédigée en charabia vernaculaire d'une main tremblante, une histoire de 'Bourgogne' et de 'Finn Ó Ceallaigh'.
- « I'm looking for someone. Maybe you know him. », lâche-t-il tout en la dévisageant, avant de céder un détail sans doute capital.« It's from me Mom. »
[« Je cherche quelqu'un. Vous le connaissez peut-être. Ca vient de ma maman. »]
Mog
Ainsi donc, l'Ingénue ne l'est pas tant et baragouine un Anglois tout aussi insolent que sa prétendue façade. Le poney gaélique cabre.
- « Hey... Don't talk about me Mom like that, Gally-Crow. She's a nice person, a lovely old lady. »
[« Hey... Parle pas de ma mère comme ça, l'Epouvantail. Elle est gentille, c'est une adorable vieille dame. »]
Un brin froissé par la rudesse de son interlocutrice, l'Irlandais repasse son broigne du plat de la main. Quelle mouche l'a piquée ? C'est pas des façons de traiter celle qui a engendré tant de bons à rien avec la plus grande abnégation.
- « Mog O Conaire. », se présente-t-il, l'offense passée et un semblant d'amabilité retrouvé. « Just a friend who did quite a long journey. »
[« Je suis juste un ami qui a fait une longue route. »]
Mog
La réflexion que semble s'accorder la chevelue dépigmentée l'égare un instant. Loin de rendre la politesse d'usage qui veut qu'elle lui offre son nom, celle-ci lui fait l'honneur d'une défiance accrue. Sans doute a-t-elle réalisé qu'elle ne lui est pas si étrangère, confirmant ainsi son identité auprès du Gaélique.
A lui de prouver la sienne.
Désappointé de se voir ainsi mis en doute en sus de constater que son camarade préfère taire ses plus vieilles fréquentations à son entourage, sa mine se relève pour plonger deux billes à la sincérité inébranlable dans celles de la fidèle employée.
- « Fine. We may be not as close as we used to be. », avoue-t-il dans un soupir. « How may I prove to what extent we were good fellows ? »
[« Bien. Nous ne sommes peut-être plus aussi proches qu'avant. Comment puis-je prouver à quel point nous étions bons camarades ? »]
Mmh ? Une idée ?