Galiana.
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La lune était toujours aussi ronde lorsque Galiana leva la tête pour la millième fois. Et un soupir séchappa de ses lèvres légèrement entrouvertes. Une profonde inspiration, la recherche don ne savait quelle vérité qui lui venait dêtre révélée et une envie de maudire celle qui lavait élevée au même titre que celui qui était son géniteur.
Assise devant la petite table dans cette chambre impersonnelle dune auberge, Galiana observait à la lueur de la chandelle, lécriture fine de Ravena Ravena Foscari, cette mère qui nen était pas une finalement Durant vingt-deux longues années, Ravena avait joué un rôle et quel rôle. Et aujourdhui encore, malgré la distance qui les séparait, elle la surprenait encore.
Qui aurait cru quun jour elle verrait, dans un courrier de la part de cette ombre qui lui avait toujours appris que le silence était dor, les mots qui venaient danser sous ses yeux. Et Galiana avait beau se dire quelle pouvait lui faire confiance, que cétait là la stricte vérité, elle avait quand même du mal à la digérer cette nouvelle. Et ses yeux qui allaient et venaient sur le vélin
Ma Bella Donna*, lorsque jai rencontré ta mère, elle voulait absolument se débarrasser de cet intrus qui grandissait en son sein Tu nétais pas encore de ce monde que déjà elle te reniait Bella mia**
Les dents se crispèrent jusquà sentrechoquer trop violemment, émettant ce bruit sinistre que lon pouvait confondre avec un os qui se brisait. Mais la curiosité est un défaut que lon ne maîtrise pas toujours et ses yeux prenaient le pas sur sa raison, inlassablement revenaient sur ce courrier.
IL a choisi de te garder en vie et je ne pouvais que me plier à ses exigences. IL ton père Galiana cest lui qui a choisi ton prénom, cest lui qui a décidé que je téloignerais de Firenze pour que tu ne puisses jamais rappeler à ta mère son péché.
La main de lItalienne sempara du premier objet qui lui tomba entre les doigts et le balança contre le mur dun geste de rage tout en se levant. La petite fiole, heureusement vide, se fracassa au sol dans un bruit de verre brisée ce qui eut pour effet de faire entrer en courant Luigi, son homme de confiance. A peine entré, il avisa ce quil sétait passé avant de planter son regard dans celui de la jeune femme. Mais celui quelle lui lança le dissuada daller plus en avant et sans un mot, il referma la porte. Les deux mains sur les hanches, Galiana reprit la direction de la table pour sy installer à nouveau.
IL ma offert la possibilité davoir un enfant, à moi. A condition que je taise le nom de ta mère à tout jamais et que tu ne saches jamais la vérité Bella Donna, on dit que ton père est mourant... Le serment qui munissait à lui peut être enfin libéré surtout sil te permet de rester en vie. Il Cardinale est un homme influent tu le sais. Que tu sois chez le Vicomte ou bien ailleurs, il te fera rechercher. Non pas pour te ramener mais simplement pour tinfliger une punition et te laver de tes péchés. Il prétextera que tu es une fille du Sans Nom, que tu utilises des herbes magiques pour tes potions, que tu es perversité et traitrise Il te connait mieux que quiconque alors mon choix est fait.
Galiana inspira profondément tout en tournant son visage vers les flammes. Elle avait été luvre dIl Cardinale. Il avait tant exigé delle quelle ne comptait plus le nombre de personnes qui étaient mortes dans des circonstances sombres. Il la tenait en son pouvoir, du moins le croyait-il. Loiseau avait quitté le nid et navait surtout pas attendu de mourir de ses mains. Soulevant le vélin une nouvelle fois, Galiana se perdit dans la contemplation des danses des flammes sur le papier avant de se concentrer sur les derniers mots.
Ton père Giuliano De Medici, puisque cest son nom, est un homme puissant. Peut-être pourra-t-il te venir en aide sur la fin de sa vie. Si tu peux entrer dans ses bonnes grasces, taccordera-t-il le pardon que tu as besoin pour
La lettre continuait encore et encore mais Galiana en avait assez. Un haut de cur la pris violemment et la jeune femme se précipita vers lextérieur de lauberge, dévalant les escaliers qui menaient à létage et aux chambres. Elle ouvrit à toute volée la porte et finit sa course un peu plus loin, à lorée du bois, lestomac retourné, les larmes de rage roulant sur son visage. Les quelques clients qui était là, surpris, cherchèrent à voir ce quil se passait mais Luigi veillait au grain. Se mettant devant la porte tout en la refermant, il mettait un point final à cette maudite soirée.
Et les jours passèrent. Galiana rumina son histoire. Cette vérité qui distillait son venin dans ses veines. La Bella Donna ne mangeait plus guère et avait perdu le gout pour tout. Les soirées en taverne étaient devenues fades et lennui sajoutait à son esprit torturé, la rendant plus mélancolique quà laccoutumé. Alors lItalienne prit la décision denvoyer Luigi en quête dinformation. Si de Medici était son père, il fallait quelle sache tout de lui. Qui il était, que faisait-il, était-il marié, avait-il dautres enfants ? Mettre tous les atouts de son côté pour affronter un jour son géniteur même si on neffaçait pas vingt-deux ans dune vie surtout quand elle ressemblait à celle de Galiana. Jamais elle ne pourrait être des leurs jamais ou pas tout à fait Tant de questions et si peu de réponses.
Les jours sétaient enchaînés. Galiana ne shabituait toujours pas à ce froid qui régnait en Savoie et elle espérait secrètement que bientôt, Luigi franchirait la porte de lauberge afin de lui dire quelle pouvait rentrer en Italie. Rome ne serait plus quun triste souvenir et une nouvelle vie prendrait naissance. Et Luigi revint mais les réponses neurent pas leffet escompté sur la brunette. Si de Medici était bien à la tête dun empire, il nétait plus que lombre de lui-même et le temps du voyage serait peut-être trop long. Mais ce que Galiana apprit ce soir-là, lorsque lItalien se décida à enfin tout lui révéler, fit germer une idée dans lesprit retors de la petite épine. Et le sourire qui safficha sur le visage de Galiana ne laissait présager rien de bon.
- Alors raconte... dépêche-toi... qu'as-tu donc trouvé ?
- Il n'a pas été difficile de délier les langues à Firenze... j'y ai quelques contacts et ta bourse a été largement suffisante pour les faire parler... Et j'ai appris que les de' Medici sont connus comme le loup blanc et plus encore Giuliano... C'est un homme riche Galiana, très riche. Il a un certain pouvoir et dirige son monde d'une main de fer...
- Mais est-il marié, a-t-il des enfants... sa vie Luigi, quelle a été sa vie ?
- Il est veuf à ce qu'on dit et il ne s'est pas remarié mais de son mariage, il a eu deux enfants... un garçon et une fille... des jumeaux...
Galiana se renfrogna... Ainsi donc il avait des légitimes. Peut être même qu'il avait dû l'oublier dans un coin de sa mémoire, ce petit enfant qu'il ne souhaitait pas. La jeune femme respira profondément puis jeta un regard à Luigi afin qu'il continue son récit.
- Le garçon a été envoyé au royaume de France quant à la fille... d'après mes sources elle est ici, dans un couvent de la région...
Trop heureuse, elle servit un verre de vin à son fidèle compagnon avant de prendre son visage entre ses mains et lembrasser à pleine bouche puis dun geste théâtral, elle se dirigea vers l'âtre afin d'y remuer les braises avant de revenir s'installer sur le lit où la Bella donna prit place à nouveau, les yeux éclatants d'intérêt.
- Dans un couvent de la région dis-tu... et bien soit, nous commencerons par elle... raconte-moi encore... son âge, son nom, ce qu'on a pu t'en dire et son jumeau comment est-il ?...
Au bout de deux heures, Galiana en savait assez pour envisager la suite. Elle se dirigea vers son écritoire sans un regard pour l'italien.
- Tout vient à point à qui sait attendre Luigi et la patience est lune de mes vertus. Tu vas avoir du travail dès cette nuit alors boit encore un verre ou deux si cela te plait et repose-toi, tu en auras besoin.
Et à la lueur de la chandelle, Galiana se mit à écrire.
A vous damoiselle,
A vous, Ginny deMedici,
Je sais que vous serez surprise en lisant ces quelques lignes et je men excuse très humblement mais... Ne pensez pas à une mauvaise éducation de ma part mais voyez-vous oh quil est difficile pour moi de venir ainsi quémander une attention
Chère damoiselle, voyez-vous, je suis dans ce pays où les montagnes sont là à perte de vue et ma contrée se fait bien lointaine dans mon esprit. Jaimerais retrouver le soleil qui me réveillait chaque matin, la douceur de la bise lorsquelle emporte les effluves de la mer mêlées au doux parfum de nos campagnes mais jai beau fermer les yeux, rien nest plus comme avant... Il est une nostalgie de mes terres qui mont vu naitre bien plus prononcée depuis que je suis arrivée ici et je désespère de pouvoir retrouver un peu de ce chez moi qui me manque tant... Mais fort heureusement, jai eu la joie de croiser quelques bonnes âmes qui mont indiqué que vivait non loin de moi une personne qui venait de Firenze***... Firenze cétait tout bonnement incroyable
Vous pensez bien que je nai pas osé le croire dans limmédiat et puis je me suis laissée happer par le désir de retrouver cette musique dans nos paroles lorsque nous conversons, cet éclat aux reflets brillants comme le soleil de Toscane dans notre regard lorsque nous posons nos yeux sur ceux qui nous entourent, nos gestes de la main qui dansent sous les palpitations de nos curs et rendent nos mots si vivants Alors si je pouvais me permettre, si josais et puis jose enfin vous demander si une compatriote pouvait venir à votre rencontre. Voyez-vous, je me sens si perdue depuis que je suis arrivée en Savoie Peut-être que vous ressentez cela vous aussi, peut être que nous pourrions conjuguer ce mal de nos terres pour en faire une force Si vous nous le permettiez
Je sais quil est osé de vous demander cela ainsi mais sachez que je ne vous veux aucun mal. Juste retrouver ce quil me manque Jattendrais votre bon vouloir avec lespoir que nous puissions nous retrouver pour faire connaissance.
Galiana Foscari.
La Bella donna relut ses écrits, un sourire coincé sur le bord de ses lèvres. Elle était bien présomptueuse décrire à la jeunette ainsi mais rien ne larrêterait. Et puis des amies, elle ne devait pas en avoir énormément lItalienne alors une compatriote ça ne se refuserait pas. Son plan semblait parfait et puis le moment venu, elle pourrait lui dévoiler la vérité ou la garder pour elle. En attendant, Luigi navait plus quà trouver la de Medici afin de lui remettre la missive. Elle verrait bien si loiseau allait mordre à lappat
* Bella Donna = Belle Dame, Belle Femme ou Belladone, la plante
**Bella mia = ma belle
*** Firenze = Florence
**Bella mia = ma belle
*** Firenze = Florence
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