Minah
RP ouvert à tous ceux qui le veulent, tant que la cohérence est respectée !
[Où lon se souvient 7 février 1461]
Dabord, il y a eu la bataille. Oh, il y en a sûrement encore une en ce moment-même mais la petite bête ne fait plus dans la boucherie.
Dans la mêlée, Minah courut, lépée au ras du sol pour faucher les soldats au creux du genou. Quand elle se les repassait dans sa tête, elle navait quune idée vague des évènements. Seules quelques sensations fugaces parvenaient à effleurer sa mémoire. Fatigue, peur, rage. Sa main moite qui se serrait tant bien que mal sur la poignée de lépée, le cuir rêche de la poignée sous ses doigts. Ses bottes rouges qui senfonçaient dans la bouillasse. Le fracas des épées, des armures, du sabot des chevaux. Les cris. Les compagnons darme nétaient que des taches floues aux limites de son champ de vision. Les ennemis aussi.
Elle ne sétait arrêtée quun instant. Essuyer du revers de la manche une goutte de sueur sur son front.
Rien vu venir. Le choc. La douleur vint cueillir lécuyère manchote au creux du bide. Elle sentendit crier. Puis elle sécroula. Et ensuite plus rien.
Réveil dans la boue, les tripes en feu, les joues fiévreuses.
La châtaigne palpa les bords de la blessure du doigt et retira vivement sa main tachée de sang avec une grimace. Elle parvint à lever la tête. Son épée gisait, brisée, à ses côtés. Il y avait des morts, hommes et bêtes.
Lestropiée prit peur. Et si on lavait abandonnée ? Et si on la croyait morte ? Et si la patronne se fâchait que lécuyère ait été si pitoyable pendant le combat ? Et si tous les autres étaient morts et que les rares soldats encore debout quelle voyait étaient des ennemis qui achevaient les blessés ?
Se levant tant bien que mal, la crasseuse tituba, rampant presque, le bras serré contre sa plaie.
Elle fuit.
[Où lon apprend que retourner à létat sauvage semble une bonne idée sur le moment Quelques jours plus tard]
Dans un fourré, près du fossé d'un chemin aux abords de Sémur.
Minah sétait traîné un long moment avant de se trouver une tanière acceptable. Elle avait vaguement pansé ses blessures (un morceau de sa chemise et un peu de bave, faute deau), puis les avait bandées (le reste de la chemise) avec difficulté : navoir quune main rend tout de suite les choses moins aisées.
Maintenant elle se terrait dans son trou, roulée en boule comme un chien sous sa pèlerine pour conserver la chaleur de son corps fiévreux.
Elle ne voulait pas sortir de son refuge.
Elle avait peur. Peur quon lenvoie se battre à nouveau, peur de lépée qui lui arracherait les tripes, peur de la douleur, peur quon la corrige pour avoir fui après sêtre blessée, peur de passer pour une lâche, peur dêtre humaine.
Les humains, ça craint. Vous nétiez jamais en sécurité. Ils trouvaient sans cesse une excuse pour se taper dessus. Cétait drôle, sauf quand cétait sur vous quon tapait.
La moiteur fétide de lair, lodeur de la terre humide, des végétaux en putréfaction, la décomposition de Rodolphe-le-pigeon-mort et dEulalie-la-tête-de-chat dans sa besace la réconfortaient. Ici, jamais on nessaierait de la tuer et si elle mourait, elle ne ferait que se confondre davantage avec son abri.
Elle avait réussi à survivre, la veille, en écrasant la tête dun écureuil contre une grosse pierre et en le mangeant, cru. Ça avait un goût louche, un peu sauvage, avec de petits os qui croquaient sous la dent, du poil qui crissait sur la langue. Cétait bon.
Non. Elle ne voulait pas sortir dici. Son trou était le meilleur refuge du monde, un paradis solaire un rien plus humide que loriginal.
Un bruit. Des pas. Trop près de la tanière minahesque pour sa sécurité.
La petite bête blessée leva la tête. Retroussant la lèvre supérieure sur son râtelier pourri, elle grogna furieusement.
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