Ingeburge
[RP concomitamment rédigé par LJD Acta & Inge.]
L'entretien destiné à se mettre d'accord sur le nom du futur Maître des Cérémonies avait été redouté avant même que celui où ils étaient censés parler de son avenir à elle se déroulât car elle ne pouvait plus se trouver en sa présence sans éprouver de la gêne et de l'hostilité. Et maintenant... c'était pire. Depuis cette discussion vespérale, en cette même pièce, elle ne l'avait revu que peu de fois, elle pouvait même en dénombrer les occurrences. Elle avait était en sa compagnie en tout et pour tout trois fois, lors des deux dernières réceptions des candidats à une charge au sein de l'Office des Cérémonies et à l'occasion de la prestation d'allégeance du nouveau duc de Touraine, quelque jours après la mi-juin. Et, avant son retour en salle du trône, elle s'était réfugiée à Auxerre, abandonnant tout ce qui la retenait à Paris, peu désireuse de tomber sur sa silhouette haute au détour d'un corridor du Louvre ou au coin d'une rue parisienne. Oui, définitivement, ce nouveau tête-à-tête l'avait par avance épuisée; le matin même, elle avait saigné du nez, comme toutes les fois où elle était durement éprouvée. En se levant, elle avait soupiré, abattue par avance, n'en revenant pas qu'il était déjà temps de se retrouver en sa compagnie, étonnée que tant de jours se fussent déjà écoulés alors que dans le même temps, à force de revivre la scène de cauchemar, elle avait sensation que celle-ci avait eu lieu la veille.
Le silence se prolongeait. Elle ne se souvenait déjà plus de la manière dont elle était arrivée jusqu'au bureau ou de la façon dont elle l'avait salué, elle avait oublié ses mots et son air à lui tant elle avait tout fait pour agir comme s'il n'était au final pas là. La tête penchée en avant, elle faisait maintenant semblant de relire les lettres de candidature, attendant qu'il prît la parole et tâchant de ne rien montrer de sa fébrilité. Mais patienter ainsi en laissant libre cours à ses pensées, c'était prolonger le supplice là où elle avait envie d'en finir et de quitter les lieux. Posant les yeux sur lui, elle se décida donc à parler :
Je ne vous avais pas tu mes craintes, après la réception de toutes les missives, déçue du peu de matière que nous pûmes y trouver mais au final, je dois avouer qu'il y a eu de positives surprises et que mes choix ne sont pas aussi arrêtés qu'escomptés. Notre discussion ne pourra donc qu'être fructueuse et ce que vous exposerez de vos avis ne pourra que m'aider.
Ses sourcils se froncèrent, pourquoi avait-elle l'impression d'être maladroite et de viser autre chose que ce qui était censé les préoccuper? Elle le regarda, pourtant, attentive.
Son regard de Sienne avait quelque chose de réjoui. Car à l'évidence le Grand Chambellan partageait l'avis glissé en préambule à cette discussion. Oui, il avait été lui-même satisfait au possible de ces quelques entretiens et de leur tournure pour le moins instructive. Et c'était là un début que d'être d'accord sur la mise en bouche. Restait à savoir, si celle-ci serait suivi de plats tout aussi délicieusement égayant.
Je ne puis ma fois qu'acquiescer à vos propos. J'ai néanmoins pour ma part un avis très favorable pour trois des personnes. Aude de Sigognac est pleine de vie, d'entrain, mais son inexpérience est criarde. Il lui faudra encore apprendre avant d'espérer embrasser telle fonction. Monseigneur d'Appérault a joué de concision, un peu trop à mon goût. S'il ne s'agit pas d'être expansif, un brin d'enthousiasme lui aurait peut-être sauvé la mise à mes yeux. Or, d'enthousiasme je n'ai guère senti dans ces réponses convenues. Au contraire d'Ophelya de Valbony-Krakov, mais malheureusement je crains qu'une telle fonction lui pèse. Elle semble éprouver une telle rancoeur envers la noblesse que je ne crois pas que sa place soit au Louvre. Peut-être avec le temps s'apaisera-t-elle, mais de temps nous manquons...
Au moins, ils s'accordaient là-dessus, si elle avait douté qu'ils puissent encore travailler ensemble à l'avenir, ce premier échange la rasséréné quelque peu.
Je ne vous contredirai pas en ce qui concerne ces trois personnes. Aude de Sigognac me paraît un peu trop tendre, un peu trop inexpérimentée, un peu trop verte et la charge, même s'il s'agit de seconder un officier, requiert de la maîtrise et des connaissances. J'espère néanmoins qu'elle ne prendra pas notre refus comme un rejet de sa personne et de ses qualités.
Et en parlant de maîtrise...
Lyonnais d'Appérault m'a franchement déçue. Voilà un homme public, évêque, officier royal de surcroît, qui, se glorifiant de cela, n'a absolument rien à dire, rien à exposer. J'étais prévenue contre lui, à cause des déboires que nous avons connu en préparant le sacre et rien de ce qui est sorti de sa bouche ne m'a éclairée sur sa vision du poste et de l'office. Je ne doute pas de ses qualités, il est après tout Premier Aumônier Royal, mais pour le coup, rien n'en a transparu.
Quant à Ophelya de Valbony-krakov... ma foi, son impertinence, son insolence l'ont pour moi immédiatement condamnée, le Grand Maître des Cérémonies n'a ni le temps, ni l'attribution d'éduquer son assistant et je ne regrette donc pas un seul instant la façon donc vous l'avez accueillie et cueillie.
Un fin sourire étira ses lèvres alors qu'elle repensait à ce qu'elle venait d'évoquer et pour la première fois depuis longtemps avec lui, elle se montra quelque peu détendue.
Le sourire, si rare, n'échappa pas aux perles attentives du Mendois, qui se confondit en un sourire encore plus radieux, alors que sa pensée ne manquait de relever que tel rictus ne gâtait en rien la cardinalice beauté. Il lui offrait un soupçon d'exotisme. Le souvenir demeurait néanmoins quelque peu amusant tant il était indéniable que le Phénix, d'ordinaire si chaleureux, avait été d'un glacial peu commun, d'un glacial quasi "ingeburgesque", l'accent d'oc en plus. Tout à fait déridé, il osa même un soupçon de dérision sur le lien si contradictoire qui les unissait.
Reste donc à nous mettre d'accord sur les trois autres candidatures, ce qui nous connaissant, ne sera pas forcément une sinécure.
Il fallut revenir au sujet, délaisser ce qui était plus léger et défendre aussi son point de vue. Surtout qu'ils ne seraient peut-être plus d'accord.
Je sais que l'appel à candidature concernait le seul poste de Maître des Cérémonies mais il nous reste trois jeunes femmes à départager... nous pourrions, dans le même mouvement, attribuer celui d'Aide aux Cérémonies car le choix ne me paraît pas évident. Je pense que cela ne sera pas de trop et qui sait ce que nous réserve l'avenir?
Elle examina ses mains, comme à la recherche d'une réponse elle qui doutait de tout. Un soupir gonfla sa poitrine et s'enfuit ensuite, doucement.
L'ambiance si étrangement cordiale emmena le Grand Chambellan sur les pentes du désaccord et cela sans qu'il ne put le soupçonner. Car il ne fut guère long à épouser la proposition de la Prinzessin. Et pourtant, dans son élan, il baissa sa garde naturelle et livra la totalité de son avis. Mal lui en prit. Quoique...
Vous avez raison. Si ma préférence va clairement à Aranelle du Ried, je pense qu'Akane de Clairval et Alinea de Raveline peuvent toutes deux avoir un apport bénéfique aux Cérémonies. Toutes trois sont enthousiastes et qualifiées à mon sens, mais l'une m'a séduite par ses idées et sa connaissance de l'office du Grand Chambellan. Le problème de notre candidate normande, sans aucun doute la plus expérimentée, demeure son engagement dans son duché à mon sens. Quant à notre demoiselle de Raveline, en terme d'expérience ou disons de connaissance, elle semble la moins qualifiée, mais elle a du flair et de l'instinct.
Il était donc d'accord, nommer deux personnes au lieu de deux mais pour le reste, l'entente s'arrêtait là, elle ne le voyait que trop.
Aranelle du Ried? J'aurais pour ma part favorisé Akane de Clairval, pour son enthousiasme et sa fraîcheur là où la première me semble plus lisse et plus convenue. Elles ont toutes deux des idées, cela est certain, même si je déplore, et cela est valable pour tous les candidats, que l'aspect des réjouissances ait bien trop souvent pris le pas sur l'aspect cérémoniel. Mais j'ai aimé l'honnêteté de la duchesse de Normandie, son allant et vous savez ce que je pense de cette histoire de... compatibilité.
Pour sûr qu'il le savait, il l'avait déjà entendue à ce propos, elle n'avait rien caché de son agacement face à ce genre de théorie, pourquoi être investi pour son duché ou occuper quelques charges était-il perçu comme un handicap ou une contre-indication? Elle se tendait, à nouveau, comme à chaque fois qu'ils rencontraient un point d'achoppement, refusant de reconnaître que cette tension trouvait sa source dans son malaise et non dans la disparité de leurs opinions pour l'office. Ce n'était pas elle et lui, c'était juste leur vision divergente des choses. Farouche tout à coup, elle le regarda intensément, oublieuse soudain de sa crainte de croiser à nouveau ses brûlantes prunelles et elle déclara nettement :
Et, pour ma part, Alinea de Raveline doit être Aide aux cérémonies. Elle est jeune, relativement inexpérimentée mais ce rôle de petite main lui conviendrait à merveille et lui permettrait de développer ses qualités et d'acquérir des connaissances.
Et le froncement de sourcils survint. Le silence dura quelques instants, le temps pour le Languedocien de rassembler ses idées, de rafraîchir le déroulement des entretiens, de s'affranchir du regard cardinalice qui pesait sur lui et auquel il savait désormais avec certitude ne pas pouvoir longuement résisté. Etre objectif, objectif... et puis pourquoi après tout ? Qui le saurait ? Ne serait-ce pas humain que de vouloir prolonger ce moment précieux de partage, de ne pas insister sur la pente du conflit. Et les jeux étaient fait, il s'en irait bientôt, alors qu'elle demeurerait... Ses yeux revinrent à son interlocutrice et là où on s'attendait sans doute à un long argumentaire, il s'éclipsa. Non par lassitude, non par la plus profonde des convictions, mais parce qu'il avait aimé ce partage.
Ma foi, vos paroles ont fait jaillir des réminiscences et votre argumentaire se tient. J'ai beau cherché à y répondre, j'avoue ne savoir qu'opposer à votre bon sens. Je me rallie donc à votre avis, à la seule condition que vous vous enquériez des disponibilités d'Akane de Clairval, car il est bien question de disponibilité et non de compatibilité. Si votre exemple était universel, alors je n'émettrais aucune réserve. Las pour moi, vous êtes une perle aussi rare qu'unique et je me dois de me montrer prudent. Je vous laisse préparer ces nominations, mais aussi les courriers que nous enverrons à chacun des candidats, si vous en avez le temps, sinon je m'en chargerais. Et oui, pour éviter de trahir la véritable cause de son choix, il usa de son autorité de Grand Officier et arbora le sourire de l'homme heureux d'avoir sacrifié son avis à la cordialité retrouvée d'une relation tempétueuse qui lui tenait, soyons honnêtes, bien plus à coeur que ces nominations. Et assurément cela ne pèserait pas sur sa conscience, car il savait pour connaître Akane de Clairval, pour lui avoir parlé, qu'il s'agissait d'une dame de qualité, tout comme il savait que l'enthousiasme et l'excellente éducation de la jeune Aranelle lui ouvrirait bien des portes et peut-être bien plus tôt qu'elle ne pouvait elle-même s'y attendre. Le Vicomte se promit en tous les cas de ne pas oublier son nom et de la faire prévenir dès qu'une place se libèrerait. Avec sa prochaine démission et les possibles bouleversements qu'elle engendrerait, il y aurait sans doute bientôt quelques nouvelles charges à pourvoir. Mais cela demeurerait une toute autre histoire. Car dans cette pièce, le Languedocien contemplait et se perdait dans le regard de la ténébreuse Ingeburge.
Et elle frémit, oh elle frémit alors qu'il la regardait, souriant, comme il l'avait déjà regardée, avec sa mine éclairée et chaleureuse et elle frémit d'autant plus qu'elle avait peur maintenant qu'il était assuré qu'il partait. Ils n'auraient plus ces conversations, ils ne partageraient plus ces instants graves et légers à la fois, ils ne seraient plus. Lui s'en irait et elle demeurerait.
Oui, elle frémit, troublée, et c'est une main tremblante qui partit à la recherche d'une plume pour qu'elle puisse rédiger les courriers demandés.
Il me semble que c'est à vous qu'il revient de dresser l'annonce de nomination.
L'ultime.
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L'entretien destiné à se mettre d'accord sur le nom du futur Maître des Cérémonies avait été redouté avant même que celui où ils étaient censés parler de son avenir à elle se déroulât car elle ne pouvait plus se trouver en sa présence sans éprouver de la gêne et de l'hostilité. Et maintenant... c'était pire. Depuis cette discussion vespérale, en cette même pièce, elle ne l'avait revu que peu de fois, elle pouvait même en dénombrer les occurrences. Elle avait était en sa compagnie en tout et pour tout trois fois, lors des deux dernières réceptions des candidats à une charge au sein de l'Office des Cérémonies et à l'occasion de la prestation d'allégeance du nouveau duc de Touraine, quelque jours après la mi-juin. Et, avant son retour en salle du trône, elle s'était réfugiée à Auxerre, abandonnant tout ce qui la retenait à Paris, peu désireuse de tomber sur sa silhouette haute au détour d'un corridor du Louvre ou au coin d'une rue parisienne. Oui, définitivement, ce nouveau tête-à-tête l'avait par avance épuisée; le matin même, elle avait saigné du nez, comme toutes les fois où elle était durement éprouvée. En se levant, elle avait soupiré, abattue par avance, n'en revenant pas qu'il était déjà temps de se retrouver en sa compagnie, étonnée que tant de jours se fussent déjà écoulés alors que dans le même temps, à force de revivre la scène de cauchemar, elle avait sensation que celle-ci avait eu lieu la veille.
Le silence se prolongeait. Elle ne se souvenait déjà plus de la manière dont elle était arrivée jusqu'au bureau ou de la façon dont elle l'avait salué, elle avait oublié ses mots et son air à lui tant elle avait tout fait pour agir comme s'il n'était au final pas là. La tête penchée en avant, elle faisait maintenant semblant de relire les lettres de candidature, attendant qu'il prît la parole et tâchant de ne rien montrer de sa fébrilité. Mais patienter ainsi en laissant libre cours à ses pensées, c'était prolonger le supplice là où elle avait envie d'en finir et de quitter les lieux. Posant les yeux sur lui, elle se décida donc à parler :
Je ne vous avais pas tu mes craintes, après la réception de toutes les missives, déçue du peu de matière que nous pûmes y trouver mais au final, je dois avouer qu'il y a eu de positives surprises et que mes choix ne sont pas aussi arrêtés qu'escomptés. Notre discussion ne pourra donc qu'être fructueuse et ce que vous exposerez de vos avis ne pourra que m'aider.
Ses sourcils se froncèrent, pourquoi avait-elle l'impression d'être maladroite et de viser autre chose que ce qui était censé les préoccuper? Elle le regarda, pourtant, attentive.
Son regard de Sienne avait quelque chose de réjoui. Car à l'évidence le Grand Chambellan partageait l'avis glissé en préambule à cette discussion. Oui, il avait été lui-même satisfait au possible de ces quelques entretiens et de leur tournure pour le moins instructive. Et c'était là un début que d'être d'accord sur la mise en bouche. Restait à savoir, si celle-ci serait suivi de plats tout aussi délicieusement égayant.
Je ne puis ma fois qu'acquiescer à vos propos. J'ai néanmoins pour ma part un avis très favorable pour trois des personnes. Aude de Sigognac est pleine de vie, d'entrain, mais son inexpérience est criarde. Il lui faudra encore apprendre avant d'espérer embrasser telle fonction. Monseigneur d'Appérault a joué de concision, un peu trop à mon goût. S'il ne s'agit pas d'être expansif, un brin d'enthousiasme lui aurait peut-être sauvé la mise à mes yeux. Or, d'enthousiasme je n'ai guère senti dans ces réponses convenues. Au contraire d'Ophelya de Valbony-Krakov, mais malheureusement je crains qu'une telle fonction lui pèse. Elle semble éprouver une telle rancoeur envers la noblesse que je ne crois pas que sa place soit au Louvre. Peut-être avec le temps s'apaisera-t-elle, mais de temps nous manquons...
Au moins, ils s'accordaient là-dessus, si elle avait douté qu'ils puissent encore travailler ensemble à l'avenir, ce premier échange la rasséréné quelque peu.
Je ne vous contredirai pas en ce qui concerne ces trois personnes. Aude de Sigognac me paraît un peu trop tendre, un peu trop inexpérimentée, un peu trop verte et la charge, même s'il s'agit de seconder un officier, requiert de la maîtrise et des connaissances. J'espère néanmoins qu'elle ne prendra pas notre refus comme un rejet de sa personne et de ses qualités.
Et en parlant de maîtrise...
Lyonnais d'Appérault m'a franchement déçue. Voilà un homme public, évêque, officier royal de surcroît, qui, se glorifiant de cela, n'a absolument rien à dire, rien à exposer. J'étais prévenue contre lui, à cause des déboires que nous avons connu en préparant le sacre et rien de ce qui est sorti de sa bouche ne m'a éclairée sur sa vision du poste et de l'office. Je ne doute pas de ses qualités, il est après tout Premier Aumônier Royal, mais pour le coup, rien n'en a transparu.
Quant à Ophelya de Valbony-krakov... ma foi, son impertinence, son insolence l'ont pour moi immédiatement condamnée, le Grand Maître des Cérémonies n'a ni le temps, ni l'attribution d'éduquer son assistant et je ne regrette donc pas un seul instant la façon donc vous l'avez accueillie et cueillie.
Un fin sourire étira ses lèvres alors qu'elle repensait à ce qu'elle venait d'évoquer et pour la première fois depuis longtemps avec lui, elle se montra quelque peu détendue.
Le sourire, si rare, n'échappa pas aux perles attentives du Mendois, qui se confondit en un sourire encore plus radieux, alors que sa pensée ne manquait de relever que tel rictus ne gâtait en rien la cardinalice beauté. Il lui offrait un soupçon d'exotisme. Le souvenir demeurait néanmoins quelque peu amusant tant il était indéniable que le Phénix, d'ordinaire si chaleureux, avait été d'un glacial peu commun, d'un glacial quasi "ingeburgesque", l'accent d'oc en plus. Tout à fait déridé, il osa même un soupçon de dérision sur le lien si contradictoire qui les unissait.
Reste donc à nous mettre d'accord sur les trois autres candidatures, ce qui nous connaissant, ne sera pas forcément une sinécure.
Il fallut revenir au sujet, délaisser ce qui était plus léger et défendre aussi son point de vue. Surtout qu'ils ne seraient peut-être plus d'accord.
Je sais que l'appel à candidature concernait le seul poste de Maître des Cérémonies mais il nous reste trois jeunes femmes à départager... nous pourrions, dans le même mouvement, attribuer celui d'Aide aux Cérémonies car le choix ne me paraît pas évident. Je pense que cela ne sera pas de trop et qui sait ce que nous réserve l'avenir?
Elle examina ses mains, comme à la recherche d'une réponse elle qui doutait de tout. Un soupir gonfla sa poitrine et s'enfuit ensuite, doucement.
L'ambiance si étrangement cordiale emmena le Grand Chambellan sur les pentes du désaccord et cela sans qu'il ne put le soupçonner. Car il ne fut guère long à épouser la proposition de la Prinzessin. Et pourtant, dans son élan, il baissa sa garde naturelle et livra la totalité de son avis. Mal lui en prit. Quoique...
Vous avez raison. Si ma préférence va clairement à Aranelle du Ried, je pense qu'Akane de Clairval et Alinea de Raveline peuvent toutes deux avoir un apport bénéfique aux Cérémonies. Toutes trois sont enthousiastes et qualifiées à mon sens, mais l'une m'a séduite par ses idées et sa connaissance de l'office du Grand Chambellan. Le problème de notre candidate normande, sans aucun doute la plus expérimentée, demeure son engagement dans son duché à mon sens. Quant à notre demoiselle de Raveline, en terme d'expérience ou disons de connaissance, elle semble la moins qualifiée, mais elle a du flair et de l'instinct.
Il était donc d'accord, nommer deux personnes au lieu de deux mais pour le reste, l'entente s'arrêtait là, elle ne le voyait que trop.
Aranelle du Ried? J'aurais pour ma part favorisé Akane de Clairval, pour son enthousiasme et sa fraîcheur là où la première me semble plus lisse et plus convenue. Elles ont toutes deux des idées, cela est certain, même si je déplore, et cela est valable pour tous les candidats, que l'aspect des réjouissances ait bien trop souvent pris le pas sur l'aspect cérémoniel. Mais j'ai aimé l'honnêteté de la duchesse de Normandie, son allant et vous savez ce que je pense de cette histoire de... compatibilité.
Pour sûr qu'il le savait, il l'avait déjà entendue à ce propos, elle n'avait rien caché de son agacement face à ce genre de théorie, pourquoi être investi pour son duché ou occuper quelques charges était-il perçu comme un handicap ou une contre-indication? Elle se tendait, à nouveau, comme à chaque fois qu'ils rencontraient un point d'achoppement, refusant de reconnaître que cette tension trouvait sa source dans son malaise et non dans la disparité de leurs opinions pour l'office. Ce n'était pas elle et lui, c'était juste leur vision divergente des choses. Farouche tout à coup, elle le regarda intensément, oublieuse soudain de sa crainte de croiser à nouveau ses brûlantes prunelles et elle déclara nettement :
Et, pour ma part, Alinea de Raveline doit être Aide aux cérémonies. Elle est jeune, relativement inexpérimentée mais ce rôle de petite main lui conviendrait à merveille et lui permettrait de développer ses qualités et d'acquérir des connaissances.
Et le froncement de sourcils survint. Le silence dura quelques instants, le temps pour le Languedocien de rassembler ses idées, de rafraîchir le déroulement des entretiens, de s'affranchir du regard cardinalice qui pesait sur lui et auquel il savait désormais avec certitude ne pas pouvoir longuement résisté. Etre objectif, objectif... et puis pourquoi après tout ? Qui le saurait ? Ne serait-ce pas humain que de vouloir prolonger ce moment précieux de partage, de ne pas insister sur la pente du conflit. Et les jeux étaient fait, il s'en irait bientôt, alors qu'elle demeurerait... Ses yeux revinrent à son interlocutrice et là où on s'attendait sans doute à un long argumentaire, il s'éclipsa. Non par lassitude, non par la plus profonde des convictions, mais parce qu'il avait aimé ce partage.
Ma foi, vos paroles ont fait jaillir des réminiscences et votre argumentaire se tient. J'ai beau cherché à y répondre, j'avoue ne savoir qu'opposer à votre bon sens. Je me rallie donc à votre avis, à la seule condition que vous vous enquériez des disponibilités d'Akane de Clairval, car il est bien question de disponibilité et non de compatibilité. Si votre exemple était universel, alors je n'émettrais aucune réserve. Las pour moi, vous êtes une perle aussi rare qu'unique et je me dois de me montrer prudent. Je vous laisse préparer ces nominations, mais aussi les courriers que nous enverrons à chacun des candidats, si vous en avez le temps, sinon je m'en chargerais. Et oui, pour éviter de trahir la véritable cause de son choix, il usa de son autorité de Grand Officier et arbora le sourire de l'homme heureux d'avoir sacrifié son avis à la cordialité retrouvée d'une relation tempétueuse qui lui tenait, soyons honnêtes, bien plus à coeur que ces nominations. Et assurément cela ne pèserait pas sur sa conscience, car il savait pour connaître Akane de Clairval, pour lui avoir parlé, qu'il s'agissait d'une dame de qualité, tout comme il savait que l'enthousiasme et l'excellente éducation de la jeune Aranelle lui ouvrirait bien des portes et peut-être bien plus tôt qu'elle ne pouvait elle-même s'y attendre. Le Vicomte se promit en tous les cas de ne pas oublier son nom et de la faire prévenir dès qu'une place se libèrerait. Avec sa prochaine démission et les possibles bouleversements qu'elle engendrerait, il y aurait sans doute bientôt quelques nouvelles charges à pourvoir. Mais cela demeurerait une toute autre histoire. Car dans cette pièce, le Languedocien contemplait et se perdait dans le regard de la ténébreuse Ingeburge.
Et elle frémit, oh elle frémit alors qu'il la regardait, souriant, comme il l'avait déjà regardée, avec sa mine éclairée et chaleureuse et elle frémit d'autant plus qu'elle avait peur maintenant qu'il était assuré qu'il partait. Ils n'auraient plus ces conversations, ils ne partageraient plus ces instants graves et légers à la fois, ils ne seraient plus. Lui s'en irait et elle demeurerait.
Oui, elle frémit, troublée, et c'est une main tremblante qui partit à la recherche d'une plume pour qu'elle puisse rédiger les courriers demandés.
Il me semble que c'est à vous qu'il revient de dresser l'annonce de nomination.
L'ultime.
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