Après le départ de Dame Caro, l'ecclésiaste avignonnais avait été replongé dans les ténèbres, ayant pour seule compagne une froideur grandissante que même la couverture ne pouvait garder au loin. Le bruit des gouttes d'eau tombant sur la pierre du sol marquait le temps, une mesure qui était superflue dans le monde d'un prisonnier, l'un des rares états pouvant nous détacher de ce besoin maladif de quantifier chaque moment et de les mettre en relation de durées. Au travers de la porte, il entendait la respiration grasse du geôlier, qui ne semblait être dédié qu'à la seule garde de sa cellule, celle d'un vilain traître au Royaume, ennemi dangereux du mensonge. Il trouva refuge contre ses tourments dans le dogme. Ses doigts tournaient machinalement les pages de son petit bréviaire, usé par tant d'années d'utilisation quotidienne. Bien que totalement dans le noir, il murmurait les paroles qui y étaient consignées, l'ayant finalement mémorisé d'un bout à l'autre au tournant de ses 37 ans. Il faisait encore quelques erreurs, mais pour le néophyte, cela demeurait un exploit impressionnant.
Son corps, vieux et usé, se plaignait de plus en plus. Son esprit, grisé par la fatigue, cherchait le chemin de la vertu, la conduite appropriée en telle situation. Il cherchait à élever son âme vers Dieu afin de mieux distinguer les impénétrables nuages des dessins du Très-Haut. Était-ce une épreuve parmi d'autre où était-ce l'ultime épreuve? Faisait-il preuve d'une fausse vanité en endurant le tout où au contraire, faisait-il preuve d'abnégation devant les conséquences qui pourraient être entraînées chez les autres. Tant de variables, tant d'inconnus. La religion se voulait souvent simple et claire, les relations entre les hommes, complexes.
Il fut tiré de ses pensées par des pas approchant. Ce ne pouvait être le moment du repas, il n'avait pas encore touché le plat peu ragoutant qui lui avait été donné quelques heures auparavant. Peut-être était-ce enfin l'envoyé du Roy. La porte maugréa à nouveau à son ouverture et une mince lumière filtra par l'embrasure, permettant à l'italien de distinguer les contours d'un homme. Il concentra son regard, qui s'adapta à la nouvelle lumière afin de découvrir les traits du Comte Varden. Il sourit instantanément, eux deux dans une geôle. Si ce n'eût été en plein sud du Royaume, l'on eût cru être de retour au temps de la seconde guerre de Compiègne. Il s'assied sur le côté du lit, laissant assez de place à son visiteur, brossant à nouveau sa soutane pour en retirer sans réussir une fine couche de poussière, fixée par la sueur. Il répondit à ses paroles, d'une voix calme et apaisée, ayant depuis longtemps appris à conserver sa contenance en toute circonstance :
- Il ne faut guère s'attacher aux choses matérielles cher ami. Et puis, que de beauté serait placée dans cette geôle que l'on ne pourrait l'admirer, la lumière filtrant par cette lucarne n'est que fugace compagne, la noirceur étant maîtresse en ce domaine. J'oserais-vous dire que la cellule me rappelle certaines vieilles cellules du séminaire de Bonifanti, mais ce serait être injuste envers la qualité de la maçonnerie de cet antique endroit. Quant à la paillasse, inutile de vous dire qu'elle paie autant de confort que de mine, mais l'on sous-estime toujours les bienfaits d'une planche pour dormir. Pour ce qui est des ténèbres mon amis, je pourrais vous dire que nous portons toute la lumière qu'il nous faut en notre cur, mais sans faire d'allégorie, j'avancerais simplement que les ténèbres ne sont pas si épeurantes pour quelqu'un qui a passé sa vie à en définir les contours et en explorer le contenu. La noirceur n'est ultimement qu'une vieille compagne.
Son interlocuteur lui remémora leur jeune temps, dans un Artois déchiré par la guerre et une Champagne profondément convaincu que l'injustice et l'infamie pouvait être camouflée par l'illusion du bon droit. Jamais ville n'aurait fait couler autant de sang, vociféré autant de paroles et créé aussi durable animosité que Compiègne. Il sourit, se remémorant les paroles, les actes. Les mots durs avaient été échangées, il se souvint d'avoir composé une fable.
- Vous vous souvenez donc de cette horrible fable, cher ami? Petit Varden et le ha-Ricoh magique, je crois qu'elle se nommait. Ce n'était point mes heures littéraires les plus fascinantes. Quant à vos prières exhaussées, ne vous en voulez point. Nous étions deux jeunes coqs, insolents et emplis de cette certitude que seule la jeunesse apporte, près à défendre nos contrées respectives contre les assauts si délétères de nos ennemis.
- Quant à cet emprisonnement, il n'est point de votre ressort, mais de celui du Roy-élu. En bon sujet, je me rends à ses désirs et décisions. Il démontre chaque jour la noirceur de son coeur. Ne soyez point triste, je suis cent fois plus heureux d'être ici en geôle à la place qu'un confrère moins âgé, moins expérimenté. L'âge nous redonne une perspective sur les choses. J'ai eu une vie remplie, heureuse, faite de service et de dévotion. J'ai péché, j'ai regretté, j'ai muri. Chaque moments, chaque souffle est un don de Dieu, et je comptes vivre chaque instant jusqu'à la fin, soit-elle rapide où dans plusieurs années.
Il écouta la dernière phrase d'un de ses plus vieux compères, puis répondit doucement.
- Abandonner son âme, sa foy et ses valeurs mon amis. Ils sont les piliers du temple, de la vie, de l'existence.
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Archevêque Suffragant d'Avignon
Primat de France
"Sic nos sic sacra tuemur"