Lorsque le Roy éclata de rire, l'italien nota qu'il n'avait pas relevé le sarcasme de sa réponse. Visiblement, le monarque préférait considérer le primat comme un simplet, ce qui en temps et lieux pourrait constituer un avantage. Pour sa part, l'ecclésiaste se savait en présence d'un esprit brillant, capable de matérialiser sa volonté en un torrent de faits tangibles, une qualité peu commune chez d'innombrables princes. Il fit un mouvement vers le fauteuil, tout en entreprenant la lourde tâche d'ordonner ses pensées afin de répondre au flot des paroles du suzerain, paroles fort instructives non seulement en les détails qu'elles offraient, mais aussi en ceux qu'elle se réservaient de divulguer. Sur son ton toujours calme, il répondit aux paroles prononcées :
- Si vous me permettez, Votre Majesté, lorsque vous parlez de Son Éminence Rehael, vous parlez d'un homme dont le service continu s'est toujours effectué dans la loyauté envers la Couronne de France. Il fut l'architecte du sacre de nombreux monarques. Quant à sa prétendue trahison envers la Couronne, vous me voyez fort confus puisque la trahison, concept sibyllin, s'est vu rendre largement confuse lorsque vous l'avez attribuée à ma personne sans aucune forme de procès.
Il prit un instant, chassant la nervosité que suscitait une rencontre du genre, même chez un vieillard peu impressionnable. Il reprit ensuite, la mine grave.
- Passons outre cette considération de justice afin toutefois de lever le voile sur la prétendue simonie dont vous accablez le Cardinal-Archevêque de Rouen. Nul doute que de marchander pour obtenir une contrepartie en se détournant de la Vertu est un fait condamnable. C'est en quelque sorte comme un achat de votes, une chose que vous et moi convenons comme étant hautement répréhensible. Si vous disposez de preuves tangibles, je suis prêt à vous accompagner devant la Saincte-Inquisition afin de tirer cette situation au clair et de faire rayonner la justice.
Il laissa le sujet de la prétendue corruption de l'Archevêque de Rouen de côté un instant. S'il pouvait acquiescer au fait que le Cardinal avait parfois un caractère irascible, il ne pouvais franchir l'énorme gouffre intellectuel et moral qui séparait une position raisonnée des acrobaties mentales que forçaient les allégations du Roy. Il reprit sur un tout autre thème.
- Certes, Votre Majesté, je veux bien croire en votre bravoure et votre sagesse. Toutefois, je crains que votre confiance en la pérennité de celles-ci ne soient infondée. Si certes, suspendre le Concordat de Paris et ouvrir les portes du Royaume de France aux hérétiques de tout acabit peut sembler brave, il m'est impossible d'avancer que cela est sage. Par cette simple action, vous avez semé d'innombrables graines de discorde qui viendront détruire le Royaume de France dans les générations à venir. Certes, vous êtes un fort et puissant prince, nul ne vous le contestera, mais vous n'êtes points éternel et l'histoire nous démontre souvent qu'à un grand homme succède souvent un pleutre. J'ai donc grande crainte pour ce Royaume que nous aimons tous autant.
C'était là un de ses traits fondamentaux. Il parvenait toujours à exprimer les désaccords dans le respect des positions énoncées, avec une franchise déconcertante mais surtout, une croyance en la capacité de deux personnes de discourir sous l'égide de la raison sans laisser l'émotion modifier le discours issu de la réflexion. Lorsque le monarque lui mentionna la croisade, presque trivialement, l'italien en fut atterré. Il réfléchit un instant avant d'avancer quelques paroles :
- Les croisades ne sont jamais déclenchées simplement. Le Saint-Père n'est point de ceux qui plongent un Royaume en entier dans les affres de la guerre pour simple trivialité. Votre rivalité avec certains cardinaux ne vaut pas la mort, la famine et la maladie qui prendront d'innombrables fils, filles, femmes et maris. C'est dans la paix que se grave la véritable renommée, les blessures et l'agonie laissant marques certes plus indélébiles dans les annales de l'histoire, mais traces beaucoup plus douloureuses. Soyons hommes de paix, préservons la multitude, l'avenir de vos sujets, de nos frères, vaut bien quelques génuflexions et une dose de contrition, Le Saint-Père est homme de pardon.
Appel à la paix. S'il avait bien saisi la nature vaniteuse du Roy, il savait celui-ci vain. Il était de certaines natures de n'être courbées par aucune force autre que la brutalité des armes. Hélas, c'était là une profession qui n'était point familière à l'Église, malgré toute sa vertu et son courage. Le sujet passa donc sur la situation de quelques duchés, dont la Bourgogne et le Béarn. L'italien se demandait bien ce qui pouvait bien s'être passé, ainsi donc, il se reporta sur la sagesse qui l'avait toujours guidé, de Florence à l'Artois, du Béarn à l'Anjou.
- Et qu'on donc décidé les conseils comtaux et ducaux légitimement élus? Car le Sud n'est point fait que de Duchés, vous le savez sûrement, votre charmante épouse ayant été, si je ne m'abuse, comtesse et non Duchesse du Béarn. J'imagines aisément que vous ayez décidé de respecter les décisions de ceux tirant leur pouvoir des urnes, après avoir clamé de façon si convaincante et probante votre légitimité comme étant issue seulement de ce moyen? Je n'ai pas souvenir que le Cardinal-Archevêque de Rouen eut des intérêts en Bourgogne. Quant aux négociations, vous me voyez fort marri de ne point saisir toute l'ampleur de la situation, de par l'ignorance imposée sur ma conscience par les soins de votre détention, ainsi donc, je ne puis être d'un énorme conseil.
Il ne fléchit ni ne tressaillit lorsque le suzerain opina qu'il pouvait encore lui couper la tête. Certes, il était très attaché à celle-ci, l'intégrité de son corps défaillant était un combat de tous les jours, le Roy le découvrirait assez vite si la Providence le comblait de longues années contrairement à ses prédécesseurs. Il soutint le regard du Roy, empli d'une résolution de fer et d'un foy sans limite envers le Paradis solaire.
- Vous pouvez certes envoyer ma tête à Rome, mais je ne crains qu'elle vous desserve grandement si elle n'est point attachée à mon corps. Si c'est un message fort que vous cherchez, élevez-vous donc par la vertu et forcez-vos ennemis à rivaliser de cette même vertu avec vous. Vous pourriez, d'un coup de plume plutôt que de lame, sauver la vie d'innombrables innocents. Rétablissez le Concordat en signe de sagesse, il est tout bonnement impossible de vous croire profondément aristotélicien lorsque vous causez un tort plus grand à notre foy que le tort que vous avancez comme ayant été fait à votre encontre.
Sa proposition était faite. Il y avait un chemin vers une solution pacifique de la situation. Certes, Eusaias pouvait tuer des soldats aristotéliciens, mais il ne pouvait détruire un institutions aussi vénérable et permanente que l'Église. Les idées n'étant, après tout, pas tangibles, il ne saurait faire taire les murmures de libertés à jamais. Il termina avec un conseil presqu'humoristique.
- Si vous me permettez, Votre Majesté, une branche pourrie finira toujours par tomber d'elle même. L'herboriste novice s'empresse de la couper, mais bien souvent, il cause un tort irréparable à l'arbre qu'il expose à la voracité d'une multitude d'insectes nuisibles. Certains arbres peuvent soutenir un tel assaut, mais les fleurs délicates, par exemple, le lys, ne peuvent subir un traitement aussi draconien, aussi experte soit la main qui coupe. Si je puis me permettre, il est aussi fort improductif, dans une telle situation, de tenir à l'écart un herboriste chevronné.
Il demeura silencieux, laissant au Roy sa réplique.