Aethys
Étrange effluve. Humide mais fumée. De celles qui faisaient plisser le nez sous une mimique de dégoût. Dailleurs le nez se plissait, décryptant cet univers olfactif si étonnant. Un mélange de bois brûlé, de pourriture, durine et de lubricité consommée à même la rue. Un relent dair acéré dhiver où se perdaient quelques traces de pureté. Un doux et subtil parfum de vie et de mort tendrement entrelacés. De toutes jeunes notes de fleurs, de sucre, dépices, de poussière, de pain chaud. Paris, les Halles. 5h du matin.
Aethys leva le nez, se perdant dans la voute encore sombre et parsemée détoiles qui se dessinait entre les hautes maisons. Dans ses ambres, les volutes dopium tourbillonnaient violemment, menacées par cet air glacé qui tentait de lui rendre ses esprits. Dun geste mécanique, elle resserra son manteau sur ses épaules et se retourna vers le bâtiment quelle venait de quitter. Un de ces lieux sombres, bordels sans envergure, où venaient se perdre les âmes pour quelques poignées décus. Un soupire passa la barrière rosée de ses lèvres. Encore une nuit de solitude, où elle sétait laissée consommer par une jeune femme, avide de lui arracher quelques cris. Son air mélancolique renforcée par le teint grisâtre que lui laissaient ses drogues réapparut sur son minois encore jeune. Cela faisait désormais si longtemps quelle vivait ainsi.
Ses pas séloignèrent lentement du bordel. Elle quitta de sa démarche nonchalante la ruelle malfamée pour rejoindre une artère plus importante qui longeait les Halles. Autour delle, une petite foule éparse se pressait déjà. Les artisans, marchands, charlatans, pochtrons et autres créatures du petit jour gagnaient ou regagnaient leur quartier. Les visages étaient fermés, dissimulés sous dépaisses couches de vêtements, plus ou moins travaillés. La Gasconne eut un sourire las et poursuivit sa route, les ambres errant au gré de leurs envies.
Soudain, un petit attroupement devant elle aiguisa sa curiosité. Ça braillait, ça chuchotait, ça se bousculait même. La brune inclina très légèrement la tête signe évident de son intérêt et sapprocha. De toute manière, on ne pouvait pas passer à côté, vu que le groupe formé prenait toute la rue. De plus près, lagitation semblait plus forte, plus fébrile, faite de cet amalgame de curiosité, de gêne et de plaisir. La Gasconne fronça le nez. Peu de choses pouvaient émouvoir les Parisiens. Seule la mort ou le malheur des autres leur arrachaient ce sentiment animal.
« Bah, il fallait bien que ça arrive un jour. Des jours quelle navait pas mangé la petite et avec ce froid, hein »
Aethys tourna la tête vers lhomme à ses côtés. De forte corpulence, le tablier tâché de farine, le boulanger fixait le sujet de toute cette agitation qui se recroquevillait au sol devant eux. Lair désolé, il se frotta la tempe, y laissant une trainée blanche.
« Quest ce quil se passe ?
- Cest la petite gamine qui faisait la rue On la retrouvé par terre ce matin. Et depuis, elle ne bouge plus. Elle tremble de partout et brûle de l'intérieur. En plus, elle arrête pas de marmonner.
- Et personne ne fait rien ?
- Bah, quest ce que vous voulez quon fasse, hein ? On lui a bien posé une couverture sur le dos mais on peut pas plus, nous autres. Tous les médecins courent dans tous les sens, depuis lépidémie de refroidissements alors »
La Gasconne fronça le nez. Ses mains ségarèrent un court instant sur sa ceinture de barbier quelle portait encore à la taille. Elle aurait pu aider la petite. Ses ambres se ternirent. Cela faisait si longtemps maintenant quelle navait pas exercé. La recrudescence de médecins sachant tout faire eux même dans tout le royaume lavait peu à peu mise sur la paille. Entre barbier-apothicaire et médecin, le peuple préférait encore et toujours les charlatans en robe. Limage des barbiers resterait à jamais ceux qui découpaient les soldats sur les champs de bataille, du sang jusquau coude et les apothicaires étaient des sorciers-empoisonneurs. Et puis, tant de gens travaillaient gratuitement maintenant que se faire payer était de plus en plus mal vu. Mais il fallait bien quelle mangeât elle, hein
Les gens sécartèrent un peu devant elle et la jeune femme put enfin voir la gamine. Allongée au sol, elle faisait peur à voir. Le corps prostré, les lèvres bleuies par le froid, elle grelottait. De lourdes gouttes de sueur lui couvraient le front. La fièvre Et à en juger par le flot de marmonnements inaudibles que la petite laissait sécouler, elle devait déjà être avancée. Aethys grimaça. Pourquoi fallait-il toujours quelle tombât sur des emmerdes pareilles. Une main lasse se perdit dans la crinière sombre. Laider oui et ne jamais se faire payer puisque la putain navait certainement pas de quoi. Passer son chemin alors Lesprit de la brune sengourdit avant quun soupire ne sarrachât de ses lèvres. Son bon cur la perdra.
« Laissez-moi passer. Je suis apothicaire. »
Dans un murmure bruissant, lattroupement sécarta de la malade et Aethys vint sagenouiller près delle. La gamine était loin dêtre laide. Un visage fin, des boucles brunes, un petit nez et une bouche délicate. Elle devait à peine avoir quinze ans. La main fraiche de la Gasconne vint se poser sur son front. La fille des rues ouvrit alors lentement les yeux et posa un regard noisette sur elle.
« Allez, ça va aller Je vais taider daccord ? »
La gamine acquiesça dun signe de tête qui lui arracha une grimace de douleur. Mais déjà, elle marmonnait à nouveau. Une prière semblait-il. Aethys farfouilla dans sa ceinture et en sortit une petite fiole. Elle louvrit dune main, maintenant la tête de la catin de lautre. Rapidement, elle la passa sous son nez.
« Allez, reste avec moi. Il faut que tu te lèves. »
La gamine eut un sursaut, mélange décurement et de lucidité. Son regard reprit un peu de consistance. Aethys eut un petit sourire satisfait et fit disparaitre la fiole dans sa ceinture. Entourant la taille de la jeune fille de ses bras, elle laida à se relever. De petite carrure, elle lui semblait si légère dans ses bras quelle sen inquiéta, un pli soucieux barrant son front. Ses ambres balayèrent alors les badauds toujours autour delle.
« Foutez-moi le camp maintenant. Je moccupe de la petite. »
Des grognements de mécontentement sélevèrent de la rue. Une donzelle venue du Sud à en juger par son accent venait de leur arracher leur distraction. A eux, Parisiens ! Quelle honte, quel manque de savoir-vire ! Comment pourraient-ils rire d'elle à nouveau, se moquer de la vie de ces filles des rues ? Ah, jamais on ne laissait le peuple s'amuser un peu ! Mais l'outrage fut court et déjà, chacun retournait à ses affaires, pariant sur les pronostics de la ribaude. Une fois seules, Aethys se pencha à nouveau vers la malade, qui tremblait contre elle. Son regard sadoucit quelque peu.
« Tu dois bien avoir un endroit où dormir, toi non ? Guide moi, je te soutiendrai »
Les deux jeunes femmes séloignèrent donc dans la rue et sengouffrant dans une venelle, elles sarrachèrent de la vue des passants. Direction Rue des Deux Ecus.
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Dessin original AliceChan ©
Aethys leva le nez, se perdant dans la voute encore sombre et parsemée détoiles qui se dessinait entre les hautes maisons. Dans ses ambres, les volutes dopium tourbillonnaient violemment, menacées par cet air glacé qui tentait de lui rendre ses esprits. Dun geste mécanique, elle resserra son manteau sur ses épaules et se retourna vers le bâtiment quelle venait de quitter. Un de ces lieux sombres, bordels sans envergure, où venaient se perdre les âmes pour quelques poignées décus. Un soupire passa la barrière rosée de ses lèvres. Encore une nuit de solitude, où elle sétait laissée consommer par une jeune femme, avide de lui arracher quelques cris. Son air mélancolique renforcée par le teint grisâtre que lui laissaient ses drogues réapparut sur son minois encore jeune. Cela faisait désormais si longtemps quelle vivait ainsi.
Ses pas séloignèrent lentement du bordel. Elle quitta de sa démarche nonchalante la ruelle malfamée pour rejoindre une artère plus importante qui longeait les Halles. Autour delle, une petite foule éparse se pressait déjà. Les artisans, marchands, charlatans, pochtrons et autres créatures du petit jour gagnaient ou regagnaient leur quartier. Les visages étaient fermés, dissimulés sous dépaisses couches de vêtements, plus ou moins travaillés. La Gasconne eut un sourire las et poursuivit sa route, les ambres errant au gré de leurs envies.
Soudain, un petit attroupement devant elle aiguisa sa curiosité. Ça braillait, ça chuchotait, ça se bousculait même. La brune inclina très légèrement la tête signe évident de son intérêt et sapprocha. De toute manière, on ne pouvait pas passer à côté, vu que le groupe formé prenait toute la rue. De plus près, lagitation semblait plus forte, plus fébrile, faite de cet amalgame de curiosité, de gêne et de plaisir. La Gasconne fronça le nez. Peu de choses pouvaient émouvoir les Parisiens. Seule la mort ou le malheur des autres leur arrachaient ce sentiment animal.
« Bah, il fallait bien que ça arrive un jour. Des jours quelle navait pas mangé la petite et avec ce froid, hein »
Aethys tourna la tête vers lhomme à ses côtés. De forte corpulence, le tablier tâché de farine, le boulanger fixait le sujet de toute cette agitation qui se recroquevillait au sol devant eux. Lair désolé, il se frotta la tempe, y laissant une trainée blanche.
« Quest ce quil se passe ?
- Cest la petite gamine qui faisait la rue On la retrouvé par terre ce matin. Et depuis, elle ne bouge plus. Elle tremble de partout et brûle de l'intérieur. En plus, elle arrête pas de marmonner.
- Et personne ne fait rien ?
- Bah, quest ce que vous voulez quon fasse, hein ? On lui a bien posé une couverture sur le dos mais on peut pas plus, nous autres. Tous les médecins courent dans tous les sens, depuis lépidémie de refroidissements alors »
La Gasconne fronça le nez. Ses mains ségarèrent un court instant sur sa ceinture de barbier quelle portait encore à la taille. Elle aurait pu aider la petite. Ses ambres se ternirent. Cela faisait si longtemps maintenant quelle navait pas exercé. La recrudescence de médecins sachant tout faire eux même dans tout le royaume lavait peu à peu mise sur la paille. Entre barbier-apothicaire et médecin, le peuple préférait encore et toujours les charlatans en robe. Limage des barbiers resterait à jamais ceux qui découpaient les soldats sur les champs de bataille, du sang jusquau coude et les apothicaires étaient des sorciers-empoisonneurs. Et puis, tant de gens travaillaient gratuitement maintenant que se faire payer était de plus en plus mal vu. Mais il fallait bien quelle mangeât elle, hein
Les gens sécartèrent un peu devant elle et la jeune femme put enfin voir la gamine. Allongée au sol, elle faisait peur à voir. Le corps prostré, les lèvres bleuies par le froid, elle grelottait. De lourdes gouttes de sueur lui couvraient le front. La fièvre Et à en juger par le flot de marmonnements inaudibles que la petite laissait sécouler, elle devait déjà être avancée. Aethys grimaça. Pourquoi fallait-il toujours quelle tombât sur des emmerdes pareilles. Une main lasse se perdit dans la crinière sombre. Laider oui et ne jamais se faire payer puisque la putain navait certainement pas de quoi. Passer son chemin alors Lesprit de la brune sengourdit avant quun soupire ne sarrachât de ses lèvres. Son bon cur la perdra.
« Laissez-moi passer. Je suis apothicaire. »
Dans un murmure bruissant, lattroupement sécarta de la malade et Aethys vint sagenouiller près delle. La gamine était loin dêtre laide. Un visage fin, des boucles brunes, un petit nez et une bouche délicate. Elle devait à peine avoir quinze ans. La main fraiche de la Gasconne vint se poser sur son front. La fille des rues ouvrit alors lentement les yeux et posa un regard noisette sur elle.
« Allez, ça va aller Je vais taider daccord ? »
La gamine acquiesça dun signe de tête qui lui arracha une grimace de douleur. Mais déjà, elle marmonnait à nouveau. Une prière semblait-il. Aethys farfouilla dans sa ceinture et en sortit une petite fiole. Elle louvrit dune main, maintenant la tête de la catin de lautre. Rapidement, elle la passa sous son nez.
« Allez, reste avec moi. Il faut que tu te lèves. »
La gamine eut un sursaut, mélange décurement et de lucidité. Son regard reprit un peu de consistance. Aethys eut un petit sourire satisfait et fit disparaitre la fiole dans sa ceinture. Entourant la taille de la jeune fille de ses bras, elle laida à se relever. De petite carrure, elle lui semblait si légère dans ses bras quelle sen inquiéta, un pli soucieux barrant son front. Ses ambres balayèrent alors les badauds toujours autour delle.
« Foutez-moi le camp maintenant. Je moccupe de la petite. »
Des grognements de mécontentement sélevèrent de la rue. Une donzelle venue du Sud à en juger par son accent venait de leur arracher leur distraction. A eux, Parisiens ! Quelle honte, quel manque de savoir-vire ! Comment pourraient-ils rire d'elle à nouveau, se moquer de la vie de ces filles des rues ? Ah, jamais on ne laissait le peuple s'amuser un peu ! Mais l'outrage fut court et déjà, chacun retournait à ses affaires, pariant sur les pronostics de la ribaude. Une fois seules, Aethys se pencha à nouveau vers la malade, qui tremblait contre elle. Son regard sadoucit quelque peu.
« Tu dois bien avoir un endroit où dormir, toi non ? Guide moi, je te soutiendrai »
Les deux jeunes femmes séloignèrent donc dans la rue et sengouffrant dans une venelle, elles sarrachèrent de la vue des passants. Direction Rue des Deux Ecus.
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Dessin original AliceChan ©