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[RP] La rue assourdissante autour de moi hurlait

Lamelie


    La rue assourdissante autour de moi hurlait.
    Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
    Une femme passa, d'une main fastueuse
    Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

    Agile et noble, avec sa jambe de statue.
    Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
    Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
    La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

    (Baudelaire, À une passante)


Elle était allée chez un orfèvre des galeries faire ciseler une gourmette. Elle n'avait pas été chez Watelse, le lieu était trop connu ; elle aurait pu y croiser des visages inquisiteurs. On aurait pu exiger qu'elle retirât sa cape, par politesse — et elle n'y tenait pas. Sa cape était chaude et confortable. Sa cape était longue et sombre. Sa cape donnait l'illusion qu'elle était toute droite, qu'elle n'avait ni bras, ni formes. Elle traînait, derrière elle, sur le pavé sale de Paris. Elle n'en avait cure. Si cette saleté rebutait alentour et décourageait les gens de l'approcher, ce serait tant mieux.
Elle venait à Paris pour l'anonymat. Elle y tenait. Tous les artifices pour le maintenir étaient bons à prendre.
N'allez pas croire qu'elle était sale : ce qui était à moins de trente centimètres du sol pouvait l'être, mais plus haut, tout ce qui dépassait de la cape était d'une propreté irréprochable. Des cheveux sombres, tressés à l'arrière, d'où s'échappaient des mèches folles. Un frontal de cuir, un visage à la peau hâlée, de grands yeux clairs, une moue boudeuse. Les paupières, lasses et tombantes.
Sous la cape, une aumônière, et dans une cotte, de vastes manches. Du bout des doigts, elle jouait avec la gourmette qu'elle avait acquise.

Paris bourdonnait autour de la passante. Elle n'y prenait pas garde, sinon qu'elle dévisageait quiconque la regardait avec trop d'attention. C'était vraiment devenu une obsession, d'être reconnue, ou non.
Une devanture attira son attention. Quelques bijoux d'argent et de grenat, finement ciselés, des aumônières perlées... Elle s'arrêta là, à côté d'un crieur public qui débitait ses réclames, non loin d'un groupe de gamins qui comptait des cailloux.

Mais étaient-ce des cailloux ?


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Edmond..
Blancs et polis, ce n’étaient pas des cailloux, c’étaient des os.

De poulet ou de lapin mais pas d’humains, même à Paris, la bestialité concède cela à l’humanité, on ne laisse pas les enfants jouer sur les charniers. Ces enfants-là qui jouent, qui animent de leurs rires le triste Paris, il les observe sans mot dire, occupé qu’il est à fureter dans les Halles. Il ne vient pas faire d’emplettes, il ne manque rien dans son logis des Deux-Ecus, il n’a pas de femme, pas de maîtresse, ni de mère, pas même de sœur, et s’il a des cousines, elles sont trop belles et trop éloignées pour qu’on n’y voie pas à jaser au moindre ruban acheté. Edmond est nain, mais pas assez vicelard pour imaginer acheter l’entrecuisse d’une femme d’un quolifichet, il les préfère conquises, exquises dans leur refus d’y toucher, dans leur extatique curiosité.

Vous connaissez le principe du nain ? Non ? Tant pis.

Alors, il est là qui observe d’un regard nonchalant les badauds alentours sans vraiment s’arrêter sur aucun, s’il aime Paris c’est pour cette diversité qui ne laisse aucune prise à la curiosité. Même lui, y a gagné en sérénité, la capitale offre le bénéfice de l’anonymat, il y a d’autres nains ici, certains plus beaux que lui, d’autres bien plus laids, aucun aussi bien vêtu qu’il ne l’est, mais comment pourrait-on le savoir puisqu’il dissimule le pourpoint savamment exécuté derrière une cape d’un gris délavé. Il ne fait pas bon porter de beaux autours sans escorte, et il n’en a pas. Alors la cape dissimule l’escarcelle pleine de pièces de bon or mais aussi, les jambes torses et le dandinement de ses hanches. De dos, on pourrait même le prendre pour un enfant costaud et bien nourri. C’est cela Paris, des faux semblants et des mensonges, il n’y a bien que les enfants pour être honnêtes et vrais en tout. Vrais et cruels comme le sont les enfants, car à une passante arrêtée là, ils offrent la grâce d’une attention, la disgrâce d’une poignée de boue sur la face.

Hé quoi ? Croyez-vous qu’il bougerait ? C’est un nain et il ne la connaît pas. Mais c’est la fin de l’inconnu, on la regarde et lui comme les autres, et lui plus que les autres voient les traits fins et la peau olivâtre, la drôlesse a passé plus de temps au soleil que sous la grisaille parisienne.

Oiseau du sud au triste parage, tu es venue à Paris et te voilà couverte de sa fange. Et comme une désapprobation silencieuse alors que d’autres rient de la farce puérile, Edmond ne rit pas.

On ne salit pas les oiseaux.

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Ma cousine, ce génie de la peinture
Lamelie


La passante rugit au heurt de cette boue
Sur sa tempe charmante, avec un mou fracas,
Puis se tient coite et ploie la nuque, son sang bout ;
Sa main droite adroite émerge de sa burqa...

Elle claquera point, elle vengera rien,
De son anonymat, elle fait trop grand cas,
Elle ne poursuivra d'aucune ire un propre-à-rien,
Un galopin, un peu de terre, un fin tracas.

Cette main, simplement, elle essuie, elle étale,
Sur la peau mordorée, sur les boucles tâchées,
Boue nauséabonde, projectile fatal,
Et sur tous les passants traîne un regard fâché.

Tout aurait pu finir sur ce tout bête arcat
[1],
Et chacun retourner à sa vie quotidienne,
Si n'avait à ses doigts brillé comme un ducat,
Un éclair, un éclat intense d'obsidienne.

La gourmette fatale, aperçue des vauriens,
Leur fit tourner talons, de l'éclat entichés,
Et faire mil tourments à celle au sombre teint,
Pour gagner le trophée au nom de sa nichée.

Ils tirent sur sa cape, les gniards indélicats,
Ils s'y mettent à trois, elle crie -
« Malassòrt ! »
Elle se débat dans une vraie mazurka,
la danse de la haine... ou celle de la mort.

Il semble importer plus de garder sa grand'cape,
Que de passer peut-être, en une heure, à son ka
[2],
Car les garnements continuent leur triste sape,
A coup de terre, graviers ou grains de muscats.

Souille, blesse, ruine, la passante en grand deuil...



______
[1] arcat : escroquerie, arnaque
[2] passer à son ka : mourir, dans la mythologie égyptienne.

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Edmond..
Le nain a vu comme les gosses, le bijou briller au fin poignet de cuivre, comme un outrage à la peau doucement dorée, cet or grossier, pourtant il a vu, et comme on sonne l’hallali d’une biche, voilà que l’oiseau est assailli, et lui ? Placide, il assiste mais n’agit pas, c’est un nain, devra-t-on le répéter mille fois pour que cela rentre. Que voulez-vous qu’il fasse ? Il observe de sa place, profitant de la chaleur de la cape mais aussi de l’anonymat.

Entiché de la gouaille parisienne, il n’en demeure pas moins agacé par ses agissements d’un autre temps. Donnez leur du pain et des jeux et les parisiens seront heureux, romains des temps modernes, les enfants se font gladiateurs dans l’arène puante de la Capitale et elle ?

La languedocienne est l’animal aux abois, la lionne qui se débat sous sa fourrure et tente qui des rugissements aux accents d’oc, qui des coups de pattes mais la voilà défavorisée. Sera-t-il un César ? Arrêtera-t-il là les jeux au risque de déplaire à la plèbe ? Mais oui ! Trop, c’est trop. Un pas, deux pas, il ose le fou.


« Hé. Ta mère sait que tu es là ? Et la tienne ? T’es pas censé aider ton père dans les cuves ? »

S’empresse de lancer le nain. Courageux mais pas téméraire. Il les connaît, les reconnaît au fur et à mesure où ils se retournent vers lui. Il y a le fils de l’aubergiste qui l’a arnaquée, et si le père est une crevure, la mère est plus dure que le balai avec lequel elle frotte le plancher de ses piaules. Et l’autre là-bas, c’est le fils d’un teinturier aux mains plus calleuses que colorées. Il les connaît tous, et pire, il connaît leurs parents. Eminence grise des commerces de maigre aloi, il sait qu’ils sont censés faire leur apprentissage au lieu de pavoiser dans la rue.

Prendre sa place dans le grand jeu de la rue, si ça ne coulait de source pour personne, cela devient spontané pour tous, les gosses se retrouvent houspillés, raillés. Moquer une donzelle au lieu d’aller faire son travail ? Il n’y a pas de place pour l’oisiveté à Paris, même pas à l’heure du déjeuner. Heureux les mendiants à qui on ne demande pas de faire leur part du travail. Le voilà qui rejoint la jeune femme et d’une main au moins aussi baguée que celle d’une bourgeoise, il saisit le pan de la cape mal tombée pour la remettre à sa place, ou du moins l’espère-t-il.

Défense de rire, il fait avec ses moyens, ceux d’un homme de petite taille, pourtant le sourire est là. Sincère. Celui de ceux qui ont souffert plus qu’à leur tour les brimades. Celui de ceux qui peuvent maintenant leur faire ravaler leurs sarcasmes à tous dans leur campagne, croupissant dans la fange de leurs porcs, lui préfère croupir dans celle de Paris, elle a l’odeur du stupre et de l’argent mais surtout celle de l’inconnu.

C’est con un nain, surtout pour les beaux yeux d’une fille, et ça prend son temps, alors qu’il suffirait de s’arrêter aux premiers mots jetés pour comprendre l’essentiel.


« Bonjour. »

C’est simple, non ?
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Ma cousine, ce génie de la peinture
Lamelie


Elle rabroue d'un geste, la biche au flanc stressé, elle craint cette main qui ramène sa cape sur son épaule — elle a peur, et la peur ne distingue pas l'ami de l'ennemi. Dans le doute, dans l'émoi, dans l'aboi, tout est ennemi, le monde est contre vous.

Et puis elle remarque son bon sourire, et puis elle remarque que ce n'est pas un enfant encore à lui faire des misères ; c'est un homme, n'en déplaise à sa taille. Et il sourit. Elle lève sa main pour remettre tout à fait la lourde cape sur sa jeune épaule. A-t-il vu, au passage, quelle est sa croix, sa damnation, son mal éternel ? A-t-il, regard impudique, impudent ou insouciant, glissé dans l'intimité de cette cape, et deviné ce qu'elle cachait ?
Il n'en montrait rien, et elle sentit qu'un homme comme lui, un si petit grand homme, n'en serait que touché, n'en ressentirait que plus de proximité avec elle. Elle le voulait, elle l'espérait, dans son émoi qui peinait à se calmer.
Au bout de sa main, la gourmette, victorieusement conservée, qu'elle baise désormais de ses lèvres chaudes. Il l'a saluée, elle n'a pas répondu, pas encore : elle se calme, elle respire, il attend.

Enfin, elle inspire à fond, ses narines gonflent, puis se relâchent sur son nez ordinaire.


-« Bonjorn. Et mercé. »

Elle ne sait pas que dire de plus, elle fait rouler la gourmette sous ses doigts, oscille sur ses pieds. Elle oublie que de la boue demeure sur sa tempe. Elle le regarde encore, et demande, d'une voix pas encore tout à fait assurée, mais chantant déjà le méridien :

-« Ces bagues, vous les volez ? Est-ce un chasseur qui chasse les chahuteurs ? »

Les mots sont tranchants, mais le ton est doux, poli, aimable même. Elle n'y croit pas, déjà à cause de son sourire, et parce qu'ayant tant de bagues, ce n'est pas son maigre trophée qui ferait son content. Mais elle ne s'explique pas ce qu'un nain peut faire dans la vie, et ne s'explique pas quelle autorité supérieure il avait sur des gosses plus grands que lui, ni ce qu'il faisait dans la rue à observer tout cela — les gens qui observent trop sont forcément en quête d'un indice pour les guider vers quelque mauvais coup.
C'est sa logique qui le lui souffle, c'est pour cela qu'elle demande. Elle sait en son cœur que la réponse sera tout autre, et cela donne à sa voix cet air si doux et quiet.
Elle fait la conversation, mondainement. Pas d'insulte. On s'informe. Dans les rues de Paris... On se forme.


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Edmond..
Fallait-il s'y attendre ? Oui.

Tout au plus, range-t-il ses mains quand elle le repousse. Non, il n'a pas vu, en revanche, ce qu'il voit quand elle remonte la cape, c'est cette absence de coude qui remplirait les plis du tissu lourd. Peut-être la donzelle a-t-elle le bras en écharpe, à moins qu'elle ne préfère cacher un énième trésor sous les replis du vêtement. Mais il n'a pas vu de trésor, et croyez-en l'habitude, on ne cache pas d'or à un nain. Ainsi donc l'oiseau aurait une aile cassée, si cela l'intrigue, il n'en montre rien, avantage de cette proéminence disgracieuse qu'est l'arcade sourcilière qui cache bien plus qu'elle ne dévoile ce qui se trame dans ce regard qui n'a rien de gracieux sinon la sagacité du petit être.

Elle réserve bien des surprises cette oiselle-là. Bien plus dans les mots que sous la cape, aussi s'autorise-t-il de la regarder dans les yeux, amusé.


« Fervent défenseur de la nature, point voleur. Mais on me vole souvent, regardez » Et de lever la dextre où brille entre autres, un anneau épais serti d'un cabochon écarlate. « On me l'a vendue pour être un rubis, et pas plus tard qu'hier, je tapais sur la table d'une auberge pour m'insurger contre la chasse abusive des jolis oiseaux du Sud. Voyez où cela me l'a mis. »

Un air faussement navré, le cabochon n'est pas abîmé, Edmond ne tape pas du poing. Déjà, parce qu'il est hors de question qu'il s'abîme la main sur le mauvais bois d'une table d'auberge et aussi, parce que cela ne sert à rien. L'argent achète plus que les cris.

« Vous avez un bien joli bracelet. Puis-je vous demander où vous vous rendiez ? J'allais quant à moi prier. »

Non, l'Ile de la Cité n'est pas tout près, et oui, cela fait une trotte quand on a de si petites jambes. Oui, il y a abondance d'églises à Paris, mais enfin, Notre-Dame est bien jolie, et fervent admirateur de la gente féminine, le Wolback ne peut qu'aimer la grande dame parisienne.

« Peut-être pourrai-je vous déposer sur la route. »

Et s'assurer que personne n'ira la voler.
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Ma cousine, ce génie de la peinture
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