Roxannemontfortlaval
Tout était immobile. Un silence sépulcral régnait sur les terres enneigées de Langolen. Peu à peu, l'aube accrochait ses blafardes lueurs aux branches squelettiques des arbres dénudés. Elle s'arrêta un instant afin de reprendre son souffle. A en juger à la brûlure de ses poumons, la température devait avoisiner les dessous de zéro. Ajoutée au froid, la fatigue lui paralysait les membres. Et plus elle avançait, plus elle s'enfonçait dans la neige.
Et tout cela pour un malheureux sapin qu'elle se trainait maintenant qu'elle l'avait coupé. Mais elle en avait fait la promesse à Yaouen-Elfyn. Ce serait son premier Noël avec un vrai sapin tout décoré dans la grand-salle.
Depuis sa naissance, Roxanne n'avait jamais voulu fêter Noël et encore moins décorer Langolen. Il y avait l'anniversaire de la mort de son père qui revenait la hanter à chaque même période. Puis l'année dernière, elle s'en revenait du front au mois de décembre et s'en était parti presque directement ensuite en Irlande, où elle avait passé trois mois. En pleine séparation d'avec Alwen et le souvenir était encore vivace. Autant pour leur enfant que pour elle.
Elle ne voulait pas cette année non plus faire quoi que ce soit, mais un peu plus tôt dans la journée, en allant au Noël des nobles, son coeur avait manqué des battements en découvrant l'air émerveillé de son fils devant le sapin géant. Elle avait alors compris qu'inconsciemment, presqu'égoïstement, elle privait son louveteau d'une chose essentielle : la magie de cette période de l'année.
Les gris qui ont retrouvés quasiment toute leur faculté, prennent alors conscience d'un volatile qui volette tant bien que mal. Froncement de sourcils, le sapin est abandonné au sol, alors que la fauconnière en elle surveille les mouvements de l'oiseau. Il s'éloigne encore de cinq bons mètre mais semble l'observer d'un air de défi. Une chouette....une malheureuse petite chouette. L'aile brisée à ce que pouvait en déceler la blondine. Et elle irait jusqu'au bout de ses forces avant de se laisser capturer, elle avait assez d'expérience pour le deviner. Si ce harfang n'était aussi beau, elle n'aurait sans doute pas tenté, l'après-midi déclinant et la nuit allait être froide.
Mais voila, cette chouette des neiges était d'une extraordinaire beauté et plus encore...d'une valeur inestimable.
Les grands rapaces nocturnes sauvages devenaient de plus en plus rares en effet dans les bois appartenant aux terres de Langolen. Hormis une fiche tacheture rousse sur le dos, son plumage, d'un blanc éclatant, lui donnait la silhouette d'un bonhomme de neige. Déployées, ses ailes devaient atteindre une envergure de quatre-vingt centimètres. Un spécimen exceptionnel, dont la fière attitude forçait l'admiration de Roxanne.
Elle regrettait à cet instant même, que son frère Merry ne soit pas là pour le voir.
Stoïque, ses grands yeux orangés posés sur elle, l'oiseau semblait l'attendre. Hors du couvert de la forêt, il n'avait plus aucune chance de s'échapper. Du sang maculait son aile.
A bout de force, la respiration saccadée, il s'efforçait avec courage de ne montrer à sa poursuivante aucun signe de faiblesse, farouchement déterminé à lutter jusque la mort. Et il mourrait assurément si Roxanne ne l'attrapait pas.
D'un large mouvement de bras, elle força l'oiseau à reculer jusqu'au bâtiment le plus proche qui n'était autre que l'une des granges dans lesquelles étaient entreposés le fourrage pour l'hiver.
Toute l'attention de la chouette concentrée sur l'intruse que représentait pour elle Roxanne, le harfang ne prenait pas encore conscience du nouveau danger que représentait pour lui, les bâtiments habités. Lorsque son odorat l'en avertirait, le harfang s'affolerait et commettrait une erreur.
Elle l'espérait du moins. Les poumons en feu, la vue brouillée, elle était entraînée certes, mais là entre le sapin abattu auquel elle s'était attaqué pour une première et maintenant la course à la chouette, ça commençait à faire beaucoup. Ses muscles la trahissaient et une crampe lui vrillait la jambe dextre. Sans parler du longbow qui lui sciait l'épaule.
Rassemblant toute son énergie, elle se remit à avancer. Aussi silencieuse que le rapace qu'elle traquait, acculant, inexorablement, ce dernier, vers la grange la plus proche.
S'arrachant lourdement à la neige, le harfang lui, se réfugia contre le mur, son bec acéré pointé vers son assaillante. Dérisoire tentative de dissuasion pour quelqu'un comme Roxanne, qui, en bonne fauconnière n'ignorait nullement que l'arme véritable des rapaces n'était pas tant leur bec que leurs serres, ces redoutables griffes qui, une fois refermées sur leurs proies, les laissaient rarement échapper. Bien sûr une morsure n'était pas à négliger, même si ses mains étaient vêtues des gants de cuir appropriés.
Elle bénissait le ciel que pour cette fois, Phoenix ait jugé bon de ne pas la suivre. L'aigle royal avait préféré rester au sein du domaine.
Et soudain le harfang se fige. Un courant d'air avait du le prévenir de l'odeur des chevaux, dans les écuries sises non loin. Et bien qu'équidés et oiseaux de proies ne soient pas des ennemis, toute odeur étrangère représentait pour lui une menace. La chouette tourna la tête l'espace d'une seconde, avant de braver de nouveau Roxanne d'un regard luisant de colère.
"- Tout doux ma belle. Tout doux."
Murmure de la blondine qui dépose son longbow tout en douceur le long du mur de la grange.
Comme paralysé, l'oiseau la regardait s'approcher, pas à pas, insensiblement.
"- Ne bouuuge pas. Ma toute belle...là..n'aies pas peur. Je ne te ferais pas de mal."
Au pas suivant, la chouette des neiges tenta vaillamment de gonfler son plumage et de déployer ses ailes afin de décourager son assaillante. Une tentative désespérée : elle savait de toute façon qu'elle ne pouvait pas voler. Mais généralement, cela suffisait à intimider certains de ses prédateurs. Ce qui impressionna surtout Roxanne, ce fut le sang séché qui maculait son aile brisée.
Le coeur serré, elle lui confia tendrement ce qu'elle pensait des femelles de son espèce : belles, fières, volontaires, mais hélas dotées d'un cerveau gros comme un pois chiche ! Elle jura même entre ses dents en breton, en gaélique, en françoys de sa voix la plus douce. Mais rien n'y fit. Battant furieusement de son aile valide, la chouette rassemblait ses dernières forces pour bondir.
C'est alors que des pas crissèrent dans la neige, et du coin de l'oeil , elle vit une petite silhouette se profiler dans l'entrée de la grange. Yaouen-Elfyn ! Il ne pouvait tomber mieux.
Effrayé par la nouvelle odeur, par le nouveau danger, l'oiseau tourna la tête et Roxanne en profita pour franchir les derniers mètres qui les séparaient tout en intimant à son fils de ne pas bouger de là où il se trouvait.
L'enfant ne fit d'ailleurs pas de manière pour obéir, hypnotisé qu'il était par le spectacle de sa mère et de l'animal en train de lutter.
Quelques secondes plus tard, les bras de Roxanne se refermaient sur la chouette, maintenant ses ailes serrées afin de l'empêcher de se débattre. Puis elle la souleva.
Sifflant de rage, le rapace perça de ses serres le gant de Roxanne qui laissa échapper un juron de douleur, tandis que le bec du harfang lui visait les yeux. Si visiblement l'animal n'était pas heureux, la blonde fauconnière ne l'était pas non plus. Elle n'avait qu'une seule solution pour immobiliser l'oiseau avant qu'il ne se blesse davantage. Mais c'était prendre un risque pour elle-même. Déjà l'une des pattes avait échappé à sa prise.
Sans se retourner, elle parle tranquillement à Yaouen afin de ne pas l'effrayer.
"- Trésor, va chercher Krystos, vaam a ramené un sapin, demande lui de venir ici pour le prendre et l'emmener dans la grand-salle".
Elle savait bien que le vieux mestre d'armes ne manquerait pas d'accourir sur les lieux et lui prêterait assistance pour le cas où le harfang ne se calme pas.
Grondant, criaillant, le harfang labourait de ses griffes le bas de son surcot. Il avait beau ne pas peser lourd, deux bras ne suffisaient décidément pas à en venir à bout....
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En deuil de ma Pelote, Dame de Concoret & de Naël d'Artignac, Duc du Tregor et Chevalier de Pontekroaz.
Et tout cela pour un malheureux sapin qu'elle se trainait maintenant qu'elle l'avait coupé. Mais elle en avait fait la promesse à Yaouen-Elfyn. Ce serait son premier Noël avec un vrai sapin tout décoré dans la grand-salle.
Depuis sa naissance, Roxanne n'avait jamais voulu fêter Noël et encore moins décorer Langolen. Il y avait l'anniversaire de la mort de son père qui revenait la hanter à chaque même période. Puis l'année dernière, elle s'en revenait du front au mois de décembre et s'en était parti presque directement ensuite en Irlande, où elle avait passé trois mois. En pleine séparation d'avec Alwen et le souvenir était encore vivace. Autant pour leur enfant que pour elle.
Elle ne voulait pas cette année non plus faire quoi que ce soit, mais un peu plus tôt dans la journée, en allant au Noël des nobles, son coeur avait manqué des battements en découvrant l'air émerveillé de son fils devant le sapin géant. Elle avait alors compris qu'inconsciemment, presqu'égoïstement, elle privait son louveteau d'une chose essentielle : la magie de cette période de l'année.
Les gris qui ont retrouvés quasiment toute leur faculté, prennent alors conscience d'un volatile qui volette tant bien que mal. Froncement de sourcils, le sapin est abandonné au sol, alors que la fauconnière en elle surveille les mouvements de l'oiseau. Il s'éloigne encore de cinq bons mètre mais semble l'observer d'un air de défi. Une chouette....une malheureuse petite chouette. L'aile brisée à ce que pouvait en déceler la blondine. Et elle irait jusqu'au bout de ses forces avant de se laisser capturer, elle avait assez d'expérience pour le deviner. Si ce harfang n'était aussi beau, elle n'aurait sans doute pas tenté, l'après-midi déclinant et la nuit allait être froide.
Mais voila, cette chouette des neiges était d'une extraordinaire beauté et plus encore...d'une valeur inestimable.
Les grands rapaces nocturnes sauvages devenaient de plus en plus rares en effet dans les bois appartenant aux terres de Langolen. Hormis une fiche tacheture rousse sur le dos, son plumage, d'un blanc éclatant, lui donnait la silhouette d'un bonhomme de neige. Déployées, ses ailes devaient atteindre une envergure de quatre-vingt centimètres. Un spécimen exceptionnel, dont la fière attitude forçait l'admiration de Roxanne.
Elle regrettait à cet instant même, que son frère Merry ne soit pas là pour le voir.
Stoïque, ses grands yeux orangés posés sur elle, l'oiseau semblait l'attendre. Hors du couvert de la forêt, il n'avait plus aucune chance de s'échapper. Du sang maculait son aile.
A bout de force, la respiration saccadée, il s'efforçait avec courage de ne montrer à sa poursuivante aucun signe de faiblesse, farouchement déterminé à lutter jusque la mort. Et il mourrait assurément si Roxanne ne l'attrapait pas.
D'un large mouvement de bras, elle força l'oiseau à reculer jusqu'au bâtiment le plus proche qui n'était autre que l'une des granges dans lesquelles étaient entreposés le fourrage pour l'hiver.
Toute l'attention de la chouette concentrée sur l'intruse que représentait pour elle Roxanne, le harfang ne prenait pas encore conscience du nouveau danger que représentait pour lui, les bâtiments habités. Lorsque son odorat l'en avertirait, le harfang s'affolerait et commettrait une erreur.
Elle l'espérait du moins. Les poumons en feu, la vue brouillée, elle était entraînée certes, mais là entre le sapin abattu auquel elle s'était attaqué pour une première et maintenant la course à la chouette, ça commençait à faire beaucoup. Ses muscles la trahissaient et une crampe lui vrillait la jambe dextre. Sans parler du longbow qui lui sciait l'épaule.
Rassemblant toute son énergie, elle se remit à avancer. Aussi silencieuse que le rapace qu'elle traquait, acculant, inexorablement, ce dernier, vers la grange la plus proche.
S'arrachant lourdement à la neige, le harfang lui, se réfugia contre le mur, son bec acéré pointé vers son assaillante. Dérisoire tentative de dissuasion pour quelqu'un comme Roxanne, qui, en bonne fauconnière n'ignorait nullement que l'arme véritable des rapaces n'était pas tant leur bec que leurs serres, ces redoutables griffes qui, une fois refermées sur leurs proies, les laissaient rarement échapper. Bien sûr une morsure n'était pas à négliger, même si ses mains étaient vêtues des gants de cuir appropriés.
Elle bénissait le ciel que pour cette fois, Phoenix ait jugé bon de ne pas la suivre. L'aigle royal avait préféré rester au sein du domaine.
Et soudain le harfang se fige. Un courant d'air avait du le prévenir de l'odeur des chevaux, dans les écuries sises non loin. Et bien qu'équidés et oiseaux de proies ne soient pas des ennemis, toute odeur étrangère représentait pour lui une menace. La chouette tourna la tête l'espace d'une seconde, avant de braver de nouveau Roxanne d'un regard luisant de colère.
"- Tout doux ma belle. Tout doux."
Murmure de la blondine qui dépose son longbow tout en douceur le long du mur de la grange.
Comme paralysé, l'oiseau la regardait s'approcher, pas à pas, insensiblement.
"- Ne bouuuge pas. Ma toute belle...là..n'aies pas peur. Je ne te ferais pas de mal."
Au pas suivant, la chouette des neiges tenta vaillamment de gonfler son plumage et de déployer ses ailes afin de décourager son assaillante. Une tentative désespérée : elle savait de toute façon qu'elle ne pouvait pas voler. Mais généralement, cela suffisait à intimider certains de ses prédateurs. Ce qui impressionna surtout Roxanne, ce fut le sang séché qui maculait son aile brisée.
Le coeur serré, elle lui confia tendrement ce qu'elle pensait des femelles de son espèce : belles, fières, volontaires, mais hélas dotées d'un cerveau gros comme un pois chiche ! Elle jura même entre ses dents en breton, en gaélique, en françoys de sa voix la plus douce. Mais rien n'y fit. Battant furieusement de son aile valide, la chouette rassemblait ses dernières forces pour bondir.
C'est alors que des pas crissèrent dans la neige, et du coin de l'oeil , elle vit une petite silhouette se profiler dans l'entrée de la grange. Yaouen-Elfyn ! Il ne pouvait tomber mieux.
Effrayé par la nouvelle odeur, par le nouveau danger, l'oiseau tourna la tête et Roxanne en profita pour franchir les derniers mètres qui les séparaient tout en intimant à son fils de ne pas bouger de là où il se trouvait.
L'enfant ne fit d'ailleurs pas de manière pour obéir, hypnotisé qu'il était par le spectacle de sa mère et de l'animal en train de lutter.
Quelques secondes plus tard, les bras de Roxanne se refermaient sur la chouette, maintenant ses ailes serrées afin de l'empêcher de se débattre. Puis elle la souleva.
Sifflant de rage, le rapace perça de ses serres le gant de Roxanne qui laissa échapper un juron de douleur, tandis que le bec du harfang lui visait les yeux. Si visiblement l'animal n'était pas heureux, la blonde fauconnière ne l'était pas non plus. Elle n'avait qu'une seule solution pour immobiliser l'oiseau avant qu'il ne se blesse davantage. Mais c'était prendre un risque pour elle-même. Déjà l'une des pattes avait échappé à sa prise.
Sans se retourner, elle parle tranquillement à Yaouen afin de ne pas l'effrayer.
"- Trésor, va chercher Krystos, vaam a ramené un sapin, demande lui de venir ici pour le prendre et l'emmener dans la grand-salle".
Elle savait bien que le vieux mestre d'armes ne manquerait pas d'accourir sur les lieux et lui prêterait assistance pour le cas où le harfang ne se calme pas.
Grondant, criaillant, le harfang labourait de ses griffes le bas de son surcot. Il avait beau ne pas peser lourd, deux bras ne suffisaient décidément pas à en venir à bout....
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En deuil de ma Pelote, Dame de Concoret & de Naël d'Artignac, Duc du Tregor et Chevalier de Pontekroaz.