Ayena
- Y a des oiseaux de basses cours et des oiseaux de passage
Ils savent où sont leurs nids, quand ils rentrent de voyage
Ou qu'ils restent chez eux
Ils savent où sont leurs ufs
Être né quelque part
Être né quelque part
C'est partir quand on veut,
Revenir quand on part
Est-ce que les gens naissent
Égaux en droits
A l'endroit
Où il naissent ?
25 février 1460. Un an.
Il y a un an, Ayena s'était réveillée au petit matin. Elle allait se marier dans la journée. Le cur qui bat, qui soupire, qui a hâte. Les froissements de tissus. Du rouge, pour se marier. Du vert pour la famille Desage. Du jaune, pour le côté festif. Un petit arc en ciel à elle toute seule. Elle rayonnait. Et son soleil l'attendait près de lhôtel, beau comme un sous neuf. Beau, fier, majestueux. Car Ayena allait épouser le Coms de Lengadoc. Ca n'était pas rien pour cette petite Demoiselle. Charles Marie de Talleyrand, le paire d'Ayena place la main de sa fille dans celle de son beau fils : il la lui confie, il se détache de sa protégée, il offre à Adrien la responsabilité qu'il avait auparavant. Et la jeune femme passe d'une protection paternelle à une protection maritale. Mais loin d'être mal vécu, d'être subi comme une contrainte ou une servitude, cela rassure Ayena, la révèle.
Les deux frais époux vont se rencontrer charnellement pour la première fois le soir de la nuit de noce. Intimidés, amoureux. Mémorable.
Il vont vivre ensemble un Conseil Comtal éprouvant. Puis, il vont se reposer pendant deux mois. Jusqu'au jour fatidique où Adrien part en chasse avec une petite troupe... Et qu'il ne reviendra jamais. Sinon froid, sinon mort, sinon défiguré. Dans l'intervalle de sa disparition et du jour où l'on retrouve son corps en bas d'une falaise, dans un cours d'eau, Ayena a compris qu'elle était enceinte. Comme quoi le hasard fait mal les choses. Elle aura été mariée trois mois.
La jeune femme, tout juste dix sept hivers, se découvre veuve, responsable d'une seigneurie, d'une baronnie, d'un vicomté, et bientôt d'un enfant. C'est la descente aux enfers. Tout d'un coup, elle qui se laissait porter par la vie, qui commençait à se réconcilier avec les hommes, qui pensait doucement à offrir un héritier à son Adrien, se voit projeter dans un monde d'horreurs, où tout lui fait peur et surtout, où elle est seule pour affronter les épreuves de la vie et ses angoisses les plus profondes.
Avril, mai, juin.
Ayena est diminuée. Elle se laisse aller. Elle ne mange plus. Que ce soit les nausées de la grossesse ou la tristesse du deuil, qu'importent les raisons. Elle veut mourir, elle aussi. Rejoindre son Adrien.
Juillet, Aout, Septembre.
La solitude est un vain mot lorsque l'on ne l'a pas expérimentée. Aimelina fuit la Lengadoc avec son petit bâtard, elle qui était la seule amie d'Ayena. Et l'Artésienne se rend compte que seul Adrien lui permettait de se sentir chez elle dans ce comtat si grand. Elle est une étrangère. Seul Landyves lui dit le contraire. Les autres restent loin. Elle prend cela pour de la pitié mal placée, elle qui aurait besoin de soutien. Même Actarius reste aveugle à ses suppliques lors d'une cérémonie d'allégeance.
Un homme se détache du lot. Fool de Bois Hardi. Qui, finalement, a toujours été disponible. Même s'il était loin, en campagne armée, pour le service de la Licorne. Un jour, qu'il est revenu près d'elle, elle le gifle. Il devient ainsi son vassal. De cur, seulement. Parce que la héraulderie refuse et refusera longtemps à Ayena les biens qui devraient être siens par contrat de mariage.
En réalité, elle doit faire peur. Son ventre sarrondit à outrance, déformant son corps, aspirant sa vitalité de l'intérieur. Elle est pâle, translucide presque. Le teint parfois verdâtre. Visiblement affaiblie. Amoindrie.
Elle se retire au couvent. Soi-disant pour reposer son corps. Véritablement pour soulager son âme. Si le deuil l'accable, c'est cette petite chose qui grandit en elle qui la terrorise. Déjà parce qu'Ayena aurait préféré garder son Adrien et ne pas avoir d'enfant. Un échange malheureux qui aurait été meilleur pour la santé mentale de la jeune femme. Elle en veut à Dieu, à Christos, à Aristote, à tous les saints. Et à elle même. Ensuite parce qu'elle voudrait éviter de faire un bêtise trop tentante pour que la chose en elle s'en aille.
Octobre.
Ca va mieux. Un peu. Elle prie chaque jour, recommence à se nourrir convenablement. Elle prend en rondeur, rattrapant tous ses mois de disette. C'est impressionnant.
Elle réalise que le petit monstre en elle est bien accroché. Qu'il ne semble pas vouloir mourir prématurément, comme son premier.
Novembre.
Charles Madrien Desage Talleyrand vient de naître. Il gagne chaque instant un peu plus d'espérance de vie. Il nest pas mort trop tôt, comme son deuxième.
Non. Parce que cest le troisième.
Décembre.
Elle revient à Saint Rémèze. Serrant son fils dans ses bras : elle est devenue une mère-hyène. Il aura tout.
Nouveau combat avec la héraulderie. On lui rirait presqu'au nez. Mais c'est mal connaître Ayena. Qui reprend du poil de la bête.
Janvier.
Non, elle n'est pas morte. On l'a oublié, ça, c'est sur. Mais elle est revancharde, la cocotte. D'ailleurs, elle prend une décision : en février, le 25, elle quittera son deuil.
Février.
Riez, riez. Mais elle revit. Elle revient des morts, des enfers. Elle a vécu des horreurs. Elle est plus forte que vous, à présent. Et puis, elle n'est plus seule. Elle est deux. Il y a son fils. Enfin... Cest ce dont elle aimerait se convaincre. Car au fond d'elle elle sent cette brèche, ces cicatrices, ces plaies tout juste refermées. Elle tente de les ignorer. Advienne ce qu'il adviendra. Une pierre pour sa forteresse.
25 février 1461.
Le matin vient de se lever. Ayena a pleuré tout son saoul, cette nuit. Pleuré sur cette année passée. Pleuré comme pour rendre un dernier hommage à son Adrien. Il est temps de se lever. Pour vivre de nouvelles aventures. Aujourd'hui elle quitte son deuil.
- Faites sonner les cloches. Que les terres Desage sortent de leur silence.
Et elle s'habille. Avec des couleurs. Aujourd'hui sera un grand jour ou ne sera pas.
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- Héraldique > Ayena est habillée par DECO