S'il est parfois dur de prendre de grandes décisions et d'entreprendre de grandes actions, le premier pas est souvent le libérateur. Il est bien généralement, le victorieux, celui par qui s'engouffre la confiance et l'assurance, et décide dans la plupart des cas du sort de la bataille. Ce premier pas, Savian venait de le faire dans la vaste pièce du logis seigneurial de la Tour de Gaud. Un premier pas vers une conquête. Il venait de sonner la charge, de donner l'assaut.
Qu'on ne s'emballe point, le jeune homme n'était toutefois pas entrain de planter la bannière sur le champ victorieux de son courage. Il n'en était bien qu'au premier pas, celui bordé d'incertitudes, et qui engage à la suite.
Il s'avança donc vers la vicomtesse de Saint-Rémèze, elle qui détenait dans ses mains, tout l'héritage de la famille Desage, qu'il s'agisse du matériel tout comme de l'immatériel. Savian lui, était le détenteur d'une autre vérité, d'un tout autre pan de l'histoire, et qui ne le posait point du tout comme le représentant suprême d'une famille noble et respectée.
Il s'avança donc, et comme Perceval qui s'en allait se donner au Saint Graal, alla poser un genou devant la vicomtesse et son petit cousin.
Savian était beaucoup trop absorbé par l'importance de cette rencontre et par toute la symbolique qu'elle revêtait pour lui, pour prêter attention au sein dénudé d'Ayena. Il avait bien entendu remarqué la nudité de la jeune femme, mais cela lui paru devoir être ainsi. Il n'en conçu aucun émoi, si ce n'est celui de constater qu'il avait effectivement un petit cousin. Du reste, sans aller jusqu'à dire qu'il était chaste, parfaitement lisse et pur, le jeune garçon n'avait encore jamais réellement eu le loisir de s'attarder sur la chair et la gent féminine. Il avait jusqu'alors, à ce propos, eu bien d'autres préoccupations qui l'en avaient ainsi presque entièrement détourné de sa condition masculine.
Ainsi, il leva ses yeux sombres et de sa voix qui était toute naturellement calme, il déclara:
- Vicomtesse, je m'appelle Savian Desage. Je suis le fils d'Andres Desage, qui était lui-même le frère jumeau d'Adrien Desage. Mon père est mort et je suis venu chercher mon oncle, afin de me mettre à son service. On m'a annoncé sa disparition, alors je viens vous proposer mes services à vous et à mon petit cousin.
Puis il fouilla dans sa poche et en sortit un parchemin écorné et usé de tous bords. Il ne portait aucune date, ni aucun sceau. Ce parchemin était rédigé de la façon suivante:
Chère Jehanne, ma bonne mère. Voilà que le destin m'a trahi et m'a donné deux fils. Comme cette union n'est pas bonne, et que de toute façon ma femme est bientôt morte, je te les confie. Je les ai appellé Andres et Adrien. Tu en choisiras un et tu feras bien ce que tu voudras de l'autre. Je te remercie, bonne mère de veiller à mes affaires. Je serai bientôt remarié, de meilleure façon.
Apollon Desage, ton fils.
Savian tendit le parchemin à Ayena, qui n'avait pas encore parlé.
- Voici le début de l'histoire de votre époux. C'est aussi celle de votre fils. Et c'est la mienne également. Je vous raconterai la suite, car je sais que mon oncle l'ignorait.
Et il lui sourit. Elle n'avait pas encore parlé, elle semblait interdite. Lui, jeune garçon à l'histoire bouleversée, se s'imaginait pas dans quel état pouvait-elle se trouver. Pas plus qu'elle ne pouvait concevoir sans doute, ce que lui était entrain de vivre.
Pendant ce temps là, c'était un joyeux repas aux cuisine, auquel s'adonnait Salah Zaher. Entouré de servantes, il se trouvait là comme un pacha d'Orient, à ceci près qu'il n'en avait certainement pas la finesse de langage...
Finalement, c'était heureux que le maure Salah ait été envoyé aux cuisines. Sans quoi, il aurait sans nul doute brisé l'émotion du moment en zieutant avidement le nichon d'Ayena... _________________