Shirine
Même si en ce moment elle laisse place à Zoé Lisreux. Zoé la sage, la douce, l'obéissante... Tout ce qu'elle n'a jamais voulu être et tout ce que son père à toujours attendu d'elle.
Elle n'est pas devenue ainsi pour lui faire plaisir, non. Elle ne le connaît pas. Elle sait qu'il existe, qu'il vit, mais elle ne sait où et elle ne cherche pas à savoir. Moran ne veut pas lui parler, et il a surement une bonne raison.
Moran... Voilà l'objet de son changement.
Moran... L'amour de sa vie, l'homme qui a hanté chacune de ses nuits. Sa souffrance et son apaisement. Son secret, son péché, son mensonge...
Lui qui la protège de tout ce qu'il y a de mauvais en elle. Son passé de brigande, son goût pour la luxure et sa foi réformée.
Moran, en bientôt un an, a fait de la jeune rousse une femme respectable et tempérée, dont la seule faute est d'aimer son frère plus qu'il ne faudrait et d'en avoir hérité un ventre aujourd'hui rond qu'elle cache son sa cape de fourrure.
Mais s'il y a bien une chose que le grand ténébreux n'a pu éradiquer de son être, ce sont ses croyances. Sa façon d'aimer Dieu et de croire en Lui. Pour éviter tout conflit, elle n'en parle plus, elle garde tout en elle.
En ce jour d'hiver, les choses vont peut-être commencer à changer.
En ce jour d'hiver où elle arpente le marché, se laissant envahir par les odeurs de pain chaud et de pâtés. Elle flâne. Moran est ailleurs, pour affaires, comme il dit à chaque fois. Elle a cessé de poser des questions. Elle le laisse faire. Elle marche nonchalamment entre les étales, observant ce qui y est entreposé lorsque ses yeux s'arrêtent sur une poupée. Une poupée de chiffon, fort simple, mais qui ressemble étrangement à un rêve qu'elle a fait il y a des mois. Un rêve qui flirtait beaucoup avec le cauchemar et où elle s'était représentée comme une poupée sans bouche et aux yeux délavés. Le triste reflet de ce qu'elle était devenue et de ce qu'elle est surement toujours, même si elle refuse d'y penser.
Elle fixe le jouet des yeux et avance la main pour la toucher du bout des doigts, songeuse. Elle finit par lever les yeux sur le vendeur pour en demander le prix ouvrant déjà sa petite bourse. Elle tend la main droite pour le payer, laissant apparaître son avant bras droit hors de la cape. Sa manche relevée révèle la tête de lion. Elle voit l'homme y poser les yeux avant de la regarder. Il y a un moment de flottement puis Shirine laisse tomber les piécettes avant de rentrer son bras au chaud, attrapant la poupée de l'autre main.
Elle se détourne rapidement, rabattant sa capuche sur sa tête puis repart entre les étals...
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